Le container est parti vendredi après-midi. La grande maison blanche est vide. Après une semaine le nez dans les cartons, la conclusion de notre séjour sud-africain s’approche.
Lorsque s’est dessinée la possibilité de l’expatriation, j’avais appelé un collègue qui y avait passé un an pour son post-doc. J’avais envie de connaître son sentiment, s’il pensait que c’était une bonne idée, etc. Il m’avait rassurée, ayant fait une place à part dans son coeur à ce pays tellement au bout de l’Afrique qu’il ne s’y voit pas toujours. “Il y a des aspects que tu vas adorer” avait-il prophétisé, et “il y a des aspects que tu vas détester”, “en tant qu’européenne, il y a des situations auxquelles tu ne pourras jamais te résigner”. Trois ans plus tard, force est de constater qu’il avait raison.
J’ai adoré vivre dans cette métropole vibrante, avec son histoire très courte et ce rêve qu’elle a symbolisé pour de nombreux migrants. J’ai été choquée par le côté scindé de la ville, par cette inscription géographique de la division jamais surmontée entre les noirs et les blancs. J’ai accepté, tant bien que mal, que la rançon d’une vie agréable soit de vivre dans des quartiers aux murs hauts surmontés de barrières électriques. Je quitte sans regret les trois (!?) systèmes d’alarme différents, la gestion des parties jour et nuit de la maison.
J’en ai apprécié les ciels lumineux et la clémence du climat (sauf les petits matins d’hiver dans une maison non chauffée), les petits déjeuners sous la véranda 300 jours sur 360, la floraison des jacarandas au printemps, des plumbagos en été, celle des “coral trees” et le flamboiement rouge, jaune ou orangé, des aloes au début de l’hiver. J’ai aimé l’amabilité des habitants, et leur gaieté. La vue des “helpers” et des jardiniers prenant le soleil sur les trottoirs engazonnés pendant leur pause. Les hommes faisant la sieste en bleu de travail, le nez dans l’herbe, oublieux des passants. Les femmes en uniforme et coiffe assortie avec leurs tabliers blancs, les jambes à l’équerre sur la pelouse, échangeant les dernières nouvelles. Les filles d’attentes aux arrêts de minibus, le soir, vers cinq heures.
De retour en France, je saurais reconnaître la chance d’avoir des feux rouges qui fonctionnent, et au pied desquels ne se trouvent pas toute la misère du monde. Le bossu de Bompas, le paralytique de Melville sur sa chaise roulante antique, le rasta au regard illuminé de Boundary, la jeune fille aux jambes grêles et au regard absent, tremblotant à la sortie de la bretelle d’autoroute de Corlett, l’albinos de Melrose Crossing, le post-adolescent au visage joufflu et à l’afro décolorée, en posture de pénitent, et son éternelle couverture poussiéreuse sur Chaplin. Je goûterai de nouveau au plaisir de pouvoir faire tout à pied, aller acheter mon pain, descendre au marché, et de ne pas avoir à faire un long détour parce que tel quartier est bouclé par des “closures” sécuritaires et qu’on ne peut que le contourner…
J’ai aimé les rencontres avec des sud-africains de toutes origines, leur accueil chaleureux. Les longs déjeuners du dimanche entre amis, braaï ou cuisine plus raffinée, avec open bar de vins sud-africains. J’ai apprécié aussi l’accueil de la communauté française, une petite communauté de 4000 âmes, qui, peut-être parce que la ville est réputée difficile, se met en quatre pour intégrer les nouveaux et leur faire découvrir les charmes de la cité de l’or.
Mon collègue avait raison, j’ai beaucoup aimé Joburg, comme on l’appelle familièrement ici. Je suis d’autant plus triste d’en partir que je n’ai pas pu avoir de réponse à des questions cruciales comme: pourquoi les sud-africains adorent-il autant les voitures blanches? Pourquoi affichent-ils leurs agents immobiliers sur les réverbères comme on le ferait chez nous de politiciens en campagne électorale? Pourquoi les sud-africains blancs font ils autant de courses de vélo, de marathons, d'”Iron Man” les week-ends, quand, pendant la semaine ils ne peuvent envisager d’aller acheter leur pitance au supermarché à pied? Pourquoi, mais pourquoi diable, vend on du vin dans les supermarchés, alors que le titrage des nectars sud-africain frôle les 14 degrés, quand bière et cidres bien moins concentrés en alcool, doivent se contenter, comme les autres boissons d’adultes, de figurer dans des “Liquor Stores”?
Adieu donc, Johannesburg ville de contrastes, ville d’opulence et de misère, cité-monde et cité africaine, mirage et réalité. Ce blog est un témoignage des réflexions que m’ont inspirées les presque trois ans que j’y ai passés. Alors va t’il aussi s’arrêter? Soyez rassurés ami.e.s lecteurs/lectrices, j’ai encore quelques billets en réserve, déjà programmés, et puis je ne quitte pas tout à fait l’Afrique Australe, y ayant toujours un pied-à-terre à Tamarin. Ce blog continuera après l’été avec mes impressions sur l’Afrique vue d’Europe, à la lumière de mon expérience sud-africaine. Que perçoit-on de l’Afrique quand on est en Europe? Comment ces perceptions se comparent-elles à ce que j’ai pu voir/lire/entendre en vivant sur le continent? Merci en tout cas à mes lectrices et lecteurs fidèles, merci pour vos retours sur mes billets, ils m’ont touchés et fait plaisir, merci aux suggestions de sujets, et à très bientôt!