Pleure, ô pays bien aimé…

J’ai eu du mal à écrire ce post, je l’ai remâché mille fois dans ma tête, et je me suis décidée à vous le livrer tel quel. Le mois de juillet a été éprouvant pour tous les amoureux de l’Afrique du Sud, mais plus encore pour mon cercle d’amis à Johannesbourg. Samedi 17 juillet, à 14h30, nous avions rendez-vous en visioconférence pour la cérémonie d’adieu à R. décédé le 1er juillet après deux mois d’hospitalisation en service de réanimation pour avoir contracté le Covid au mois d’avril.

Cette semaine a coïncidé avec celle des heurts suivant l’incarcération de Jacob Zuma, l’ex-président de la république sud-africaine doit purger une peine de quinze mois pour outrage à la justice. Il a consciencieusement évité de répondre aux questions embarrassantes des juges cherchant à l’entendre à propos des 783 (et quelques) charges de corruption qui pèsent contre lui. Au point d’indisposer les magistrats qui l’ont fait condamner à quinze mois de prison pour mépris de la justice. Dans le bras de fer qui a succédé, les autorités lui ont donné cinq jours pour se rendre avant que la police vienne l’arrêter dans son domaine de Nkandla. Les membres de la famille de Zuma et des partisans ont appelé à la “résistance” de ses partisans pour lui éviter la prison. Peine perdue, l’ancien président s’est rendu.

Après l’incarcération de Zuma, les alliés de l’ancien président ont appelé à une démonstration de force en bloquant les routes dans la province du KZN sous la bannière #shutdownKZN. Ces manifestations se sont transformées en scènes de pillage massif, essentiellement dans la province du Kwazulu-Natal fief de la famille Zuma, mais aussi dans le Gauteng, où habite la seconde plus forte proportion de zoulous.

Le bilan de cette semaine folle s’est alourdi à plus de 330 morts, et à des dégâts matériels considérables, principalement dans le Kwazulu-Natal. Des centres commerciaux entiers ont été détruits, des camions incendiés au niveau du péage de Mooi Riber sur la N3, la route qui relie Johannesbourg à la ville de Durban, principal port du pays et capitale de la province, des rumeurs se sont propagées. Les étrangers craignaient une flambée xénophobe comme il y en avait eu en septembre 2019. A Johannesbourg, ce sont essentiellement les commerces des townships comme Alexandra ou Soweto qui ont été dévastés, alors qu’aux abords de Durban, même les malls des quartiers plus aisés étaient visés.

Le gouvernement Ramaphosa a mis du temps à réagir. L’envoi de l’armée en renfort pour sécuriser les centres commerciaux semble, en tout cas pour l’instant, avoir calmé le jeu. Mais des milliers de commerces ont été détruits, des milliers de commerçants ont tout perdu, et des milliers d’employés du commerce qui n’avaient pas perdu leur emploi du fait de la pandémie, vont probablement se retrouver sans moyen de subsister. S’il restait un minimum de confiance dans le gouvernement de l’ANC, alors que le pays subit une troisième vague de Covid 19, que les hôpitaux sont débordés, et que la campagne de vaccination a marqué le pas dans deux des provinces les plus peuplées du fait des manifestations, celle-ci a été réduite à néant. Les chaînes de logistiques locales ont par ailleurs été compliquées par le blocage de la N3 et les incendies de camions.

Cette semaine là, le pays a craint un basculement dans l’anarchie. Certains amis de mon âge disent n’avoir pas souvenir de tels évènements de leur vivant, et certainement pas depuis l’avènement de la démocratie dans le pays, la tension est redescendue, mais pour combien de temps? Le président Ramaphosa saura t’il trouver une solution pour éteindre toutes les braises?

C’est à l’issue de cette semaine que la famille de R a décidé de réunir en visioconférence les membres de la famille, les amis et les collègues qui le souhaitaient pour une cérémonie d’hommage. R est mort à l’hôpital, après deux mois de hauts et de bas, et une petite accalmie qui lui avait permis de revoir K, son épouse, et leurs deux enfants, rentrés d’Ecosse où ils étudient, avant que le virus n’endommage plus son organisme, et que les conditions d’accueil dans un hôpital submergé de patients Covid n’interdisent aux proches de venir lui rendre visite et le soutenir par leur présence.

R n’étant pas croyant, les discours sur la vie éternelle et la résurrection des morts auxquels je suis habituée en tant que catholique nous ont été épargnés. La cérémonie s’est centrée sur R, sur celui qu’il avait été, qui serait célébré et regretté, dans des souvenirs à la fois poignants et joyeux de ce.lle.eux qui l’ont connu et aimé. Les sanglots n’ont pas manqué. Les témoignages des proches, du frère et de la soeur aînée lui survivant, de son ami d’enfance, de K et de leurs deux enfants, et de leurs d’amis intimes ont été poignants. Plus joyeuses étaient les évocations des performances de R. sur les pistes de danse, de sa vocation avortée de manager d’un groupe de punk rock lors de ses études de droit à Wits, ou de son goût pour les chapeaux flashy pour protéger sa peau pâle de descendant de migrants écossais.

Etrange cérémonie, entre sourire et larmes, rendue nécessaire par les circonstances particulières. L’interdiction de se réunir a forcé les familles à trouver des moyens nouveaux de rendre un dernier hommage à R., malgré les distances et les précautions sanitaires.

Ce qui prédominait, pour tous, c’était le choc. Pendant les deux mois où nous avions suivi le cours de sa maladie après son hospitalisation, sur le groupe WhatsApp dédié à informer ses amis, pour ne pas submerger K de nos questions bien intentionnées mais angoissantes, nous avions tous dans l’idée qu’il ne pouvait pas ne pas s’en sortir. Pas encore soixante ans, une allure de géant tranquille, de solide produit des terres australes, il était impossible que l’histoire se finisse là. K nous faisait part des quelques nouvelles transmises au goutte à goutte par des médecins pressés. L’évolution était lente, et il était difficile de la vivre autrement qu’au jour le jour. Lorsque K et leurs enfants ont pu échanger avec lui, on aurait voulu croire la partie gagnée, R. disait vouloir rentrer à la maison. Il jouait avec l’idée qu’une fois la séquence maladie passée, il pourrait, comme il aimait à le faire, partir en vacances en Italie. Mais des complications se sont présentées. Et les nouvelles se sont espacées. Jusqu’au 1er juillet.

J’ai peu connu R., invitée chez eux par son épouse K, une avocate à la silhouette de ballerine, l’esprit aussi affûté que le corps, férue d’art et de voyages, que j’avais rencontrée lors d’une soirée dans un atelier d’artiste. Nous avions sympathisé, et avons déjeuné ensemble puis elle nous a invités à l’un des déjeuners qu’elle aimait organiser, le dimanche. Fine cuisinière, elle n’était pas de celles à se contenter d’un braaï, mais concoctait des plats délicieux rehaussés par des vins sud-africains. C’est chez R et K que j’ai découvert des variétés insoupçonnées de Gin, aromatisées aux Fynbos, les herbes sud-africaines.

Les déjeuners dominicaux chez K & R étaient toujours très joyeux et animés. On y rencontrait une foule de gens intéressants et drôles, et on y parlait beaucoup de tout, des derniers bouquins que nous avions lu, mais surtout, de l’actualité sud-africaine. C’est lors d’un de ces déjeuner que nous avons appris la mort de Winnie Mandela. L’Afrique du Sud était un sujet qui passionnait R. épicurien lettré, et ses invités. Tous férus de l’histoire politique de leur pays, on sentait chez eux le désir, non pas de passer leur temps à débiner la classe politique et de prédire un avenir à la Zimbabwéenne, mais de comprendre et analyser ce qui ne fonctionnait pas dans une démocratie qu’ils avaient vu advenir en tant que jeunes adultes. Une démocratie qu’ils avaient appelée de leurs voeux en manifestant sur les campus sud-africains dans les années 80. Parmi les amis de toutes origines de R et de K. , la plupart n’envisageait pas de vivre autre part que dans leur pays natal, et d’avoir en réserve un plan de repli, comme une partie de la population blanche aisée. “C’est mon pays, mon avenir est ici, ai-je entendu dans ces échanges. Il y a des difficultés, mais ce n’est pas en changeant de pays que nous aiderons à les surmonter.”

Pour une étrangère, c’était un privilège de pouvoir échanger avec des interlocuteurs éduqués et qui avaient à coeur de partager avec moi des anecdotes sur l”histoire de leur pays, sur les personnalités politiques, les livres à lire du moment. J’appréciais chez R. cette absence de dogmatisme, l’attention qu’il avait aux arguments de chacun, sa volonté de ne pas clore un débat d’une manière dogmatique, mais en essayant de trouver la vision la plus complète. Je suis sûre que les discussions des déjeuners dominicaux chez R et K, sur les meilleures options pour sortir le pays de l’ornière, sur les différentes composantes de cette semaine de chaos auraient été très enrichissantes. Troubles fomentés par les partisans de Zuma? Pillages opportunistes? Désespoir des townships devant les rigueurs de l’hiver, des confinements successifs, des chiffres du chômage – on parle de 70% pour les jeunes?

Les déjeuners chez K et R étaient de ceux que nous nous réjouissions de pouvoir retrouver un jour, quand nous retournerions à Joburg. J’espérais revenir sous cette agréable véranda en savourant un Gin Inverroche, ou un verre de Sauvignon Blanc en m’informant des dernières nouvelles. La pandémie ne nous en a pas laissé le loisir.

En conclusion, je voudrais reprendre les premières phrases de K, faisant remarquer que désormais la vaccination était ouverte largement en Afrique du Sud, elle n’était ouverte jusqu’alors qu’aux plus de 60 ans, et qu’elle enjoignait tous ceux qui ne l’étaient pas, à profiter largement de cette opportunité. Si R en avait eu la possibilité, nous disait-elle, il l’aurait fait sans hésiter, et il serait encore sans doute parmi nous. Une occasion que saisiront sans doute les amis de R, en Afrique du Sud, comme en France, la vaccination est un marqueur social. Un sondage récent démontrerait que pour 50% des sud-africains, la prière est plus efficace que le vaccin

La dernière fois que j’ai vu une mante religieuse…

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La dernière fois que j’ai vu une mante religieuse, je veux dire, pas dans le vivarium d’un quelconque musée des sciences, mais une vraie mante religieuse, en liberté, ça devait être dans les années 90. Les fenêtres de la maison familiale restant toujours ouvertes pendant la période estivale, nous avions souvent ces visiteuses redoutées dont la vue de la silhouette gothique nous faisait pousser des cris stridents.

Il faut dire que cet insecte spectaculaire par sa taille et son aspect mi-végétal, mi-animal, était à son aise dans la portion de maquis, chênes lièges, cistes, myrtes et arbousiers qui bordaient notre maison. Il ne faisait pas de différence entre l’habitat de ses voisins humains et celui des insectes. “Inutile de crier! s’esclaffait mon père, elle ne mange personne, à part son partenaire !” Il nous arrivait parfois, horreur suprême, d’en voir deux accolées, leurs corps longilignes et leurs membres crochus arrimés l’un à l’autre surmontés par leurs quatre gros yeux verts globuleux*. Cette multiplication de membres griffus et verdâtres nous dégoûtait.

“C’est horrriiiible!” reprenions nous, enlève la (ou les) tout de suite! “. Nous nous refusions à nous approcher de la zone colonisée par l’importune, persuadés qu’elle ne manquerait pas de nous attaquer férocement. Mon père la pinçait délicatement au niveau du thorax entre son pouce et son index et la réexpédiait à l’extérieur. Nous étions tranquilles jusqu’à la prochaine incartade.

Alors que j’avais une terreur bleue de ces animaux à l’époque, l’adulte que je suis devenue trouverait rassurant de voir réapparaître cette créature d’un autre âge dans la maison à la belle saison. Mais force est de constater que sa présence s’est raréfiée jusqu’à devenir inexistante. Les maisons de vacances ont poussé comme des champignons sur les collines alentour, et la végétation endémique a reculé, laissant place à de majestueux palmiers qui marquent le standing de leur propriétaire, des oliviers taillés, des compositions de lavandes et de romarin, et des haies de lauriers blancs et roses résistant à la sécheresse mais probablement moins intéressants pour les mantoptères.

La Corse, longtemps citée comme une exception, n’a pas échappé à la poussée immobilière qui a perverti et enlaidi certaines parties du littoral français. Les collines bordant le Golfe d’Ajaccio sont désormais mitées par des constructions de styles divers qui ont rogné sur le maquis. Le difficile équilibre entre la pression immobilière et la préservation de paysages respectant une faune et une flore endémiques s’est réalisé au détriment de la seconde.

Les mantes religieuses se sont repliées plus loin, comme les tortues qu’on apercevait parfois ou comme les salamandres sur le bord de la petite source qui a depuis été captée sur le terrain voisin. Il reste encore quelques rainettes, attirées par la lumière les soirs d’été. Pour combien de temps?

* Particularité de la mante: elle possède cinq yeux! Deux gros yeux verts à facettes, et trois yeux simples et fixes…

La vie sauvage, fable moderne …

Qui aime bien charrie bien, un coup de gueule à la manière de Voltaire… issu de mon dernier atelier d’écriture.

Ils étaient convenus qu’en ce début de siècle où étaient prédits les pires cataclysmes depuis le tremblement de terre de Lisbonne qui avait ébranlé les fondements des royautés européennes, le mieux à faire pour sauver leur peau, voire leur âme, était de migrer vers l’intérieur des terres, dans un hameau isolé, des influences néfastes comme des rayonnements solaires et des phénomènes météorologiques extrêmes qui étaient annoncés comme l’avenir inéluctable de notre belle planète.

Candide et Cunégonde revenaient à la terre, la vraie, après avoir brûlé leur jeunesse dans les banlieues arborées de l’ouest parisien. Leur conversion avait commencé il y a quelques années. Candide avait troqué la Mini Cooper électrique promise par ses parents pour l’obtention du baccalauréat désormais plus facile à obtenir que le permis de conduire, pour une modeste bicyclette insubmersible avec cadre en carbone et chaîne anti-déraillante, sacoches multipoches ultra-légères et anti-rayonnements nucléaires. Cunégonde, élevée au bio et à la danse classique avait renoncé à son heure et demie de rituel beauté quotidien – avec vingt-sept produits différents- pour de la graisse à traire végétale multi-usages. Ils avaient décidé, devant leurs parents ébahis, de jeter aux orties (bio, surtout conserver les racines, séchées et pulvérisées elles font un excellent remède anti-diabétique et dépuratif!) l’avenir tout tracé de Candide à La Banque Vanderdandur de beau-papa pour une fermette façon ranch dans le fin fond du Cantal.

L’avenir commença dans le TER reliant Clermont-Ferrand à Saint-Flour. « Sens-tu mon Amour comme l’air est plus pur ici ? » chuchota Cunégonde. Candide approuva, tout émoustillé des picotements dans son corps et des échauffements épidermiques que l’approche de la sous-préfecture lui procurait. Bientôt leur nid d’amour, déniché au cœur des prairies vallonnées des contreforts du Massif Central, grâce à une annonce providentielle sur Gens de Confiance. Le Père Pangloss, le propriétaire, un paysan chenu qui portait une barbe de père Noël, mal taillée les attendait à la gare, dans une 2 CV Citroën qui datait de l’an 40. Cunégonde fronça les sourcils à l’idée que ce véhicule ne fonctionnait sans doute pas au jus de betterave, mais Candide l’assura que le côté vintage du véhicule faisait de leur chevauchée un péché véniel. En préventif, pour expier leur faute, ils réciteraient le soir avant de se coucher dix fois le programme de Yannick Jadot pour les présidentielles. « Vous voici au nid d’Aigle ! » leur annonca Pangloss en toussant dans sa barbiche et s’arrêtant juste le temps de débarquer leur maigre paquetage, et redémarrant sans leur donner le code du wifi.

Cunégonde ouvrait la bicoque en s’émerveillant des bontés de la Providence. L’ingéniosité de l’upcycling paysan dans les moindres recoins de la maison la laissait pantoise. Bidons de laits retournés pour servir de tabourets, table en caisse à savon, rideaux dépareillés fruits de négociations acharnées dans les vide-greniers campagnards, cheminée charbonneuse avec son immense trépied à chaîne. N’hésitez pas à piller le potager ! leur avait crié Pangloss dans le crissement de la 2 CV. Le retour à la Nature s’annonçait plein de promesses !

Ils se mirent à explorer le jardin. Chaque nouvelle plante leur arrachait des cris d’admiration. Quelle beauté ! Quelle splendeur ! Comme la nature est bien faite ! Ils virent une biche et son faon à la lisière d’un bois, la queue d’un lapin de Garenne sautiller puis disparaître près d’un genévrier. Un monde nouveau s’ouvrait devant eux. De l’autre côté du vallon, les pelotes laineuses d’un troupeau de moutons au pâturage les plongea dans de longues minutes de contemplation proche de l’extase. Ils respiraient fort, se tenaient la main, se regardaient émus aux larmes. Quelle pureté de l’air ! Les cris de Candide s’intensifièrent lorsqu’il vit s’approcher un oiseau majestueux déployant ses grandes ailes. Un aigle ! N’y a t-il-pas sur terre vision plus incroyable ? Son humeur déchanta lorsque le volatile lâcha près de lui un litre de fiente verdâtre avant de fondre sur un agneau qui têtait encore sa mère, de l’autre côté de la vallée.