“Donc, voici l’hiver de notre déplaisir”*

Nous avons donc laissé le rusé Jacob la semaine dernière, après un remaniement nocturne signant la mainmise du clan Zuma sur les ressources de l’Etat sud-africain sous couvert de “radical economic transformation”. Où-en-est-on dix jours après? Comment ont réagi les sud-africains et quelles sont les prochaines étapes? Il semble ici qu’on se prépare à un “winter of discontent” comme l’écrivait joliment Shakespeare dans la scène d’ouverture Richard III. Et les épisodes politiques à venir n’auront rien à envier à la plus noire des tragédies du Barde… Car Zuma ne se rendra pas sans livrer bataille, s’il faut lui reconnaître une qualité, en plus de la ruse, c’est celle de l’opiniâtreté.

Reprenons la chronologie des derniers jours:

29 mars: à l’issue des funérailles d’Ahmed Kathrada, “uncle Kathy”, vétéran vénéré de la lutte contre l’apartheid et compagnon de prison de Mandela, Zuma révoque son ministre des finances et remanie son gouvernement en y conservant uniquement des fidèles. Les non-sanctions de Bathabile Dlamini, responsable de la gestion catastrophique des “social grants” et de Nomvula Mokonyane, ministre des “water & sanitation”, dont le ministère affiche un taux d’échec de gestion de la ressource et un taux d’endettement record qui conservent leurs postes sont vues comme des indices du resserrement autour de Zuma d’une équipe qui lui est redevable, malgré le discours sur la “radical economic transformation” pour laquelle le maintien de Gordhan et Jonas aurait été un obstacle.

30 mars: Les partis d’opposition demandent à la numéro un du parlement le vote d’une motion de défiance contre Zuma. Un certain nombre de poids lourds de l’ANC, dont le vice-président Cyril Ramaphosa, le secrétaire général Gwede Mantashe et le trésorier général Zweli Mkhize font entendre leur désaccord avec la décision du président de limoger son ministre des finances. Le SACP, dont est issu Gordhan, le comité d’éthique de l’ANC ainsi que des vétérans demandent à Zuma de démissionner. Les pro-Zuma de l’ANC, notamment les représentants de l’ANCYL (la youth league de l’ANC) et de ANCWYL (la women’s league) montent au créneau pour dire que le moment n’est pas à la dissension mais au regroupement autour du président et fustigent violemment ceux qui expriment des voix discordantes. Pendant le week-end, et au début de la semaine du les concertations se succèdent à l’ANC qui a battu le rappel dans les provinces pour l’occasion. La numéro un de l’assemblée, Baleka Mbete revient en catastrophe de l’étranger où elle était en déplacement pour participer aux débats.

En début de semaine, des opposants à Zuma ont lancé le mot d’ordre (peu suivi) pour un #blackmonday, où les sud-africains sont appelés à s’habiller en noir pour exprimer leur réprobation à la politique de Zuma. Les partis d’opposition annoncent une journée d’arrêt de travail et de manifestations le vendredi 7 avril. Le ministre des finances nouvellement nommé, Malusi Gigaba prenant son poste annonce que le remplacement d’un individu ne peut pas avoir de conséquences économiques immédiates, qu’il faut lui laisser prendre ses marques dans son nouveau poste.

3 avril: la terre tremble à Johannesburg et l’agence de notation Standards & Poor annonce qu’elle dégrade la note souveraine de l’Afrique du Sud qu’elle classe désormais en “junk bond” ce qui va rendre plus difficile à l’Etat sud-Africain les emprunts à l’extérieur pour refinancer sa dette qui ne cesse d’augmenter. Le milieu économique sud-africain exprime son inquiétude.

4 avril: l’agence de notation Moody annonce elle aussi une dégradation de la note de l’Afrique du Sud en “junk bond”. Le compte twitter de la présidence de la république annonce que manifester contre le gouvernement est illégal (sic), les trois dissidents les plus célèbres de l’ANC vont à Canossa et présentent des excuses à Jacob Zuma pour leurs prises de position publiques.

Pendant la semaine, les cérémonies d’hommages rendus à Ahmed Kathrada ont lieu dans tout le pays, qui servent de tribune à Pravin Gordhan qui ne manque pas de rappeler à la tribune la lettre que Kathrada avait envoyée à Zuma l’an passé après le Nkandlagate pour lui demander de démissionner. Les journaux annoncent que le JSE (Johannesburg Stock Exchange) a lancé une enquête pour comprendre les mouvements à la hausse détectés sur les actions de la société Oakbay appartenant aux Gupta quelques heures avant la démission de Gordhan.

Des membres de la famille de Zuma, des affidés comme certains ministres ou la présidente de la compagnie aérienne nationale Dudu Myeni, se relaient pour expliquer à la presse que la dégradation de la note souveraine n’est pas une mauvaise chose, que cela va permettre à l’état sud-africain de renégocier selon ses propres termes, les conditions de son endettement. Visiblement, ils n’ont pas trop suivi ce qui s’est passé en Argentine, en Grèce et dans les pays dont la note de la dette souveraine a été dégradée…  La nouvelle se répand que le deal avec les russes pour la construction d’une centrale nucléaire très coûteuse (mais rapportant des contrats de fournitures intéressants à la famille Gupta) est réactivé, avec des dates de lancement d’appels d’offres déjà programmées.

5 avril: La “speaker” du parlement Baleka Mbete annonce qu’un “vote of no confidence” est planifié pour le mercredi 18 avril accédant à la demande des partis d’opposition.

6 avril: après la cérémonie d’hommage à Ahmed Kathrada en la Cathédrale Saint George du Cap, des organisations de la société civile appellent à occuper les rues de Cape Town autour du Parlement pour dialoguer. Un mouvement similaire a lieu sur Church Square à Pretoria.

7 avril: des dizaines de milliers de sud-africains défilent notamment dans les rues du Cap de Johannesburg et de Pretoria pour clamer leur opposition à Zuma. Des sud-africains de Londres se sont également rassemblés sous le même mot d’ordre sur Trafalgar Square. Le DA a finalement renoncé à marcher sur le siège de l’ANC Luthuli House dans le centre de Johannesburg pour demander la démission de Zuma, les jeunes de l’ANC ayant menacé de représailles les manifestants qui oseraient s’approcher. Des démonstrations pacifiques ont lieu un peu partout certains manifestants allant jusqu’à se poster devant la demeure des Gupta à Saxonwold, faubourg huppé de Johannesburg. Les Gupta peu à l’aise se feront même livrer un véhicule blindé militaire pour pouvoir se protéger… L’ampleur du mouvement n’est pas suffisante pour enclencher quelque réaction. Malgré la brève apparition de l’archevêque Desmond Tutu au côté des manifestants au Cap, la revendication du rassemblement d’une partie très large de la population n’est pour l’instant pas vérifiée.

Forts de la réussite de ce premier test, les organisateurs ont lancé un nouveau mot d’ordre pour le mercredi 12 avril. Une occasion de voir si le mouvement prend et se renforce, et réussi à fédérer au delà des organisations initiales, ce qui est loin d’être acquis.

Le clivage racial se fait encore sentir et des opposants à Zuma n’ont pas voulu se joindre à un mouvement qu’ils percevaient comme mené par des blancs des classes moyennes et supérieures. Les commentaires sur les réseaux sociaux mentionnent notamment le manque de réactivité de la population blanche, prompte à prendre la rue lorsqu’on touche à son pouvoir économique, mais qu’on n’a pas vu se mobiliser lors des évènements de Marikana ou contre d’autres injustices qui touchent en majorité la population pauvre noire.

Les funérailles et hommages aux héros de la libération font l’objet de joutes entre les différentes factions de l’ANC. Pravin Gordhan et Mcebisi Jonas ont été hués et empêchés de s’exprimer par des membres de l’ANCYL lors d’un hommage rendu à Durban à “Uncle Kathy”. Embêté par les démonstrations et le fait qu’elles n’aient pas été totalement anecdotiques, le président Zuma a trouvé hier la parade, lors de son discours en hommage à Chris Hani, leader du parti communiste sud-africain assassiné en 1993, dénonçant des manifestations racistes, où des nombreux panneaux auraient comparé Zuma à un singe.

L’argument du racisme et de la division de la nation arc-en-ciel selon des lignes raciales est l’argument final auquel le président Zuma a affaire en dernier recours. Soufflant sur des braises mal éteintes. Des jeunes de l’ANCYL ont récemment mis en cause la légitimité de Barbara Hogan ancienne membre de la branche armée de l’ANC clandestine et ancienne ministre et veuve d’uncle Kathy, de s’exprimer, sous prétexte qu’elle était blanche et donc raciste. Certaines sources laissent entendre que les Gupta auraient loué les services d’une agence de Public Relations londonienne, Bell Pottinger pour attiser le feu de la discorde raciale. Ce sont les services de cette agence qui auraient concocté la campagne contre le “white monopoly capital” en octobre dernier, cet élément de langage apparaissant soudainement dans le débat public et relayé par des comptes twitter nouvellement créés.

Les semaines qui viennent s’annoncent donc intéressantes, au delà de la menace de “dérive à la zimbabwéenne” déclinée à l’envi dans les commentaires économico-politiques. Ce qui est sûr c’est que la démocratie sud-africaine connaît là son épreuve la plus sérieuse depuis l’accession de Mandela au pouvoir et que l’ANC va devoir choisir entre la soumission entière à la volonté de domination (et d’accaparement) d’un chef ou le respect de l’héritage de Mandela et de ses compagnons, et leur rêve de construction d’une société multi-raciale plus juste. La bataille qu’a engagée le parti très minoritaire UDM auprès de la cour constitutionnelle pour l’obtention du vote à bulletin secret  le 18 avril est un épisode important, comme le sera la manifestation du 12 avril.

Mais on ne doit pas s’attendre à ce que Zuma se rende sans livrer une bataille pour laquelle il s’est révélé jusqu’à présent fin connaisseur et manipulateur des rouages politiques locaux…

“Je suis déterminé à être un scélérat, et à haïr les frivoles plaisirs de ces jours. J’ai tramé des intrigues, de perfides prologues, grâce à des prophéties d’ivrognes, des libelles et des rêves”… Richard III

*William Shakespeare Richard III “Now is the winter of our discontent”…

#JZ783…

Le hashtag du moment en Afrique du Sud…

Le hashtag du moment en Afrique du Sud, c’est #JZ783… 783 n’est pas le nombre fétiche de Jacob Zuma, c’est, selon ses détracteurs, le nombre de charges qui pèsent contre lui et contre lesquelles il aurait à se défendre s’il redevenait un citoyen ordinaire. L’utilisation de cette dénomination pour désigner le président Zuma a d’ailleurs créé un incident en séance du parlement le 22 novembre dernier, menant les parlementaires de la Democratic Alliance (principal parti d’opposition) à quitter l’hémicycle en signe de protestation.

Après la parution du rapport “State of Capture” (lire le billet que j’y avais consacré ici), les nuages continuent à s’amonceler au dessus de la tête du président sud-africain. Il a bien du mal à se garder de ses ennemis, et les journaux se font écho d’une inflation récente des mesures de sécurité autour de lui. Les soupçons de corruption et d’interférences avec les affaires sud-africaines de la galaxie affairiste de la famille Gupta minent le débat politique local et les contrefeux allumés par le président Zuma et ses amis semblent avoir du mal à fonctionner efficacement.

Thuli Madonsela, la précédente Public Protector avait recommandé que le président Zuma mette en place dans le mois suivant la parution du rapport, une commission d’enquête sous la responsabilité du Chief justice (le plus haut magistrat sud-africain) pour vérifier/invalider les soupçons de corruption que le rapport mettait en exergue. La semaine dernière, le président Zuma a décidé de faire examiner par les juges cette recommandation de madame Madonsela, et il se pourrait que la cour constitutionnelle, statuant sur la forme et non sur le fond du rapport rende une décision favorable à Jacob Zuma.

Sur le contenu du rapport, les médias appartenant à la famille Gupta ainsi qu’un certain nombre de leurs alliés auraient lancé une campagne Internet de décrédibilisation par voie de presse et sur les réseaux sociaux, mais qui n’a pas réussi à éloigner l’odeur de souffre du pouvoir politique. Les alliés du président Zuma ont relancé la rumeur de la malveillance d’un complot du #whitecapitalmonopoly (des gros bonnets blancs capitalistes).

Mais c’est de son camp que viennent les menaces les plus pressantes. Ce week-end s’est tenue à Pretoria une réunion du National Executive Committee de l’ANC et les voix appelant à une destitution de Zuma avant les élections de 2019 (et la conférence de fin 2017 qui doit désigner son/sa successeur/e) se sont faites plus pressantes, au point que certains membres sont revenus précipitamment de Stellenbosch où avait lieu le mariage d’un membre éminent de l’ANC pour apporter leur soutien à leur champion mal en point.

Après les scandales de Nkandla et le rapport “state of capture” et la déroute électorale de l’ANC d’août dernier (l’ANC a perdu le contrôle de trois des plus importantes municipalités d’Afrique du sud: Tshwane (Pretoria), Johannesburg et Nelson Mandela Bay au profit de ses adversaire de l’Alliance Démocratique), certains cadres de l’ANC n’hésitent plus à exprimer tout haut leur préoccupation et leur volonté d’en finir avec la présidence Zuma et l’érosion préoccupante de la base électorale de l’ANC. Les débats ont été tellement houleux que la conclusion de la réunion et la conférence de presse initialement prévues hier, 27 novembre en fin d’après-midi ont été reportées à ce soir…

De quoi animer les discussions du #saxonwoldshebeen ce soir!

 

Eish* “State capture”!

*Interjection populaire en Afrique du Sud, exprime la fatalité, l’étonnement…

Je vous l’ai déjà écrit: on ne s’ennuie jamais en Afrique du Sud, la vie politique est agitée de soubresauts vaudevillesques, avec coups tordus et rebondissements à faire pâlir d’envie le scénariste d’hollywood en panne d’inspiration. Le dernier épisode en date a eu lieu hier après la publication, que les supporters du président Zuma ont a tout pris essayé d’empêcher, d’un nouveau (et dernier) rapport de Thuli Madonsela, l’ex-Public Protector, sur “The State of Capture” mettant en évidence des faits , s’ils étaient avérés, de corruption grave et d’enrichissement personnel pour le président Zuma et un certain nombre de ses proches.

En 2014 la Public Protector (déjà!) dans son rapport “Security in Comfort” avait mis en évidence qu’une partie des améliorations de la sécurité sur le compound familial du président Zuma à Nkandla, dans son fief du KwaZulu Natal (création d’un auditorium, d’une “piscine à incendie”, et d’un poulailler) n’avaient rien à voir avec la sécurité du chef d’Etat mais pouvaient être assimilés à du gaspillage de fonds d’Etat. Cette année, alors que la PP achevait son mandat, le feuilleton de la “State Capture” est le plus suivi dans les journaux de la presse écrite et télévisée, et suscite de nombreux commentaires d’éditorialistes et de citoyens sur les réseaux sociaux qui en oublient presque que les étudiants sont toujours en grève…

Les personnages:

Thuli Madonsela: Public Protector d’octobre 2009 à octobre 2016 (nommée par le Président Zuma pour sept ans non renouvelables). Formellement membre (de base) de l’ANC, elle a participé à la rédaction de la constitution. Elle a plusieurs fois refusé d’être élue au Parlement. Une dure à cuire très consciente de l’importance de son rôle dans la défense du peuple et de la constitution sud-africaine. Son opiniâtreté dans la réalisation de son travail lui a valu une reconnaissance nationale et internationale, elle a été nommée plusieurs fois “South African of the year”, a été citée en 2014 parmi les 100 personnes les plus influentes du monde par Time Magazine (ce qui lui a valu d’être taxée d’agent de la CIA par les amis du président Zuma). Elle devait publier le rapport “The State of Capture” deux jours avant la fin de son mandat, mais les manoeuvres judiciaires du président Zuma et de ses affidés l’en ont empêchée.

Jacob Zuma: Président de l’ANC et donc président de la République d’Afrique du Sud depuis qu’il a réussi un coup de maître à Polokwane en 2008. Ancien clandestin de Mkhonto We Sizwe, le mouvement armé de l’ANC, il est connu pour sa ruse, sa chanson fétiche (“Bring me my Machine Gun”), sa propension à s’endormir pendant les débats au parlement, son élocution maladroite, son habileté à s’attacher des alliés indéfectibles et prêts à tout pour le défendre et sa cupidité. Une petite histoire (plausible mais non vérifiable) entendue à son sujet : après le congrès de Polokwane qui assurait sa mainmise sur l’ANC et la démission de Thabo Mbeki, il aurait réuni sa famille élargie et leur aurait déclaré “Now we are going to eat”.

Les frères Gupta, Ajay, Atul & Rajesh: originaires du Gujarat. Ajay, le frère aîné serait arrivé en 1993 en Afrique du Sud et aurait commencé par monter une affaire vendant des chaussures qui aurait vite fait faillite. Sa seconde tentative entrepreneuriale, Sahara consulting, dans l’IT aurait contribué au démarrage d’un conglomérat qui compte des activités très diversifiées, Mines, sous-traitance pour compagnies d’armements, IT, titres de presse et chaîne de télévision… Très liés au président Zuma, les Gupta ont embauché plusieurs enfants Zuma dont un fils, Duduzane, est CEO d’une de leurs compagnies. Les trois frères recevaient leurs partenaires en affaires plus ou moins louches dans leur somptueuse propriété (construite en dépit des règles du voisinage) de Saxonwold, quartier chic de Johannesburg, mais ont depuis le début de l’année trouvé refuge à Dubaï, n’étant plus en odeur de sainteté auprès des banques sud-africaines.

Mosebenzi Zwane: Ministre des Mines, intronisé par les Guptas, il est allé négocier en Suisse, la cession d’une mine d’Uranium à Oakbay, la holding des Gupta. Les mauvaises langues prétendent que cette acquisition permettait aux Gupta de se positionner pour fournir en uranium la future centrale nucléaire dont Zuma veut la construction malgré l’opposition de deux anciens ministres des finances redoutant l’effet dévastateur sur le déficit commercial déjà colossal du pays. Fervent défenseur du président Zuma il n’hésite pas à monter au créneau pour pourfendre ses détracteurs (et les détracteurs des Gupta).

Des Van Rooyen: Trésorier de l’association des vétérans de Mkhonto We Siswe, composante de l’ANC regroupant les anciens clandestins. Ephémère ministre des finances en décembre 2015 lorsque le président Zuma démit brutalement de ses fonctions le précédent Nhandla Nene, qui s’opposait un peu trop fermement aux plans de certains patrons d’entreprises para-étatiques qu’il jugeait trop dispendieux, notamment l’impopulaire (et indéboulonnable) présidente de South African Airways SAA, présidente de la fondation Zuma. La chute brutale du rand consécutive à sa nomination a mis fin à l’aventure. Le président Zuma a déplacé aux affaires provinciales, moins exposées, celui qu’il jugeait plus que qualifié pour diriger les finances du pays car il avait effectué par correspondance un master en finance d’une université britannique. Pour la petite histoire, un fonctionnaire du ministère ou Van Rooyen travaillait auparavant a filtré récemment dans la presse que lui et certains de ses collègues avaient été réquisitionnés pour écrire les “papers” que VR devait envoyer pour valider son diplôme…

Brian Molefe: Président d’Eskom, compagnie d’électricité nationale (parfois surnommée Eishkom, notamment après les épisodes nombreux de Loadshedding de 2008), aurait plusieurs fois, sous l’incitation des proches de Zuma favorisé les sociétés appartenant aux Gupta pour l’obtention des marchés passés par son entreprise.

Mcebisi Jonas: S’est vu proposer beaucoup d’argent (qu’il a refusé) par les frères Gupta pour reprendre le ministère des finances au moment où le président Zuma cherchait à faire remplacer le ministre des finances Nene.

Le scénario:

L’empire Gupta a beaucoup profité des années de pouvoir du président Zuma et un certain nombre d’observateurs ont noté que ce n’était probablement pas totalement sans corrélation. Un certain nombre de marché publics ont été passé avec des compagnies de la sphère Gupta en dépit des règles d’attribution desdits marchés publics. Thuli Madonsela, la “Public Protector” a donc décidé, comme c’est son droit, de diligenter une enquête pour laquelle elle avait demandé des moyens supplémentaires qui ne lui ont jamais été accordés. Tenace, elle a quand même réussi à boucler une enquête pour laquelle elle a demandé à auditionner le président Zuma à plusieurs reprises. Après sept mois d’attente elle a fini par avoir une entrevue avec le président et son conseiller juridique dont la défense était de dire qu’il n’avait pas le temps de répondre aux questions et que l’enquête devait être transmise à la successeure de Thuli Madonsela mi-octobre. Madonsela ne souhaitant pas courir le risque de voir enterrer son rapport décidait de le publier trois jours avant le terme de son mandat.

Les supporters/affidés du président Zuma tentent alors le tout pour le tout. Les conseillers du président font valoir devant le tribunal de Pretoria que, le président n’ayant pas eu le temps de répondre à la PP, le rapport ne pouvait être publié comme tel. Des Van Rooyen (éphémère ministre des finances) fait de même. La décision du tribunal de Pretoria est fixée au 2 novembre, donc après la fin du mandat de madame Madonsela. Certains pressent cette dernière de publier quand même le rapport, mais elle décide de jouer dans les règles et de respecter la loi en ne le faisant pas, mais elle confie le rapport à la garde de la numéro un du parlement, qui commence par refuser le cadeau empoisonné puis par effectuer un revirement au cours du week-end sous la pression de cadres de l’ANC. Si la nouvelle Public Protector veut enterrer le rapport, elle ne le pourra pas…

Dans la quinzaine de jours qui mènent au passage au tribunal, les hostilités entre les pro et les anti-rapport se multiplient. Les affidés du président Zuma accusent la PP d’avoir utilisé des fonds étrangers (ie: la CIA) pour financer l’enquête (pour laquelle l’Etat a refusé de lui allouer des fonds supplémentaires). Le ministre des Mines Mosebenzi Zwane se joint aux plaintes du président Zuma et de Des Van Rooyen pour faire interdire la publication du rapport.

Le deuxième acte se joue à Pretoria le 2 novembre. Au tribunal et dans la rue où les supporters de l’EFF manifestent pour demander la démission du président Zuma. Entretemps, Dees Van Rooyen a retiré puis réactivé sa demande que le rapport ne soit pas publié car il n’a pas eu le temps d’y répondre. Coup de théâtre, le président Zuma, par la voie de ses conseillers renonce à demander l’interdiction de publication du rapport. Les juges du tribunal de Pretoria ordonnent que le rapport “State of Capture” soit publié dans la journée et refuse l’action de Van Rooyen qui s’est montré très inconsistent.

Le rapport est largement diffusé dans les organes de presse et sur les réseaux sociaux. Son sous-titre est très explicite: “Report on an investigation into alleged improper and unethical conduct by the President an other state functionaries relating to alleged improper relationships and involvement of the Gupta family in the removal and appointment of Ministers and Directors of State-owned Enterprises resulting in improper and possibly corrupt award of state contracts and benefits to the Gupta family’s businesses”. Il résulte du rapport de 355 pages que les soupçons de corruption sont très forts.

Sur la nomination des ministres, il présente les deux témoignages qui avaient fuité dans la presse dès le mois de mars des membres de l’ANC Mcebisi Jonas et Vytjie Mentor, qui se seraient vus proposer, par Ajay Gupta, le poste de ministre des finances alors tenu par monsieur Nene, contre de l’argent (600 000 rands en cash plus autant sur son compte en banque pour monsieur Jonas), ou des retours d’ascenseur (licenciement d’un chef d’administration trop tâtillon, le rétablissement d’une liaison aérienne directe vers l’Inde pour l’autre). En plus de ces témoignages, le rapport expose les rapports plus que proches des Gupta avec des membres du gouvernement, notamment Des Van Rooyen qui serait allé plus de sept fois les visiter à Saxonwold avant sa nomination malheureuse, plus un voyage éclair à Dubaï (une demie-journée en “visite privée”) alors que les Gupta s’y trouvaient.

Les relations troubles du patron d’Eskom, Brian Molefe avec les Gupta y sont aussi exposés, de la nomination du conseil d’administration en 2014 dont les membres auraient été choisis minutieusement dans des alliés de la famille Gupta, à la négociation de contrats fournisseurs permettant à une société des Gupta de disposer d’assez de trésorerie pour faire une acquisition, dont le ministre des mines lui-même aurait facilité, en marge du forum de Davos, la conclusion…

L’étude des relevés des téléphones portables d’un certain nombre des protagonistes de l’affaire a montré les relations très proches entre eux. Comment expliquer qu’un haut serviteur de l’Etat comme Brian Molefe (patron d’Eskom) appelle aussi régulièrement un patron aussi occupé qu’Ajay Gupta, que la géolocalisation de son téléphone (erreur de débutant!!!) permette de le situer au compound des Gupta aussi souvent?

Bref, le rapport présente une compilation impressionnante de faits qui s’ils sont avérés ressortent de la corruption au plus haut de l’appareil d’Etat. Le manque de moyens de la PP ne lui a pas permis d’établir les faits avec le plus haut degré de preuve. Elle recommande donc (ses avis sont consultatifs, non contraignants) l’ouverture d’une enquête avec les moyens appropriés sous l’égide du plus haut magistrat du pays le chief justice Mogoeng Mogoeng, et non par la présidence. A charge pour l’équipe nommée d’établir les faits et d’amorcer les poursuites nécessaires.

Epilogue:

Thuli Madonsela a donc réussi sa sortie et l’on doit reconnaître un certain panache à la nouvellement nommée professeure titulaire de la chaire de “social justice” à la très chic université de Stellenbosch. Même si les partis d’opposition (et une partie des membres de l’ANC) le demandent, il est fort probable que le président Zuma, actuellement aux chutes Victoria pour une rencontre avec son homologue zimbabwéen, démissionne avant la fin de son mandat. L’argent mal acquis de la famille Gupta a été en grande partie transféré à Dubaï et il y a fort à parier que l’Etat sud-africain ne pourra jamais récupérer les fonds malhonnêtement acquis via des faits de corruption. On peut aussi saluer la force de la justice en Afrique du Sud, qui a prouvé une fois de plus son imperméabilité aux pressions politiques. En un pays qui peut avoir confiance en sa justice il est permis d’espérer!

PS: Le patron d’Eishkom, Brian Molefe a fondu en larmes hier en conférence de presse lorsqu’il a été interrogé sur le rapport. A des journalistes qui lui demandaient comment il pouvait avoir été géolocalisé aussi souvent à Saxonwold il a maladroitement répondu qu’il y avait un “shebeen” (terme qui désigne un bar dans les townships) à Saxonwold. Depuis hier le mot-dièse #saxonwoldshebeen fait un tabac sur twitter, tous cherchant à situer ledit shebeen, ce qui hautement improbable compte-tenu de la qualité hautement résidentielle du quartier. En attendant, cette défense maladroite est devenue la dernière source de rigolade de la twittosphère sud-africaine.