Parmi les records détenus par l’Afrique du sud, figure le taux d’accouchements par césarienne. Or, si cette procédure chirurgicale a permis de sauver bien des femmes de la redoutée “mort en couches”, elle comporte des risques pour la santé de la mère comme de l’enfant. Un rapide sondage auprès des femmes mères de jeunes enfants en Afrique du Sud permet de constater qu’ici, une naissance naturelle dépend du choix avisé du ou de la professionnelle qui vous suivra.
L’article du Mail & Guardian cite une proportion de 68% de naissances par césarienne parmi les bénéficiaires d’assurances (privées) de santé et autour de 23% dans les hôpitaux publics. Des chiffres bien supérieurs aux préconisations de l’OMS qui tournent autour de 10% de césariennes. Les raisons pour lesquelles ces taux sont aussi élevés (surtout dans les hôpitaux privés)? Le choix des femmes de planifier la naissance de façon à passer plus de temps avec leur bébé, la peur de la douleur ou des complications, la volonté d’accoucher dans des circonstances contrôlées.
Dans les hôpitaux publics le taux accru de césarienne est dû en partie à une politique de prévention de la transmission mère-enfant du VIH, mais probablement aussi des taux de grossesses adolescentes et de problèmes psycho-sociaux. Les obstétriciens encouragent également les césariennes programmées, parce que c’est plus facile d’organiser leur charge de travail, et par peur des des poursuites que les parents pourraient éventuellement engager s’il y avait un accident à la naissance, et pour éviter l’inflation de leurs polices d’assurance professionnelle.
Replaçons la césarienne dans son contexte. La césarienne consiste à inciser l’abdomen de la femme enceinte pour en extraire son bébé. Elle serait pratiquée depuis assez longtemps et devrait son nom au fait qu’elle aurait permis de faire naître un empereur romain. Elle n’est utilisée abondamment que depuis le milieu du vingtième siècle, les progrès sur les produits anesthésiques et l’aseptie en ayant fait un acte moins risqué. L’OMS a estimé le taux “idéal de naissance par césarienne à 10%”. Ce taux idéal illustre le seuil à partir duquel la mortalité périnatale ne décroît plus (c’est à dire qu’on ne sauve pas plus d’enfants ou de mères). Comme toute opération chirurgicale, la césarienne comporte des risques de complications opératoires et elle n’est recommandée médicalement que lorsque les risques sur la santé de la mère et ou de l’enfant sont supérieurs aux risques liés à l’opération. Certains pays dépassent allègrement les taux de césariennes recommandées. Le Brésil affiche 85% de naissances par césarienne dans les cliniques privées et 40% dans les hôpitaux publics. L’Europe a un taux de césarienne de 35,6%. Le continent africain en revanche est à la traîne avec en moyenne 3,8%. L’Afrique du Sud y présente donc un résultat aberrant.
Si la raison de cette inflation de naissances par césarienne n’est pas médicale, d’où vient elle? De facteurs culturels, sociaux, organisationnels. Que peuvent nous apprendre les travaux effectués en Europe pour interroger la situation sud-africaine?
Depuis la seconde moitié du vingtième siècle, dans les pays occidentaux, on a assisté à une médicalisation accrue de la grossesse et de la naissance avec une montée en puissance des obstétriciens. Si cette médicalisation a permis de sécuriser la naissance, et de réduire de façon significative les accidents périnataux elle a aussi fait oublier un savoir qui a accompagné les femmes depuis la nuit des temps, celui des sages-femmes. L’effacement des sages-femmes dans le suivi des femmes enceintes ou en couches s’est accompagné d’un accroissement du nombre de césariennes et d’interventions médicales. Pourquoi? Parce que les sages-femmes sont les gardiennes de la physiologie et les obstétricien-ne-s sont ceux de la pathologie. Ils sont formés à s’occuper des risques et à les réduire. Les sages-femmes doivent aussi répéter les risques pour référer les femmes qui le nécessitent à des obtétricien-ne-s, puisque qu’elles sont les gardiennes de la physiologie. Un obstétricien va plus volontiers médicaliser une primipare dont la dilatation stagne au bout de six heures qu’une sage-femme. Les sages-femmes sont formées à avoir une approche plus globale de la femme enceinte. Une naissance avec une sage-femme respecte plus les processus physiologiques. Une sage-femme peut passer douze heures auprès d’une parturiente en attendant que le corps de celle-ci soit prête, pas un obstétricien. Et portant les études épidémiologiques montrent que les femmes et leurs bébés se remettent mieux (lorsqu’elles ou leurs bébés n’ont pas de facteur de risque) d’un accouchement physiologique que d’un accouchement médicalisé.
Les contraintes sur les finances et les organisations des maternités en France ont également eu un impact. La sociologue Daniele Carricaburu a montré que les contraintes d’organisation des services de maternité jouaient sur la médicalisation des naissances et in fine sur le taux de césariennes. L’afflux de femmes sur le point d’accoucher le week-end lorsque le personnel de l’hôpital est moins nombreux peut être un cauchemar pour les soignants. La programmation de déclenchement ou de césariennes permet de donner un peu de lest à des maternités en manque de personnel. Parce que les sages-femmes ou les obstétriciens sont en nombre insuffisant, on va pousser les femmes à accepter des césariennes programmées, déclenchements d’accouchements, la péridurale et l’administration de Syntocinon pour stimuler les contractions et cette médicalisation va entraîner plus de césariennes. Dans les cliniques privées, les césariennes permettent aux praticiens d’être mieux rémunérés par la sécurité sociale (ce sont des actes chirurgicaux), que des accouchements physiologiques par voie basse (qui immobilisent une salle de travail plus longtemps et ne rapportent guère).
Les bouleversements sociologiques font que les futures mères et les jeunes accouchées sont beaucoup moins entourées qu’autrefois. Il y a soixante ans, la naissance était un évènement social autant que médical. Lorsque les femmes accouchaient chez elles dans les campagnes françaises, une partie des voisines, cousines, mères, tantes, se bousculaient à leur chevet. Les jeunes parturientes n’étaient jamais laissées seules pendant les premières semaines, des chaînes de solidarité se mettaient en place pour s’occuper de la maison, de la cuisine, des premiers-nés. Il était fréquent que la jeune accouchée ne mette pas le pied par terre pendant les premières semaines du nouveau-né. Il faut lire “la femme qui aide” magnifique compte-rendu d’Yvonne Verdier sur la naissance à Minot, Côte d’Or au début du vingtième siècle, ou “call the midwife” qui raconte l’expérience d’une sage-femme débutante dans les quartiers de l’est de Londres après la seconde guerre mondiale. La naissance à l’hôpital et l’urbanisation ont rendu défait ces chaînes de solidarité. et laissé les nouvelles mères livrées à elles mêmes. Se conformer aux propositions médicales est alors rassurant.
L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail a également modifié la donne. Elles doivent organiser leur congé maternité, sécuriser la présence du père lors de l’accouchement, s’assurer de la présence d’une personne pour garder les enfants le jour J. L’option de la programmation permet de parer l’imprévu et d’éviter les départs précipités à la maternité.
Le système de santé sud-africain est sans doute l’un des systèmes les plus performants d’Afrique. Le nombre de médecins et de personnel infirmier pour 10 000 habitants y est quatre fois plus élevé que dans le reste des pays d’Afrique (mais reste inférieur à l’Europe). Les patients ont recours soit au secteur privé s’ils peuvent s’offrir une assurance privée, soit au secteur public où ils reçoivent des soins gratuitement. Les attitudes du secteur privé sont déterminées par une forte demande et la nécessité de faire du profit. L’obstétrique y est une des spécialités les plus susceptibles d’être traînée devant les tribunaux et les praticiens se plaignent des risques de procès et de l’inflation corrélative de leurs primes d’assurance professionnelle. Le système de “common law” est particulièrement défavorable aux praticiens car les indemnisations pour préjudice qui peuvent être prononcées peuvent atteindre des montants très importants, non soumis à plafond. Dans un article de 2011 sur l’explosion inquiétante des cas de procès en faute médicale un obstétricien cité déplore l’augmentation de sa prime d’assurance et déclare devoir effectuer beaucoup de césariennes en début de chaque mois (!) pour payer ladite prime. Tant pis pour les risques pathologiques accrus pour les patientes. Il n’y a jamais eu de procès pour césarienne abusive, alors que les procès pour retard à la césarienne sont assez fréquents.
Il serait intéressant de comprendre quelle est l’influence de la pénurie de soignants qualifiés dans le nombre excessif de césariennes dans les cliniques privées, et le rôle des packages de paiement proposés par les assurances santé. L’intervention de sages-femmes est elle remboursée, comment?
Dans les hôpitaux publics la hausse du taux de césariennes est attribuée aux cas de prévention de transmission du VIH, et aux conditions sociales des personnes. Cependant, une étude des décès maternels dans les hôpitaux publics du Kwazulu Natal entre 2011 et 2013 montre qu’une partie des décès maternels est due à des hémorragies pendant ou après des césariennes effectuées dans des conditions de sécurité insuffisantes. Le manque de personnel compétent dans les hôpitaux publics des campagnes est souvent à l’origine de mauvaises expériences d’accouchements pour les parturientes. Une étude randomisée faite dans dix hôpitaux ruraux à moins de 200 kilomètres de Johannesburg montre que 20% des femmes disent avoir été rudoyées voire frappées par des membres du personnel lors de leur accouchement…
Le choix de la césarienne doit en définitive revenir à la femme. C’est elle qui doit décider, ce qui est le mieux pour elle. Mais dans des circonstances extrêmement contraintes a-t-elle réellement le choix? Peut-on effectuer un retour en arrière quand la césarienne est devenu le mode d’accouchement “normal”, dans la partie la plus favorisée de la population?
5 thoughts on “Une affaire de femmes? Des modes de délivrance dans les maternités sud-africaines…”