Chronique d’un retour d’Egypte…

Que faire (littérairement) de nos voyages? titre un atelier d’écriture auquel j’aurais voulu assister à l’école des Mots. A défaut, plutôt que de vous monter un diaporama de mes meilleurs selfies, où un assemblage photo animé couvert d’étoiles et de points d’exclamations, “shuba, pah, plop wizz!”, je couche ici quelques impressions, avant que ma mémoire de poisson rouge ne les efface.

De ce récent voyage en Egypte, maintes fois planifié, et maintes fois reporté, je retiens d’abord un pur émerveillement. Emerveillement devant les monuments, temples, tombeaux et pyramides, traces de cette civilisation, cinq fois millénaire, qui a produit autant de beauté. Que d’ingéniosité technique pour édifier ces témoignages de la grandeur de leur époque et de leur peuple! Emerveillement devant ce miracle qu’est le Nil, qui traverse le pays des frontières du Soudan à la Méditerranée pourvoyant 97% des besoins en eau de la centaine de millions d’Egyptiens. Là où s’arrêtent les canaux de dérivation du Nil, s’arrêtent les terres cultivées, et commence l’immensité du désert, recouvrant 95% du territoire. Emerveillement devant l’intensité des couleurs, sous ce ciel pur des contrées désertiques.

J’ai craint d’être blasée. “Moi mes souliers ont beaucoup voyagé”, comme chante le poète. Des ruines d’Angkor aux volcans du Costa Rica, des chutes du Zambèze, aux portes de la Corrèze. Et puis, les musées occidentaux ne regorgent-ils pas de départements d’antiquités égyptiennes? J’ai écumé ceux du British Museum, du Louvre, du Museum of Fine Arts de Boston, du Metropolitan Museum à New York-où a été reconstitué le temple de Dendur, l’un de ces temples voués à être enfouis dans les eaux du lac Nasser au moment de la construction du barrage. L’Egypte a offert à chaque pays participant au sauvetage d’Abou Simbel, un des temples destinés aux profondeurs.

La muséographie occidentale sublime, dit-on, les collections. Pourtant, rien n’est plus émouvant que de prendre la dimension de ces monuments dans leur environnement d’origine. Même pour des monuments comme Abou Simbel et Philae qui ont dû être déplacés pour échapper à la submersion lors de la construction du grand barrage. La réalité dépasse toujours la représentation, quelle qu’en soit la qualité*. J’ai été envahie, à la vue de ces merveilles, d’un sentiment profond d’admiration, de respect et de révérence, et contrariée des manifestations intempestives d’enthousiastes flasheurs/slasheurs de tombes.

J’aurais voulu pouvoir prendre plus de temps pour absorber la multitude de sensations devant le gigantisme de certaines pièces. Ah, la salle aux centaines de de colonnes aux chapiteaux ouvragés de Karnak! La précision des sculptures comptant les exploits des commanditaires ornant les murs des temples ou des tombeaux. La délicieuse sensation d’être face à de multiples énigmes. Quel est ce cartouche déjà? Celui de Nepthys ou celui Isis? Elles se ressemblent tellement! Comment s’appelle le dieu à tête de crocodile? A l’égal des vitraux de nos cathédrales qui demandent du temps et de la concentration à déchiffrer le message principal de ce “cathéchisme en images”, les fresques des monuments égyptiens sont des livres ouverts sur des centaines d’histoires.

Il faudrait pouvoir s’asseoir, choisir un mur et suspendre le temps. Pas toujours simple. Avant d’être délogé bruyamment par des chasseurs de selfies, on s’ébahit de certains éléments gravés ou sculptés sur les murs, de certaines poses, de certains détails, l’attitude d’un petit chien, une représentation d’Isis allaitant Horus, qui préfigure nos représentations de madonne à l’enfant. Une brochette d’esclaves sous le joug d’un pharaon, dont la représentation trahit les origines variées. Crâne rasé pour les nubiens, barbes et cheveux bouclés pour les syriens… La trousse d’instruments du chirurgien, avec ciseaux et scalpels de différentes tailles. Le tabouret d’accouchement des égyptiennes de l’antiquité. Les restes de couleurs sur les ailes des vautours protégeant un plafond. Les ciels de nuit étoilés de certaines salles à Edfou.

De mes manuels d’histoire sur l’antiquité égyptienne j’avais gardé une certaine méfiance de l’Egypte Ptolémaïque trop métissée de culture grecque et suspecte de dilution. Je ne sais pas si les égyptologues tiennent encore ce discours. J’ai beaucoup aimé les temples ptolémaïques, Philae, Kom Ombo et Edfou, plus récents et mieux conservés. La qualité des sculptures y est incomparable. Et puis, comme le disait l’une de nos guides : le peuple égyptien s’est toujours mélangé avec ceux qui venaient, et tant mieux, cela nous a beaucoup apporté, la société égyptienne est forte de ces multiples influences – sauf les turcs s’est elle empressée d’ajouter. Pourquoi? Ce n’est pas clair.

L’Egypte contemporaine est également fascinante à observer. On ne peut ignorer les signes d’un état sécuritaire, même sans avoir lu Alaa el-Aswany. On ne tue pas la poule aux oeufs d’or. Les lieux touristiques sont ostensiblement gardés par des voitures de police, les véhicules blindés légers de l’armée sont présents sur des points stratégiques avec une vigie de permanence sur la tourelle de tir. Les routes sont ponctuées de points de contrôle où il vaut mieux éviter de plaisanter. La mention par le chauffeur de notre nationalité ” faransi!” lui permettait de passer semble-t-il sans avoir à glisser un billet au préposé.

Parcourir les routes égyptiennes, même dans un temps réduit, permet de réaliser l’immensité du défi posé dans la gestion du pays. La construction de cités nouvelles un peu partout tente de répondre à une vitalité démographique qui a fait du pays le troisième pays le plus peuplé d’Afrique, tout comme l’édification de nouvelles écoles ou d’hôpitaux, tous ornés de portraits du président Sisi. La vallée du Nil, entre Assouan et Louxor se densifie, délaissant de plus en plus sa vocation rurale.

Mais les vues restent pittoresques et rappellent par beaucoup d’aspects certaines gravures dans les temples des pharaons. Maisonnettes en briquettes de terre crue, palmiers dattiers et palmiers doum qui délimitent les parcelles, typiques des oasis, sous l’ombre desquels sont plantés légumes et fourrage pour les petits ânes tirant les charrettes des paysans. Petits pains ronds mis à lever à l’extérieur des maisons. Carcasses de boeuf ou de mouton pendues à leur crochet, à l’extérieur des échoppes des bouchers. Amphores en terre privées d’anses reposant sur des tripodes à l’extérieur des maisons rurales pour offrir, à tout moment, de l’eau fraîche aux voyageurs. Un garçonnet montant son âne à cru, rapportant un cylindre de gaz qu’il tient devant lui. Une petite fille sans foulard conduisant une charrette sur laquelle j’aurais bien écrit une histoire. Je l’imagine aînée d’une fratrie de filles qui aide sa mère à gérer la maison familiale, ou petite dernière d’un vieux père, qui ne sait rien lui refuser? Les femmes se font discrètes dans les rues. Sauf celles aux silhouettes d’enfant dissimulées sous des abbayas noires qui mendient au milieu de la route, sur la surélévation d’un ralentisseur, un petit calé sur leur frêle hanche.

Nous avons fini au Caire, ruche poussiéreuse et polluée, dont l’objectif du petit peuple, au-delà de s’entasser dans des minibus Toyota bondés est de soutirer, pour vivre, quelques billets à son prochain. Vendeurs de gauffrettes rondes, de marques-pages signets du Coran, de ballons en forme de coeur pour la Saint-Valentin.

Hébergés près des pyramides dans un complexe préfigurant le Caire de demain, abritant une smart-city pour entrepreneurs cairotes, deux campus universitaires, affichant de ces proverbes en vogue dans les écosystèmes de startupeurs disruptifs du monde entier “keep calm and think win-win”… Nous avons pu apercevoir brièvement le Caire historique en allant visiter le musée de la place Tahrir, cette pâtisserie rose dessinée par un architecte marseillais au début du siècle dernier. L’ouverture du Grand Egyptien Museum censé offrir, au pied des pyramides de Gizeh, un écrin à la (dé)mesure des trésors archéologiques du pays, est de nouveau reportée.

Plongée dans la mégalopole folle et bouillonnante. Une ruche humaine traversée par des autoroutes et voies rapides, des autoponts vous promenant devant des façades ocre décrépies et des forêts de paraboles, telles des champignons blafards posés sur les toits. Un paysage nocturne ponctué par les flashes des écrans géants lumineux des publicités pour réseaux de téléphone mobile, fast-food, sodas, d’affichages numériques vantant les nouveaux développements immobiliers dans des communautés sécurisées, à l’extérieur de la ville, promettant au gratin cairote** une vie de Nabab loin du brouhaha et de la pollution. La moue débonnaire d’un quinqua rappeur avec chevelure en brosse, barbe poivre et sel, et lunettes de soleil, agitant la main comme dans un slammer et promouvant, summum de la coolitude, les chips Mojito (Miam!).

*Dans un avenir proche, on pourra sans doute explorer ces monuments dans le metavers ou via des jumeaux numériques créés dans de grands espaces. J’ai pu essayer la visite du jumeau numérique de Lascaux à la Cité de l’Architecture à Paris, place du Trocadéro, c’est une façon intéressante de voir ce qu’on ne peut plus visiter. La vraie grotte de Lascaux est réservée à un quota de chercheurs trié sur le volet pour éviter d’endommager les fresques qui ont résisté pendant 21 000 ans. Cependant, en dehors des raisons de préservation des sites eux-mêmes je doute qu’un jumeau numérique soit un concurrent crédible.

** désolée, je n’ai pas pu résister ;-)))!