Reconnecter avec son brocoli intérieur… mode d’emploi!

Des trucs et des ficelles pour contourner la difficulté d’écrire… L’écriture, ça se travaille, dans la joie, et dans le brocoli!

Où l’on parle de livres, d’écriture, du sens de la vie, d’amitié et de brocolis…

Amies lectrices, amis lecteurs, je vois vos pupilles vaciller fébrilement devant votre écran. Enfin pour celles et ceux qui ont ouvert ce billet malgré ce titre calamiteux. “Elle a pété un câble Bénédicte ? Il faut qu’elle arrête de fumer les herbes de son potager normand, cela ne lui vaut rien qui vaille!”. Je m’égare ces temps-ci, mais avant de m’envoler pour mon continent de coeur, alors que mes batteries faiblissent et que je ne sais plus d’où, pourquoi, et comment j’écris, je voulais évoquer un livre qui me fait du bien, un de ces manuels d’écriture dont je prends régulièrement des shoots pour m’adonner à cet exercice solitaire et souvent ingrat: “Bird by Bird, Some Instructions on Writing and Life” d’Anne Lamott.

Je l’ai commandé à un libraire d’occasion, je ne suis pas sûre qu’il soit réédité, mais il m’accompagne dans mes moments de doutes et je ne puis que le recommander à celles et ceux qui taquinent le clavier, et poursuivent des envies d’écriture. Mon amie Christie m’a offert il y a quelques années, “The Right to Write”, de Julia Cameron, qui propose une série d’exercices pour délier la plume ou le clavier, et j’ai une pile de manuels d’écriture dans ma bibliothèque, mais ces temps-ci, j’aime bien me réfugier dans les courts textes d’Anne Lamott. J’apprécie ses positions philosophiques sur l’existence, et l’humour de cette professionnelle des cours d’écriture créative.

Anne Lamott et ses anecdotes me sauvent des affres de la page blanche, et des crises d’imposture qui me traversent périodiquement. Oui, écrire (pour moi), c’est me demander tous les jours s’il ne vaudrait pas mieux renoncer, que de coucher sur l’écran des platitudes en comparaison desquelles la Belgique paraît plus haute que l’Himalaya. J’atteins mon Everest le jour de l’envoi de mes factures.

La dernière fois que ma crise Bartlebyenne était à son acmé -cf mon dernier billet– ce n’est pas un DJ, mais cette phrase de son livre, qui m’a sauvé la vie :“on a tous un truc à pleurer”. On a tous un truc à pleurer, et on écrit tous autour de ce truc. Certaines histoires sont plus universelles ou plus immédiatement parlantes, comme les histoires de transfuges ou de réfugiés – je vous ai dit que j’avais adoré le premier roman d’Ocean Vuong?- Mais personne, pas même le bébé le plus fortuné ne naît dans un monde d’où la maladie, la souffrance ou la mort seraient absentes. C’est la révélation de Siddharta (Gautama), si bien décrite par Herman Hesse, et le ferment d’un bon nombre d’oeuvres littéraires!

Nous nous constituons littérairement autour d’un manque, que nous cherchons à pallier par nos tentatives de donner du “sens” à ce que nous expérimentons. Ecrire, c’est construire autour de l’imperfection, même futile, de nos vies. L’essentiel est dans le chemin que cela nous fait emprunter. Voilà que je m’exprime comme un personnage de Tintin… De quoi finir décapitée, comme un brocoli!

Mais c’est quoi au fait, cette histoire de légume? Revenons donc à nos brocolis. D’où viennent-ils ces brocolis? De chez monsieur Lam, le marchand de primeurs premium de Garches? Peut-être, mais pas tout à fait. Ils proviennent d’un autre texte d’Anne Lamott, qui l’a puisée elle même chez Melvin Kaminsky alias Mel Brooks (il n’y a pas de mauvaise référence lorsque l’on écrit, il n’y a que des références qui fonctionnent). Le brocoli est à Anne Lamott ce que le chewing gum est à Mac Gyver… C’est un moyen à mettre en oeuvre lorsqu’on approche de la panne sèche: il suffit de reconnecter avec son brocoli intérieur, ou explique Brooks, “demander au brocoli comment on doit le manger”. Laissons nous guider par l’appel du brocoli, et tout ira bien! Gageons que vous ne verrez plus vos brocolis du même oeil!

Et vous, quels sont vos trucs pour replonger dans l’écriture, ou trouver un sens à la vie quand tout part en lambeau?

Faut-il avoir vécu une enfance de merde pour pouvoir écrire?

C’est la question que je me suis posée après avoir écouté quelques épisodes du podcast Bookmakers, de Richard Gaitet sur Arte Radio. Les podcasts, vous savez- ce truc de millennials qui a remplacé nos émissions de radio! Mon amie Dorothée, avec laquelle j’ai suivi les ateliers de Marie-Agnès Valentini, m’a mentionné ce podcast lors de notre dernier déjeuner. Elle m’a mentionné particulièrement ceux avec Mohamed Mbougar Sarr, et de Claude Ponti. Ravie, je me suis empressée de télécharger quelques épisodes à écouter en faisant mon ménage ou en gratouillant dans mon jardin. J’ai adoré l’échange avec Mbougar Sarr, un vrai passionné de littérature comme on en rencontre souvent chez les anciens khâgneux. J’ai donc enchaîné avec Lydie Salvayre, dont j’avais beaucoup aimé “Pas pleurer” hommage à la mère, gagnée par la sénilité, qui revivait son été 1936 républicain en Catalogne, puis j’ai pioché Hervé Le Tellier, Alain Damasio – je n’ai pas accroché – et Claude Ponti. Et là, j’ai ressenti à la fois une intense frustration, et une inconfortable interrogation : faut-il vraiment avoir vécu une enfance de merde pour avoir le droit d’écrire?

Le point commun de tous les récits, si l’on excepte l’auteur du Goncourt 2021, c’est d’avoir eu une enfance épouvantable. Enfant adultérin, de réfugié, de mère indifférente, malaimante, père absent, violent ou alcoolique, humiliations diverses liées à une origine modeste, stigmate infamant, exposant à perpétuité aux commentaires moqueurs de la bonne bourgeoisie. Qu’on ne se méprenne pas, les histoires individuelles sont émouvantes, et loin de moi l’idée de les dévaloriser. D’ailleurs tous ces auteurs n’en font pas forcément le sujet de leurs ouvrages. Certains subliment grâce à l’imagination leurs blessures intimes. J’ai compris d’où venait l’idée des “parents de carton” d’un des albums de Claude Ponti. En revanche l’insistance de Richard Gaitet, l’animateur du podcast, à revenir sur les blessures d’enfance, de tout ramener à l’écriture comme revanche sur l’existence a fini par m’insupporter.

Il faut dire que c’est un récit, voire un narratif assez entendu, les humiliations de l’enfance rachetées par la littérature. Je pense à “Poil de Carotte” de Jules Renard, ou “L’enfant” de Jules Vallès dont les extraits figuraient dans tous les manuels de français au collège. Les épreuves de l’enfance forgent une sensibilité acérée aux injustices de ce monde et développent un regard intéressant, et sont une source d’inspiration pour ces auteurs. Mais, a contrario, cela exclut-il de toute prétention littéraire celles qui ont bénéficié d’une enfance plutôt heureuse? Ne peut-on être admis dans le cercle des initiés qu’en ayant fait les frais d’une parentèle dysfonctionnelle? Les anciens enfants heureux doivent-ils errer indéfiniment dans le purgatoire des scribouillards?

Indira, Golda, Jacinda, Nicola, et les autres… de l’évolution des femmes en politique

A l’occasion du #IWD2023 une méditation sur la place des femmes en politiques au cours des dernières décennies…

Quand j’avais dix-huit ans, je voulais être Indira Gandhi, et mourir assassinée pour l’ensemble de mon oeuvre. Il faut dire que ma génération manquait de modèles féminins puissants. Lorsque ceux-ci existaient, ils étaient considérés comme des anomalies, voire des anti-modèles. Indira Gandhi, comme Golda Meir, et, plus tard, Margaret Thatcher, ou Benazir Bhutto, étaient des femmes fortes, des dures à cuire, impitoyables, craintes et détestées. J’ai fini par changer d’idée.

Le monde politique a mis du temps à se féminiser. J’avais une trentaine d’années quand, enfin, des lois ont été votées en France et dans un certain nombre de pays de l’OCDE, pour commencer à imposer une parité dans la représentation politique, la haute fonction publique et le secteur privé. L’argument du manque de vivier, repris à l’envi par les tenants du pouvoir masculin pour justifier les inégalités, tenait de moins en moins devant l’accession décomplexée des filles dans l’enseignement supérieur et dans les formations d’élite, une fois levées les barrières à l’entrée.

Pour autant le nombre de cheffes d’Etat dans le monde n’a pas décuplé en presque quarante ans. Les différentes lois passées ont permis, bon an, mal an, d’accepter que finalement, la place des femmes était autant dans la sphère publique que dans la sphère domestique*. Le planning familial leur a laissé le choix d’avoir des enfants au moment le plus opportun pour elles. La réussite professionnelle des femmes est moins anecdotique aujourd’hui, et il faut s’en réjouir, même s’il reste des obstacles à franchir.

Alors que j’aborde la meilleure partie de ma vie, j’ai vécu l’accession au pouvoir de Jacinda Adern, en Nouvelle Zélande, alors enceinte de son premier enfant, comme une véritable révolution. Enfin un nouveau type de cheffe d’Etat! Les néo-zélandais, mais aussi, à peu près en même temps, les finlandais, et les islandais, ont porté au pouvoir des femmes jeunes, accessibles, proches de leurs concitoyens, démontrant le souci de l’autre dans leur façon de gouverner.

Les femmes cheffes d’Etat ne devaient plus uniquement faire partie de ces pionnières inflexibles de la politique, ces Madeleine Albright ou Condoleezza Rice, extrêmement douées intellectuellement mais manquant d’empathie. Qualité dans laquelle beaucoup de jeunes femmes sont socialisées depuis des millénaires, et dans laquelle elles se reconnaissent volontiers. On pouvait donc faire de la politique, au plus haut niveau, en n’adoptant pas les codes, très masculins, de l’affrontement, du rapport de force, voire de la mise à mort symbolique.

Pour cette génération, la question de “qui va garder les enfants” devient enfin moins prégnante que pour les précédentes. De plus en plus d’hommes acceptent un partage des tâches de la vie privée plus égalitaire*. Le congé paternité socialise les pères dans un rôle plus actif auprès des nouveaux-nés. Il les implique, dès la prime enfance dans une parentalité de proximité.

Force est de constater qu’après un mandat, la violence de la politique a contraint Jacinda Adern à démissionner et à laisser à d’autres le soin de porter le drapeau d’une politique tournée vers les autres. Jacinda Adern a motivé sa décision par l’épuisement de ses ressources: “plus assez de fuel dans le réservoir”. Quelques semaines plus tard, une autre femme politique, la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon jetait aussi l’éponge.

Les femmes en politique sont-elles moins résistantes que leurs homologues masculins? Certaines attribuent leur démission à des attaques plus virulentes. Sans doute, en partie. J’aimerais proposer une d’interprétation complémentaire : les femmes s’accrochent moins au pouvoir, en politique comme dans la vie professionnelle, parce que nos modèles leur laissent plus de latitude que le modèle basé sur la simple performance/résistance à l’adversité à l’aune duquel on continue de juger les hommes.

Une femme qui renonce à sa carrière pour donner plus de temps, d’attention, à ceux qui lui sont chers, qu’il s’agissent de jeunes enfants ou de parents âgés (cf l’ex-directrice générale de la RATP), ne sera pas considérée comme une ratée, une geignarde, une has-been. On trouvera même une certaine sagesse, voire une certaine noblesse à son renoncement en pleine gloire. Je n’ai pas d’exemple d’homme puissant pour lequel cela ait été le cas (et suis preneuse si vous en connaissez).

Le corollaire de cela, c’est que rares sont les hommes ayant atteint le sommet de leur trajectoire qui ne font pas la saison de trop. En France, notre société est remplie de gérontocrates qui ne veulent pas décrocher, ayant trop peur du vide les menaçant s’ils abandonnaient leurs attributs du pouvoir. La jeunesse du président de la république et de ses conseillers masque habilement le nombre de septuagénaires voire d’octogénaires, agglutinés aux portes du pouvoir, alors qu’ils pourraient jouir d’une retraite bien méritée et siroter des piña colada sur une plage des Caraïbes.

Une des raisons des difficultés de notre société à se projeter dans l’avenir?

*Les résistances dans certaines parties du globe sont encore fortes, il n’est que de regarder les situations en Iran, en Afghanistan…

**Ce constat est à relativiser, il est très dépendant des milieux socio-économiques et des traditions culturelles

Et vous, vos chiens, ils mulotent ?

Aujourd’hui je vais vous parler d’une guerre. Non, pas celle à laquelle vous pensez tous, sur laquelle je ne suis pas qualifiée, mais une guerre menée par une institution très représentative de la France avec un grand A: l’Académie Française. L’Académie Française est en guerre, je l’ai lu dans le Figaro, elle est en guerre contre le franglais. Les français auraient renoncé à utiliser les ressources de notre belle langue. Ils ont rendu les armes et emploient à tout bout de champ d’horribles locutions venant d’outre-Manche, voire d’outre-Atlantique, Saint de Gaulle, priez pour nous!

D’accord, j’ai l’ironie facile, je vous le concède. Surtout qu’une anecdote récente m’a donné conscience de ce que nous abandonnons, par paresse et par invasion de nos univers de représentation par des phrases toutes faites, révélant des modes de vie uniformément lissés. J’ai eu un de ces “moments de grâce” autrefois vantés par une ministre jadis sujette aux emportements extatiques dans la ligne 13 du Métro, lorsque j’ai découvert par hasard le mot “muloter”. Une épiphanie lexicale!

La première fois que j’ai entendu le verbe muloter, c’était il y a a quelques jours, dans la bouche d’un homme en pantalon et veste de travail coordonnée, grise avec des bandes réfléchissantes qui s’affairait à remplacer le moteur défaillant d’un des battants du portail du grand jardin que nous avons acheté en Normandie. Il avait garé son véhicule sur l’emplacement en graviers et en avait laissé sortir Nino, un sympathique bâtard un peu rondouillard, probablement croisé de beagle et d’épagneul, qui folâtrait à côté de lui.

Heureusement que je tiens mes chiens à l’intérieur, lui dis-je pour converser – l’homme n’était pas très expansif – ils n’aiment pas tellement leurs congénères! Oh mais Nino est très cool, me répondit-il en regardant son fidèle compagnon. Les miens moins! De toute façons, je suis obligée de les enfermer, sinon il creuseraient jusqu’en Chine, ce ne sont pas des terriers pour rien! Ah, ils mulotent vos chiens? Nino aussi, il mulote, mais il n’a pas beaucoup de succès! Les miens non plus, ça ne les empêche pas de creuser! L’homme s’absorba dans sa tâche, et je partis faire autre chose en gardant, comme une trouvaille précieuse ce nouveau mot: muloter…

Les jours suivants, je l’ai roulé dans ma tête et l’ai répété tout bas, muloter, muloter, muloter. Je voulais le sentir, le ressentir. Je mulote, tu mulotes, elle mulote, nous mulotons, vous mulotez, ils mulotent… J’avais étendu mon vocabulaire d’un trésor supplémentaire, et j’en ressentais une joie profonde. J’avais l’impression qu’on m’avait fait un cadeau, un néologisme génial venant de ce monde rural que je découvre avec bonheur ces derniers temps. Je développe probablement un syndrome de Marie-Antoinette, mais cette nouvelle installation me réjouit beaucoup, malgré l’hiver, les silhouettes griffues des arbres, et la nuit, qui tombe d’un seul coup, et qui enveloppe tout d’un manteau noir.

Rentrant à la maison, j’eus quand-même eu un doute, et avisais le Littré dans la bibliothèque. J’ouvrais le volume et paf! que trouvé-je pile entre mulot et mulquinier, je vous le donne en mille !

“Muloter / mu-lo-té / v. n. Terme de vènerie. Se dit du sanglier qui fouille les caveaux du mulot pour se renaître du grain qu’il y trouve amassé. / Se dit d’un chien de chasse qui s’amuse à déterrer les mulots. Un limier mulote lorsqu’il s’arrête sur tout ce qui se rencontre, lorsqu’il gratte la terre sur les trous de taupe ou de mulots. “

Littré

Ce n’est pas un néologisme, mais un verbe tout ce qu’il y a de plus officiel, inscrit dans ce monument de la langue française qu’est le Littré. A l’heure où la pratique de la chasse fait question, c’est tout de même intéressant de constater que cette activité volontiers décriée, est aussi productrice d’une certaine connaissance de la nature… Sans l’expérience de la vènerie, il n’y aurait pas besoin de définir le mulotage. Et vous vos chiens, ils mulotent?

Mon glossaire sud-africain

Marie-Agnès, géniale animatrice d’atelier d’écriture, ayant proposé la semaine dernière un exercice de glossaire, je n’ai pas hésité à replonger dans ces petits mots, ces petites expressions typiquement sud-africaines. Une occasion de relire aussi (rapidement) une partie des billets de ce blog… Enjoy!

Ag shame : interjection, mix afrikaans-anglais, signale la désolation et/ou la compassion. “Le petit chat est mort! – Ag shame!”.

Biltong : friandise du bush. Viande de gibier ou de boeuf séchée et découpée en fines lamelles. Peut servir d’encas, ou colmater les petites fringales de la journée.

Borehole : puits/pompage privé de la nappe phréatique. Permet aux habitants des quartiers aisés d’arroser leurs somptueux jardins, et de remplir leur piscine même en temps de pénurie due à l’abaissement des niveaux des réservoirs.

Braaï: moment de convivialité. Rassemblement amical, déjeuner du week-end autour du braaï, ustensile connu sous d’autres latitudes sous le nom de barbecue. On est attendu à un braaï à partir de 13h00 et on peut en repartir vers 17h00, en ayant énormément consommé de viande, d’alcools -sud-africains bien sûr!- et autres délices. Il est recommandé de prendre un Uber pour rentrer chez soi après un braaï, sauf si vous êtes invité par votre voisin.

Eish : Interjection polysémique familière, plutôt utilisée par la population africaine, à ne pas utiliser dans un dîner chic. Eish! signale l’interrogation, l’incrédulité, l’impuissance, la sympathie, et parfois l’amusement. “Il faut que jeunesse se passe… Eish!”

Glamping: contraction de “glamour” et “camping”. Un oxymore pour certains, le glamping est une activité réservé aux blancs sud-africains. “Camper dans le bush? “ m’objecta un jour mon prof de zoulou “c’est n’importe quoi, le bush c’est plein de bêtes, et dangereuses en plus!”. On peut aimer le camping et le luxe, d’où le glamping, version luxueuse du premier avec à la clé des dizaines d’équipements dont je n’aurais jamais imaginé l’existence, disponible dans des enseignes de sport et de plein air, ou chez le très chic Melvin and Moon pour les nostalgiques de Out of Africa.

God bless you : expression fourre-tout, permet de ravaler sa culpabilité devant le mendiant auquel on vient de donner quelques pièces au pied du robot.

Gym : lieu important de la sociabilité des villes sud-africaines. On s’inscrit au gym pour profiter des centaines d’appareils et d’agrès pour moduler son corps, pour suivre des cours collectifs (ah, le “strech-a-move de Jannie!”), nager, mais surtout échanger les derniers potins dans les vestiaires ou au bar autour d’un cocktail détox-vitamines.

Inhlawulo : dommages et intérêts demandés par la famille d’une jeune femme enceinte, engrossée lors d’une relation hors mariage, à la famille du géniteur supposé. Les dommages sont censés couvrir les besoins de la mère pendant sa grossesse et les premiers mois du bébé. La demande est souvent synonyme d’humiliation publique pour la jeune femme.

Hadeda: réveille-matin johannesbourgeois. Nom de ces ibis aux plumes grises irisées qui nichent dans les arbres majestueux des jardins de Johannesburg. Ils produisent juste avant l’aube des cris de bébés humains qu’on égorge. Les hadedas se nourrissent de Parktown prawns, larves de gros grillons qui prolifèrent dans les pelouses bien arrosées des beaux quartiers.

Lekker : de l’afrikaans, cool, chouette, bath… Si un interlocuteur, ou une interlocutrice répond “lekker” à l’une de vos propositions, vous pouvez en déduire: 1) qu’il/elle est enthousiaste; 2) qu’il/elle est probablement afrikaner ou que sa langue maternelle est l’afrikaans.

Loadshedding: aussi appelé délestage. Manifestation de l’impuissance des centrales électriques sud-africaines à fournir de façon constante et sans interruption une population toujours plus accro à l’énergie. Symbole de la corruption et de la mauvaise gestion Eskom, surnommée Eishkom, la compagnie d’électricité nationale, a plus brillé ces dernières années par sa capacité à engraisser des proches du pouvoir, qu’à entretenir un parc de centrales à charbon vieillissantes.

Lobola : prix de la fiancée, largement répandu en Afrique Australe et en Afrique de l’Est. Somme demandée par la famille de la future mariée à la famille du futur marié, pour donner sa bénédiction aux épousailles. Le prix se négocie en équivalent-vaches et prend en compte l’âge, la beauté, le niveau d’éducation de la future épouse. Des petits malins ont même inventé un application pour la calculer. Ce qui, semble-t-il, aurait contribué à l’inflation des lobola. Bien que reconnaissant les mariages coutumiers et religieux en plus du mariage civil, l’Afrique du Sud détient un record de naissances hors mariage.

Malva pudding : gâteau éponge écoeurant, étouffe-chrétien composé d’une base à fort taux de glucose, de beurre et de farine, arrosé d’une crème à la vanille manquant de subtilité.A refuser poliment.

Robot: feu de circulation. Ne pas chercher Goldorak ou un androïde quelconque lorsqu’on vous parle de robots en Afrique du Sud. Il s’agit d’un bête feu de circulation.

Roïbos : tisane rouge, à base de roïbos (plante-rouge), boisson favorite des sud-africains.

Taxi: minibus Toyota Quantum utilisé comme transport collectif par les noirs pour rentrer dans leur township. Les taxis sud-africains portent sur leur hayon leur maxime: “sesfikile”: on est arrivé. “siyaya”: on y va, des versets de la Bible en version littérale ou en version cryptique Isaïe 37:12, des professions de foi: “God is my sheperd”. Les taxis sont des hauts-lieux de la vie johannesbourgeoise: on y naît, on y meurt, on s’y rencontre. Les conducteurs de taxis sont connus pour leur conduite hasardeuse, leur habileté à manier des “profanities” (grossièretés), et leur piètre observance du code de la route. Ne pas essayer de leur faire entendre raison.

Western Cape : Province du Cap, de la cité-mère. Lieu de vacances favori de nombreux sud-africains, et siège du parlement. Partout ailleurs dans le pays, il est de bon ton de dire du mal du Western Cape et de ses poseurs d’habitants.

La vie sauvage, fable moderne …

Qui aime bien charrie bien, un coup de gueule à la manière de Voltaire… issu de mon dernier atelier d’écriture.

Ils étaient convenus qu’en ce début de siècle où étaient prédits les pires cataclysmes depuis le tremblement de terre de Lisbonne qui avait ébranlé les fondements des royautés européennes, le mieux à faire pour sauver leur peau, voire leur âme, était de migrer vers l’intérieur des terres, dans un hameau isolé, des influences néfastes comme des rayonnements solaires et des phénomènes météorologiques extrêmes qui étaient annoncés comme l’avenir inéluctable de notre belle planète.

Candide et Cunégonde revenaient à la terre, la vraie, après avoir brûlé leur jeunesse dans les banlieues arborées de l’ouest parisien. Leur conversion avait commencé il y a quelques années. Candide avait troqué la Mini Cooper électrique promise par ses parents pour l’obtention du baccalauréat désormais plus facile à obtenir que le permis de conduire, pour une modeste bicyclette insubmersible avec cadre en carbone et chaîne anti-déraillante, sacoches multipoches ultra-légères et anti-rayonnements nucléaires. Cunégonde, élevée au bio et à la danse classique avait renoncé à son heure et demie de rituel beauté quotidien – avec vingt-sept produits différents- pour de la graisse à traire végétale multi-usages. Ils avaient décidé, devant leurs parents ébahis, de jeter aux orties (bio, surtout conserver les racines, séchées et pulvérisées elles font un excellent remède anti-diabétique et dépuratif!) l’avenir tout tracé de Candide à La Banque Vanderdandur de beau-papa pour une fermette façon ranch dans le fin fond du Cantal.

L’avenir commença dans le TER reliant Clermont-Ferrand à Saint-Flour. « Sens-tu mon Amour comme l’air est plus pur ici ? » chuchota Cunégonde. Candide approuva, tout émoustillé des picotements dans son corps et des échauffements épidermiques que l’approche de la sous-préfecture lui procurait. Bientôt leur nid d’amour, déniché au cœur des prairies vallonnées des contreforts du Massif Central, grâce à une annonce providentielle sur Gens de Confiance. Le Père Pangloss, le propriétaire, un paysan chenu qui portait une barbe de père Noël, mal taillée les attendait à la gare, dans une 2 CV Citroën qui datait de l’an 40. Cunégonde fronça les sourcils à l’idée que ce véhicule ne fonctionnait sans doute pas au jus de betterave, mais Candide l’assura que le côté vintage du véhicule faisait de leur chevauchée un péché véniel. En préventif, pour expier leur faute, ils réciteraient le soir avant de se coucher dix fois le programme de Yannick Jadot pour les présidentielles. « Vous voici au nid d’Aigle ! » leur annonca Pangloss en toussant dans sa barbiche et s’arrêtant juste le temps de débarquer leur maigre paquetage, et redémarrant sans leur donner le code du wifi.

Cunégonde ouvrait la bicoque en s’émerveillant des bontés de la Providence. L’ingéniosité de l’upcycling paysan dans les moindres recoins de la maison la laissait pantoise. Bidons de laits retournés pour servir de tabourets, table en caisse à savon, rideaux dépareillés fruits de négociations acharnées dans les vide-greniers campagnards, cheminée charbonneuse avec son immense trépied à chaîne. N’hésitez pas à piller le potager ! leur avait crié Pangloss dans le crissement de la 2 CV. Le retour à la Nature s’annonçait plein de promesses !

Ils se mirent à explorer le jardin. Chaque nouvelle plante leur arrachait des cris d’admiration. Quelle beauté ! Quelle splendeur ! Comme la nature est bien faite ! Ils virent une biche et son faon à la lisière d’un bois, la queue d’un lapin de Garenne sautiller puis disparaître près d’un genévrier. Un monde nouveau s’ouvrait devant eux. De l’autre côté du vallon, les pelotes laineuses d’un troupeau de moutons au pâturage les plongea dans de longues minutes de contemplation proche de l’extase. Ils respiraient fort, se tenaient la main, se regardaient émus aux larmes. Quelle pureté de l’air ! Les cris de Candide s’intensifièrent lorsqu’il vit s’approcher un oiseau majestueux déployant ses grandes ailes. Un aigle ! N’y a t-il-pas sur terre vision plus incroyable ? Son humeur déchanta lorsque le volatile lâcha près de lui un litre de fiente verdâtre avant de fondre sur un agneau qui têtait encore sa mère, de l’autre côté de la vallée.

Une virée à Alexandra…

Une photo sur FB m’a rappelé ce matin un souvenir d’accompagnement pour Sizanani Mentors…. un passage par #Alexandra, redouté par les conducteurs néophytes à #Johannesbourg … #écrirelaville

« Allô ? C’est Véro. Ecoute, je suis désolée, je ne vais pas pouvoir aller à Alex chercher les jeunes avec toi. J’ai un pneu crevé, j’ai appelé le garage à côté de chez moi mais je ne sais pas quand quelqu’un va venir le réparer. Ils n’ont pas su me dire. Il va falloir que tu y ailles toute seule ! »

Je la maudis intérieurement. J’ai horreur d’aller à Alex, ce township que tous les responsables de sécurité d’entreprise ou même le consulat déconseillent.

Je n’y vais jamais. Je reste toujours en périphérie pour récupérer ou déposer mes mentorées. Je n’ai accepté que parce qu’on était deux à faire cet accompagnement, et voilà qu’elle me laisse tomber comme une vieille chaussette…

« On a rendez-vous au Mac Do du Pan African Mall, tu te gares devant, ne t’inquiètes pas, c’est safe, c’est gardé ! Tu connais le Pan African Mall ?

– Non 

– C’est juste dans la rue qui part du pont sur Louis Botha tu vois ? Tu ne peux pas louper le Mac Do, il est juste au coin !

– Non, je ne vois pas, mais je vais regarder sur Internet.

– Alors le mieux, c’est que tu les retrouves là-bas, tu t’assures qu’ils sont tous là, je t’envoie la liste de tous ceux qui sont inscrits sur ton portable, hein et puis (elle dit et pouis, avec son petit accent belge) après, tu prends ceux que tu peux dans ta voiture et tu mets les autres dans un taxi collectif. C’est onze rands par personne. Il faut que tu aies du cash. Après tu prends la note et je te rembourserai. J’arrive dès que je peux, mais comme le rendez-vous est à dix heures à GIBBS…

– OK ! Je me mets en route !

– Merci hein !

– Mais comment je saurais dans quel taxi les mettre ?

– Tu demandes aux jeunes, il y en a bien un qui saura ! L’arrêt c’est l’intersection entre Corlett et Oxford à Illovo !

– Bon, on se débrouillera. »

Je raccroche, furibarde. Encore un de ces plans foireux à la Véro. Et en plus, elle n’est même pas capable de changer une roue. Typique ! Je finis mon thé à la hâte, rassemble quelques affaires et sors. Je branche le GPS dans la voiture, et étudie l’itinéraire. Pas de problème pour aller jusqu’à Louis Botha, mais il y a les travaux de Rhea Vaya qui perturbent la circulation dans ce quartier limite du township où il est recommandé de ne pas s’attarder.

Véro avait raison. Le trajet est assez simple. Ce qu’elle ne m’a pas expliqué en revanche, et ce que je ne sais pas parce que je fais toujours demi-tour sur ce pont, c’est qu’à peine rentrée dans Alex, à la lisière du township et à l’approche du mall – qui n’a de commun avec les centres commerciaux des beaux quartiers que le nom- c’est juste un enfer de circulation. J’ai la seule voiture récente de toute la rue. Nous sommes coincés, pare-choc contre pare-choc, les uns derrière les autres. Les conducteurs jouent de l’avertisseur, brandissent leur poing en dehors des portières, s’interpellent, s’invectivent. Les piétons traversent n’importe où, exploitant les moindres inserstices entre les voitures. Les vendeurs de journaux, de porte-vignette d’assurance à coller sur les pare-brise, de chargeurs de portables de voiture, circulent entre les files, faisant des petits signes interrogateurs avec leurs mains.

Les minibus, ces trompe-la-mort notoires, poussent tout le monde, doublent par les trottoirs, insultent, injurient. Evidemment, le GPS me fait tourner un poil trop tôt. Je longe un bloc de béton au trottoir défoncé, envahi par les vendeurs à la sauvette. Il y a des piétons partout, et des taxis cahotants qui surgissent d’une rampe sur le côté. C’est l’arrière du centre commercial. Pas vraiment de signalisation d’entrée quelconque d’un parking. J’évalue mes chances de faire le tour du pâté de maisons. La rue se perd plus loin dans un nuage poussiéreux… Il vaut mieux faire demi-tour. J’arrive à mes fins moyennant des sueurs froides, dans l’anarchie piétonnière et la circulation des minibus aux accélérations aussi brutales qu’imprévisibles, lâchant des panaches de fumée noire et malodorante aux malchanceux ayant le malheur d’atterrir derrière eux.

J’éteins la radio qui diffuse des tubes sirupeux des années 80 pour me concentrer sur mon insertion dans un flots de véhicules hors d’âge aux couleurs passées et aux ailes froissées. Le virage à gauche va être compliqué. Clameurs et klaxons. Basses et sons de rap ou de Kwaïto sortant de voitures voisines. J’essaie d’interpréter les signes des voitures venant de la gauche, vont-elles me couper la route ? me laisser passer ? Puis celles venant de la droite, après le taxi, là ! J’apprécie le fait d’avoir une boîte de vitesse automatique, typiquement le genre de situations où je pourrais me chamailler avec une pédale d’embrayage. Allez, c’est bon, je suis enfin dans le flux de l’artère principale. Ouf, c’est la prochaine à gauche…  

Evidemment, les feux de circulations ne fonctionnent pas… ça bloque. Les sons des radios transpercent les habitacles. Devant moi une vieille Mercedes bicolore arbore sur son pare-choc que « Dieu est mon Berger ». Sa voisine, une Corolla vintage, affiche plus discrètement “Isaïe 28 :12″… Je ne sais pas où est Dieu en ce moment mais je ne verrai pas d’inconvénient à ce qu’il se réincarne en agent de la circulation… ça n’avance toujours pas. Arrivée à la même conclusion, une mama vénérable au doek impeccablement noué sur son crâne, jupe et pull en laine, petit sac en simili-cuir au creux du coude, sort du côté passager de la Mercedes et entreprend de finir sa route à pied. Devant le flux ininterrompu de taxi à l’intersection, les voitures de la file de droite se rabattent sur nous pour avoir une chance de tourner… C’est donc ça ! Nous avançons au compte-goutte. Quelques mètres à chaque fois. J’essaie de ne pas trop penser au risque du quidam braquant sur moi son arme pour me piquer ma voiture – peu probable, avec toute la circulation il n’a aucune chance de l’extirper rapidement pour s’enfuir avec- mon sac ou mon téléphone portable. J’ai juste l’argent du taxi, pas très rentable. Enfin, j’arrive à m’engager dans la rue adjacente et entrer sur le parking. Je jette un coup d’œil à mon téléphone. Un message de Véro triomphante : « ça y est, j’ai réussi à faire changer mon pneu, j’arrive, fais l’appel en attendant ! ».

Je repère nos jeunes étalés autour des tables à pique-nique devant le Mac Do. J’en reconnais quelques-uns. Les trois mentees rigoureusement semblables d’Amandine discutent avec Nkateko et le beau Jack, un grand gars à la mâchoire carrée et au sourire ravageur, le chouchou de toutes les filles du programme. Comme tous les jeunes de la planète ils ont adopté l’uniforme lycéen : jean dans toutes les variantes possibles. Décoré de dripping de peinture pour les triplettes. Lacéré au genou pour Nkateko. T-shirt simple ou signé d’une grande marque de sport. Ou portant un message humoristique : « pretty good at bad decisions ». Pull ou sweat shirt, baskets. Seul Jack a fait fi du dressing code, bermuda blanc et t-shirt rayé. Nkateko vient me faire un hug, avec un grand sourire. Elle a l’air contente de me voir. C’est au moins ça. « Tu rassembles tout le monde, je vais faire l’appel ? » « Il y en a  qui sont partis dans le mall ! » « Tu essaies de les récupérer ? » Elle dit quelques mots aux triplettes en zoulou et part les chercher.

Je sors précautionneusement mon téléphone de mon sac. J’ai renoncé aux iPhones, trop onéreux et convoités. Je télécharge la liste. Je fais l’appel. Ouf, ils sont tous là. Ils bavardent bruyamment, et plaisantent entre eux. C’est une première pour eux ce stage d’entrepreneuriat. Je leur dis qu’ils ont de la chance, que ceux de l’année dernière ont beaucoup aimé. Que cela se passe dans un superbe endroit qui leur donnera un avant-goût de la vie à l’université. Ils chahutent un peu. Un vigile s’approche et nous demande de libérer les tables. Je lui fais valoir que nous allons bientôt partir, que les jeunes vont faire un stage pour lequel je suis leur accompagnatrice, et qu’à cette heure-ci, il n’y a pas grand monde au Mac Do. Il consulte des yeux le gestionnaire du restaurant, à l’intérieur de son local. « D’accord, mais pas plus de dix minutes hein ? ». J’enjoins les jeunes à ne pas trop faire de bruit et vois avec soulagement arriver la petite Renault de Véro.

« Ouf, ça a été chaud » me dit-elle.

« En effet !

– Ils sont tous là ?

– Oui.

– Bon tu peux en prendre combien dans ta voiture ?

– J’ai quatre places.

– OK, donc quatre avec moi, quatre avec toi, ça nous en fait douze à mettre dans le taxi ! On n’a qu’à leur dire de mettre leurs sacs dans les voitures pour qu’ils soient moins encombrés ».

Elle s’adresse aux jeunes : « Hello, hello, écoutez-moi !

– Hello miss Véro ! Ils ont une certaine tendresse pour elle, cela se voit dans leurs sourires.

– Vous mettez vos sacs dans les voitures, quatre monteront avec moi, et quatre avec Bénédicte d’accord ? Les autres vous irez en taxi ! »

Ils acquiescent. Nkateko se range à côté de moi. Trois garçons nous suivent, dont un jeune qui répond au nom biblique de Moses et qui a l’air d’avoir douze ans. Nous entassons les sacs dans le coffre. « OK dit Véro, maintenant, aux taxis ! ». Il faut monter au premier étage du mall. Nous commençons par nous perdre au rez-de-chaussée, dans un couloir un peu tristounet, essentiellement des échoppes vendant des marchandises chinoises bon marché. A part une ou deux enseignes de téléphonie mobile, je ne reconnais pas les marques. Aucune des franchises locales ou internationales qu’on trouve dans les centres des quartiers blancs n’est présente. Véro s’aperçoit de sa méprise et fait demi-tour, coachée par une lycéenne, elle retrouve le chemin des escalators. Triomphante, je la vois se retourner sur l’escalator pour vérifier que tout le monde suit, telle une mère cane avec sa couvée de canetons. Je ferme la marche.

Sous une immense halle abritée par un toit en béton sont alignés des centaines de minibus le long de rangées organisées. Une odeur de diesel et de poussière flotte sur la gare routière. Brouhaha et bruits de moteurs. Nous nous faisons balader, cohorte maladroite dans les trajectoires des habitués. Enfin nous trouvons la bonne file. Pour Illovo ? C’est par là ! nous indique un chauffeur moins rugueux que les autres. Nos jeunes commencent à embarquer dans le premier taxi, puis se font refouler. Ils sont trop nombreux, il faut prendre le suivant râle le conducteur. Nous nous dirigeons vers celui d’après. L’argent change de main. Véro s’assure que tous sont montés à bord. « Tu es là Jack ? OK vous descendez à Illovo, intersection Corlett et Oxford OK ? On se retrouve là-bas ! ». Véro demande un reçu au conducteur que ça a l’air d’ennuyer passablement. Mais il s’exécute, sortant un carnet et un stylo bille au bout mâchouillé. Les autres passagers regardent mi-amusés, mi-ennuyés notre troupe de jeunes, menée par deux mamas blanches un peu paumées.

« Bon, aux voitures maintenant ! On se retrouve à GIBBS, tu sais où c’est ?

-Oui, c’est à côté de la maison ! »

Happy Heritage Day!

Le dernier week-end de septembre et premier week-end d’automne marque pour nous, pauvres habitants d’un hémisphère nord, le début de cette période douce-amère où les jours raccourcissent, où les feuilles mortes se ramassent au râteau, et où les frimas vont bientôt rallonger les jupes. En Afrique du Sud c’est un des congés les plus populaires. D’ailleurs, mes amis expats inondent depuis samedi leur fils FB de photos d’endroits les plus sublimes les uns que les autres où ils sont partis pour le week-end prolongé. Safaris dans une des nombreuses réserves, exploration des montagnes du Lesotho, randonnée dans le Drakensberg ou sur la Montagne de la Table, c’est le printemps  au bout de l’Afrique. On y fête “Heritage Day”, l’un des premiers congés créés dans ‘la nouvelle Afrique du Sud’ par le gouvernement de l’ANC: pour célébrer dignement tous les héritages et traditions culturels de la toute nouvelle ‘nation arc-en-ciel’.

Le jour choisi, le 24 septembre, marquait jusqu’en 1994 pour les zoulous la célébration du guerrier le plus remarquable de leur histoire, le roi Shaka. Shaka,c’est le créateur de la tribu des amaZulus (fils du ciel), unifiant par la lance et la terreur des peuples jusqu’alors divisés. C’est un peu le Napoléon des zoulous, mais un Napoléon qui aurait eu pour habitude d’éliminer ses concurrents (dès qu’un guerrier devenait trop puissant, il l’expédiait rejoindre ses ancêtres) et ses héritiers (mâles) pour éviter les mauvaises surprises*. Un type pas très recommandable en quelque sorte mais qui a donné son nom à l’aéroport de Durban et est révéré par une partie de la population.

L’objectif de ce jour férié n’est pas uniquement de donner l’occasion aux sud-africains les plus favorisés de profiter du premier pont de la belle saison (et oui, ce n’est pas une tradition uniquement française!) et d’aller donc se mettre au vert sous un soleil reprenant de la vigueur. Dans les écoles, les entreprises, les gens sont encouragés à venir, autour d’Heritage Day, dans un costume, ou avec des accessoires, rappelant sa culture d’origine, dans une société où toutes ont/auraient désormais autant droit de cité. Ainsi, c’est assez amusant de se promener dans Sandton, la veille d’Heritage Day et de voir se côtoyer des coiffes aux couleurs vives, jupes et colliers en perles zouloues, des couvertures sotho, des ceintures et des tour de cou ndébélé, et autres accessoires surprenants dans ce lieu où prédominent plutôt les tailleurs de couleurs sombres le reste de l’année. L’objectif est de célébrer (toutes) les cultures sud-africaines dans leur diversité, et leur égale dignité. Les non sud-africains peuvent aussi venir au bureau avec un chapeau chinois ou tyrolien, un béret basque, un canotier, un ao-dai ou un boubou…

De fait cette journée met en évidence le fait que la norme vestimentaire dans la vie quotidienne est massivement occidentale. Mises à part quelques notes folkloriques, l’accoutrement des personnes d’origine occidentale ce jour-là diffère peu de celui des autres jours. Une sud-africaine d’origine anglaise mariée à un afrikaner me résumait ainsi le dilemme de sa fille adolescente: quelle tenue arborer pour Heritage Day en remplacement de l’uniforme règlementaire de son école? Le jersey des Springboks? Pas franchement différent de la tenue de week-end des fans de rugby, le costume puritain des boers du Grand Trek? Outre le manque de praticité de l’ensemble, les manifestations de fierté afrikaner sont toujours sujettes à caution et pourraient laisser supposer une nostalgie de l’apartheid de mauvais aloi…

Heritage Day donne de la visibilité à l’héritage africain, si longtemps étouffé pendant l’apartheid, j’en ai parlé ici. Mais dans quelle mesure sert-il à la réconciliation des communautés? A leur envie de former une seule nation? Leur permet t’il de réactiver une envie de vivre ensemble et de construire une société plus juste pour tous? Mettre l’accent sur le respect des particularités des traditions de chacun n’est-ce pas renforcer les divisions?

C’est un programme louable et compliqué que de célébrer l’unité dans la diversité, de fusionner sans effacer, de laisser cohabiter les richesses culturelles de tous sans risquer la sécession. C’est aussi un programme trop ambitieux pour se décliner un seul jour dans l’année. Dans l’ Afrique du Sud contemporaine des individus et des collectifs, notamment dans la société civile s’y essayent et font émerger des initiatives merveilleuses qui construisent des ponts entre les sud-africains. Des artistes avec humour ou poésie essayent de bricoler une projection de ce que pourrait être la nouvelle Afrique du Sud, comme celui qui a fait recouvrir de perles (artisanat vernaculaire) ce véhicule blindé symbole de la brutalité du régime précédent dans les townships, comme Nandipha Mntambo plasticienne/sculptrice déjà évoquée dans ce blog.

Sur ce, je vous laisse avec une vidéo trouvée sur Twitter ce matin, prise vraisemblablement dans le vieux “central business district” de Johannesburg et qui, je l’espère, n’est pas une allégorie de la réconciliation sud-africaine…

  • Cf le roman éponyme de Thomas Mofolo

Molefe, Mo le fait pas?

Le dernier hashtag à la mode sur les réseaux sociaux sud-africains ces deux dernières semaines, c’est #lifeofbrian . On y trouve un nombre de tweets souvent assez comique sur une situation politique qui n’incline pas à la mélancolie…

Nous avons laissé Brian Molefe, en novembre dernier, après la publication du rapport sur la “State Capture”, pleurant en conférence de presse, et inventant un “shebeen” à Saxonwold (lieu de résidence des Gupta) où il aurait passé du temps, à l’insu de sa femme. Un peu éclaboussé par le scandale, il décidait quelques jours après la parution du rapport, de donner sa démission, pour ne pas nuire à la réputation et au bon fonctionnement d’Eskom (également surnommée Eishkom), la compagnie publique d’électricité. Cette attitude avait été saluée comme un exemple de responsabilité, dans un pays qui n’y est guère habitué (relire les précédents posts).

En janvier dernier, Brian Molefe refaisait parler de lui alors que l’ANC du North West était en ébullition puisque Papa Zuma avait demandé à un des parlementaires de cette province de démissionner pour laisser sa place au pauvre Brian, privé de moyen de subsistance depuis sa démission (enfin presque puisqu’il devait toucher comme bonus de départ 30 millions de rands comme retraite anticipée). Brian devint donc parlementaire, et nombre de pronostiqueurs se virent fort surpris lorsqu’il ne décrocha pas le ministère des finances au moment du houleux remaniement qui coûta son poste à Pravin Gordhan et précipita la dette de l’Etat sud-africain au statut de junk bond. Quelques cadres de l’ANC auraient émis (pour une fois) quelques réserves.

Voilà donc Brian Molefe, prêtant serment devant Mbaleka Mbete, numéro un du parlement en janvier, frais et dispo comme un écolier lors de la rentrée des classes. Tout semble rentré dans l’ordre quand soudain, le 12 mai dernier, nouveau coup de théâtre, Brian Molefe démissionne du parlement pour reprendre sa place chez Eskom, tranquille, comme si rien ne s’était passé. La nouvelle ne passe pas inaperçue. Quelles mouches ont piqué Brian et ses amis du conseils d’administration de la compagnie d’électricité? Quel sont les motifs d’un tel revirement? Monsieur de la Rochefoucauld (non pas Maxime, l’autre!) l’avait bien dit: “c’est l’intérêt qui guide le monde”. Tout est (bien sûr) une histoire de gros sous…

Parmi les explications successives et embrouillées de Brian, d’Eishkom et de Lynn Brown, ministre des entreprises publiques, quelques pistes. Brian Molefe avait démissionné, pour “ne pas nuire à la gouvernance” de l’entreprise publique, pensant faire jouer la clause de retraite anticipée qui lui assurait un versement confortable de 30 millions de rands (environ 2 millions d’Euros) malgré les seulement dix-huit mois qu’il avait passé à la tête de l’entreprise publique. Las. Il n’avait pas assez bien lu son contrat. Il ne remplissait pas les conditions d’âge pour la retraite anticipée. Brian n’entendait pas pour autant renoncer au pactole (sans blague: honnête et fauché, c’est pas franchement une position enviable dans ce pays).

Il a donc engagé des discussions avec le conseil d’administration, qui avait justement du mal à le remplacer, bien qu’ayant rendu publique (comme exigé par la loi) la vacance de poste et recherché activement un successeur. Le faisant office de CEO était récemment embourbé dans une affaire de favoritisme, de contrats accordés pour une somme dépassant le milliard (!) de rands à une société dont il ignorait que sa belle-fille était mandataire sociale. Bref, début mai, les discussions aboutissent à la démission surprise du Parlement et, le 15 mai à la réinstallation de Molefe dans le fauteuil qu’il avait quitté six mois auparavant. Il est accueilli en véritable rock star au siège d’Eish!kom  lors de son retour… Vous imaginez Jean-Bernard Levy qui serait allé faire un tour ailleurs pendant six mois, accueilli comme ça Avenue de Wagram?

Malheureusement pour lui, ce retour au bercail n’est pas passé inaperçu. La ministre Lynn Brown a été convoquée à Luthuli House (le siège de l’ANC) pour s’expliquer devant les autorités du Parti sur cette décision, qui si elle arrange les affaires de Zuma et de ses amis Gupta, notamment sur le deal portant sur la construction d’une centrale nucléaire a rencontré des réticences chez les non guptaphiles. L’opposition a déposé le 15 mai devant la Haute Cour de justice du Gauteng une interdiction du retour de Molefe aux manettes d’Eskom. La ministre des entreprises publiques a vaguement toussé que, comme le package départ anticipé à la retraite ne fonctionnait pas, il était bien moins coûteux pour l’entreprise publique de réinstituer l’impétrant que de lui payer, sur les deniers de l’entreprise (puisque le fond de pension avait refusé la demande) les 30 millions de rands auxquels il estimait avoir droit. Cette explication n’étant pas suffisante, l’impétrant ajoutait qu’en fait, il n’avait pas vraiment démissionné, mais pris des congés sans solde. Congés pendant lesquels, bien sûr, il avait trouvé amusant de se faire nommer au parlement. L’ennui c’est qu’on ne peut pas être à la fois parlementaire et détenir un poste dans une société publique… Bref un imbroglio qui a connu un nouvel épisode hier (le 23 mai) en attendant la décision de la Haute Cour, avec une commission parlementaire ad hoc réunie pour entendre les explications de la ministre très surprise par le niveau d’hostilité rencontré par cette décision… Inutile de dire que la ministre n’a pas convaincu ses contradicteurs, au premier rang desquels l’ex-ministre des finances Pravin Gordhan, du bien fondé de sa décision.

Seul l’avenir (et la Haute Cour) nous dira si Brian Molefe peut légalement reprendre le chemin de son bureau (et prétendre aux gratifications salariales qui vont avec). On n’est pas à l’abri d’un énième retournement de situation, mais les tensions au sein de l’ANC et les passes d’armes pour la succession de uBaba Zuma laissent présager une fin d’année agitée…

Bref, je suis allée au WEF…

La semaine dernière se tenait à Durban la version pour l’Afrique du World Economic Forum. N’écoutant que mon courage et l’intérêt de mon lectorat, et aussi la possibilité d’avoir un premier aperçu de cette grande cité portuaire qu’est l’ex-Port Natal, je me suis décidée à y faire un tour. Ces fora (c’est le pluriel de forum pour les béotiens ou ceux qui auraient oublié leur latin), ces fora donc, se sont beaucoup développés partout dans le monde ces dernières années et il me paraissait que je pourrai peut-être y glaner des informations inédites. Le thème de cette année était: “Achieving Inclusive Growth”.

Quels sont les enseignements que j’ai tirés de cette escapade de vingt quatre heures? (moins que le président Zuma ou son ministre des finances, ou même Robert Mugabe, qui sont restés les trois jours!!!)

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Sur la forme: une mise en scène particulièrement efficace des pouvoirs politiques, civils et économiques

C’est la seconde ou troisième fois que je viens dans ce genre de manifestation et j’y suis fascinée par le professionnalisme de l’organisation. Tout de même rassembler sur trois jours une grande partie des chefs d’Etats et ministres des gouvernements africains pour les faire dialoguer avec les grands acteurs économiques internationaux et les grandes ONG, c’est en soi un exploit. Le Centre des Congrès Chief Albert Luthuli (un des quatre prix Nobels sud-africains, mais si!) était presque protégé comme Fort Knox. Grilles sur tout le périmètre, policiers en armes, compagnies de sécurité privées à l’intérieur, portiques et détecteurs de métaux à l’entrée de l’hôtel Hilton et du Convention Center. Contrôle électronique des cartes d’accès, donnant la possibilité d’entrée dans les différentes zones. Installation dans les couloirs des coins medias avec journalistes armés de caméras et de micros. Sans compter une partie spectacle assurée par des zoulous en costumes traditionnels venant sonner régulièrement de la trompe devant l’entrée de la salle plénière. C’était quand même impressionnant pour moi de croiser, en chair et en os ces politiques et ces personnalités connues via les chaînes d’information ou les réseaux sociaux. “Tu as vu? C’est Macky Sall?”. “Tu savais toi que Forrest Whitaker était investi dans l’éducation?”. “Mais c’est Cyril Ramaphosa!”. Hélas, au grand dam de mon chauffeur de Uber, je n’ai réussi à apercevoir ni Jacob Zuma (il faut dire que j’ai séché le dîner culturel où il a fini en dansant), ni Bob Mugabe (qui fermera les yeux sur cette familiarité).

Sur le fond: rien de nouveau sous le soleil

Les trois jours étaient rythmés par des discussions et des séances pleinières, avec des thèmes aussi variés (et alléchants) que: la croissance, le leadership, les migrations, le chômage, la corruption, l’éducation, la recherche, les ressources naturelles, le digital, les systèmes de soins, les inégalités… De quoi se cultiver et donner de la visibilité aux activités et aux centres d’intérêt des grands sponsors du forum. Pour avoir suivi deux plénières et deux sessions, je dois avouer que je n’y ai pas appris grand chose, ni les questions, ni les réponses n’étaient nouvelles, mais j’ai quand même eu l’occasion de ricaner. Et ma foi, de temps en temps, ça détend.

Quand par exemple Robert Mugabe, les yeux ouverts (non, il ne dort pas! Il ferme les yeux pour les protéger de la lumière!) affirmait sans sourciller que le Zimbabwe était le second pays le plus prospère du continent après l’Afrique du Sud. Je ne sais pas si c’était avant qu’Eskom menace de couper sa fourniture d’électricité au Zimbabwe pour cause de factures impayées. J’ai eu le plaisir de voir en “live” notre nouveau ministre des finances, l’élégant Malusi Gigaba, qui jouait la carte de la confiance en l’avenir et donnait aux représentants de l’économie mondiale présents l’assurance d’une stabilité du pays et des structures économiques qui allaient à l’encontre des proclamations faites en interne de recherche de Radical Economic Transformation.

Et j’ai bien rigolé aussi quand, dans la session sur les systèmes de santé, le ministre de la santé a dit que son objectif était de créer un système universel de santé en Afrique du Sud. Compte-tenu de l’état du système public actuel avec des hôpitaux bondés au personnel exténué, et la dégradation de la note de la dette souveraine du pays qui va rendre difficile le financement du projet. Quant au devenir des actuels bénéficiaires de plans de santé privés, le ministre ne semblait pas avoir de doute qu’ils rejoindraient sans arrière pensée le système public… J’ai aussi bien ri, mais je suis mauvaise, quand des représentants d’industries pharmaceutiques étaient représentés, au côté d’ONG et de politiques, expliquant comment résoudre tous ces problèmes et jurant la main sur le coeur qu’ils participaient au développement du continent sans la moindre arrière pensée. L’Afrique ne connaît elle pas une croissance démographique qui garantit les débouchés d’un grand nombre de produits? C’est ce qu’on appelle du gagnant-gagnant!

J’étais carrément hilare quand ce grand tiers-mondiste reconnu qu’est Wolfgang Schäuble (ministre fédéral des finances allemand NDLR), à l’issue de ce qui ressemblait quand même à un “crash course” d’économie pour le ministre des finances sud-africain Gigaba: “si vous voulez gagner ces points de croissance qui permettront d’assurer l’avenir de votre pays, il faut que vous vous engagiez à une certaine stabilité, un leadership engagé et responsable”. Le génial Schäuble a ensuite proposé rien de moins qu’une “conférence de Berlin”* pour réfléchir sur la refondation de l’économie du continent.

En fait: une superbe plateforme pour réseauter

Bref, de l’avis de ceux que j’ai pu interroger sur ce qu’ils retiendraient de ce forum, le grand intérêt de ce genre d’évènement, c’est de fournir les carnets d’adresse et les répertoires de cartes de visite. C’est aussi un excellent moyen de rencontrer ceux qui comptent dans la politique et l’économie du continent, de prendre contact, de les jauger, d’être catalogué dans “ceux qui en étaient”. Une question d’affirmer son statut? L’important, c’est ce qui se passait dans les salles bilatérales, ou autour de cafés, ce que vous ne lirez dans aucun compte-rendu. Finalement, le WEF est au niveau mondial ce qu”étaient l’Opéra ou le théâtre à Paris pour la France du XIXème siècle: il fallait en être et y être vu, quelle que soit la qualité de la pièce qu’on y jouait.

Pour ma part, j’ai retenu un chiffre: du fait de son dynamisme démographique, le continent africain doit créer vingt millions d’emplois par an jusqu’à 2020 pour répondre à la demande des entrants sur le marché (qui est déjà loin du plein emploi). Les systèmes éducatifs en place sont loin d’avoir absorbé en quantité et en qualité les besoins de cette jeunesse. Pas sûr que ce soit un facteur apaisant pour les troubles divers dans les universités du continent.

Une dernière anecdote: je suis allée assister à une session sur l’éducation où un certain nombre d’organismes présentaient les solutions qu’ils proposaient pour augmenter le taux d’alphabétisation et d’éducation. Le panel était assez hétéroclite. Il y avait une productrice proposant des vidéos éducatives, un représentant d’une société indienne proposant le sous-titrage de programmes télé populaires pour accroître l’alphabétisation des adultes et leur permettre de lire le journal par exemple. Une représentante des écoles Bridge, des écoles low-cost financées notamment par Mark Zuckerberg. Personne ne s’est permis d’évoquer les ennuis de cet organisme au Kenya et en Ouganda où des jugements leur ont ordonné de plier bagage. Il y avait également un représentant du Boston Consulting Group racontant la mission qu’ils avaient faites pour le gouvernement d’une des provinces indiennes et qui avait amélioré sensiblement les scores des élèves des écoles publiques. Ce qui m’a marquée c’est la présence dans l’assistance du vice-président Cyrille Ramaphosa, et ce d’autant plus que dans son discours de clôture il mentionnait l’éducation des jeunes comme une des priorités des gouvernements africains. Personnellement, j’ai apprécié…

*Pour les plus jeunes ou les plus vieux d’entre nous, pour les étourdis et ceux qui ont tout oublié, c’est par la “Conférence de Berlin” de 1884-1885 que tout a commencé. Elle est un peu considérée comme le péché originel de la colonisation européenne de l’Afrique.

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Elsie Mhlope et le Durban Gospel Choir en clôture du World Economic Forum