Pourquoi j’aime les ateliers d’écriture…

Parmi les choses de la vie quotidienne qui me procurent de la joie, une joie dont on a besoin de faire des provisions en ce moment, c’est l’écriture. Le partage de l’écriture, sur ce blog bien sûr, mais aussi dans les ateliers d’écriture . Cela va faire huit ou neuf ans que je participe régulièrement à de tels groupes. Je préfère les ateliers en direct, où l’on partage les textes en se regardant dans les yeux et en étant dans la même pièce, mais Covid oblige, mes responsables d’atelier se sont adaptés.

Je me connecte désormais toutes les deux semaines à la salle virtuelle où je retrouve mes compagnes d’écriture, qui partagent, de Bretagne, de Nancy, de Perpignan, de Biarritz ou même d’Athènes, leurs univers, leurs histoires, leurs émotions, leurs rires. Et ça me fait du bien.

Imagine-t-on Balzac dans un atelier d’écriture?

Le mythe du génie littéraire a longtemps freiné, en France, la diffusion des ateliers d’écriture. Le littérateur (et oui, on le représentait souvent au masculin) était un être inspiré, suant seul à sa table de travail, la plume dans une main, et le front dans l’autre… Autant l’on y a accepté que les peintres étudient dans les académies ou les cours privés de leurs glorieux prédécesseurs, que les sculpteurs aillent apprendre leur art au contact de leurs aînés, autant, pour l’écriture, on a décrété que seule l’inspiration faisait l’écrivain.e. On n’enseignait pas l’écriture, elle venait, ou elle ne venait pas, point.

Les anglo-saxons, plus pragmatiques, ont créé des cours d’écriture créative dans les universités, mais aussi dans les activités de loisir. Comme on peut vouloir, apprendre à pêcher à la mouche, broder au point de croix, ou crocheter des Bernie Sanders, on peut apprendre, à l’âge ou l’obligation rébarbative de la rédaction a disparu, à écrire un texte, inventer une histoire, donner vie à des personnages, développer un intrigue, et, plus simplement, découvrir sa voix.

Du sang, de la sueur et des larmes?

Ce qui fait la saveur d’un atelier d’écriture, c’est que tous les participant.e.s sont soumis à une même consigne, proposée par un.e animateur/trice et qu’ils/elles ont un délai donné pour produire un texte. A la fin de ce délai, chaque participant.e lit son texte et l’on échange, toujours dans la bienveillance, sur le texte et ses mérites, et les voix d’amélioration ou d’éclaircissement. Ce n’est pas toujours facile de produire un texte, certaines consignes nous parlent plus que d’autres, certaines nous renvoient à des choses que nous n’avons pas envie d’écrire, mais il y a toujours quelque chose à apprendre.

L’atelier d’écriture réussi, c’est un monde où l’on apprend la richesse des personnes, des univers que chacune porte en elle, et où l’on développe son écoute, tout en se faisant plaisir. Pas de notes, de prix, de distinction, c’est ce que chaque participant.e y trouve qui est important. On peut avoir un passé de fort.e en thème et rater complètement un texte alors que sa voisine qui a toujours détesté l’école et rougit de ses fautes d’orthographe et parfois de syntaxe développe un texte puissant qui fait monter les larmes aux yeux des autres, tant il touche juste. L’écriture en atelier, c’est du sang, de la sueur et des larmes, mais aussi des moments de plaisir incroyable, de rire pantagruélique, et d’émotions intenses qui vous transportent ailleurs.

Chaque participant.e vient avec son histoire, parfois compliquée, sa sensibilité, ses manies, et cette découverte est souvent un cadeau. Il se noue, dans le partage des textes, ces petits morceaux de chacun.e quelque chose qui peut être le départ d’une amitié très forte, parce que souvent, en atelier, on écrit vrai. Je pense à cette co-écrivante qui nous a raconté, au détour d’un exercice heurté, une maladie handicapante que nous ne lui aurions pas soupçonnée, cette autre d’une drôlerie féroce qui cachait un drame intime vécu à l’adolescence…

Comment choisir un atelier d’écriture?

C’est une histoire de disponibilité, d’affinités et de budget. Il y a différentes modalités, à vous de trouver celle qui vous convient!

Le moins contraignant est sans doute l’atelier par mail, où l’on reçoit la consigne d’écriture avec une semaine pour écrire un texte. Mais je ne le conseille pas pour un début. Même si la consigne est faite au groupe et que l’on peut lire et découvrir ce qu’ont écrit les autres, c’est le type d’atelier que j’aime le moins. J’aime pouvoir entendre la voix des autres et échanger avec eux. Le mail enlève le côté spontané, et c’est difficile de partager une émotion à distance. Je l’ai fait pour travailler sur le thème de la ville, mais je ne suis pas sûre de recommencer. J’aime le partage direct et la co-présence. Par ailleurs, je mets plus de temps pour écrire mes textes pour l’atelier par mail que pour l’atelier en direct.

La durée des ateliers d’écriture en direct étant de 2h30 à 3h00, cela demande un peu de disponibilité. Certains responsables d’atelier proposent des ateliers en soirée, pratiques lorsqu’on ne peut pas aménager ses horaires de travail. La fréquence des ateliers varie. Pour ma part, m’étant lancée dans une dynamique d’écriture plus soutenue, le rythme hebdomadaire me va bien. J’ai commencé à me faire la main il y a huit ou neuf ans, avec un atelier mensuel, à Garches, avec Marion Rollin de Mise en Mots. Outre sa proximité de la maison, ce qui était un plus pour un atelier en soirée, j’ai beaucoup aimé la qualité d’écoute de Marion et ses encouragements à persévérer dans ma voix/voie.

Pour celles et ceux pour lesquels il n’est pas possible de consacrer trois heures régulièrement à l’atelier, on peut trouver des stages concentrés sur deux jours ou un week-end pour se mettre le pied à l’étrier, ou approfondir une thématique. Ca peut être une solution à tester. Le choix du thème et/ou de l’animateur/trice est crucial. J’ai rejoint un atelier mensuel francophone d’écriture à distance, sur proposition d’une amie, à Johannesbourg, avec Marie-Agnès Valentini. Les clés de l’apprentissage de l’écriture sont à la fois dans l’essai, lu devant les autres participant.e.s, les conseils des animateurs/trices mais aussi dans les suggestions de lecture ou les exemples proposés par les responsables d’atelier. En plus de la gentillesse et de l’écoute attentive de Marie-Agnès, j’y ai découvert avec bonheur des auteurs dont je n’aurais jamais songé à ouvrir les livres, comme Yoko Ogawa et ses “instantanés d’ambre”, et un groupe d’amies chères à mon coeur.

Lorsqu’on a un projet particulier d’écriture, ou que l’on souhaite développer un aspect particulier, il peut être intéressant de s’adresser à des écoles proposant des ateliers ciblés. C’est ce que je fais depuis l’an dernier où j’ai découvert l’école des Mots qui offre une palette très large d’ateliers et d’intervenants qui sont tous des auteurs confirmés. Après avoir commencé avec un atelier sur le Roman Noir, j’ai opté pour des ateliers “écrire la vie” avec Sophie Lemp, que j’apprécie beaucoup pour son écoute et ses conseils. Pour continuer à écrire sur Johannesbourg, j’ai également suivi, par mail, un atelier sur l’écriture du milieu urbain, avec Bruce Bégout, bien connu des étudiants en architecture…

Lorsque j’étais en thèse, Bruno Latour avait décidé de bouleverser le séminaire doctoral hebdomadaire en créant, à sa place, un séminaire d’écriture de thèses. Son idée était que pour décrire nos objets, il fallait savoir les écrire. Ecrire/décrire correctement un phénomène, c’est déjà travailler à sa compréhension et à son analyse. C’est ce que font les livres bien écrits, nous émouvoir, souvent, mais aussi nous donner une vision plus claire sur le monde qui nous entoure. Et Dieu sait si nous en avons besoin aujourd’hui, alors que nous sommes abreuvés d’informations multiples et contradictoires…

L’écriture nous permet aussi, en nous refocalisant sur des points précis, d’échapper à un univers anxiogène. Relisant les cahiers que j’ai écrits à mon arrivée à Johannesbourg, conformément aux exhortations de mon amie Christie, j’essayais de coucher sur le papier “trois pages par jour”, j’ai été frappée par le stress qui en émane, et le fait que je n’en avais aucun souvenir. Ecrire m’a aidée à vivre cette période de transition…

Alors, vous vous y mettez quand?

Un Jack Sparrow des mers du sud…

Un moment d’évasion puisqu’il nous est désormais difficile de voyager! Rencontre sur les côtes malgaches…

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Il y a des périodes où l’on a besoin d’évasion, une fiction élaborée à partir d’une rencontre de voyage, lors d’une croisière en catamaran vers les îles Ramdama, au nord-est de Madagascar, une de ces images qui vous restent dans la tête. L’équipage vient de mettre le bateau au mouillage pour la nuit dans une petite baie. Une voix non identifiée retentit. Elle provient d’une vieille pirogue avec une voile toute trouée faisant route vers le catamaran. La voix s’amplifie, c’est un homme qui chante à gorge déployée. La voile s’affale et la pirogue aborde à l’arrière du bateau De taille moyenne, torse nu, une coiffure afro malmenée par le sel et le soleil l’occupant de la pirogue nous sourit, bien campé à côté de son mât, dévoilant ses dents du bonheur : « Bonjour Vaasa ! ». Il essaye sans succès de nous fourguer une bouteille de son elixir de noix de coco fermentée, puis repart en chantant avec quelques offrandes. Cette brève rencontre m’a inspiré une histoire… écrite il y a quelques années pour l’atelier de Marion Rollin!

« Aristide, Aristide ! ». Les enfants appellent à l’extérieur de la case en riant. Ils continuent en chantonnant : « Aristide, Aristide ! ». L’homme émerge peu à peu de sa torpeur. Il a mal au crâne. Ses paupières sont des écailles qu’il dissout en les frottant avec ses poings. L’antienne continue : « Aristide, Aristide ! ». Le village est déserté par les adultes. Les hommes sont repartis à la pêche, les femmes cultivent les terres, un peu plus loin. Et comme tous les après-midis, les enfants viennent taquiner Aristide.

L’homme s’est redressé sur sa natte. Il regarde par les jointures du panneau de palmes tressées qui constitue les murs de sa maison. C’est encore le petit Joseph qui mène le bal. Quel garnement celui-là ! Mais qu’est-ce qu’ils ont ces enfants, ils n’ont rien de mieux à faire que d’embêter un honnête homme dont la tête est prise dans un étau ? Aristide regarde dans l’unique pièce de sa case, et essaie de trouver un peu d’eau pour se rincer le visage. Il a la tête aussi dure qu’une noix de coco. Il a beau balayer du regard l’intérieur de sa case, il n’aperçoit pas la calebasse. Elle doit être dehors. Il sort. Le soleil qui fond droit sur sa tête lui fait fermer les yeux. Aïe !

La calebasse est là, sur le plancher en bois qui lui sert de terrasse et de pas de porte. Ah… le pouvoir rafraîchissant de l’eau douce. Il va falloir en rechercher au puits. A la ville, Aristide a un cousin qui dispose, oh grand luxe ! d’un robinet. Point de cela ici. Aristide saisit deux bidons en plastique sous les rires des enfants et se dirige vers le puits, à la sortie du village, près de l’enclos à zébus. Les enfants l’accompagnent en piaillant, certaines petites filles portant le dernier-né de la fratrie, en T-shirt sale et morve au nez, sur leurs hanches menues. « Aristide, Aristide ! » chantonnent les enfants qui font mine de s’éloigner si l’homme se tourne vers eux mais restent à portée de voix.

Accompagné de son escorte bourdonnante Aristide arrive au point d’eau et remplit ses bidons. Il faut pomper l’eau à la main en actionnant vigoureusement le levier mi-rouge, mi-rouille. Aristide s’asperge le visage avec la dernière giclée et s’ébroue, ce qui fait rire les enfants. « Aristide », dit Joseph « pourquoi tu ne vas pas travailler ? » « Mais qu’est-ce qui te permet de me parler comme ça garnement ! » Les autres enfants observent, des paillettes de malice au fond de leurs yeux noirs. Aristide prend ses bidons et retourne vers sa case, toujours environné de sa suite. Il remise l’eau dans un coin de la pièce.

Les enfants se rapprochent en chuchotant. Aristide passe la tête par l’embrasure de la porte et les chuchotements s’arrêtent. Il sort de sa case et se dirige vers l’arrière où se trouve son « atelier ». Un espace sableux délimité par un tas de noix de coco d’une part, un tas d’écorces de noix de coco d’autre part et deux tonneaux en acier, un rouge France et un bleu pétrole, à l’ombre d’un grand arbre. Il s’assied à l’ombre de l’arbre, assure entre ses jambes le pieu rouillé en acier qui lui sert à enlever l’écorce fibreuse des noix de coco pour n’en garder que le cœur, et commence.

Il chantonne. Un coco, deux cocos, trois cocos… Planter la fibre sur le pieu, déchirer d’un coup sec l’enveloppe, un, deux, sortir le cœur, hop, jeter l’enveloppe, un, deux, sortir le cœur, hop, jeter l’enveloppe à droite, le cœur à gauche. Joseph reprend : « Aristide, Aristide, pourquoi tu ne veux pas travailler ? » « -Mais je travaille, Joseph, j’épluche les cocos ! » « -ce sont les vieux qui épluchent les cocos ! » -« Impertinent, va !  Hier, j’ai cueilli les cocos, aujourd’hui j’épluche les cocos ! » « -Mais ce n’est pas un travail, ça, les cocos ! » « Va t’en Joseph, tu m’ennuies ! » Les enfants se lassent, se dispersent dans le village.

Aristide continue d’éplucher les cocos. Les petites filles font cuire le riz, à côté. Le soleil est rentré dans son dernier quart. Aristide casse les cœurs de coco et en écrase la pulpe qu’il met dans le tonneau bleu. Les hommes vont commencer à rentrer, il renverse les bidons sur le plancher devant sa case, sort quelques verres usés. Ils aiment bien faire une pause chez lui en rentrant de la pêche. Un petit peu de coco fermentée leur fait oublier la longue journée en pirogue et la morsure du soleil, la corde des filets qui entaille les doigts…

Les enfants réapparaissent et chantonnent : « Aristide, Aristide, pourquoi tu ne veux pas travailler ? » Aristide frémit et tourne la tête pour répliquer vertement aux impudents, mais sa face s’éclaire d’un large sourire : là-bas, à l’entrée de l’estuaire, vient de se profiler la silhouette d’un catamaran : des touristes ! Il saisit quelques unes des bouteilles en plastiques maintes fois recyclées remplies de son tord-boyaux, prend avec lui quelques noix de coco et se dirige vers la plage où l’attend sa fidèle pirogue. Aujourd’hui, la chance est avec lui !