Quand le droit sud-africain s’intéresse à la parentalité… (devenir père à Johannesbourg – suite)

Une décision juridique admirable du juge Kollapen sur ce qui constitue la paternité dans l’Afrique du Sud démocratique…

Qu’est-ce qui fait le(s) père(s)?

La réponse à cette question n’a rien d’une évidence. Chaque culture, chaque système juridique a, autour de la reproduction biologique, mis en place des éléments pour définir les places et les droits et les devoirs de chacun. Très récemment, une page importante du droit sud-africain de la famille a été écrite par la Gauteng High Court of Justice.

Le juge Kollapen y a rendu un arrêt important sur la détermination de ce qu’est un père. Cette question était portée à la connaissance du juge dans un cas très particulier, celui de la mort d’un enfant de six ans, né lourdement handicapé du fait d’erreurs médicales au moment de sa naissance. Comme je l’ai déjà mentionné dans ce blog, les maternités publiques du Gauteng essuient chaque année un nombre record de poursuites judiciaires pour des manquements professionnels du personnel des maternités. Ces négligences des professionnels conduisent à des séquelles parfois graves pour les mères et les enfants, et le service de santé de la province consacrerait près de quarante pour cent (40%!) de son budget annuel à payer des indemnités aux victimes…

C’est ce qui s’est passé pour cet enfant, né il y a huit ans avec une invalidité moteur cérébrale très importante suite à une négligence médicale. La justice sud-africaine a fini par octroyer à l’enfant une somme très conséquente, en réparation des dommages passés et futurs sur sa santé. Il est décédé en 2018, n’ayant survécu que quelques mois au jugement, faisant la fortune de ses héritiers potentiels.

Les rangs des héritiers potentiels comptaient la mère de l’enfant, sa grand-mère maternelle, et le père biologique qui s’est manifesté, alléché par la perspective d’un enrichissement aussi soudain qu’inespéré. Le père s’est vu débouter par le juge Kollapen de ses prétentions à l’héritage, dans un jugement plein de sagesse qui rend justice à l’inégale répartition de la responsabilité de l’éducation des enfants en Afrique du Sud et notamment, au rôle crucial jugé par les grands-mères, les “gogos”, dans la vie de leurs petits-enfants.

Les avocats du père ont argué du fait que la parenté biologique de leur client vis à vis de l’enfant lui octroyait automatiquement une part de l’héritage, ce qu’a réfuté le juge, en lui opposant “la vérité, la réalité, et la loi”. Le jugement a fait valoir que le père et la mère de l’enfant ne se sont jamais mariés et n’ont jamais cohabité. Le père s’est désintéressé de l’enfant du fait de son handicap et ne l’a pas vu après ses six mois. La mère, dépressive et sans emploi, avait du mal à s’occuper de l’enfant et disparaissait parfois des jours entiers du domicile de sa mère où elle vivait. C’est la grand-mère qui a assuré les soins quotidiens du bébé puis de l’enfant, quasiment aveugle qui ne pouvait pas s’asseoir, se nourrir, et qui demandait une attention constante. La grand-mère avait renoncé à son emploi de coiffeuse pour prendre en charge son petit-fils et sa douloureuse vie.

Les liens du sang suffisent-ils à établir la parenté et le droit à l’héritage d’un enfant décédé? Non a décrété le juge. Le lien de parenté est aussi établi par la présence constante et attentive auprès des enfants. Assumer sa part de responsabilité auprès des enfants compte plus que la génétique.

Le juge Kollapen a donc octroyé à la mère et à la grand-mère le droit de se partager l’héritage. Dans son jugement, il pose que la seule biologie ne peut servir à établir la parenté. Les textes de la loi sud-africaine posent des exigences minimales pour établir la paternité, le paiement d’inhlawulo pendant la grossesse ou après l’accouchement peuvent faire foi. Mais les droits et les devoirs afférents à celle-ci impliquent un minimum d’engagement à contribuer à l’éducation de l’enfant, ce que le père biologique n’avait pas fait.

Comme beaucoup de grand-mères sud-africaines, la grand-mère a hébergé la mère et l’enfant, et pris en main, de façon totalement désintéressée les soins et l’éducation de l’enfant. C’est elle qui doit être considérée comme ayant tenu le rôle de co-parent auprès de son petit-fils, et, de se fait, percevoir sa part d’héritage.

“Chez nous, il n’y a que des grossesses non désirées, il n’y a pas d’enfant non désiré” écrit la romancière Sindiwe Magona dans son autobiographie. Elle rend hommage à ses parents qui l’ont aidée à assumer la charge de ses enfants. La colonisation puis l’apartheid ont déstructuré la vie familiale des populations noires en Afrique du Sud. Le principe du travailleur migrant, vivant dans des foyers pour célibataires près des mines en laissant leur famille en zone rurale a conduit à une démission des maris et des pères, laissant aux mères et aux grands-mères la majorité des responsabilités dans l’éducation des enfants. J’ai déjà évoqué “The cry of Winnie Mandela” de Njabulo Ndébélé, ou “Mother to mother” de Sindiwe Magona (tout juste traduit en français!) romans dans lesquels on voit comment les femmes ont dû faire sans les hommes pour élever leurs enfants. Depuis l’avènement de la démocratie, malheureusement, la tendance ne s’est pas inversée, la proportion d’enfants élevés par des femmes seules continue à croître.

On aimerait rêver que cette extraordinaire décision de justice fasse avancer les choses…

L’Ange déchu…

Souvenir de la vie à Johannesbourg, remonté lors un exercice d’écriture sur “écrire le milieu urbain”

Tous les jours que Dieu fait, il est installé là, à l’embranchement entre les quatre voies d’Oxford Road et Rudd Road. Tous les jours, il profite des changements de couleur du “robot” (feu de circulation) pour, en un ballet bien réglé, glisser dans l’intervalle entre la première et la seconde voie de gauche, droit sur ses jambes, les coudes à l’équerre, et tendre ses deux mains vers l’avant, dans la position du receveur d’offrande. Il se range sur le côté lorsque le feu passe au vert et laisse le flot de voitures prendre la direction du sud de Johannesbourg. Post-adolescent monté en graine, avec une stature athlétique, il est beau, contrairement au bossu de Bompas, ou à la paralytique de Corlett, à quelques encablures de là. Une figure poupine à la peau lisse couleur café au lait, des yeux tellement ronds, qu’ils en paraissent exhorbités, très noirs, ourlés de cils drus et recourbés, un nez assez petit pour évoquer un visage enfantin, et la bouche boudeuse des angelots de la Renaissance. Il porte une afro courte d’un blond naturel tirant sur le roux à cause de la poussière rouge qui surplombe la ville. Au heures les plus chaudes de la journée, des gouttes de sueurs perlent à son front et sur les ailes de son nez.

Il a jeté sur ses épaules une grande couverture élimée, dans les tons bruns, qui lui fait comme une cape, et lui donne une allure d’Ange déchu. Lorsqu’il écarte les mains pour se ranger avant que les voitures ne démarrent, juste au dernier moment, il laisse voir des vêtements miteux, un pantalon et une chemise en toile claire dont la poussière a uniformisé la teinte. Il s’écarte et se replace, les yeux baissés, sans se préoccuper des conducteurs. Il ne parle pas, n’interpelle pas, n’implore pas, sa posture suffit. Il y a dans son attitude un mélange d’obstination et de résignation.

Comment a t’il choisi cet emplacement à la convergence des routes qui relient les arrêtes d’un polygone stratégique? Un polygone délimité par les gratte-ciels tape-à-l’oeil de Sandton City, « ville la plus riche d’Afrique », siège du Joburg Stock Exchange et de concessionnaires de voitures de luxe, le club de Polo d’Inanda, une business school réputée, un terrain de golf, un stade de Cricket où ont lieu les rencontres internationales, et Rosebank, première et éphémère remplaçante du Central Business District à la fin de l’apartheid. Un emplacement de premier choix, coincé entre des restaurants gastronomiques où les « business men » du coin aiment à inviter leurs clients, un « liquor store » où les jeunes cadres dynamiques de la nouvelle Afrique du Sud s’approvisionnent pour leurs beuveries d’après les heures de bureau, un bar où se réunit le gratin des rédactions des médias locaux.

A t’il négocié une « taxe » avec les vigiles du petit immeuble de bureau juste à côté, au rez-de-chaussée duquel se trouve un restaurant chic ? Fait-il des paris sur les profils de ses bienfaiteurs du jour, dans cette ville ou la plupart des noirs marchent et prennent les transports en commun et les blancs circulent en voiture particulière ? Avec quels conducteurs a t’il le plus de chance, les jeunes et moins jeunes professionnels « à haut potentiel » dont le modèle de voiture traduit l’importance qu’ils aiment s’accorder ? Où les petits vieux habitant encore le quartier parce que ce sont leurs parents qui ont fait construire dans ce cadre champêtre et banlieusard à une époque où il n’était pas nécessaire d’ériger de hauts murs surmontés de clôtures électriques ?

Il ne dit rien, l’Ange déchu. Lequel de ces véhicules s’arrêtera et baissera sa vitre aujourd’hui ? Le chauve rondouillard et bedonnant qui beugle dans le kit main libre dans sa voiture de sport ? Le jeune cadre pressé dans sa citadine ? Le diamant noir écoutant du Rap dans sa Ferrari? L’implorant fait un pas de côté quand arrive un de ces imposants quatre-quatre qui donnent à leur propriétaire le même sentiment illusoire de sécurité que les systèmes d’alarmes perfectionnés et les gilets pare-balles des vigiles de leurs quartiers hautement sécurisés. Pas plus de chance avec les artisans qui transportent à l’arrière de leur bakkie du siècle dernier leur personnel et leur matériel de chantier. Il se méfie des minibus Quantum, ces taxis collectifs dont les chauffeurs vendraient leur mère pour aller plus vite et gagner plus d’argent. Ceux-ci n’hésitent pas à brûler le feu pour être les premiers à harponner un client de l’autre côté du carrefour, devant le « Liquor Store ».

Il a ses habitués, le suppliant. Un jeune employé noir qui, tous les matins lui dépose quelques dizaines de rands, en allant à son bureau dans l’un des immeubles avoisinant. Une vieille bigote dans une coccinelle blanche vintage qui passe tous les jours et lui glisse un billet « et que Dieu le bénisse ». Parfois, lorsqu’elle replie son étal, la marchande de fruits, de chips et de biltong qui fournit les collations des petits employés lui donne un petit quelque chose, une pomme un peu blette, une banane trop brune, une orange qu’il roule sous le pied pour l’attendrir avant de croquer dans sa peau amère pour la perforer de ses dents et en aspirer le jus. Peut-être aussi que le gérant du « Liquor Store » de l’autre côté du carrefour, qui attend que les jeunes professionnels du quartier aient approvisionné en alcool leur soirée d’after-work cocaïnées pour baisser son rideau en fer noir et sa grille, ce gérant donc, lui glisse une bouteille d’eau, de soda, ou de boisson énergétique à lui, l’implorant qui se tient debout toute la journée à la croisée des voitures. L’implorant qui inhale toute la journée les étouffantes vapeurs lourdement carbonnées des pots d’échappement dans un air où l’oxygène est déjà rare. Jobourg est à 1600 mètres au-dessus d’une mer que l’Ange Déchu n’a probablement jamais vue.

Qu’a t’il dans la tête, le pénitent du croisement ? Qu’est-ce qui peut bien l’attacher à ce minuscule bout de trottoir pavé de briques dont les autorités locales ont essayé de le chasser en le forçant à enlever son grabat au coin sous l’arbre où il l’y avait installé pour y planter une rocaille d’aloès et de succulentes, sous prétexte d’embellissement du quartier. Des autorités qui ne s’émeuvent guère que des grandes propriétés ombragées laissées à l’abandon finissent par être rachetées par des promoteurs pour y construire des complexes modernistes ou méditerranéens aux noms prétentieux, « Villa d’Este » ou « Tivoli Gardens ».

Quel air a t’il dans la tête, l’Ange Déchu ? On pencherait pour la ligne de basse d’Inner City Blues de Marvin Gaye et ses strophes syncopées.

« Rockets, moon shot

Spend it on the have-not’s

Money, we make it

Before we see it you take it”

Un rythme qui irait bien à Oxford Road, cette artère qui décrit l’histoire de Jo’burg, du premier puit de mine de City Deep aux falaises sur lesquelles ont poussé les manoirs aux jardins manucurés des Randlords, en passant par les quartiers arborés de la banlieue nord et leurs rues bordées de jacarandas, jusqu’aux tours irisées tutoyant le ciel de Sandton City, la Clinquante. Lui trotte-t’-il dans la tête le son des claves métalliques du début de Stimela de Hugh Masekela racontant la longue odyssée en train à vapeur de ces hommes venus des pays avoisinants trimer pour des salaires de misère dans les mines du Witswatersrand ?

« There is a train that comes from Namibia and Malawi

There is a train that comes from Zambia and Zimbabwe

There is a train that comes from Angola and Mozambique

From Lesotho, from Botswana, from Swaziland”

A-t’-il dans la tête les rythmes des gumboots dances, ces danses inventées par les mineurs pour se donner du courage pendant les pauses au milieu de longues rotations dans le ventre de la terre ?

Voyage, voyages…

Ce qui me manque le plus de ma vie d’avant la pandémie…

“Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,

L’univers est égal à son vaste appétit.

Ah, que le monde est grand à la clarté des lampes!

Aux yeux du souvenir que le monde est petit!”

Charles Baudelaire. Le voyage

Les voyages me manquent.Quelques jours avant le second confinement, j’ai dû faire refaire mon passeport, étant arrivée à épuiser les pages destinées aux visas. J’avais encore en perspective un déplacement en Afrique. C’était le moment idéal pour refaire un passeport! Il m’a été livré en un temps record. J’ai dû rendre le précédent, me privant du plaisir de regarder une fois encore ces souvenirs de mes tribulations des dernières années. Et bien cela m’a affectée plus que je ne l’aurais cru!

Il m’arrivait parfois de feuilleter les pages de la rubrique “visas” de mon précieux viatique, comme Frodon son anneau magique, juste pour le plaisir de revoir les marques tamponnées à l’encre et paraphées au stylo bille, qu’y ont laissées les autorités aéroportuaires ou les services consulaires. Fioritures, photos d’identité intégrée, kryptogrammes… Telle Dom Juan égrenant ses conquêtes, j’étais heureuse de revoir ces traces de mes périgrinations passées.

Depuis le mois d’octobre, aucun visa n’est venu troubler les pages désormais vides de mon nouveau passeport, plus vierge que Jeanne d’Arc. Pas le moindre projet de sortir du territoire national! Les années précédentes, à cette période de l’année, j’avais toujours en ligne de mire quelques escapades plus ou moins lointaines. L’an dernier je m’apprêtais à m’envoler pour le Bénin, pour un voyage professionnel où j’ai pu profiter d’un week-end pour avoir un aperçu moins partiel que lors des déplacements planifiés. Adjarra la ville des tambours, Porto Novo, Ouidah, la Côte des Pêcheurs découverts avec une jeune collègue béninoise et le meilleur chauffeur/guide de Cotonou, m’ont laissé des moments d’émerveillement et de joie profonde.

Rien de tout cela cette année. Je pourrais jouer les vertueuses en prétendant que je m’en réjouis pour mon bilan carbone. Il n’en est rien. Les voyages me manquent, avec le contact avec l’imprévu qu’ils procurent, le frisson de l’inconnu, les rencontres -j’assume les clichés! Je maudis -tout en comprenant les raisons du gouvernement mauricien- les retrouvailles sans cesse repoussées pour cause de fermeture des frontières, avec ces antipodes qui sont devenus ma seconde maison. Cet ailleurs où j’aime regarder le rayon vert apparaître à l”horizon, alors que le soleil se couche sur la baie de Tamarin, et voir pousser les manguiers plantés il y a douze ans dans mon jardin. Je porte le deuil (temporaire) des projets de retour en Afrique du Sud pour retrouver les amis et faire, encore une fois un tour au Kruger, et du premier voyage au Vietnam que nous avions commencé à planifier, avant l’arrivée du virus couronné.

La leçon la plus cruelle de la pandémie pour moi, et je réalise combien je suis chanceuse, c’est ce sevrage brutal avec cette possibilité de parcourir le monde. Certes, j’ai la chance d’habiter un pays où la variété des territoires est incroyable, et que je connais finalement peu. J’ai découvert la Normandie alors que sa proximité de Paris me paraissait autrefois une source d’ennui profond. J’ai appris à apprécier les colombages, les grandes bâtisses des haras, les plages de la Manche et leurs cieux aux cent cinquante nuances de gris. J’ai découvert Cognac et Oléron, Saint-Jean du Gard et Nîmes, le Mont St Michel et Saint Malo, j’ai arpenté la dune du Touquet et dégusté des huîtres et des coques sur les bords du Golfe du Morbihan.

Que demander de plus?

Un drôle d’instrument…

En attendant le prochain billet, un texte issu d’un atelier d’écriture avec Sophie Lemp…

Je me souviens de la première fois que je l’ai vu. C’était sur la bibliothèque-bureau de chambre de mes parents. Papa travaillait des examens de médecine agricole pendant que Rémy et moi révisions le bac. Il avait un coin dédié pour ses manuels de cours, ses blocs-notes, et sur le coin d’une de ses étagères, il avait posé un objet simple et curieux. Un objet que j’ai trouvé beau dès que je l’ai vu. Beau dans la pureté de ses lignes et dans sa matière, un bois clair patiné par les ans. Je n’ai pas identifié ce que cela pouvait être, il paraissait assez ludique. Mesurant entre quinze et vingt centimètres, il pouvait ressembler à une trompette miniature, sans boutons ni clefs, un tube s’évasant des deux côtés, avec une corolle plus imposante d’un côté que de l’autre.

Papa jouait de la guitare et n’hésitait pas à pousser la chansonnette ou souffler un air sur un harmonica, mais je ne l’avais jamais entendu produire cet instrument curieux. J’ai fini par lui demander, un jour, ce que c’était. « Ca ? » Il se tourna vers moi, abaissant ses lunettes sur son nez pour me regarder par-dessus avec un éclat de malice dans les yeux. « Ca ? C’est le stéthoscope de Pinard de mon père ! ». « Un stéthoscope ? Mais ça ne ressemble pas du tout à un stéthoscope ! » me rebellais-je. Il se payait ma tête ! Cette trompe en bois n’avait rien de commun avec un stéthoscope !

« C’est l’ancêtre du stéthoscope que tu connais, celui-ci appartenait à mon père. Il me l’a donné pendant mes études de médecine. Il peut encore être très utile pour ausculter le ventre des femmes enceintes ! ». Il le saisit entre le pouce et deux doigts, appliqua son oreille sur la corolle la plus plate, et fit mine d’appuyer la corolle la plus large sur une personne invisible, les yeux orientés en diagonale vers le ciel. On aurait dit Tryphon Tournesol et son cornet acoustique ! Je ne sais pas ce qu’est devenu ce stéthoscope. Je ne l’ai plus vu. J’imagine que j’ai cessé de m’y intéresser. Il y a tellement de fatras sur cette bibliothèque. Maman n’a pas classé ses affaires lorsqu’il est mort. Elle a tout laissé en place.

Il y a quelques mois, je suis allée observer des consultations d’obstétrique au Bénin. La salle de consultation n’était pas de toute première fraîcheur, le lit d’examen était tout défoncé. Sur la paillasse au carrelage blanc, à côté de la boîte tambour au-dessus du scotch « spéculum » et du mètre de couturière, un tube en aluminium blanchi, un peu cabossé. Etait-ce la chaleur, mal combattue par les grosses pales du ventilateur ? Les larmes me sont montées aux yeux lorsque la sage-femme appliqua sur le globe parfait du ventre de sa patiente, la corolle en alu du stéthoscope de Pinard…