Splendeurs et misères des Cendrillons africaines des podiums…

Je ne décolère pas depuis que j’ai lu l’enquête du Sunday Times sur les ratés du recrutement de mannequins pour des défilés de mode dans des camps de réfugiés kenyans. Vous m’objecterez qu’en comparaison de la guerre en Ukraine et des massacres du 7 octobre 2023 en Israël et des opérations militaires à venir, on n’est pas au même niveau d’abomination, mais le cynisme et l’absence de conscience des acteurs de cette sinistre farce me révulsent.

C’est l’histoire de jeunes filles qui rêvent de s’échapper du campus de réfugiés où les sursauts politiques qui minent leurs pays les ont envoyées. Dans la morne réalité des camps, s’évader, recommencer une autre vie, pourvoir aux besoins vitaux de leur famille, sortir de la misère est un espoir que chacune caresse. Alors, lorsque se présente l’occasion, comment refuser? C’est l’histoire d’escrocs sans scrupules appelés « pisteurs » dépêchés par les plus grandes agences qui sont allés les y chercher, empochant leur commission au passage, leur faisant miroiter monts et merveilles, pour les y renvoyer, quelques mois ou semaines plus tard, sans un sou et endettées jusqu’au cou. Adieu chiffons, podiums et carrières internationales au sommet, adieu palaces et coachs aux petits soins. Bonjour tristesse et remords…

Il est vrai que les podiums des « fashion weeks », ces grand-messes bisannuelles des maisons de mode internationales, pèchent depuis longtemps par le manque de diversité dans les défilés. On y aperçoit des mannequins jeunes, longilignes et très majoritairement blanches, le milieu de la mode ayant fleuri depuis des bases largement européennes depuis un siècle.

Exceptées Imane Bowie ou Naomi Campbell, dans les années 1990, les héroïnes des podiums et des magazines luxueux sur papier glacé ne brillent pas par leur taux de mélanine. Ni d’ailleurs par leur âge, leur corpulence, etc. On peut afficher sur des T-shirts « we are all feminists », « I’m black and I’m proud », « Black Lives Matter », mais il y a un moment où l’on ne peut faire illusion.

Les marques de beauté font appel à un réservoir d’actrices de cinémas ou de séries télévisées, diversifiant les critères de beauté. Pour les podiums, l’équation se présente autrement. La taille requise, un 34-36 pour une hauteur minimale d’1,70 mètres implique un IMC bien inférieur aux moyennes constatées dans le monde occidental qui se remplume à mesure que les hobbys de la jeunesse se restreignent à la navigation sur Internet. Il y a bien un vivier dans les ex-pays de l’est, mais les beautés slaves renforcent les stéréotypes européens. Il fallait donc aller chercher les perles rares à la source, en Afrique de l’Est, berceau des civilisations humaines et dont une part des ethnies présentent des caractéristiques proches de celles recherchées : grande taille, maigreur et pommettes hautes… d’ailleurs, l’une des grandes histoires à succès des podiums de ces dernières années n’est elle pas une ancienne réfugiée ?

Des petits malins se sont lancés à la poursuite de la perle rare. Hélas, l’expérience fut loin d’être concluante, comme le rapporte la journaliste (?) du Sunday Times. Le job du pisteur, c’est de repérer, mais ce n’est pas une garantie d’emploi. Les billets d’avion, l’hébergement, les frais sont avancés par des agents qui comptent se rembourser sur les futurs gains des mannequins. Dans le cas des jeunes réfugiées, plusieurs n’ont pas réussi à décrocher de contrat. Projetées dans un monde dont elles ignorent tous les codes, elles ont échoué. Certaines ont fait quelques essais mais ont été vite renvoyées chez elles. Le beau conte de fée était en toc, et elles sont retournées dans leur camp, espoirs brisés, endettées envers les agents qui leur avaient fait miroiter monts et merveilles. Après tout, c’est moins grave que ces petites filles pré pubères mariées à des adultes dans les,camps syriens il y a quelques années pour soulager les familles d’une bouche à nourrir, non?

La cupidité guide le monde, ce n’est pas une surprise. Mais quand elle s’exerce aux dépends des plus défavorisées, elle devient intolérable. Dans quelle tête a bien pu germer l’idée d’aller recruter des futures top modèles dans des camps de réfugiés en Afrique? Quel cerveau tordu a conçu qu’extraire des jeunes filles d’un camp au Kenya, pour les lancer sur les podiums des fashion weeks européennes et américaines n’était pas voué à l’échec? Comment ne pas anticiper que l’expérience comportait plus de risques que de possibilités de succès pour ces jeunes femmes ? Et que pour elles, le coût en serait d’autant plus douloureux?

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