A quoi rêvent les jeunes filles?

Pour la journée internationale de la fille, un petit texte écrit en atelier d’écriture avec Marie-Agnès Valentini, et jouant avec la contrainte des mots d’Inktober!

Tu t’es perdue dans un rêve. Ce genre de rêve fumeux où tu arpentes des jungles lointaines, et que tu te trouves (toujours !) en face d’une araignée de taille monstrueuse qui te chavire le cœur. « Pourquoi toujours les serpents ? » s’exclame invariablement Indiana Jones. Toi ta némésis animale, le truc qui te fais toujours flipper, ce sont les araignées. La plus petite d’entre elle te fait l’effet d’une tarentule. Tu poursuis ton chemin dans une forêt humide et moite. Un être indéterminé, un singe hurleur peut-être, un tapir ou un fourmilier, s’esquive sur une piste latérale, une de ces pistes inscrites sur aucune carte, tracée par les pattes et les sabots de ces milliers d’êtres de l’ombre, furtifs, fuyants, guidés par des milliers d’années de sélection naturelle, de confrontation avec les éléments.

Tu te prends au jeu, admirant un papillon doré, une minuscule fourmi buvant dans le globe d’une goutte, un crapaud rebondissant sur une souche moussue. Quelle chance ! Tu continues ta promenade, reniflant l’air humide saturé de senteurs épicées. Tu volettes, tes pas impriment à peine leur marque sur la glaise moussue. Tu furettes dans les parages, tentes de te faire une idée de ces environs qui te paraissent familiers mais qui pourtant te sont totalement inconnus. Reconnais-tu cet arbre au tronc hérissé de piquants ?

Elève Poulard, faut-il que je hausse le ton ? sermonne madame Touré te faisant revenir d’un seul coup à la réalité. Adieu ton rêve, adieu la jungle, adieu les châteaux végétaux formés par les canopées magiques. Madame Touré et ses fadaises sur le carré de l’hypoténuse te font l’effet d’un coup de poignard. Toi qui es tapie au fond de la classe, près du radiateur, position stratégique d’où tu combats anges et démons, en selle sur la Rossinante de tes pensées vagabondes. Les épaules dodues de ta fidèle Bérénice te masquent d’habitude de l’insistante inquisition de madame Touré. De cette forteresse, tu supportes gel et givre, sur les sommets de la chaîne de montagnes où t’emmène une imagination fertile nourrie des récits d’un grand-oncle voyageur.

Plus te plait le séjour rugueux des petits hameaux des contreforts de l’Himalaya et les voûtes célestes piquetées d’étoiles, que la fréquentation de cette salle de classe qui sent le renfermé. Tu prendrais bien ton envol, par-delà les toits et les antennes-relais, tu gagnerais bien la couche superficielle de l’atmosphère, où une station spatiale d’où tu planerais tel un milan au-dessus du bocage, cherchant à repérer lapereaux, mulots et campagnols.

Elève Poulard ! Vous êtes sur une pente dangereuse ! s’énerve madame Touré. Revenez donc sur terre, enlevez-vous de la tête toutes ces fantaisies, et pensez à Pythagore. Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes !

Que t’importe de briller dans cet antre du savoir prémâché ? Le monde est immense, et toi tu es pressée. Toutes les madame Touré du monde n’y pourront rien. Tu as déjà le feu sacré, tu seras exploratrice !

Leave a comment