Reconnecter avec son brocoli intérieur… mode d’emploi!

Des trucs et des ficelles pour contourner la difficulté d’écrire… L’écriture, ça se travaille, dans la joie, et dans le brocoli!

Où l’on parle de livres, d’écriture, du sens de la vie, d’amitié et de brocolis…

Amies lectrices, amis lecteurs, je vois vos pupilles vaciller fébrilement devant votre écran. Enfin pour celles et ceux qui ont ouvert ce billet malgré ce titre calamiteux. “Elle a pété un câble Bénédicte ? Il faut qu’elle arrête de fumer les herbes de son potager normand, cela ne lui vaut rien qui vaille!”. Je m’égare ces temps-ci, mais avant de m’envoler pour mon continent de coeur, alors que mes batteries faiblissent et que je ne sais plus d’où, pourquoi, et comment j’écris, je voulais évoquer un livre qui me fait du bien, un de ces manuels d’écriture dont je prends régulièrement des shoots pour m’adonner à cet exercice solitaire et souvent ingrat: “Bird by Bird, Some Instructions on Writing and Life” d’Anne Lamott.

Je l’ai commandé à un libraire d’occasion, je ne suis pas sûre qu’il soit réédité, mais il m’accompagne dans mes moments de doutes et je ne puis que le recommander à celles et ceux qui taquinent le clavier, et poursuivent des envies d’écriture. Mon amie Christie m’a offert il y a quelques années, “The Right to Write”, de Julia Cameron, qui propose une série d’exercices pour délier la plume ou le clavier, et j’ai une pile de manuels d’écriture dans ma bibliothèque, mais ces temps-ci, j’aime bien me réfugier dans les courts textes d’Anne Lamott. J’apprécie ses positions philosophiques sur l’existence, et l’humour de cette professionnelle des cours d’écriture créative.

Anne Lamott et ses anecdotes me sauvent des affres de la page blanche, et des crises d’imposture qui me traversent périodiquement. Oui, écrire (pour moi), c’est me demander tous les jours s’il ne vaudrait pas mieux renoncer, que de coucher sur l’écran des platitudes en comparaison desquelles la Belgique paraît plus haute que l’Himalaya. J’atteins mon Everest le jour de l’envoi de mes factures.

La dernière fois que ma crise Bartlebyenne était à son acmé -cf mon dernier billet– ce n’est pas un DJ, mais cette phrase de son livre, qui m’a sauvé la vie :“on a tous un truc à pleurer”. On a tous un truc à pleurer, et on écrit tous autour de ce truc. Certaines histoires sont plus universelles ou plus immédiatement parlantes, comme les histoires de transfuges ou de réfugiés – je vous ai dit que j’avais adoré le premier roman d’Ocean Vuong?- Mais personne, pas même le bébé le plus fortuné ne naît dans un monde d’où la maladie, la souffrance ou la mort seraient absentes. C’est la révélation de Siddharta (Gautama), si bien décrite par Herman Hesse, et le ferment d’un bon nombre d’oeuvres littéraires!

Nous nous constituons littérairement autour d’un manque, que nous cherchons à pallier par nos tentatives de donner du “sens” à ce que nous expérimentons. Ecrire, c’est construire autour de l’imperfection, même futile, de nos vies. L’essentiel est dans le chemin que cela nous fait emprunter. Voilà que je m’exprime comme un personnage de Tintin… De quoi finir décapitée, comme un brocoli!

Mais c’est quoi au fait, cette histoire de légume? Revenons donc à nos brocolis. D’où viennent-ils ces brocolis? De chez monsieur Lam, le marchand de primeurs premium de Garches? Peut-être, mais pas tout à fait. Ils proviennent d’un autre texte d’Anne Lamott, qui l’a puisée elle même chez Melvin Kaminsky alias Mel Brooks (il n’y a pas de mauvaise référence lorsque l’on écrit, il n’y a que des références qui fonctionnent). Le brocoli est à Anne Lamott ce que le chewing gum est à Mac Gyver… C’est un moyen à mettre en oeuvre lorsqu’on approche de la panne sèche: il suffit de reconnecter avec son brocoli intérieur, ou explique Brooks, “demander au brocoli comment on doit le manger”. Laissons nous guider par l’appel du brocoli, et tout ira bien! Gageons que vous ne verrez plus vos brocolis du même oeil!

Et vous, quels sont vos trucs pour replonger dans l’écriture, ou trouver un sens à la vie quand tout part en lambeau?

Adieu 2022, sans regret!

Revenons en arrière. Faisons un voyage dans le temps. Souvenez-vous d’il y a tout juste un an, pensiez-vous que nous pourrions connaître une nouvelle année de m… aussi anxiogène? Moi non. Sincèrement, après une pandémie mondiale qui a perturbé l’économie planétaire, mettant à l’arrêt l’usine du monde et tué quinze millions de personnes en deux ans, le retour des talibans à Kaboul, une menace jihadiste persistante au Sahel et la perspective de bouleversements climatiques sans précédent, what could possibly go wrong?

Mea culpa, mea maxima culpa, le pire n’est jamais certain, mais il n’est pas improbable. Aussi cette année, pour mon traditionnel billet – il faut bien sacrifier aux rites – de nouvel an, j’ai décidé d’éviter, une nouvelle fois, les bons voeux, pieux ou impies, les usuels poncifs de pensée positive, et les (forcément) bonnes résolutions dégoulinantes d’espoir. Les mantras pour conjurer l’incertitude, ce n’est pas mon truc.

Puisque c’est très tendance, chères lectrices et lecteurs, innovons un peu! Et même, puisque c’est encore plus tendance, n’hésitons pas à avoir recours à la reverse innovation. Figurez-vous qu’en Equateur, il est d’usage, le 31 décembre à minuit, de brûler des monigotes, des effigies de l’année qui vient de s’écouler, pour éloigner tous les regrets et les soucis, et redémarrer la nouvelle année sur de nouvelles bases.

Cette coutume, vague réminiscence du biblique bouc émissaire, est attestée à Guayaquil sur la côte Pacifique à la fin du XIXème siècle. Les personnages à l’aspect carnavalesque étaient exposés les derniers jours de l’année avant d’être immolés par le feu au cours d’une cérémonie populaire. L’usage s’est propagé vers l’intérieur des terres où il se perpétue encore aujourd’hui. Les effigies étaient, à l’origine, confectionnées en paille, comme nos épouvantails, vêtues comme des être humains, et elles étaient incendiées, à minuit sonnante, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, exorcisant par le feu les malheurs passés.

Les monigotes les plus impressionnants sont préparés chaque année par des artisans et demandent plusieurs jours de travail. On peut acheter un monigote ou en confectionner un à la maison, avec les moyens du bord : de vieux vêtements et un masque grimaçant en papier mâché. Parfois, on lit le (faux) testament du monigote avant d’allumer le bûcher. Mettre le feu à une marionnette en papier mâché est probablement aussi productif, qu’énoncer les inévitables “santé, bonheur, prospérité, paix sur la terre et stabilisation du proche-orient”.

Les monigotes représentent souvent des personnages publics, des politiciens, des protagonistes de film, des héros de dessin animés. Pour la petite anecdote, le monigote le plus demandé en cette fin d’année 2022 était le joueur de foot Lionel Messi. Je n’arrive toujours pas à savoir comment l’interpréter.

Quel aspect aurait votre effigie pour 2022? Pour la mienne, j’ai quelques idées.

Le bad guy de 2022, c’est incontestablement celui qui a ramené la guerre au coeur de l’Europe. Je commencerai par rembourrer d’exemplaires de la Pravda, un vieux treillis de l’armée russe, surmonté d’un masque de son chef suprême. Je le coifferai d’une coiffure de mollah iranien, et lui collerai bien une barbe postiche. Pour ce qu’ils ont fait à Salman Rushdie, et aux centaines de victimes de la répression depuis la mort, sous les coups de la police des moeurs, de Mahsa Amini, en septembre dernier.

J’ornerai sa poitrine, à la place des médailles, des pins représentant tous les fâcheux et fâcheuses, complotistes, jusqu’au boutistes, antivax militants, tenants de la pire bêtise, bigoterie et autres misologues. J’y enfoncerai, comme sur les fétiches Kongo, des clous pour les prophètes des réseaux sociaux, de la 5G, du 12.0 qui font croire aux jeunes qu’il vaut mieux gagner sa vie en vendant des trucs inutiles sur Internet qu’en sachant distinguer un cèdre d’un séquoïa, et en apprenant les noms et les modes de vie des passereaux et autres habitants minuscules de ce qui reste de nos jardins. Il semblerait qu’à dix ans un petit états-unien est capable de reconnaître les logos d’une centaine de marques commerciales, mais incapable de citer les noms de quatre arbres poussant près de chez lui…

Je réserverai quelques clous pour les hypocrites et les carriéristes de la politique… et quelques autres pour les moralistes et donneurs de leçons adeptes du “faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais”. Enfin, dans une petite boîte ignifugée, je ferai porter à ma marionnette un petit croquis: une version de la colombe de Picasso avec un brin d’olivier pourtant le long de ses branches le slogan des révoltés iraniens “femme, vie, liberté”. Je l’aspergerai de vodka, ferai craquer une allumette, et j’en ferai un grand feu de joie. Et je jouirai du spectacle. Je me laisserai envahir de cette joie primaire qui flotte dans la lumière, s’affûte avec la chaleur, cette joie qui “ne se laisse pas penser”, se réchauffe aux flammes orange qui dansent, et montent jusqu’au ciel où les étincelles rajoutent d’éphémères étoiles.

Et vous, vous l’orneriez comment votre monigote de 2022?

De la difficulté d’écrire…

Même si c’est l’écriture est la voie que j’ai choisie, souvent je doute, et vous?

Faire le vide.

Ne pas ouvrir de livre. Garder à distance les téléphones portables, tablettes, ordinateurs.

S’abstenir d’arroser les plantes, de ranger les stylos en les alignant à droite sur le bureau par nature, taille et couleur.

Ne pas s’interroger sur l’encre restant dans la cartouche, sur le nombre de pages restant dans le cahier. Sera-t’il suffisant?

Ne pas s’interroger sur la présence ou l’absence de lignes sur le papier, sur leur espacement idéal.

Ne pas essayer de mieux former ses lettres, ne pas se demander si la plume ne bave pas, ou si la bille est trop dure, ou s’il ne manque pas un ressort dans le stylo, une spirale à la reliure du cahier.

Ne pas se gratter le nez, l’intérieur des genoux ou le front. Ne pas nettoyer pour la énième fois ses lunettes, c’est pourtant vrai qu’elles sont sales!

Ne pas remarquer l’écureuil qui descend, le long du tilleul, pour resquiller des graines de tournesol, laissées pour les mésanges. Ne pas s’émerveiller de sa capacité à s’empiffrer la tête en bas, ses quatre pattes écartées sur le tronc, et sa queue rousse en panache, frémissant d’excitation.

Ne pas entendre le cri de la perruche à collier, venant le déloger, en l’abreuvant de tous les noms d’oiseaux. Ne pas ouvrir la fenêtre, pour chasser l’imposteure.

Commencer à former des lettres sur la page. Des mots de rien du tout. Ne pas les juger. Ecrire quand même. Ecrire une page, deux pages, et puis trois, ou plus si ça vous vient.

Ne pas se rappeler du papier réglé et du porte-plume, des lettres maladroites devenant plus régulières, des virgules rouges des corrections du maître de cours préparatoire. Un blond maigre avec un bouc et des pommettes taillées à la serpe, qui sentait le tabac et portait des chemisettes à carreaux.

Ne pas se rappeler ses premières rédactions, et d’Annick L. dont la maîtresse aimait lire les textes à haute voix, et de la jalousie qui vous prenait. “Pourquoi toujours elle?”

Ne pas se rappeler les “mal dit”, les “je ne vous comprends pas” inscrits rageusement en rouge dans la marge. Oublier les vers de mirliton des cartes de fête des mères, des pères et des grands-mères. Les lettres d’amour mal écrites qui finissaient en lambeaux au fond de la poubelle, quand elles n’étaient pas brûlées à la flamme d’une bougie.

Oublier les compositions éléphantesques, mal formulées, où l’écriture pompeuse ne pouvait faire ignorer qu’on maîtrisait mal le sujet. Les “propos lourds, inintéressants” inscrits par le prof de philo pour lequel dans ce bas monde, il y avait les âmes et les ânes, qu’une seule lettre faisait différer, et que vous étiez toujours classée dans les ânes.

Oublier le mémoire de littérature du voyage que vous n’avez jamais pu écrire, de peur de décevoir le professeur qui vous tenait en haute estime.

Oublier les centaines de pages griffonnées, tapuscrites, retranscrites, remastiquées, qui forment l’Anapurna de vos tentatives avortées d’écrire un “vrai” texte.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon*

Quelques pensées en désordre, suggérées par la lecture du roman de Jean-Paul Dubois, il y a quelques semaines…

Il y a des livres qui vous emportent, et que vous gardez avec vous, que vous ruminez comme une vache sa boulette de fourrage, tant son contenu semble pertinent dans votre façon de percevoir le monde. C’est le cas du roman de Jean-Paul Dubois, lu récemment, et dont le titre me revient régulièrement à l’esprit.

Pour celles et ceux qui ne l’ont pas lu, je vous le recommande. C’est un livre tourne-pages, avec des personnages attachants, et une histoire intéressante. L’histoire d’un fils d’un pasteur danois et d’une mère française soixante-huitarde, qui se retrouve en taule au Québec, où il s’est installé à la suite de son père, pour un méfait dont on ne comprendra le motif qu’à la fin du roman. Il partage sa cellule avec un Hells Angel patibulaire, avec lequel il finit par trouver un modus vivendi. Le roman mêle le récit biographique du narrateur et des scènes de la vie en prison, réduite en grande partie à ses interactions avec son codétenu.

Les façons d’habiter le monde dont le narrateur parle, ce sont celles de son codétenu, mais aussi celles de son père défunt, des copropriétaires de l’immeuble dont il a été le factotum pendant vingt ans avant son incarcération, celles de la femme qu’il aimait et qui a disparu. Le roman nous les décrit avec ce regard distant et plein d’humour qui est celui de tous les romans que j’ai lus de cet auteur.

Tout les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Les histoires entrecroisées du roman, et l’humanisme qui s’en dégage, m’ont beaucoup parlé. Peut-être parce que j’ai fait, en mars, un pèlerinage familial au Sénégal, pays d’enfance de ma mère, où elle a retrouvé avec émotion tout un pan de son enfance et de son histoire personnelle. Des sensations liées à une autre époque, et aussi à un pays où ses parents, venant du Vietnam, ont décidé, poussés par l’histoire, à s’installer. J’en ai parlé dans ce billet. Mes grands-parents ont choisi pour leurs enfants, nés sur une terre étrangère, de faire leur une autre façon d’habiter le monde. Maman regardait avec étonnement et émotion les modifications survenues pendant les quarante dernières années : “ça n’existait pas tout ça avant!”, l’avons nous entendue s’écrier régulièrement, parfois en hochant la tête de désarroi. Parfois, un tour en charrette lui tirait des petits rires: “tu sais que je suis allée à l’école en charrette pendant toute mon enfance!”.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. C’est aussi la phrase qui résonnait dans ma tête pendant l’assemblée générale des copropriétaires de notre résidence à Maurice. Un colloque improbable où les copropriétaires viennent de tant de pays différents, que ses assemblées générales me font invariablement penser à la tour de Babel… Les réunions se font en anglais et en français, et souvent dans un mélange étrange des deux, et le sens des priorités des participants y diffère avec une magnitude qui confine à l’absurde, comme dans toutes les communautés humaines. Faut-il clôturer de barbelés ou de barrières électriques tout le périmètre de la résidence? Combien de caméras de surveillance sont-elles nécessaires pour assurer la sécurité de la communauté? Que faire des mauvais payeurs? Doit-on faire refaire le tennis qui n’appartient pas à la copropriété, mais qui rend service à certains copropriétaires? Comment se débarrasser des singes qui prennent leurs aises dans certaines parties de la résidence? Et des chiens errants? Doit-on autoriser son voisin à construire une réplique du Taj Mahal dans son jardin en bétonnant allègrement alors qu’il a déjà largement dépassé la constructibilité de sa parcelle? Pourquoi le portail amenant à la plage est-il bloqué les trois quarts du temps?

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Alors qu’en avril les pays occidentaux ne regardaient que vers l’Ukraine, les autocollants “Lager non!”** qui fleurissaient dans l’île, ne concernaient pas le conflit en Ukraine, dont personne ne parlait, mais l’avenir de la base militaire américaine de Diego Garcia, dans l’Océan Indien.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. En rentrant, j’ai été frappée par la façon dont, dans la campagne pour l’ élection présidentielle, chaque côté voulait à toute force faire adhérer les électeurs à leur vision du monde, la seule légitime, et vouer aux gémonies tous ceux qui ne pensaient pas comme eux (car, comme le chantait Brassens dans “La mauvaise réputation” , “les braves gens n’aiment pas que, l’on suive une autre route qu’eux’). Comme si l’enjeu d’une élection était de réaligner toute la communauté nationale sur une seule et même perception de notre environnement.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Pour avoir vécu plusieurs expatriations, à différents âges de mon existence, je peux en attester.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. C’est peut-être aussi ce que j’aurais voulu répondre, mais j’évite les polémiques sur les réseaux sociaux, aux bien-pensants qui ont voulu crucifier un footballeur sénégalais qui n’avait pas, pour la journée de lutte contre l’homophobie, voulu arborer le bandeau proposé par son club. “Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon”. Je renvoie au beau roman de Mohamed Mbougar Sarr “de si purs hommes” sur la condition des homosexuels au Sénégal, pour comprendre la réaction de ce jeune homme que bon nombre de ses concitoyens ont soutenu.

Tous les humains n’habitent pas le monde de la même façon, et c’est sans doute ce qui fait son charme et sa richesse. Pour reprendre la métaphore suggérée par Jean-Paul Dubois, le monde peut se voir comme une grande copropriété, ou une grande co-location dans laquelle cohabitent tous types d’humains aussi légitimes les uns les autres. Comment faire cohabiter tous ces humains? Doit-on leur imposer une seule et même façon de fonctionner? Si oui, comment déterminer quel serait le bon modèle? N’est-il pas plus intéressant de chercher à trouver le meilleur “modus vivendi” possible, en respectant les autres et leurs différences?

Je ne sais pas si c’est parce que je vieillis, ou que je passe trop de temps sur les réseaux sociaux, mais je trouve que les échanges deviennent de plus en plus agressifs et les attaques plus personnelles. Je ne crois pas que cela soit la meilleure façon de gérer la maison commune que de supposer que l’autre, celle ou celui qui ne voit pas les choses de la même façon que moi, soit forcément de mauvaise foi ou aspire à m’effacer de la surface de la terre.

Je termine ce billet par un rappel d’un conte des frères Grimm, qui plaisait beaucoup à la jeune lectrice que j’étais : celle des quatre musiciens de Brême. Un âne, un coq, un chat et un chien sont chassés par leurs maîtres qui les trouvent trop vieux et veulent s’en débarrasser. Ils décident d’unir leurs forces et d’aller à Brême travailler comme musiciens. Chemin faisant, ils rencontrent des voleurs fêtant dans leur repaire leurs derniers méfaits. Unissant leurs forces et leurs talents (très divers) ils mettent les voleurs en fuite et héritent d’une maison ou passer dignement leurs vieux jours. J’aime beaucoup ce que nous dit cette histoire sur la cohabitation, et la richesse des collectifs hétérogènes. On peut habiter le monde en coq, en chien, en chat ou en âne, et aussi trouver de la joie à vivre dans la même maison!

*Jean-Paul Dubois, “Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon” Editions de l’Olivier, Prix Goncourt 2019

** “Non à la guerre” en kréol

Bonjour Tamarin!

Un poème en prose écrit lors de mon dernier séjour… dans ce qui est devenu mon second chez moi…

Bonjour petit cardinal sur la faitière du toit,

Bonjour boulboul farceur sur le frangipanier,

Bonjour tisserin pressé,

Bonjour le flamboyant toujours plus majestueux,

Bonjour les libellules voletant à la surface de l’eau,

Bonjour les palmes dansant dans l’air,

Bonjour lézard multicolore dans l’arbre du voyageur,

Bonjour gros papillon aux ailes de velours noir.

Bonjour Tamarin !

Bonjour ô mon Rempart, dent de requin géante émergeant des cannes à sucres ondulant dans le vent, sentinelle minérale veillant depuis des siècles sur la baie du Tamarin.

Bonjour l’oratoire à Marie, dans ta rondeur pierreuse au couleurs bleue et blanche, accueillant les prières des voyageurs, juste avant le pont de la rivière du Rempart.

Bonjour le rond-point de Yémen, qui indique Port-Louis à 23,5 kilomètres, et ta piste rouge qui s’enfonce dans les champs de cannes. Bonjour l’antenne-relais palmier sauveuse des néo-nomades.

Bonjour les grands arbres, et la broussaille exubérante. Bonjour les arrêts de bus. Bonjour Perle de la Savane, Perle de l’ouest, Prince de la Route, King of Love, Sunshine Bus et Mad Max, Road Warrior, qui abritez les déplacements des travailleurs, les amours et les moqueries des lycéens et collégiens en uniforme.

Bonjour le centre commercial construit sur le champ de friches à l’entrée de Tamarin, promesse d’une vie plus moderne. Bonjour le vieux pont de fer qui enjambe la rivière, juste après l’école Paul et Virginie.

Bonjour la vieille église en pierre volcanique, et sa petite école où l’on voit parfois s’égayer les enfants en uniforme bleu à l’heure de la récré.

Bonjour les Salines, réduites à portion congrue, conservées pour que les touristes puissent y admirer dans leurs eaux. Bonjour la Tourelle qui se reflète dans les eaux peu profondes des bassins aux pierres noires.

Bonjour le grand banyan, sur le bord de la route masquant. Bonjour le temple indien.

Bonjour Tamarin !

Près des remparts de Séville…

ce que j’aimerais pour 2022…

“Est-ce que tu crois que les toreros/ font juste ça comme un boulot/ et qu’sur leur costume à la con/ c’est leur mère qui recoud les boutons”

Sanseverino “Frida”

De quoi rêvez-vous pour 2022?

Je rêve d’insouciance, de chaleur, et de jacarandas, et peut-être aussi de fête, de vraie fête. Je rêve que je suis de nouveau à la feria de Séville, une année où elle n’aurait pas de risque d’être annulée, que je déambule encore, les yeux émerveillés, sur les berges du Guadalquivir, près de la Plaza de Toros, et dans les rues entre les casetas, à admirer les équipages, les cavaliers et cavalières en livrée grise et chapeau noir, les belles du jour dans leur robe qui s’ouvrent sur leurs chevilles comme des corolles de fleurs. J’accueille émerveillée cette débauche de couleurs, de sons et de joie.

Je rêve du ruban en latérite bordé de cocotiers de la route des pêcheurs. Je rêve que je vais enfin pouvoir visiter le palais d’Abomey. Je rêve d’apercevoir un lamentin dans la lagune de Porto Novo, chevauché par un Zangbéto.

Je rêve de voir un jour Hanoï et le Vietnam, pays dont sont partis mes grands parents. Je rêve de pouvoir aller avec ma mère, sur la tombe de ces derniers au cimetière de Bel-Air à Dakar, pour son quatre-vingtième anniversaire.

Je rêve de retourner au Parc Kruger, à Jobourg et Cape Town, de marcher entre Cape Point et ce Cap de Bonne Espérance dont le nom illuminait les livres de géographie de mon enfance.

Je rêve de réentendre les cris des singes hurleurs, et d’apercevoir un vrai quetzal dans la forêt brumeuse, de nager dans les rouleaux de Playa Pemca, au nord de Tamarindo. Je rêve de refaire un tour à Chichicastenango en pays Maya et de voir miroiter le lac Altitlàn sous le soleil.

Je rêve d’un monde où voyager devient de nouveau possible, où parcourir les continents n’est pas une course d’obstacles, où la confrontation avec les autres me font grandir en humanité et en foi en l’être humain.

Je rêve que cette année 2022 soit, pour nous tous, un début et non pas une fin, que s’éloignent les visions d’apocalypse, et que se nouent de nouvelles aventures, sous le signe de la joie et du partage, et d’une humanité grandie.

Et vous, quels sont vos rêves pour 2022? A très vite!

Saharienne…

Le jour où on m’a proposé d’écrire sur le désert…

“Mais” me dit l’homme avec lequel je m’entretiens depuis un moment sur Zoom, et dont la tête aux cheveux grisonnants se détache au dessus d’une carte du Nord de l’Afrique, “vous ne m’avez pas encore dit, ça vous intéresse, le désert? “. La question me prend au dépourvu, enfin presque. Si ça m’intéresse le désert? Est-ce qu’on demande à un dauphin s’il aime l’eau, à un pingouin s’il aime la banquise, à une grenouille si elle aime les marais?

Quand on parle de désert, il y a trois types de personnes. Il y a celleux qui te racontent avec des extases mystiques leur dernière méharée dans les villes anciennes de Mauritanie, ou leur randonnée avec Terre d’Aventures dans le Kalahari avec bivouac sous la tente pleine de sable et reconnexion avec leur être profond. Il y a ceux qui te disent qu’ils ne supporteraient pas, y’a pas le wifi et même pas de possibilité de te faire servir un frappuccino double lait de soja fouetté avec graines de courges concassées pulvérisées sur le dessus, et puis il y à ce.ll.e.ux qui y ont grandi et qui n’en disent rien, parce qu’ils ont appris que finalement, ça n’intéressait pas grand monde.

Les dernières fois que j’ai essayé de parler de mon enfance saharienne, j’ai fait un four. Il faut dire que c’est un peu difficile de dépasser les poncifs du style “c’était extraordinaire”, “j’aimais bien”, “j’ai fait le Paris-Dakar avant même qu’il existe”, “J’ai vu des vestiges de cimetières d’éléphants dans le Sahara qui avaient été découverts par les dunes”, “Un jour, j’ai bu du lait de chamelle dans une calebasse sous la tente de caravaniers qui transportaient des barres de sel de part et d’autre du Sahara”. “Quand j’étais petite, je n’étais pas myope et je pouvais repérer une gazelle Dorcas dans les dunes à des kilomètres”.

Oui, le désert, ce n’est pas seulement les enfants du Sahel qui meurent de faim et les djihadistes plus ou moins convaincus qui font le coup de main parce qu’ils n’ont rien de mieux à faire. C’est une densité d’expériences que j’ai encore du mal à exprimer, tout en étant convaincue d’avoir eu une chance inouïe de connaître une enfance saharienne. Mais comment trouver le bon moyen d’en parler? Face à l’exotisation facile à la manière d’un Paul Bowles, aux emportement mystiques des adeptes de Charles de Foucault, aux excès de reportages sur la militarisation de la bande sahélo-saharienne, aux images de carte postale des caravanes de dromadaires aux ombres portées sur les dunes orangées, comment porter une parole sur le désert qui ne soit pas cliché?

Alors oui, réfléchir à ce qu’on pourrait faire pour dynamiser une initiative qui a pour nom “rendre le désert habitable” en explorant des pistes de réflexion sociales, techniques, environnementales, ça me tente, et bigrement!

Au moment de l’atterrissage de la sonde Perserverance sur Mars, une internaute mauritanienne m’avait fait beaucoup rire en disant qu’on faisait beaucoup de cas de ces images prises par ces machines perfectionnées coûtant des milliards de dollars mais que pour une fraction de ce prix-là on aurait pu avoir à peu près les mêmes prises de vues à Zouérate (où se trouve la mine de fer, je vous en ai parlé ) où la teneur en fer du minerai de la Khédia d’Idjill et de ses poussières donne la même coloration au désert du Sahara que celle de la planète Rouge.

A l’heure où Elon Musk l’on poursuit des chimères de peuplement de Mars pour échapper aux impôts résoudre les questions liées à l’expansion démographique sur la planète bleue, pourquoi ne pas réfléchir aux pistes permettant d’aider les habitants des déserts à s’y fixer d’une manière durable en y développant des modes de subsistance propres? Après tout, comme le souligne mon interlocuteur, sur Mars, il n’y a pas d’atmosphère, vous êtes soumis aux risques dévastateurs des bombardements solaires, inconvénients que nos déserts terrestres ne présentent pas! Pas question de reproduire un nouveau Las Vegas ou une nouvelle Dubaï, alors quelles pourraient être les alternatives ? Quelles ingénieuries sociales, politiques, agronomiques, urbanistiques, écologiques pourraient offrir aux populations des zones désertiques des conditions de vie décentes dans les pays où ils sont nés?

A nous deux, Sahara!

Pourquoi j’aime les ateliers d’écriture…

Parmi les choses de la vie quotidienne qui me procurent de la joie, une joie dont on a besoin de faire des provisions en ce moment, c’est l’écriture. Le partage de l’écriture, sur ce blog bien sûr, mais aussi dans les ateliers d’écriture . Cela va faire huit ou neuf ans que je participe régulièrement à de tels groupes. Je préfère les ateliers en direct, où l’on partage les textes en se regardant dans les yeux et en étant dans la même pièce, mais Covid oblige, mes responsables d’atelier se sont adaptés.

Je me connecte désormais toutes les deux semaines à la salle virtuelle où je retrouve mes compagnes d’écriture, qui partagent, de Bretagne, de Nancy, de Perpignan, de Biarritz ou même d’Athènes, leurs univers, leurs histoires, leurs émotions, leurs rires. Et ça me fait du bien.

Imagine-t-on Balzac dans un atelier d’écriture?

Le mythe du génie littéraire a longtemps freiné, en France, la diffusion des ateliers d’écriture. Le littérateur (et oui, on le représentait souvent au masculin) était un être inspiré, suant seul à sa table de travail, la plume dans une main, et le front dans l’autre… Autant l’on y a accepté que les peintres étudient dans les académies ou les cours privés de leurs glorieux prédécesseurs, que les sculpteurs aillent apprendre leur art au contact de leurs aînés, autant, pour l’écriture, on a décrété que seule l’inspiration faisait l’écrivain.e. On n’enseignait pas l’écriture, elle venait, ou elle ne venait pas, point.

Les anglo-saxons, plus pragmatiques, ont créé des cours d’écriture créative dans les universités, mais aussi dans les activités de loisir. Comme on peut vouloir, apprendre à pêcher à la mouche, broder au point de croix, ou crocheter des Bernie Sanders, on peut apprendre, à l’âge ou l’obligation rébarbative de la rédaction a disparu, à écrire un texte, inventer une histoire, donner vie à des personnages, développer un intrigue, et, plus simplement, découvrir sa voix.

Du sang, de la sueur et des larmes?

Ce qui fait la saveur d’un atelier d’écriture, c’est que tous les participant.e.s sont soumis à une même consigne, proposée par un.e animateur/trice et qu’ils/elles ont un délai donné pour produire un texte. A la fin de ce délai, chaque participant.e lit son texte et l’on échange, toujours dans la bienveillance, sur le texte et ses mérites, et les voix d’amélioration ou d’éclaircissement. Ce n’est pas toujours facile de produire un texte, certaines consignes nous parlent plus que d’autres, certaines nous renvoient à des choses que nous n’avons pas envie d’écrire, mais il y a toujours quelque chose à apprendre.

L’atelier d’écriture réussi, c’est un monde où l’on apprend la richesse des personnes, des univers que chacune porte en elle, et où l’on développe son écoute, tout en se faisant plaisir. Pas de notes, de prix, de distinction, c’est ce que chaque participant.e y trouve qui est important. On peut avoir un passé de fort.e en thème et rater complètement un texte alors que sa voisine qui a toujours détesté l’école et rougit de ses fautes d’orthographe et parfois de syntaxe développe un texte puissant qui fait monter les larmes aux yeux des autres, tant il touche juste. L’écriture en atelier, c’est du sang, de la sueur et des larmes, mais aussi des moments de plaisir incroyable, de rire pantagruélique, et d’émotions intenses qui vous transportent ailleurs.

Chaque participant.e vient avec son histoire, parfois compliquée, sa sensibilité, ses manies, et cette découverte est souvent un cadeau. Il se noue, dans le partage des textes, ces petits morceaux de chacun.e quelque chose qui peut être le départ d’une amitié très forte, parce que souvent, en atelier, on écrit vrai. Je pense à cette co-écrivante qui nous a raconté, au détour d’un exercice heurté, une maladie handicapante que nous ne lui aurions pas soupçonnée, cette autre d’une drôlerie féroce qui cachait un drame intime vécu à l’adolescence…

Comment choisir un atelier d’écriture?

C’est une histoire de disponibilité, d’affinités et de budget. Il y a différentes modalités, à vous de trouver celle qui vous convient!

Le moins contraignant est sans doute l’atelier par mail, où l’on reçoit la consigne d’écriture avec une semaine pour écrire un texte. Mais je ne le conseille pas pour un début. Même si la consigne est faite au groupe et que l’on peut lire et découvrir ce qu’ont écrit les autres, c’est le type d’atelier que j’aime le moins. J’aime pouvoir entendre la voix des autres et échanger avec eux. Le mail enlève le côté spontané, et c’est difficile de partager une émotion à distance. Je l’ai fait pour travailler sur le thème de la ville, mais je ne suis pas sûre de recommencer. J’aime le partage direct et la co-présence. Par ailleurs, je mets plus de temps pour écrire mes textes pour l’atelier par mail que pour l’atelier en direct.

La durée des ateliers d’écriture en direct étant de 2h30 à 3h00, cela demande un peu de disponibilité. Certains responsables d’atelier proposent des ateliers en soirée, pratiques lorsqu’on ne peut pas aménager ses horaires de travail. La fréquence des ateliers varie. Pour ma part, m’étant lancée dans une dynamique d’écriture plus soutenue, le rythme hebdomadaire me va bien. J’ai commencé à me faire la main il y a huit ou neuf ans, avec un atelier mensuel, à Garches, avec Marion Rollin de Mise en Mots. Outre sa proximité de la maison, ce qui était un plus pour un atelier en soirée, j’ai beaucoup aimé la qualité d’écoute de Marion et ses encouragements à persévérer dans ma voix/voie.

Pour celles et ceux pour lesquels il n’est pas possible de consacrer trois heures régulièrement à l’atelier, on peut trouver des stages concentrés sur deux jours ou un week-end pour se mettre le pied à l’étrier, ou approfondir une thématique. Ca peut être une solution à tester. Le choix du thème et/ou de l’animateur/trice est crucial. J’ai rejoint un atelier mensuel francophone d’écriture à distance, sur proposition d’une amie, à Johannesbourg, avec Marie-Agnès Valentini. Les clés de l’apprentissage de l’écriture sont à la fois dans l’essai, lu devant les autres participant.e.s, les conseils des animateurs/trices mais aussi dans les suggestions de lecture ou les exemples proposés par les responsables d’atelier. En plus de la gentillesse et de l’écoute attentive de Marie-Agnès, j’y ai découvert avec bonheur des auteurs dont je n’aurais jamais songé à ouvrir les livres, comme Yoko Ogawa et ses “instantanés d’ambre”, et un groupe d’amies chères à mon coeur.

Lorsqu’on a un projet particulier d’écriture, ou que l’on souhaite développer un aspect particulier, il peut être intéressant de s’adresser à des écoles proposant des ateliers ciblés. C’est ce que je fais depuis l’an dernier où j’ai découvert l’école des Mots qui offre une palette très large d’ateliers et d’intervenants qui sont tous des auteurs confirmés. Après avoir commencé avec un atelier sur le Roman Noir, j’ai opté pour des ateliers “écrire la vie” avec Sophie Lemp, que j’apprécie beaucoup pour son écoute et ses conseils. Pour continuer à écrire sur Johannesbourg, j’ai également suivi, par mail, un atelier sur l’écriture du milieu urbain, avec Bruce Bégout, bien connu des étudiants en architecture…

Lorsque j’étais en thèse, Bruno Latour avait décidé de bouleverser le séminaire doctoral hebdomadaire en créant, à sa place, un séminaire d’écriture de thèses. Son idée était que pour décrire nos objets, il fallait savoir les écrire. Ecrire/décrire correctement un phénomène, c’est déjà travailler à sa compréhension et à son analyse. C’est ce que font les livres bien écrits, nous émouvoir, souvent, mais aussi nous donner une vision plus claire sur le monde qui nous entoure. Et Dieu sait si nous en avons besoin aujourd’hui, alors que nous sommes abreuvés d’informations multiples et contradictoires…

L’écriture nous permet aussi, en nous refocalisant sur des points précis, d’échapper à un univers anxiogène. Relisant les cahiers que j’ai écrits à mon arrivée à Johannesbourg, conformément aux exhortations de mon amie Christie, j’essayais de coucher sur le papier “trois pages par jour”, j’ai été frappée par le stress qui en émane, et le fait que je n’en avais aucun souvenir. Ecrire m’a aidée à vivre cette période de transition…

Alors, vous vous y mettez quand?

Lune sanglante sur Johannesbourg

Dans les rues de Johannesbourg…

Vous pouvez écouter ce billet en podcast en cliquant ici!

La lune s’est levée sur Central Street, ronde et rouge,

Boule de feu sur un ciel d’acier trempé,

Une nuit à ne pas mettre une âme dehors,

Seuls les chats noirs sont de sortie.

Il se recale dans sa voiture,

Sur le siège, il a installé une housse en billes de bois pour soulager son dos des longues stations assises. Massage illusoire. Il finit toujours la rotation de nuit avec des courbatures.

Petit homme sec dans son uniforme noir, il a les traits creusés. Dans la coque de tôle blanche, frappée au sigle de sa compagnie de sécurité. Il veille, tour à tour aiguillonné par le froid qui perce les vitres, assailli par le sommeil, dans la ville qui dort.

Il n’aime pas le service de nuit.

Le jour est plus riant.

Il y a plus de vie, plus de mouvement.

Les maîtres qui partent travailler, les jardiniers qui s’interpellent de part et d’autre de la rue,  Sanibonani ! Les nounous aux tabliers blancs et uniformes amidonnés qui cornaquent les enfants blonds faisant leurs premiers pas sur les trottoirs engazonnés.

Les bonnes viennent se détendre et papoter à l’heure du déjeuner, jambes à l’équerre, loin du regard de leur patronne. Les ouvriers en bleu de travail, viennent des chantiers voisins, et s’écroulent, bras et jambes écartés, le visage dans le gazon, pour une sieste réparatrice.

Le jour, il peut sortir de la voiture, se détendre les jambes,

Il peut aller jusqu’à la guérite du garde de l’autre portion de la rue, fumer une cigarette ou commenter les matchs des Pirates d’Orlando, ou entamer une discussion avec le vendeur de plumeaux et de balais.

La nuit est froide.

La lune projette des reflets bizarres, des ombres menaçantes.

Il lui faut rester en éveil, guetter le moindre ronflement de moteur dans le silence de la nuit, le double halo des phares. Garantir les arrières de toutes les voitures s’engageant dans leurs allées.

Il n’y a guère de passage en cette nuit de semaine.

Il lutte contre la pesanteur qui s’abat sur ses paupières.

Est-ce l’astre rouge qui l’endort ?

Ou est-ce l’ennui ?

Soudain, une drôle de lueur sur le toit de la maison blanche, en face.

Il sursaute. Se frotte les yeux. Une forme non identifiée se joue de la pesanteur.

Serait-ce un voleur ? Comment diable aurait-il pu défier les hauts murs et leur clôture électrique ? Serait-ce un chat transformé en esprit par la pleine lune ?

Il frissonne, cherche de la main le calibre dans la boîte à gants. Il n’a jamais eu l’occasion de tirer. Il a menti pour être embauché.

Ce n’est que l’ombre du palmier.

Les rayons de la lune, ronde et rouge, s’amusent avec les silhouettes des grands arbres. Le silence lui joue des tours.

La nuit des townships est plus épaisse que la nuit des faubourgs,

Mais elle semble moins froide dans les bruits de discussions et de téléviseurs. Il sait quels programmes écoutent ses voisins, qui a des problèmes avec la boisson, et qui suit avidement, tous les soirs, les évangélistes à la télé.

Le silence ici est atténué par le bruissement des branches d’arbres de la forêt urbaine, par la rumeur de l’autoroute et des rares voitures…

Et par les cris stridents des ibis hadedas, le matin, juste avant que le jour se lève.

Une virée à Alexandra…

Une photo sur FB m’a rappelé ce matin un souvenir d’accompagnement pour Sizanani Mentors…. un passage par #Alexandra, redouté par les conducteurs néophytes à #Johannesbourg … #écrirelaville

« Allô ? C’est Véro. Ecoute, je suis désolée, je ne vais pas pouvoir aller à Alex chercher les jeunes avec toi. J’ai un pneu crevé, j’ai appelé le garage à côté de chez moi mais je ne sais pas quand quelqu’un va venir le réparer. Ils n’ont pas su me dire. Il va falloir que tu y ailles toute seule ! »

Je la maudis intérieurement. J’ai horreur d’aller à Alex, ce township que tous les responsables de sécurité d’entreprise ou même le consulat déconseillent.

Je n’y vais jamais. Je reste toujours en périphérie pour récupérer ou déposer mes mentorées. Je n’ai accepté que parce qu’on était deux à faire cet accompagnement, et voilà qu’elle me laisse tomber comme une vieille chaussette…

« On a rendez-vous au Mac Do du Pan African Mall, tu te gares devant, ne t’inquiètes pas, c’est safe, c’est gardé ! Tu connais le Pan African Mall ?

– Non 

– C’est juste dans la rue qui part du pont sur Louis Botha tu vois ? Tu ne peux pas louper le Mac Do, il est juste au coin !

– Non, je ne vois pas, mais je vais regarder sur Internet.

– Alors le mieux, c’est que tu les retrouves là-bas, tu t’assures qu’ils sont tous là, je t’envoie la liste de tous ceux qui sont inscrits sur ton portable, hein et puis (elle dit et pouis, avec son petit accent belge) après, tu prends ceux que tu peux dans ta voiture et tu mets les autres dans un taxi collectif. C’est onze rands par personne. Il faut que tu aies du cash. Après tu prends la note et je te rembourserai. J’arrive dès que je peux, mais comme le rendez-vous est à dix heures à GIBBS…

– OK ! Je me mets en route !

– Merci hein !

– Mais comment je saurais dans quel taxi les mettre ?

– Tu demandes aux jeunes, il y en a bien un qui saura ! L’arrêt c’est l’intersection entre Corlett et Oxford à Illovo !

– Bon, on se débrouillera. »

Je raccroche, furibarde. Encore un de ces plans foireux à la Véro. Et en plus, elle n’est même pas capable de changer une roue. Typique ! Je finis mon thé à la hâte, rassemble quelques affaires et sors. Je branche le GPS dans la voiture, et étudie l’itinéraire. Pas de problème pour aller jusqu’à Louis Botha, mais il y a les travaux de Rhea Vaya qui perturbent la circulation dans ce quartier limite du township où il est recommandé de ne pas s’attarder.

Véro avait raison. Le trajet est assez simple. Ce qu’elle ne m’a pas expliqué en revanche, et ce que je ne sais pas parce que je fais toujours demi-tour sur ce pont, c’est qu’à peine rentrée dans Alex, à la lisière du township et à l’approche du mall – qui n’a de commun avec les centres commerciaux des beaux quartiers que le nom- c’est juste un enfer de circulation. J’ai la seule voiture récente de toute la rue. Nous sommes coincés, pare-choc contre pare-choc, les uns derrière les autres. Les conducteurs jouent de l’avertisseur, brandissent leur poing en dehors des portières, s’interpellent, s’invectivent. Les piétons traversent n’importe où, exploitant les moindres inserstices entre les voitures. Les vendeurs de journaux, de porte-vignette d’assurance à coller sur les pare-brise, de chargeurs de portables de voiture, circulent entre les files, faisant des petits signes interrogateurs avec leurs mains.

Les minibus, ces trompe-la-mort notoires, poussent tout le monde, doublent par les trottoirs, insultent, injurient. Evidemment, le GPS me fait tourner un poil trop tôt. Je longe un bloc de béton au trottoir défoncé, envahi par les vendeurs à la sauvette. Il y a des piétons partout, et des taxis cahotants qui surgissent d’une rampe sur le côté. C’est l’arrière du centre commercial. Pas vraiment de signalisation d’entrée quelconque d’un parking. J’évalue mes chances de faire le tour du pâté de maisons. La rue se perd plus loin dans un nuage poussiéreux… Il vaut mieux faire demi-tour. J’arrive à mes fins moyennant des sueurs froides, dans l’anarchie piétonnière et la circulation des minibus aux accélérations aussi brutales qu’imprévisibles, lâchant des panaches de fumée noire et malodorante aux malchanceux ayant le malheur d’atterrir derrière eux.

J’éteins la radio qui diffuse des tubes sirupeux des années 80 pour me concentrer sur mon insertion dans un flots de véhicules hors d’âge aux couleurs passées et aux ailes froissées. Le virage à gauche va être compliqué. Clameurs et klaxons. Basses et sons de rap ou de Kwaïto sortant de voitures voisines. J’essaie d’interpréter les signes des voitures venant de la gauche, vont-elles me couper la route ? me laisser passer ? Puis celles venant de la droite, après le taxi, là ! J’apprécie le fait d’avoir une boîte de vitesse automatique, typiquement le genre de situations où je pourrais me chamailler avec une pédale d’embrayage. Allez, c’est bon, je suis enfin dans le flux de l’artère principale. Ouf, c’est la prochaine à gauche…  

Evidemment, les feux de circulations ne fonctionnent pas… ça bloque. Les sons des radios transpercent les habitacles. Devant moi une vieille Mercedes bicolore arbore sur son pare-choc que « Dieu est mon Berger ». Sa voisine, une Corolla vintage, affiche plus discrètement “Isaïe 28 :12″… Je ne sais pas où est Dieu en ce moment mais je ne verrai pas d’inconvénient à ce qu’il se réincarne en agent de la circulation… ça n’avance toujours pas. Arrivée à la même conclusion, une mama vénérable au doek impeccablement noué sur son crâne, jupe et pull en laine, petit sac en simili-cuir au creux du coude, sort du côté passager de la Mercedes et entreprend de finir sa route à pied. Devant le flux ininterrompu de taxi à l’intersection, les voitures de la file de droite se rabattent sur nous pour avoir une chance de tourner… C’est donc ça ! Nous avançons au compte-goutte. Quelques mètres à chaque fois. J’essaie de ne pas trop penser au risque du quidam braquant sur moi son arme pour me piquer ma voiture – peu probable, avec toute la circulation il n’a aucune chance de l’extirper rapidement pour s’enfuir avec- mon sac ou mon téléphone portable. J’ai juste l’argent du taxi, pas très rentable. Enfin, j’arrive à m’engager dans la rue adjacente et entrer sur le parking. Je jette un coup d’œil à mon téléphone. Un message de Véro triomphante : « ça y est, j’ai réussi à faire changer mon pneu, j’arrive, fais l’appel en attendant ! ».

Je repère nos jeunes étalés autour des tables à pique-nique devant le Mac Do. J’en reconnais quelques-uns. Les trois mentees rigoureusement semblables d’Amandine discutent avec Nkateko et le beau Jack, un grand gars à la mâchoire carrée et au sourire ravageur, le chouchou de toutes les filles du programme. Comme tous les jeunes de la planète ils ont adopté l’uniforme lycéen : jean dans toutes les variantes possibles. Décoré de dripping de peinture pour les triplettes. Lacéré au genou pour Nkateko. T-shirt simple ou signé d’une grande marque de sport. Ou portant un message humoristique : « pretty good at bad decisions ». Pull ou sweat shirt, baskets. Seul Jack a fait fi du dressing code, bermuda blanc et t-shirt rayé. Nkateko vient me faire un hug, avec un grand sourire. Elle a l’air contente de me voir. C’est au moins ça. « Tu rassembles tout le monde, je vais faire l’appel ? » « Il y en a  qui sont partis dans le mall ! » « Tu essaies de les récupérer ? » Elle dit quelques mots aux triplettes en zoulou et part les chercher.

Je sors précautionneusement mon téléphone de mon sac. J’ai renoncé aux iPhones, trop onéreux et convoités. Je télécharge la liste. Je fais l’appel. Ouf, ils sont tous là. Ils bavardent bruyamment, et plaisantent entre eux. C’est une première pour eux ce stage d’entrepreneuriat. Je leur dis qu’ils ont de la chance, que ceux de l’année dernière ont beaucoup aimé. Que cela se passe dans un superbe endroit qui leur donnera un avant-goût de la vie à l’université. Ils chahutent un peu. Un vigile s’approche et nous demande de libérer les tables. Je lui fais valoir que nous allons bientôt partir, que les jeunes vont faire un stage pour lequel je suis leur accompagnatrice, et qu’à cette heure-ci, il n’y a pas grand monde au Mac Do. Il consulte des yeux le gestionnaire du restaurant, à l’intérieur de son local. « D’accord, mais pas plus de dix minutes hein ? ». J’enjoins les jeunes à ne pas trop faire de bruit et vois avec soulagement arriver la petite Renault de Véro.

« Ouf, ça a été chaud » me dit-elle.

« En effet !

– Ils sont tous là ?

– Oui.

– Bon tu peux en prendre combien dans ta voiture ?

– J’ai quatre places.

– OK, donc quatre avec moi, quatre avec toi, ça nous en fait douze à mettre dans le taxi ! On n’a qu’à leur dire de mettre leurs sacs dans les voitures pour qu’ils soient moins encombrés ».

Elle s’adresse aux jeunes : « Hello, hello, écoutez-moi !

– Hello miss Véro ! Ils ont une certaine tendresse pour elle, cela se voit dans leurs sourires.

– Vous mettez vos sacs dans les voitures, quatre monteront avec moi, et quatre avec Bénédicte d’accord ? Les autres vous irez en taxi ! »

Ils acquiescent. Nkateko se range à côté de moi. Trois garçons nous suivent, dont un jeune qui répond au nom biblique de Moses et qui a l’air d’avoir douze ans. Nous entassons les sacs dans le coffre. « OK dit Véro, maintenant, aux taxis ! ». Il faut monter au premier étage du mall. Nous commençons par nous perdre au rez-de-chaussée, dans un couloir un peu tristounet, essentiellement des échoppes vendant des marchandises chinoises bon marché. A part une ou deux enseignes de téléphonie mobile, je ne reconnais pas les marques. Aucune des franchises locales ou internationales qu’on trouve dans les centres des quartiers blancs n’est présente. Véro s’aperçoit de sa méprise et fait demi-tour, coachée par une lycéenne, elle retrouve le chemin des escalators. Triomphante, je la vois se retourner sur l’escalator pour vérifier que tout le monde suit, telle une mère cane avec sa couvée de canetons. Je ferme la marche.

Sous une immense halle abritée par un toit en béton sont alignés des centaines de minibus le long de rangées organisées. Une odeur de diesel et de poussière flotte sur la gare routière. Brouhaha et bruits de moteurs. Nous nous faisons balader, cohorte maladroite dans les trajectoires des habitués. Enfin nous trouvons la bonne file. Pour Illovo ? C’est par là ! nous indique un chauffeur moins rugueux que les autres. Nos jeunes commencent à embarquer dans le premier taxi, puis se font refouler. Ils sont trop nombreux, il faut prendre le suivant râle le conducteur. Nous nous dirigeons vers celui d’après. L’argent change de main. Véro s’assure que tous sont montés à bord. « Tu es là Jack ? OK vous descendez à Illovo, intersection Corlett et Oxford OK ? On se retrouve là-bas ! ». Véro demande un reçu au conducteur que ça a l’air d’ennuyer passablement. Mais il s’exécute, sortant un carnet et un stylo bille au bout mâchouillé. Les autres passagers regardent mi-amusés, mi-ennuyés notre troupe de jeunes, menée par deux mamas blanches un peu paumées.

« Bon, aux voitures maintenant ! On se retrouve à GIBBS, tu sais où c’est ?

-Oui, c’est à côté de la maison ! »