Fabriquer une “africanité” après l’apartheid… le cas des marchés de souvenirs africains…

Regard sur l’artisanat africain à Johannesburg

Le “bana-bana”, ou marchand de souvenirs sénégalais est une figure de mon enfance africaine. Qu’il fasse du porte à porte pour écouler son stock, ou qu’il vende sur un étal sur le trottoir où dans un marché plus structuré. Je me souviens de discussions animées autour de l’achat d’un objet repéré par ma mère. S’engageait alors une vive discussion sur les mérites de l’objet convoité, la fixation du prix, la rigueur des temps, les difficultés d’élever une famille nombreuse et autres amabilités. A l’issue de cet échange, l’argent changeait de main et l’objet de propriétaire, et chacun reprenait son chemin en ayant le sentiment d’avoir mené à bien sa transaction.

Durant mes premiers pas à Johannesburg, et bien souvent en Afrique du Sud j’ai été frustrée que ce côté africain omniprésent dans les villes de mon enfance en Afrique de l’Ouest y soit si peu présent. L’effet mégalopole? Peu de marchands d’artisanat sur les trottoirs, aucun de ces marchés colorés et parfois odorants où l’on s’interpelle joyeusement d’un étal à un autre, en vantant le velouté d’une mangue, la fraîcheur d’un poisson ou le croquant d’une tomate. Ce qu’on appelle des marchés ici sont souvent des lieux sans vraiment d’âme, à moins d’aimer les croûtes peintes pas des amateurs ou le prêt à porter hippie. Ils se tiennent le week-end sous l’auvent en béton et tôle ondulée d’un parking de centre commercial, et présentent plutôt un bric à brac de produits transformés, traiteurs, babioles et bibelots quelconques mais relativement peu de produits d’artisanat africain.

Quelques rares lieux, estampillés “African Craft Market” existent néanmoins,  dans les villes les plus touristiques. Le plus près de chez moi est à Rosebank, centre d’affaires entre le vieux centre de Johannesburg et l’opulente Sandton. (Au Cap allez vous promener sur Long Street). Cet African craft market où je me rends régulièrement lorsque j’ai des cadeaux à ramener, est une véritable caverne d’Ali Baba. Mais curieusement, il offre assez peu d’articles “made in South Africa”. Hormis les bijoux et éléments de décoration en perles de rocaille, les paniers Xhosa, les boucliers zoulous en peau d’impala, les oeufs d’autruche naturels ou sculptés, toutes les marchandises à l’intérieur du marché sont importées d’autres pays d’Afrique sub-saharienne, quand elles ne sont pas faites en Chine. Paniers, tissus, sculptures en bois ou en papier mâché du Kenya. Boucliers, statues et masques en bois du Cameroun, du Congo, de Côte d’Ivoire, bronzes du Bénin ou du Nigéria… Et d’ailleurs, les marchands eux-mêmes sont, en majorité d’autres origines que sud-africaine. Une bonne moitié des vendeurs parlent volontiers le français, étant originaires d’Afrique francophone.

Je suis tombée par hasard sur un article des Cahiers d’Etudes Africaines, écrit par Aurélia Wa-Kwabe Segatti qui m’a permis de donner un sens à cette anomalie qu’est l’ African Craft Market. Travaillant sur les migrations à l’intérieur de l’Afrique, et notamment à Johannesburg, elle a interviewé une vingtaine de marchands d’artisanat africain du marché de Rosebank entre autres, ainsi que des gestionnaires de ce type de marchés. La création de ces marchés d’art africain date d’après la fin de l’apartheid. Le régime précédent n’accordait aucune valeur à l’artisanat africain local et n’encourageait pas la création de marchés. Avec l’ouverture du pays au tourisme au moment de l’avènement de la démocratie, il a fallu créer une “africanité” qui avait été mise sous l’éteignoir pendant cinquante années, et gommer l’image trop blanche de l’ère précédente. L’Afrique du Sud pour exister comme destination touristique, devait se vendre comme une destination africaine sans en avoir les codes.

Dans les lodges de safari, que j’ai cités dans un précédent billet, l’africanité est convoquée par l’utilisation dans la décoration pillant sans vergogne les artefacts des pays voisins. Fauteuils en rotin du Malawi, statuettes nigérianes, etc. L’un des plus beaux hôtels de Johannesburg, le Saxon, utilise allègrement ce répertoire mêlé au souvenir de Mandela qui y écrivit, dit-on, ses mémoires.

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L’histoire racontée par les marchands est celle de migrants peinant à s’intégrer dans le milieu professionnel sud-africain, où leurs diplômes ou qualifications n’étaient pas reconnus. Ils ont commencé malgré eux à vendre quelques objets emportés dans leurs bagages pour leur permettre de survivre lorsqu’ils seraient à cours de liquidités. La demande croissante et le manque d’autres perspectives professionnelles les ont menés à se reconvertir en marchands de souvenirs africains et à monter peu à peu des filières d’approvisionnement. Les propriétaires immobiliers y voyaient bien leur affaire, créant des lieux attirant les touristes, et parfois aussi les locaux en quête de cette africanité. Petit bémol cependant, l’auteure remarque que parmi les locaux, seuls les blancs et les indiens fréquentent les marchés d’artisanat africain, la population noire se sentant peu d’affinité avec ce genre de lieux, leur préférant les malls à l’américaine avec leurs enseignes clinquantes et leurs marchandises neuves.

Le succès des marchés d’art africain en Afrique du Sud tient donc à ce qu’ils ont réussi à satisfaire trois types d’acteurs: les promoteurs immobiliers ou les autorités des villes touristiques qui voulaient construire une “africanité” à vendre aux touristes, les touristes en mal d’expérience “africaine”, et les migrants cherchant à trouver une activité professionnelle dans un pays pas forcément accueillant. Ces derniers n’ont pas pour autant été les dindons de la farce. L’auteure de l’article raconte comment ils ont pu imposer leur vue sur l’organisation du marché (pas de division par pays d’origine, mais un savant dosage d’articles de différentes provenances), et sur la fixation des prix. Il y avait au moment où elle a effectué son enquête, une affiche à l’entrée du marché de Rosebank proclamant: “ici c’est l’Afrique, on marchande”. Les palabres sont de rigueur!

Il est cependant dommage que nul part en Afrique du Sud on ne trouve de collections aussi intéressantes que les collections visibles en Europe. Pas d’équivalent de la collection du Musée du Quai Branly, du Musée Royal de Tervuren, des fondation Dapper ou Barbier Mueller. Où auraient-elles plus de sens que dans ce carrefour des migrations africaines?

L’africanité s’exporte en dehors du continent africain. Ainsi, El Cheikh, le marchand sénégalais auquel j’ai eu affaire la dernière fois que j’y suis passée, m’a exprimé son désir d’aller voir ailleurs, la situation locale ne lui semblant plus aussi prometteuse qu’autrefois. Il envisageait de se localiser au Brésil, où il va plusieurs fois par an pour des foires et où la demande d’articles d’artisanat du continent est semblerait-il en croissance!

#JZ783…

Le hashtag du moment en Afrique du Sud…

Le hashtag du moment en Afrique du Sud, c’est #JZ783… 783 n’est pas le nombre fétiche de Jacob Zuma, c’est, selon ses détracteurs, le nombre de charges qui pèsent contre lui et contre lesquelles il aurait à se défendre s’il redevenait un citoyen ordinaire. L’utilisation de cette dénomination pour désigner le président Zuma a d’ailleurs créé un incident en séance du parlement le 22 novembre dernier, menant les parlementaires de la Democratic Alliance (principal parti d’opposition) à quitter l’hémicycle en signe de protestation.

Après la parution du rapport “State of Capture” (lire le billet que j’y avais consacré ici), les nuages continuent à s’amonceler au dessus de la tête du président sud-africain. Il a bien du mal à se garder de ses ennemis, et les journaux se font écho d’une inflation récente des mesures de sécurité autour de lui. Les soupçons de corruption et d’interférences avec les affaires sud-africaines de la galaxie affairiste de la famille Gupta minent le débat politique local et les contrefeux allumés par le président Zuma et ses amis semblent avoir du mal à fonctionner efficacement.

Thuli Madonsela, la précédente Public Protector avait recommandé que le président Zuma mette en place dans le mois suivant la parution du rapport, une commission d’enquête sous la responsabilité du Chief justice (le plus haut magistrat sud-africain) pour vérifier/invalider les soupçons de corruption que le rapport mettait en exergue. La semaine dernière, le président Zuma a décidé de faire examiner par les juges cette recommandation de madame Madonsela, et il se pourrait que la cour constitutionnelle, statuant sur la forme et non sur le fond du rapport rende une décision favorable à Jacob Zuma.

Sur le contenu du rapport, les médias appartenant à la famille Gupta ainsi qu’un certain nombre de leurs alliés auraient lancé une campagne Internet de décrédibilisation par voie de presse et sur les réseaux sociaux, mais qui n’a pas réussi à éloigner l’odeur de souffre du pouvoir politique. Les alliés du président Zuma ont relancé la rumeur de la malveillance d’un complot du #whitecapitalmonopoly (des gros bonnets blancs capitalistes).

Mais c’est de son camp que viennent les menaces les plus pressantes. Ce week-end s’est tenue à Pretoria une réunion du National Executive Committee de l’ANC et les voix appelant à une destitution de Zuma avant les élections de 2019 (et la conférence de fin 2017 qui doit désigner son/sa successeur/e) se sont faites plus pressantes, au point que certains membres sont revenus précipitamment de Stellenbosch où avait lieu le mariage d’un membre éminent de l’ANC pour apporter leur soutien à leur champion mal en point.

Après les scandales de Nkandla et le rapport “state of capture” et la déroute électorale de l’ANC d’août dernier (l’ANC a perdu le contrôle de trois des plus importantes municipalités d’Afrique du sud: Tshwane (Pretoria), Johannesburg et Nelson Mandela Bay au profit de ses adversaire de l’Alliance Démocratique), certains cadres de l’ANC n’hésitent plus à exprimer tout haut leur préoccupation et leur volonté d’en finir avec la présidence Zuma et l’érosion préoccupante de la base électorale de l’ANC. Les débats ont été tellement houleux que la conclusion de la réunion et la conférence de presse initialement prévues hier, 27 novembre en fin d’après-midi ont été reportées à ce soir…

De quoi animer les discussions du #saxonwoldshebeen ce soir!

 

Une affaire de femmes? Des modes de délivrance dans les maternités sud-africaines…

Des modalités de la naissance en Afrique du Sud…

Parmi les records détenus par l’Afrique du sud, figure le taux d’accouchements par césarienne. Or, si cette procédure chirurgicale a permis de sauver bien des femmes de la redoutée “mort en couches”, elle comporte des risques pour la santé de la mère comme de l’enfant. Un rapide sondage auprès des femmes mères de jeunes enfants en Afrique du Sud permet de constater qu’ici, une naissance naturelle dépend du choix avisé du ou de la professionnelle qui vous suivra.

L’article du Mail & Guardian cite une proportion de 68% de naissances par césarienne parmi les bénéficiaires d’assurances (privées) de santé et autour de 23% dans les hôpitaux publics. Des chiffres bien supérieurs aux préconisations de l’OMS qui tournent autour de 10% de césariennes. Les raisons pour lesquelles ces taux sont aussi élevés (surtout dans les hôpitaux privés)? Le choix des femmes de planifier la naissance de façon à passer plus de temps avec leur bébé, la peur de la douleur ou des complications, la volonté d’accoucher dans des circonstances contrôlées.

Dans les hôpitaux publics le taux accru de césarienne est dû en partie à une politique de prévention de la transmission mère-enfant du VIH, mais probablement aussi des taux de grossesses adolescentes et de problèmes psycho-sociaux. Les obstétriciens encouragent également les césariennes programmées, parce que c’est plus facile d’organiser leur charge de travail, et par peur des des poursuites que les parents pourraient éventuellement engager s’il y avait un accident à la naissance, et pour éviter l’inflation de leurs polices d’assurance professionnelle.

Replaçons la césarienne dans son contexte. La césarienne consiste à inciser l’abdomen de la femme enceinte pour en extraire son bébé. Elle serait pratiquée depuis assez longtemps et devrait son nom au fait qu’elle aurait permis de faire naître un empereur romain. Elle n’est utilisée abondamment que depuis le milieu du vingtième siècle, les progrès sur les produits anesthésiques et l’aseptie en ayant fait un acte moins risqué. L’OMS a estimé le taux “idéal de naissance par césarienne à 10%”. Ce taux idéal illustre le seuil à partir duquel la mortalité périnatale ne décroît plus (c’est à dire qu’on ne sauve pas plus d’enfants ou de mères). Comme toute opération chirurgicale, la césarienne comporte des risques de complications opératoires et elle n’est recommandée médicalement que lorsque les risques sur la santé de la mère et ou de l’enfant sont supérieurs aux risques liés à l’opération. Certains pays dépassent allègrement les taux de césariennes recommandées. Le Brésil affiche 85% de naissances par césarienne dans les cliniques privées et 40% dans les hôpitaux publics. L’Europe a un taux de césarienne de 35,6%. Le continent africain en revanche est à la traîne avec en moyenne 3,8%. L’Afrique du Sud y présente donc un résultat aberrant.

Si la raison de cette inflation de naissances par césarienne n’est pas médicale, d’où vient elle? De facteurs culturels, sociaux, organisationnels. Que peuvent nous apprendre les travaux effectués en Europe pour interroger la situation sud-africaine?

Depuis la seconde moitié du vingtième siècle, dans les pays occidentaux, on a assisté à une médicalisation accrue de la grossesse et de la naissance avec une montée en puissance des obstétriciens. Si cette médicalisation a permis de sécuriser la naissance, et de réduire de façon significative les accidents périnataux elle a aussi fait oublier un savoir qui a accompagné les femmes depuis la nuit des temps, celui des sages-femmes. L’effacement des sages-femmes dans le suivi des femmes enceintes ou en couches s’est accompagné d’un accroissement du nombre de césariennes et d’interventions médicales. Pourquoi? Parce que les sages-femmes sont les gardiennes de la physiologie et les obstétricien-ne-s sont ceux de la pathologie. Ils sont formés à s’occuper des risques et à les réduire. Les sages-femmes doivent aussi répéter les risques pour référer les femmes qui le nécessitent à des obtétricien-ne-s, puisque qu’elles sont les gardiennes de la physiologie. Un obstétricien va plus volontiers médicaliser une primipare dont la dilatation stagne au bout de six heures qu’une sage-femme. Les sages-femmes sont formées à avoir une approche plus globale de la femme enceinte. Une naissance avec une sage-femme respecte plus les processus physiologiques. Une sage-femme peut passer douze heures auprès d’une parturiente en attendant que le corps de celle-ci soit prête, pas un obstétricien. Et portant les études épidémiologiques montrent que les femmes et leurs bébés se remettent mieux (lorsqu’elles ou leurs bébés n’ont pas de facteur de risque) d’un accouchement physiologique que d’un accouchement médicalisé.

Les contraintes sur les finances et les organisations des maternités en France ont également eu un impact. La sociologue Daniele Carricaburu a montré que les contraintes d’organisation des services de maternité jouaient sur la médicalisation des naissances et in fine sur le taux de césariennes. L’afflux de femmes sur le point d’accoucher le week-end lorsque le personnel de l’hôpital est moins nombreux peut être un cauchemar pour les soignants. La programmation de déclenchement ou de césariennes permet de donner un peu de lest à des maternités en manque de personnel. Parce que les sages-femmes ou les obstétriciens sont en nombre insuffisant, on va pousser les femmes à accepter des césariennes programmées, déclenchements d’accouchements, la péridurale et l’administration de Syntocinon pour stimuler les contractions et cette médicalisation va entraîner plus de césariennes. Dans les cliniques privées, les césariennes permettent aux praticiens d’être mieux rémunérés par la sécurité sociale (ce sont des actes chirurgicaux), que des accouchements physiologiques par voie basse (qui immobilisent une salle de travail plus longtemps et ne rapportent guère).

Les bouleversements sociologiques font que les futures mères et les jeunes accouchées sont beaucoup moins entourées qu’autrefois. Il y a soixante ans, la naissance était un évènement social autant que médical. Lorsque les femmes accouchaient chez elles dans les campagnes françaises, une partie des voisines, cousines, mères, tantes, se bousculaient à leur chevet. Les jeunes parturientes n’étaient jamais laissées seules pendant les premières  semaines, des chaînes de solidarité se mettaient en place pour s’occuper de la maison, de la cuisine, des premiers-nés. Il était fréquent que la jeune accouchée ne mette pas le pied par terre pendant les premières semaines du nouveau-né. Il faut lire “la femme qui aide” magnifique compte-rendu d’Yvonne Verdier sur la naissance à Minot, Côte d’Or au début du vingtième siècle, ou “call the midwife” qui raconte l’expérience d’une sage-femme débutante dans les quartiers de l’est de Londres après la seconde guerre mondiale. La naissance à l’hôpital et l’urbanisation ont rendu défait ces chaînes de solidarité. et laissé les nouvelles mères livrées à elles mêmes. Se conformer aux propositions médicales est alors rassurant.

L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail a également modifié la donne. Elles doivent organiser leur congé maternité, sécuriser la présence du père lors de l’accouchement, s’assurer de la présence d’une personne pour garder les enfants le jour J. L’option de la programmation permet de parer l’imprévu et d’éviter les départs précipités à la maternité.

Le système de santé sud-africain est sans doute l’un des systèmes les plus performants d’Afrique. Le nombre de médecins et de personnel infirmier pour 10 000 habitants y est quatre fois plus élevé que dans le reste des pays d’Afrique (mais reste inférieur à l’Europe). Les patients ont recours soit au secteur privé s’ils peuvent s’offrir une assurance privée, soit au secteur public où ils reçoivent des soins gratuitement. Les attitudes du secteur privé sont déterminées par une forte demande et la nécessité de faire du profit. L’obstétrique y est une des spécialités les plus susceptibles d’être traînée devant les tribunaux et les praticiens se plaignent des risques de procès et de l’inflation corrélative de leurs primes d’assurance professionnelle. Le système de “common law” est particulièrement défavorable aux praticiens car les indemnisations pour préjudice qui peuvent être prononcées peuvent atteindre des montants très importants, non soumis à plafond. Dans un article de 2011 sur l’explosion inquiétante des cas de procès en faute médicale un obstétricien cité déplore l’augmentation de sa prime d’assurance et déclare devoir effectuer beaucoup de césariennes en début de chaque mois (!) pour payer ladite prime. Tant pis pour les risques pathologiques accrus pour les patientes. Il n’y a jamais eu de procès pour césarienne abusive, alors que les procès pour retard à la césarienne sont assez fréquents.

Il serait intéressant de comprendre quelle est l’influence de la pénurie de soignants qualifiés dans le nombre excessif de césariennes dans les cliniques privées, et le rôle des packages de paiement proposés par les assurances santé. L’intervention de sages-femmes est elle remboursée, comment?

Dans les hôpitaux publics la hausse du taux de césariennes est attribuée aux cas de prévention de transmission du VIH, et aux conditions sociales des personnes. Cependant, une étude des décès maternels dans les hôpitaux publics du Kwazulu Natal entre 2011 et 2013 montre qu’une partie des décès maternels est due à des hémorragies pendant ou après des césariennes effectuées dans des conditions de sécurité insuffisantes. Le manque de personnel compétent dans les hôpitaux publics des campagnes est souvent à l’origine de mauvaises expériences d’accouchements pour les parturientes. Une étude randomisée faite dans dix hôpitaux ruraux à moins de 200 kilomètres de Johannesburg montre que 20% des femmes disent avoir été rudoyées voire frappées par des membres du personnel lors de leur accouchement…

Le choix de la césarienne doit en définitive revenir à la femme. C’est elle qui doit décider, ce qui est le mieux pour elle. Mais dans des circonstances extrêmement contraintes a-t-elle réellement le choix? Peut-on effectuer un retour en arrière quand la césarienne est devenu le mode d’accouchement “normal”, dans la partie la plus favorisée de la population?

Eish* “State capture”!

*Interjection populaire en Afrique du Sud, exprime la fatalité, l’étonnement…

Je vous l’ai déjà écrit: on ne s’ennuie jamais en Afrique du Sud, la vie politique est agitée de soubresauts vaudevillesques, avec coups tordus et rebondissements à faire pâlir d’envie le scénariste d’hollywood en panne d’inspiration. Le dernier épisode en date a eu lieu hier après la publication, que les supporters du président Zuma ont a tout pris essayé d’empêcher, d’un nouveau (et dernier) rapport de Thuli Madonsela, l’ex-Public Protector, sur “The State of Capture” mettant en évidence des faits , s’ils étaient avérés, de corruption grave et d’enrichissement personnel pour le président Zuma et un certain nombre de ses proches.

En 2014 la Public Protector (déjà!) dans son rapport “Security in Comfort” avait mis en évidence qu’une partie des améliorations de la sécurité sur le compound familial du président Zuma à Nkandla, dans son fief du KwaZulu Natal (création d’un auditorium, d’une “piscine à incendie”, et d’un poulailler) n’avaient rien à voir avec la sécurité du chef d’Etat mais pouvaient être assimilés à du gaspillage de fonds d’Etat. Cette année, alors que la PP achevait son mandat, le feuilleton de la “State Capture” est le plus suivi dans les journaux de la presse écrite et télévisée, et suscite de nombreux commentaires d’éditorialistes et de citoyens sur les réseaux sociaux qui en oublient presque que les étudiants sont toujours en grève…

Les personnages:

Thuli Madonsela: Public Protector d’octobre 2009 à octobre 2016 (nommée par le Président Zuma pour sept ans non renouvelables). Formellement membre (de base) de l’ANC, elle a participé à la rédaction de la constitution. Elle a plusieurs fois refusé d’être élue au Parlement. Une dure à cuire très consciente de l’importance de son rôle dans la défense du peuple et de la constitution sud-africaine. Son opiniâtreté dans la réalisation de son travail lui a valu une reconnaissance nationale et internationale, elle a été nommée plusieurs fois “South African of the year”, a été citée en 2014 parmi les 100 personnes les plus influentes du monde par Time Magazine (ce qui lui a valu d’être taxée d’agent de la CIA par les amis du président Zuma). Elle devait publier le rapport “The State of Capture” deux jours avant la fin de son mandat, mais les manoeuvres judiciaires du président Zuma et de ses affidés l’en ont empêchée.

Jacob Zuma: Président de l’ANC et donc président de la République d’Afrique du Sud depuis qu’il a réussi un coup de maître à Polokwane en 2008. Ancien clandestin de Mkhonto We Sizwe, le mouvement armé de l’ANC, il est connu pour sa ruse, sa chanson fétiche (“Bring me my Machine Gun”), sa propension à s’endormir pendant les débats au parlement, son élocution maladroite, son habileté à s’attacher des alliés indéfectibles et prêts à tout pour le défendre et sa cupidité. Une petite histoire (plausible mais non vérifiable) entendue à son sujet : après le congrès de Polokwane qui assurait sa mainmise sur l’ANC et la démission de Thabo Mbeki, il aurait réuni sa famille élargie et leur aurait déclaré “Now we are going to eat”.

Les frères Gupta, Ajay, Atul & Rajesh: originaires du Gujarat. Ajay, le frère aîné serait arrivé en 1993 en Afrique du Sud et aurait commencé par monter une affaire vendant des chaussures qui aurait vite fait faillite. Sa seconde tentative entrepreneuriale, Sahara consulting, dans l’IT aurait contribué au démarrage d’un conglomérat qui compte des activités très diversifiées, Mines, sous-traitance pour compagnies d’armements, IT, titres de presse et chaîne de télévision… Très liés au président Zuma, les Gupta ont embauché plusieurs enfants Zuma dont un fils, Duduzane, est CEO d’une de leurs compagnies. Les trois frères recevaient leurs partenaires en affaires plus ou moins louches dans leur somptueuse propriété (construite en dépit des règles du voisinage) de Saxonwold, quartier chic de Johannesburg, mais ont depuis le début de l’année trouvé refuge à Dubaï, n’étant plus en odeur de sainteté auprès des banques sud-africaines.

Mosebenzi Zwane: Ministre des Mines, intronisé par les Guptas, il est allé négocier en Suisse, la cession d’une mine d’Uranium à Oakbay, la holding des Gupta. Les mauvaises langues prétendent que cette acquisition permettait aux Gupta de se positionner pour fournir en uranium la future centrale nucléaire dont Zuma veut la construction malgré l’opposition de deux anciens ministres des finances redoutant l’effet dévastateur sur le déficit commercial déjà colossal du pays. Fervent défenseur du président Zuma il n’hésite pas à monter au créneau pour pourfendre ses détracteurs (et les détracteurs des Gupta).

Des Van Rooyen: Trésorier de l’association des vétérans de Mkhonto We Siswe, composante de l’ANC regroupant les anciens clandestins. Ephémère ministre des finances en décembre 2015 lorsque le président Zuma démit brutalement de ses fonctions le précédent Nhandla Nene, qui s’opposait un peu trop fermement aux plans de certains patrons d’entreprises para-étatiques qu’il jugeait trop dispendieux, notamment l’impopulaire (et indéboulonnable) présidente de South African Airways SAA, présidente de la fondation Zuma. La chute brutale du rand consécutive à sa nomination a mis fin à l’aventure. Le président Zuma a déplacé aux affaires provinciales, moins exposées, celui qu’il jugeait plus que qualifié pour diriger les finances du pays car il avait effectué par correspondance un master en finance d’une université britannique. Pour la petite histoire, un fonctionnaire du ministère ou Van Rooyen travaillait auparavant a filtré récemment dans la presse que lui et certains de ses collègues avaient été réquisitionnés pour écrire les “papers” que VR devait envoyer pour valider son diplôme…

Brian Molefe: Président d’Eskom, compagnie d’électricité nationale (parfois surnommée Eishkom, notamment après les épisodes nombreux de Loadshedding de 2008), aurait plusieurs fois, sous l’incitation des proches de Zuma favorisé les sociétés appartenant aux Gupta pour l’obtention des marchés passés par son entreprise.

Mcebisi Jonas: S’est vu proposer beaucoup d’argent (qu’il a refusé) par les frères Gupta pour reprendre le ministère des finances au moment où le président Zuma cherchait à faire remplacer le ministre des finances Nene.

Le scénario:

L’empire Gupta a beaucoup profité des années de pouvoir du président Zuma et un certain nombre d’observateurs ont noté que ce n’était probablement pas totalement sans corrélation. Un certain nombre de marché publics ont été passé avec des compagnies de la sphère Gupta en dépit des règles d’attribution desdits marchés publics. Thuli Madonsela, la “Public Protector” a donc décidé, comme c’est son droit, de diligenter une enquête pour laquelle elle avait demandé des moyens supplémentaires qui ne lui ont jamais été accordés. Tenace, elle a quand même réussi à boucler une enquête pour laquelle elle a demandé à auditionner le président Zuma à plusieurs reprises. Après sept mois d’attente elle a fini par avoir une entrevue avec le président et son conseiller juridique dont la défense était de dire qu’il n’avait pas le temps de répondre aux questions et que l’enquête devait être transmise à la successeure de Thuli Madonsela mi-octobre. Madonsela ne souhaitant pas courir le risque de voir enterrer son rapport décidait de le publier trois jours avant le terme de son mandat.

Les supporters/affidés du président Zuma tentent alors le tout pour le tout. Les conseillers du président font valoir devant le tribunal de Pretoria que, le président n’ayant pas eu le temps de répondre à la PP, le rapport ne pouvait être publié comme tel. Des Van Rooyen (éphémère ministre des finances) fait de même. La décision du tribunal de Pretoria est fixée au 2 novembre, donc après la fin du mandat de madame Madonsela. Certains pressent cette dernière de publier quand même le rapport, mais elle décide de jouer dans les règles et de respecter la loi en ne le faisant pas, mais elle confie le rapport à la garde de la numéro un du parlement, qui commence par refuser le cadeau empoisonné puis par effectuer un revirement au cours du week-end sous la pression de cadres de l’ANC. Si la nouvelle Public Protector veut enterrer le rapport, elle ne le pourra pas…

Dans la quinzaine de jours qui mènent au passage au tribunal, les hostilités entre les pro et les anti-rapport se multiplient. Les affidés du président Zuma accusent la PP d’avoir utilisé des fonds étrangers (ie: la CIA) pour financer l’enquête (pour laquelle l’Etat a refusé de lui allouer des fonds supplémentaires). Le ministre des Mines Mosebenzi Zwane se joint aux plaintes du président Zuma et de Des Van Rooyen pour faire interdire la publication du rapport.

Le deuxième acte se joue à Pretoria le 2 novembre. Au tribunal et dans la rue où les supporters de l’EFF manifestent pour demander la démission du président Zuma. Entretemps, Dees Van Rooyen a retiré puis réactivé sa demande que le rapport ne soit pas publié car il n’a pas eu le temps d’y répondre. Coup de théâtre, le président Zuma, par la voie de ses conseillers renonce à demander l’interdiction de publication du rapport. Les juges du tribunal de Pretoria ordonnent que le rapport “State of Capture” soit publié dans la journée et refuse l’action de Van Rooyen qui s’est montré très inconsistent.

Le rapport est largement diffusé dans les organes de presse et sur les réseaux sociaux. Son sous-titre est très explicite: “Report on an investigation into alleged improper and unethical conduct by the President an other state functionaries relating to alleged improper relationships and involvement of the Gupta family in the removal and appointment of Ministers and Directors of State-owned Enterprises resulting in improper and possibly corrupt award of state contracts and benefits to the Gupta family’s businesses”. Il résulte du rapport de 355 pages que les soupçons de corruption sont très forts.

Sur la nomination des ministres, il présente les deux témoignages qui avaient fuité dans la presse dès le mois de mars des membres de l’ANC Mcebisi Jonas et Vytjie Mentor, qui se seraient vus proposer, par Ajay Gupta, le poste de ministre des finances alors tenu par monsieur Nene, contre de l’argent (600 000 rands en cash plus autant sur son compte en banque pour monsieur Jonas), ou des retours d’ascenseur (licenciement d’un chef d’administration trop tâtillon, le rétablissement d’une liaison aérienne directe vers l’Inde pour l’autre). En plus de ces témoignages, le rapport expose les rapports plus que proches des Gupta avec des membres du gouvernement, notamment Des Van Rooyen qui serait allé plus de sept fois les visiter à Saxonwold avant sa nomination malheureuse, plus un voyage éclair à Dubaï (une demie-journée en “visite privée”) alors que les Gupta s’y trouvaient.

Les relations troubles du patron d’Eskom, Brian Molefe avec les Gupta y sont aussi exposés, de la nomination du conseil d’administration en 2014 dont les membres auraient été choisis minutieusement dans des alliés de la famille Gupta, à la négociation de contrats fournisseurs permettant à une société des Gupta de disposer d’assez de trésorerie pour faire une acquisition, dont le ministre des mines lui-même aurait facilité, en marge du forum de Davos, la conclusion…

L’étude des relevés des téléphones portables d’un certain nombre des protagonistes de l’affaire a montré les relations très proches entre eux. Comment expliquer qu’un haut serviteur de l’Etat comme Brian Molefe (patron d’Eskom) appelle aussi régulièrement un patron aussi occupé qu’Ajay Gupta, que la géolocalisation de son téléphone (erreur de débutant!!!) permette de le situer au compound des Gupta aussi souvent?

Bref, le rapport présente une compilation impressionnante de faits qui s’ils sont avérés ressortent de la corruption au plus haut de l’appareil d’Etat. Le manque de moyens de la PP ne lui a pas permis d’établir les faits avec le plus haut degré de preuve. Elle recommande donc (ses avis sont consultatifs, non contraignants) l’ouverture d’une enquête avec les moyens appropriés sous l’égide du plus haut magistrat du pays le chief justice Mogoeng Mogoeng, et non par la présidence. A charge pour l’équipe nommée d’établir les faits et d’amorcer les poursuites nécessaires.

Epilogue:

Thuli Madonsela a donc réussi sa sortie et l’on doit reconnaître un certain panache à la nouvellement nommée professeure titulaire de la chaire de “social justice” à la très chic université de Stellenbosch. Même si les partis d’opposition (et une partie des membres de l’ANC) le demandent, il est fort probable que le président Zuma, actuellement aux chutes Victoria pour une rencontre avec son homologue zimbabwéen, démissionne avant la fin de son mandat. L’argent mal acquis de la famille Gupta a été en grande partie transféré à Dubaï et il y a fort à parier que l’Etat sud-africain ne pourra jamais récupérer les fonds malhonnêtement acquis via des faits de corruption. On peut aussi saluer la force de la justice en Afrique du Sud, qui a prouvé une fois de plus son imperméabilité aux pressions politiques. En un pays qui peut avoir confiance en sa justice il est permis d’espérer!

PS: Le patron d’Eishkom, Brian Molefe a fondu en larmes hier en conférence de presse lorsqu’il a été interrogé sur le rapport. A des journalistes qui lui demandaient comment il pouvait avoir été géolocalisé aussi souvent à Saxonwold il a maladroitement répondu qu’il y avait un “shebeen” (terme qui désigne un bar dans les townships) à Saxonwold. Depuis hier le mot-dièse #saxonwoldshebeen fait un tabac sur twitter, tous cherchant à situer ledit shebeen, ce qui hautement improbable compte-tenu de la qualité hautement résidentielle du quartier. En attendant, cette défense maladroite est devenue la dernière source de rigolade de la twittosphère sud-africaine.