Indira, Golda, Jacinda, Nicola, et les autres… de l’évolution des femmes en politique

A l’occasion du #IWD2023 une méditation sur la place des femmes en politiques au cours des dernières décennies…

Quand j’avais dix-huit ans, je voulais être Indira Gandhi, et mourir assassinée pour l’ensemble de mon oeuvre. Il faut dire que ma génération manquait de modèles féminins puissants. Lorsque ceux-ci existaient, ils étaient considérés comme des anomalies, voire des anti-modèles. Indira Gandhi, comme Golda Meir, et, plus tard, Margaret Thatcher, ou Benazir Bhutto, étaient des femmes fortes, des dures à cuire, impitoyables, craintes et détestées. J’ai fini par changer d’idée.

Le monde politique a mis du temps à se féminiser. J’avais une trentaine d’années quand, enfin, des lois ont été votées en France et dans un certain nombre de pays de l’OCDE, pour commencer à imposer une parité dans la représentation politique, la haute fonction publique et le secteur privé. L’argument du manque de vivier, repris à l’envi par les tenants du pouvoir masculin pour justifier les inégalités, tenait de moins en moins devant l’accession décomplexée des filles dans l’enseignement supérieur et dans les formations d’élite, une fois levées les barrières à l’entrée.

Pour autant le nombre de cheffes d’Etat dans le monde n’a pas décuplé en presque quarante ans. Les différentes lois passées ont permis, bon an, mal an, d’accepter que finalement, la place des femmes était autant dans la sphère publique que dans la sphère domestique*. Le planning familial leur a laissé le choix d’avoir des enfants au moment le plus opportun pour elles. La réussite professionnelle des femmes est moins anecdotique aujourd’hui, et il faut s’en réjouir, même s’il reste des obstacles à franchir.

Alors que j’aborde la meilleure partie de ma vie, j’ai vécu l’accession au pouvoir de Jacinda Adern, en Nouvelle Zélande, alors enceinte de son premier enfant, comme une véritable révolution. Enfin un nouveau type de cheffe d’Etat! Les néo-zélandais, mais aussi, à peu près en même temps, les finlandais, et les islandais, ont porté au pouvoir des femmes jeunes, accessibles, proches de leurs concitoyens, démontrant le souci de l’autre dans leur façon de gouverner.

Les femmes cheffes d’Etat ne devaient plus uniquement faire partie de ces pionnières inflexibles de la politique, ces Madeleine Albright ou Condoleezza Rice, extrêmement douées intellectuellement mais manquant d’empathie. Qualité dans laquelle beaucoup de jeunes femmes sont socialisées depuis des millénaires, et dans laquelle elles se reconnaissent volontiers. On pouvait donc faire de la politique, au plus haut niveau, en n’adoptant pas les codes, très masculins, de l’affrontement, du rapport de force, voire de la mise à mort symbolique.

Pour cette génération, la question de “qui va garder les enfants” devient enfin moins prégnante que pour les précédentes. De plus en plus d’hommes acceptent un partage des tâches de la vie privée plus égalitaire*. Le congé paternité socialise les pères dans un rôle plus actif auprès des nouveaux-nés. Il les implique, dès la prime enfance dans une parentalité de proximité.

Force est de constater qu’après un mandat, la violence de la politique a contraint Jacinda Adern à démissionner et à laisser à d’autres le soin de porter le drapeau d’une politique tournée vers les autres. Jacinda Adern a motivé sa décision par l’épuisement de ses ressources: “plus assez de fuel dans le réservoir”. Quelques semaines plus tard, une autre femme politique, la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon jetait aussi l’éponge.

Les femmes en politique sont-elles moins résistantes que leurs homologues masculins? Certaines attribuent leur démission à des attaques plus virulentes. Sans doute, en partie. J’aimerais proposer une d’interprétation complémentaire : les femmes s’accrochent moins au pouvoir, en politique comme dans la vie professionnelle, parce que nos modèles leur laissent plus de latitude que le modèle basé sur la simple performance/résistance à l’adversité à l’aune duquel on continue de juger les hommes.

Une femme qui renonce à sa carrière pour donner plus de temps, d’attention, à ceux qui lui sont chers, qu’il s’agissent de jeunes enfants ou de parents âgés (cf l’ex-directrice générale de la RATP), ne sera pas considérée comme une ratée, une geignarde, une has-been. On trouvera même une certaine sagesse, voire une certaine noblesse à son renoncement en pleine gloire. Je n’ai pas d’exemple d’homme puissant pour lequel cela ait été le cas (et suis preneuse si vous en connaissez).

Le corollaire de cela, c’est que rares sont les hommes ayant atteint le sommet de leur trajectoire qui ne font pas la saison de trop. En France, notre société est remplie de gérontocrates qui ne veulent pas décrocher, ayant trop peur du vide les menaçant s’ils abandonnaient leurs attributs du pouvoir. La jeunesse du président de la république et de ses conseillers masque habilement le nombre de septuagénaires voire d’octogénaires, agglutinés aux portes du pouvoir, alors qu’ils pourraient jouir d’une retraite bien méritée et siroter des piña colada sur une plage des Caraïbes.

Une des raisons des difficultés de notre société à se projeter dans l’avenir?

*Les résistances dans certaines parties du globe sont encore fortes, il n’est que de regarder les situations en Iran, en Afghanistan…

**Ce constat est à relativiser, il est très dépendant des milieux socio-économiques et des traditions culturelles

La fée électricité

Power to the people dit le slogan fort opportunément trouvé par le DA (Democratic Alliance), principal parti de l’opposition sud-africaine pour signifier son ras-le-bol des coupures d’électricité qui minent le pays depuis trop longtemps. Mercredi 25 janvier 2023 marque une journée d’action dans tout le pays qui devrait voir s’agréger un certain nombre de forces d’opposition. Les déboires de la compagnie nationale d’électricité ne font qu’empirer.

En décembre 2022, après ce qui avait constitué une première en septembre, au sortir de l’hiver, Eskom, aussi surnommée Eishkom annonçait de nouveau le passage dans la phase 6 de délestage. Après la stupeur : mais que diable signifie la phase 6 de délestage (WTF ?), vinrent la colère et l’incompréhension. Malgré les efforts consentis ces dernières années, la résignation au service réduit suite au Covid, le pays ne sort pas de l’ornière. Les sud-africains n’en peuvent plus. Stage 6, signifie six coupures de deux heures réparties sur 24 heures. Les usagers sont priés de se passer d’électricité la moitié de la journée : une situation rarissime sauf dans les pays en guerre, comme l’Ukraine, ou sans pilote depuis longtemps. Avouez que pour le pays auto-proclamé première puissance économique de l’Afrique, cela fait désordre!

Les industriels et les commerçants sont aux abois. Après deux années de Covid, et de confinement strict, le lot de deuils, et la débâcle économique qui a suivi, ceux qui n’ont pas déjà fait faillite sont au bord du gouffre. Comment continuer à produire, vendre, travailler, sans électricité ? Pour les commerçants vendant des produits frais, comment sécuriser leur stock ? Les délestages à répétition usent les meilleures volontés. Cerise sur le gâteau, la nouvelle direction d’Eskom a annoncé vouloir augmenter de 18% le prix du kwh pour financer les investissements nécessaires à la remise en état des centrales et du réseau. D’où la mobilisation du 25 janvier pour exprimer leur ras-le-bol.

Le président Ramaphosa a renoncé la semaine dernière à faire le déplacement prévu à Davos, où il devait, tant bien que mal, jouer la partition de l’Afrique du Sud, moteur du développement économique du continent africain. Pour essayer d’éteindre l’incendie, il a nommé une énième commission. Mais sa crédibilité est entachée par les trois décennies au pouvoir pour son parti, l’ANC dont les promesses ont été systématiquement oubliées, et où seule une minorité a su tirer son épingle du jeu en faisant preuve d’une inventivité qui pourrait inspirer les meilleurs kleptocrates. Les gouvernances de l’état, des provinces et des entreprises d’état sont des contre-exemples à tous point de vue. Il y a quatre ans j’écrivais que le système judiciaire sud-africain était un rempart contre la gabegie, je ne suis pas sûre que je le réécrirais aujourd’hui.

Ramaphosa a été reconduit parce qu’il était le moins mauvais candidat, mais avec des soupçons de corruption. La découverte fortuite de billets de banque planqués dans un canapé volé dans une de ses résidences a beaucoup terni son image. Ramaphosa, on s’en souvient est devenu riche grâce à son implication, en tant que jeune avocat, dans les négociations qui ont abouti à la chute de l’apartheid. Considéré, par les milieux d’affaires, comme la dernière cartouche de l’ANC, son bilan est plus que mitigé.

Quels sont les effets de ces délestages sur les citoyens sud-africains ? Le principal, c’est l’aggravation des inégalités. Lorsque les services publics s’effondrent, c’est une constante, les mieux dotés s’adaptent en ayant recours à des solutions privées. En Afrique du Sud ça a été le cas pour la santé, l’éducation, la sécurité et désormais l’énergie. Lorsque j’habitais Johannesbourg, avec la section locale d’IESF nous avions visité l’usine flambant neuve d’un brasseur de bière international. Lassé par les problèmes de fourniture d’eau et d’énergie, l’industriel avait investi dans une usine totalement autonome, déconnectée du système électrique, et recyclant son eau. A défaut d’autre chose, il n’y aura pas de pénurie de bière!

Aujourd’hui les sud-africains les plus aisés ont acheté des groupes électrogènes, fournissant le minimum vital pendant les interruptions. Une solution pratique mais bruyante, et coûteuse, et et polluante. Depuis le mois de septembre et l’apparition des délestages de phase 6, certains ont obtenu le droit (payant) de se déconnecter du réseau national pour fonctionner en autarcie avec panneaux photovoltaïques et batteries. C’est plus cher, mais ils ne dépendent plus d’un fournisseur de moins en moins fiable. Dans les beaux quartiers, on n’entend plus, en bruit de fond, le criaillement des ibis hadedas, ou le cancanement prostestataire des touracos gris, mais le ronronnement des groupes électrogènes. Et les effleuves écoeurantes du diesel flottent sous l’ombre bienfaisante des jacarandas.

Ironie de l’histoire, l’ANC a fini par appeler ses supporters à se joindre aux manifestations prévues le 25 janvier contre la mauvaise gestion d’Eskom dont elle a nommé les responsables depuis presque trente ans…

PS; Lorsqu’il y a quelques semaines l’opinion publique française était électrisée (jeu de mots assumé) par le risque de délestage en cas d’hiver particulièrement rude, je me suis souvenue que l’interruption intempestive des services publics les plus basiques faisait partie de mes (re)découvertes de la vie en Afrique. Si la perspective n’est pas des plus réjouissantes, je sais par expérience qu’on arrive à gérer deux heures d’interruption de l’électricité. La mise en garde gouvernementale, mal vécue par une partie de l’opinion a en tout cas eu le mérite de nous faire réaliser la dépendance que nous avions à une électricité toujours disponible, et à des prix raisonnables. Nous vivons avec la certitude implicite que nous ne manquerons jamais d’électricité, et la possibilité de coupures organisées pour maintenir le service nous parait insupportable. Envisager le sevrage, même pour deux heures sur vingt-quatre nous a fait frémir. N’est-il pas temps de réviser notre modèle?

Mort d’un ouvrier indien…

Il y a deux sortes d’expats : ceux de ces communautés d’expatriés ou de futurs expatriés des réseaux sociaux qui se rêvent une nouvelle partie d’existence à Maurice, et les autres. Il faut dire que l’actuel gouvernement mauricien, qui a besoin de devises, a inventé le visa de séjour Premium pour un an, baissé le seuil en dessous duquel les non-mauriciens peuvent acquérir de l’immobilier dans l’île, et promeut ces mesures avec moultes communications vers l’extérieur. Sur les forums virtuels, les vendeurs de services immobiliers ou de relocalisation, peignent l’expérience en rose, à coup de superlatifs et de qualificatifs louangeurs : “laissez-vous tenter par la promesse d”une vie paradisiaque, sur une île tropicale bordée de lagons turquoise accessibles toute l’année, à seulement dix heures d’avion de Paris et presque sans décalage horaire”. Et les prospects tentés par une aventure tropicale à moyen ou long terme, futurs retraités, nomades digitaux, mais aussi couples avec enfants ayant besoin d’un “ailleurs” explorent les possibilités avec des questions exotiques. “Puis-je continuer à recevoir mes allocations familiales françaises à Maurice?” (réponse: non, on n’est pas en France), faut-il vraiment mettre les enfants dans une école privée, elles sont très chères ?(oui, on ne se rend pas assez compte de la chance d’avoir un système scolaire public qui tient la route en France), J’ai des besoins spécifiques en termes de santé, pourrai-je trouver les médecins spécialistes, experts paramédicaux, ergothérapeutes et autres sur l’île? (Probablement pas, bien qu’extrêmement favorisée en termes médicaux par rapport à la moyenne des pays d’Afrique, l’ïle ne possède pas un système de santé très en pointe). “Mon aînée est inscrite au Conservatoire Régional de Trifouillis-le-Baveux, elle est très talentueuse et nécessite des cours de musique de haute qualité, y-a-t-il sur l’île un organisme qui puisse l’aider à maintenir un niveau équivalent à celui qu’elle a en France?” (J’en doute).

Les forums évitent d’évoquer d’autres aspects du pays et les conséquences de sa politique de développement. Faire venir des “digital nomades” des entrepreneurs et des retraités est vu comme le moyen de faire rentrer des devises dans un pays en mal d’exportations. Les constructions ont repris de plus belle après un confinement de près de deux ans, les autorités mauriciennes ayant essayé d’appliquer une politique zéro covid finalement mise à mal. Ce qu’on ne dit pas aux candidats expatriés, c’est que pour soutenir cette croissance de l’immobilier, les sociétés font appel à d’autres sortes d’expats : de la main d’oeuvre extérieure peu qualifiée. On parle de 33 000 ouvriers du sous-continent indien, dont 23 000 bangladais, venus travailler dans des usines, ou construire les projets immobiliers vendus sur plan à des riches étrangers. Les conditions ne sont pas aussi drastiques que dans la péninsule arabique, où sur les chantiers de la coupe du Monde au Qatar. L’île peut leur rappeler, par certains aspects, leur pays d’origine. La population de l’île provient en grande majorité de la même région (75% de la population a une origine indienne). Mais ces travailleurs-là sont moins chouchoutés par le gouvernement mauricien, assez indifférent à leur sort, laissé aux sous-traitants des grands groupes de construction ou de travaux publics ou aux industriels ayant sponsorisé leur visa.

Le 7 septembre, l’un d’eux s’est donné la mort, ne supportant plus ses conditions de travail, et peut-être l’éloignement de sa famille? D’après le reportage du quotidien mauricien l’Express, les recrues se voient promettre des salaires et des gratifications qui ne correspondent pas à ce qu’ils trouvent. Comme beaucoup de travailleurs peu qualifiés employés hors de chez eux, ils dorment dans des dortoirs surpeuplés, pour lesquels ils payent une partie de leur maigre salaire, doivent payer également pour leur nourriture, et ne peuvent renvoyer que de maigres émoluments à leur famille. La majorité d’entre eux s’est endettée pour payer le voyage, le retour au pays natal devient hypothétique, voire impossible. Il leur reste des semaines de travail à rallonge, et des périodes de repos dans des conditions loin d’être toujours décentes. Certains disparaissent et essaient de se fondre dans le décor d’une île dont ils ne maîtrisent souvent aucune des langues, et sans passeport ou espoir de retour.

On oublie vite les leçons de l’histoire. Les mauriciens d’aujourd’hui descendent pourtant en grande partie des travailleurs contractuels recrutés pendant la période coloniale, sur le sous-continent indien. Pour compenser l’abolition de l’esclavage, les planteurs mauriciens, après 1835, firent appel à des “indentured laborers”, des “travailleurs engagés”, maharathi, télougous, tamouls, biharais, recrutés pour la plupart dans le sud de l’Inde. On leur faisait (déjà) miroiter la possibilité de mieux gagner leur vie et d’envoyer de l’argent à leur famille. Ils arrivaient dans les cales insalubres des bateaux et se voyaient octroyer un numéro. L’administration coloniale anglaise conservait les photos prises à l’arrivée des bateaux et les numéros. Ces photos ont fait l’objet d’un ouvrage “Maurice, Mémoire de couleurs” où l’auteur, Claude Pavard, redonne vie à ces visages qui sont le socle de la population mauricienne actuelle. Des portraits d’identité couleur sépia, d’hommes et de femmes émaciés, aux yeux et à la peau sombre, interrogeant l’objectif, avant de faire leurs premiers pas sur une île qu’ils ne quitteraient plus. On aurait pu penser que le parallèle entre ces migrations forcées inciterait le gouvernement local à contrôler fermement les conditions d’immigration de ce nouveau sous-prolétariat. Prompt à faire jouer, dans la sphère politique, la carte des origines, le politique préfère se voiler la face quant à ces encombrants travailleurs de l’ombre.

Nous avons besoin de l’histoire pour ne pas répéter le passé dit-on. Ce ne semble pas être l’avis des puissants mauriciens…

Mon glossaire sud-africain

Marie-Agnès, géniale animatrice d’atelier d’écriture, ayant proposé la semaine dernière un exercice de glossaire, je n’ai pas hésité à replonger dans ces petits mots, ces petites expressions typiquement sud-africaines. Une occasion de relire aussi (rapidement) une partie des billets de ce blog… Enjoy!

Ag shame : interjection, mix afrikaans-anglais, signale la désolation et/ou la compassion. “Le petit chat est mort! – Ag shame!”.

Biltong : friandise du bush. Viande de gibier ou de boeuf séchée et découpée en fines lamelles. Peut servir d’encas, ou colmater les petites fringales de la journée.

Borehole : puits/pompage privé de la nappe phréatique. Permet aux habitants des quartiers aisés d’arroser leurs somptueux jardins, et de remplir leur piscine même en temps de pénurie due à l’abaissement des niveaux des réservoirs.

Braaï: moment de convivialité. Rassemblement amical, déjeuner du week-end autour du braaï, ustensile connu sous d’autres latitudes sous le nom de barbecue. On est attendu à un braaï à partir de 13h00 et on peut en repartir vers 17h00, en ayant énormément consommé de viande, d’alcools -sud-africains bien sûr!- et autres délices. Il est recommandé de prendre un Uber pour rentrer chez soi après un braaï, sauf si vous êtes invité par votre voisin.

Eish : Interjection polysémique familière, plutôt utilisée par la population africaine, à ne pas utiliser dans un dîner chic. Eish! signale l’interrogation, l’incrédulité, l’impuissance, la sympathie, et parfois l’amusement. “Il faut que jeunesse se passe… Eish!”

Glamping: contraction de “glamour” et “camping”. Un oxymore pour certains, le glamping est une activité réservé aux blancs sud-africains. “Camper dans le bush? “ m’objecta un jour mon prof de zoulou “c’est n’importe quoi, le bush c’est plein de bêtes, et dangereuses en plus!”. On peut aimer le camping et le luxe, d’où le glamping, version luxueuse du premier avec à la clé des dizaines d’équipements dont je n’aurais jamais imaginé l’existence, disponible dans des enseignes de sport et de plein air, ou chez le très chic Melvin and Moon pour les nostalgiques de Out of Africa.

God bless you : expression fourre-tout, permet de ravaler sa culpabilité devant le mendiant auquel on vient de donner quelques pièces au pied du robot.

Gym : lieu important de la sociabilité des villes sud-africaines. On s’inscrit au gym pour profiter des centaines d’appareils et d’agrès pour moduler son corps, pour suivre des cours collectifs (ah, le “strech-a-move de Jannie!”), nager, mais surtout échanger les derniers potins dans les vestiaires ou au bar autour d’un cocktail détox-vitamines.

Inhlawulo : dommages et intérêts demandés par la famille d’une jeune femme enceinte, engrossée lors d’une relation hors mariage, à la famille du géniteur supposé. Les dommages sont censés couvrir les besoins de la mère pendant sa grossesse et les premiers mois du bébé. La demande est souvent synonyme d’humiliation publique pour la jeune femme.

Hadeda: réveille-matin johannesbourgeois. Nom de ces ibis aux plumes grises irisées qui nichent dans les arbres majestueux des jardins de Johannesburg. Ils produisent juste avant l’aube des cris de bébés humains qu’on égorge. Les hadedas se nourrissent de Parktown prawns, larves de gros grillons qui prolifèrent dans les pelouses bien arrosées des beaux quartiers.

Lekker : de l’afrikaans, cool, chouette, bath… Si un interlocuteur, ou une interlocutrice répond “lekker” à l’une de vos propositions, vous pouvez en déduire: 1) qu’il/elle est enthousiaste; 2) qu’il/elle est probablement afrikaner ou que sa langue maternelle est l’afrikaans.

Loadshedding: aussi appelé délestage. Manifestation de l’impuissance des centrales électriques sud-africaines à fournir de façon constante et sans interruption une population toujours plus accro à l’énergie. Symbole de la corruption et de la mauvaise gestion Eskom, surnommée Eishkom, la compagnie d’électricité nationale, a plus brillé ces dernières années par sa capacité à engraisser des proches du pouvoir, qu’à entretenir un parc de centrales à charbon vieillissantes.

Lobola : prix de la fiancée, largement répandu en Afrique Australe et en Afrique de l’Est. Somme demandée par la famille de la future mariée à la famille du futur marié, pour donner sa bénédiction aux épousailles. Le prix se négocie en équivalent-vaches et prend en compte l’âge, la beauté, le niveau d’éducation de la future épouse. Des petits malins ont même inventé un application pour la calculer. Ce qui, semble-t-il, aurait contribué à l’inflation des lobola. Bien que reconnaissant les mariages coutumiers et religieux en plus du mariage civil, l’Afrique du Sud détient un record de naissances hors mariage.

Malva pudding : gâteau éponge écoeurant, étouffe-chrétien composé d’une base à fort taux de glucose, de beurre et de farine, arrosé d’une crème à la vanille manquant de subtilité.A refuser poliment.

Robot: feu de circulation. Ne pas chercher Goldorak ou un androïde quelconque lorsqu’on vous parle de robots en Afrique du Sud. Il s’agit d’un bête feu de circulation.

Roïbos : tisane rouge, à base de roïbos (plante-rouge), boisson favorite des sud-africains.

Taxi: minibus Toyota Quantum utilisé comme transport collectif par les noirs pour rentrer dans leur township. Les taxis sud-africains portent sur leur hayon leur maxime: “sesfikile”: on est arrivé. “siyaya”: on y va, des versets de la Bible en version littérale ou en version cryptique Isaïe 37:12, des professions de foi: “God is my sheperd”. Les taxis sont des hauts-lieux de la vie johannesbourgeoise: on y naît, on y meurt, on s’y rencontre. Les conducteurs de taxis sont connus pour leur conduite hasardeuse, leur habileté à manier des “profanities” (grossièretés), et leur piètre observance du code de la route. Ne pas essayer de leur faire entendre raison.

Western Cape : Province du Cap, de la cité-mère. Lieu de vacances favori de nombreux sud-africains, et siège du parlement. Partout ailleurs dans le pays, il est de bon ton de dire du mal du Western Cape et de ses poseurs d’habitants.

Le risque zéro n’existe pas…

Alors que l’ïle Maurice se déclarait “Covid free” depuis le mois d’octobre 2020 et avait mis en place une quatorzaine stricte, une seconde vague a émergé en mars 2021…

L’île Maurice en fait l’expérience ces jours-ci. On aurait pourtant pu, jusque là, décerner un brevet de bonne conduite au gouvernement de cette île pour sa gestion certes prudente, mais plutôt réussie, de l’épidémie dont il a pu, somme toute, préserver sa population.

Fin janvier 2020, au tout début de l’épidémie mondiale, le gouvernement mauricien adopte une politique de contrôle des voyageurs venant de Chine. Ceux-ci sont soumis à une quatorzaine obligatoire à leur arrivée. La mesure est étendue rapidement aux voyageurs provenant du Japon et de Corée du Sud. A partir du 2 février, les ressortissants de ces mêmes pays n’ont plus le droit de rentrer sur le territoire mauricien. A partir de la mi-mars, de nouveaux cas sont déclarés chaque jour.

Le gouvernement prend alors la décision d’un confinement strict de la population, fermeture de tous les commerces non-essentiels, droit de sortie pour l’approvisionnement règlementé (chaque jour certaines lettres de l’alphabet). Mi-mai, la première vague est jugulée. Le 17 mai 2020 le premier ministre Pravin Jugnauth peut aller fièrement déclarer à la télévision nationale que l’épidémie est jugulée, aucun nouveau cas n’a été déclaré depuis vingt jours. Durant la première séquence, 332 cas positifs ont été détectés et dix morts ont été déplorés. Pour une île qui compte 1,26 millions d’habitants.

Le gouvernement décide de rouvrir progressivement le pays. Les avions cargos continuent à pouvoir atterrir en suivant des protocoles sanitaires stricts et jusqu’au mois de septembre, seuls les résidents mauriciens peuvent rentrer. A partir du 1er octobre 2020, les non-résidents peuvent de nouveau venir à Maurice mais doivent observer une quarantaine stricte dans un hôtel figurant parmi la liste habilitée pour cela par le gouvernement, et à leurs frais.

Conscient des réticences que cela peut avoir sur les arrivées touristiques, le gouvernement met en place un nouveau visa pour les longs séjours, visant une clientèle de retraités ou de travailleurs nomades, fuyant l’hiver de l’hémisphère nord, les zones touchées par l’épidémie, garantis de trouver sur ce petit bout de paradis tropical un univers “covid-free” avec chaleur, restaurants ouverts et lagons turquoises.

La quatorzaine, selon un protocole bien rôdé, avec du personnel soumis à un certain nombre de contraintes et régulièrement testé, a permis pendant un temps de découvrir et de confiner les cas positifs avant de ne laisser partir que les personnes négatives. Un temps, le gouvernement mauricien a cru avoir trouvé la parade. Hélas, les protocole s’est-il relâché? Y-a-t-il eu des passe-droits, des “trous dans la raquette”?

Depuis début mars, les cas Covid détectés à Maurice ne sont plus uniquement le fait de personnes en quatorzaine venant de zones contaminées, mais qu’on découvre de plus en plus de cas dans la population locale n’ayant pas été en contact avec des personnes en quatorzaine. Le gouvernement prône la prudence dans les rassemblements, mais début mars a lieu la semaine de festivités de Maha Shivaratree, la grande fête dédiée au dieu hindou. Durant cette semaine, des groupes de pélerins marchent jusqu’au temple de Ganga Talao, à Grand Bassin, dans le sud de l’ïle, et de grands rassemblements de prière sont organisés sous des tentes pour éviter les pluies de saison.

Devant la hausse quotidienne du nombre de cas locaux, le service de santé essaie de tracer les contacts et d’identifier les clusters à tester. Le premier cluster identifié est chez un importateur de fruits et légumes, le second un rassemblement de prière dans le centre de l’île, puis le troisième un collège de Curepipe, puis enfin une école maternelle. Le 6 mars 2021 le premier ministre décide une fermeture des frontières aux voyageurs, les structures de quatorzaine devant absorber une partie des cas identifiés et des cas contacts. Le 10 mars 2021 un second confinement est décrété.

La politique de tests et de traçage a permis de découvrir de nouveaux cas dont aucun n’est grave. Au 18 mars 2021, il y avait 153 cas de personnes positives au Covid 19 identifiées, dont seulement dix parmi les personnes effectuant une quarantaine. Le virus est donc bien présent dans la population.

Le gouvernement peut compter sur le confinement pour casser la dynamique de l’épidémie comme il l’a fait pour la première phase. En revanche, cet épisode va sans doute l’inciter à être moins frileux sur la politique de vaccination, pour une population volontiers acquise aux thèses complotistes, et qui jusqu’à présent n’était pas très réceptive. Il va lui falloir déployer des trésors de pédagogie et de persuasion. Le cas d’école mauricien montre bien que, malgré les facilités que procurent l’insularité et l’isolement, il n’y a pas de risque zéro!

Pas d’hésitation, vaccination!

Ils voulaient voir les girafes de Kouré…

Le tragique assassinat de nos jeunes compatriotes à Kouré début août 2020 remettrait-il en évidence l’aporie humanitaire?

J’ai eu envie d’écrire ce texte après la tragédie survenue au Niger le 9 août 2020, et proposer quelques pistes de réflexion suscitées à l’occasion de ce tragique évènement et notamment, au-delà de la sidération, sur l’oubli commode des perceptions locales des associations humanitaires.

Le 9 août, comme la plupart de ceux qui suivent l’actualité, j’ai été profondément choquée par ce qui s’est passé à Kouré. Je ne connaissais aucun de ces jeunes, ni l’organisation pour laquelle ils travaillaient. Je ne connais le Niger que par les travaux de chercheurs et d’anthropologues. En lisant ou en écoutant les réactions, j’ai trouvé qu’un volet de l’histoire a été oublié par les commentateurs, celui du rôle et de la perception des humanitaires en Afrique.

J’ai été très émue par les visages de ces jeunes et de leurs accompagnateurs nigériens aperçus dans un reportage vidéo. Ils ressemblaient tellement à des personnes que j’aurais pu croiser, connaître et apprécier. Ils me rappelaient mes propres enfants. Les mêmes âges, les mêmes sourires, des aspirations similaires, plus soucieuses d’un développement inclusif et non prédateur.

Je pouvais leur imaginer des parcours individuels, bercés, pendant leur prime enfance, par des mythologies générationnelles, reflétées par des chansons. “We are the World” d’USA for Africa, fredonnée par leurs parents, qui a marqué le début de l’engagement du show business dans de grandes causes humanitaires (la ‘pop-culture’ humanitaire?), et aussi par la très belle chanson de Michael Jackson “Heal the World”.

“Heal the world/ Make it a better place/ For you and for me/ And the entire human race”

Michael Jackson

Ils étaient généreux. Leur diplôme en poche, ils/elles ont cherché un boulot qui leur permettrait de vivre cette générosité. Ils ont signé chez Acted, au Niger. Ils voulaient “voir du pays” comme le disaient en leur temps les slogans des affiches de recrutement des troupes coloniales. Kouré et sa réserve abritant les dernières girafes d’Afrique de l’ouest était un lieu d’excursion assez courant, malgré les mises en garde.

Ils se sont réveillés aux aurores ce dimanche-là. Comment auraient-ils pu se douter qu’ils étaient attendus à la réserve par des êtres d’une telle sauvagerie qu’ils ne leur laisseraient aucune chance.

On passe tellement facilement de la banalité de la vie au drame. Ca aurait dû être juste un de ces pique-nique où l’on prend la mesure de l’immensité du territoire africain, de l’intensité des ciels et du privilège d’être là, à ce moment-là. Le drame circulait en moto ce matin-là. Une escadre vrombissante et malfaisante. La moto, un voyage récent au Bénin m’a permis de m’en rendre compte, c’est le nouvel instrument de la liberté en Afrique de l’ouest. Parce qu’elle permet une liberté de circulation pour aller chercher du travail, travailler, ou parce qu’elle permet de se convertir en taxi à ces heures perdues et grapiller quelques cfa. C’est aussi le prix de l’enrôlement des apprentis jihadistes. Pour une de ces motos chinoises importées par containers entiers, on transforme un jeune désargenté en machine à tuer.

Quand on a entre vingt et trente ans, on ne pense pas à la mort. On ne peut pas imaginer la trouver au bord de la piste. C’est pourtant ce qui leur est arrivé ce 9 août 2020. On peut espérer, que l’enquête permettra de répondre sur le volet criminel de l’affaire, qui sont les auteurs du crime, et quels étaient leurs mobiles.

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“Nous sommes passés d’inviolables et sacrés à dommages collatéraux et maintenant à victimes prioritaires”

Frédéric Roussel, cofondateur de l’ONG Acted

Lors de la conférence de presse donnée par son association juste après le drame, le cofondateur de l’organisation émet la thèse d’une détérioration des perceptions des populations locales vis à vis des ONG internationales. Cette question, pourtant centrale est souvent éludée. Elle pose la question du regard des “populations locales” sur les ONG. Elle pose l’aporie sur laquelle s’appuie le système d’aide humanitaire.

Les représentations en France de l’action humanitaire sont fondées sur une mythologie de la générosité. Certains observateurs parlent du “consensus humanitaire” créé à la fin des années 70. Les médias ont dépeint à l’envi les débuts mythiques au moment de la guerre du Biafra puis la création de Médecins Sans Frontières sauvant des réfugiés vietnamiens à la dérive. Le ‘droit d’ingérence’ est devenu une évidence pour les populations des pays occidentaux. L’Afrique a été un grand champ de déploiement pour les ONG internationales depuis les années 1980.

En quarante ans d’interventions humanitaires de tout poil dans un grand nombre de pays du continent africain, le secteur a acquis une image complexe, entre reconnaissance et agacement. La lecture d’auteurs africains montre que les bienfaiteurs des ONG internationales ne sont pas toujours perçus avec autant d’admiration et de révérence que pourraient le laisser supposer les motifs altruistes justifiant leurs interventions. Depuis quelques années, le représentant d’ONG, ou “white saviour” est souvent moqué dans sa naïveté, dans sa prétention à connaître mieux que les locaux les problèmes de la “population”, quand bien même il se fait aisément berner, et que, lorsque les situations se tendent, il sera le premier a bénéficier d’une extraction en hélicoptère, ou d’une protection armée.

L’humanitaire croisé dans la littérature africaine, c’est celui qui circule dans un gros quatre-quatre armorié et qui peut être extrait par hélicoptère si la situation se détériore alors que la population locale se trouve livrée à la vindicte des milices. Ce sont ces cadres locaux, recrutés dans l’entourage du président-dictateur, qui s’organisent des week-ends d’Assemblée Générale au Victoria Falls Hotel dans une nouvelle de Pettina Gappah.

La lecture des travaux des chercheurs en développement pointent également l’ambivalence des sentiments des populations locales vis à vis des humanitaires. Ces sentiments recouvrent une large palette qui va de l’amitié intéressée à la détestation. Les ONG ont pour objectif de combler des besoins écrit Jacques Olivier de Sardan, mais qui détermine les besoins? Les “populations” ont-elles des besoins uniformes? Souvent, trop rapidement on classe les populations-cibles sans prendre en compte en leur sein des groupes aux intérêts parfois antagonistes.

Je me souviens d’avoir vu avec amusement l’enregistrement vidéo d’un échange de jeunes gens envoyés par un projet humanitaire de santé maternelle qui s’étonnaient de ne pas voir figurer, dans l’interview des chefs de village, le besoin de la sécurisation des accouchements au poste de santé. Ce qui intéressait les chefs de ces communautés d’éleveurs, c’était moins la mort en couches de leurs femmes que la sécurisation de l’approvisionnement en eau de leur troupeau de vaches.

Les occidentaux sont prompts à intervenir sur le volet humanitaire comme pour “s’acheter une bonne conscience”. Ils ne peuvent empêcher que les acteurs eux-mêmes aient des interprétations moins naïves de leurs actions. Les interventions sécuritaires armées sont souvent accompagnées de volets humanitaires ce qui peut brouiller les perceptions desdites interventions. Ils ne sont pas dupes non plus sur les guerres d’influences que se livrent les services d’aide et de coopération des différentes puissances.

Par certains aspects, la réalisation par des organisations étrangères de tâches qui devraient incomber à l’Etat peuvent être considérées comme des persistances ou des rémanences de la domination coloniale.

Le chercheur en développement Michel Agier, effectuant une ethnographie d’un camp de réfugiés à Kissougou en Guinée montre les logiques contradictoires à l’oeuvre entre les différents clans qui composent les populations vivant dans/autour du camp et l’irréconciliable asymétrie entre les populations locales et les représentants d’ONG, bénévoles ou salariés.

“Les humanitaires ont (…) pris le relais des colons et des fonctionnaires de la colonie d’abord, des coopérants et des développeurs ensuite, pour incarner la nouvelle modalité de présence et la nouvelle domination des Blancs”. 

Michel Agier, “Un dimanche à Kissougou”

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que puisse naître, dans une partie de la population, un certain ressentiment. L’action humanitaire ne se déploie pas au milieu de nulle part.

Elle intervient dans des contextes historiques, sociaux, politiques, dont elle ne peut faire abstraction, sous peine de sous-estimer son efficacité, et, plus grave dans certaines zones, de mettre en danger ses représentants. Après quarante ans d’interventions, il serait peut-être temps de réfléchir à de nouveaux paradigmes?

Où en sont les femmes sud-africaines?

Une de mes amies m’a demandé d’écrire ce texte pour le bulletin de l’association Jobourg Accueil. En cette journée internationale des droits des femmes, il m’a paru intéressant de le publier aussi sur mon blog…

Lorsqu’on me parle des femmes sud-africaines, une multitude de visages me viennent à l’esprit. Les femmes représentent plus de cinquante pour cent de la population sud-africaine et reflètent la diversité de ses origines.

La première femme sud-africaine dont j’ai entendu parler, sans avoir mis les pieds dans le pays, c’est Nadime Gordimer qui obtint le Prix Nobel de Littérature en 1991. Les nouvelles de Gordimer ont été pour moi une mine inépuisable pour comprendre ce qu’était l’apartheid et de ce que furent les luttes de celles et ceux qui, à l’intérieur du pays et en exil, contribuèrent à faire tomber le régime. Elles ont accompagné chaque visite que j’ai faite du musée de l’apartheid.

Une autre image, très forte, aperçue pour la première fois dans ce musée, mais rééditée en une chaque année pour le mois de la femme en Afrique du Sud, est celle de ces quatre femmes, à la tête de la marche des vingt-mille femmes sur Pretoria le 9 août 1956, qui demandèrent l’annulation des laissez-passer entravant le droit de circuler des non-blanches. La photo en noir et blanc de Lilian Ngoyi, Helen Joseph, Sophie Williams-de Bruyn et Albertina Sizulu devant l’Union Building symbolise l’union des femmes sud-africaines de toutes origines contre un régime inique. Une statue en bronze d’une des marcheuses du 9 août 1956, une femme noire du peuple, coiffée d’un doek, est érigée devant la bibliothèque de Johannesbourg. Elle tient dans une main une pancarte : « La démocratie c’est le dialogue », et de l’autre un cocktail molotov, synthétisant bien la complexité de la vie politique de ce pays. C’est la photo que j’ai voulu mettre en exergue dans ce blog.

La condition des femmes en Afrique du Sud a sans conteste progressé depuis que le pays a accédé à la démocratie. La constitution de 1996 leur garantit pour la première fois dans l’histoire des droits, une dignité et des devoirs égaux à ceux des hommes. La représentation des femmes sud-africaines en politique est l’une des plus élevée au monde. Avec 42,7% de femmes au Parlement, et 48,6% de femmes ministres, l’Afrique du Sud est dans les dix premiers pays pour la représentation politique des femmes.

Dans le monde professionnel, les femmes n’ont pas encore atteint une telle mixité. Les hommes restent majoritaires dans les secteurs formels de l’économie, et, lorsqu’on regarde vers le haut des pyramides hiérarchiques, les rares femmes paraissent bien seules. Le mythe que les femmes noires éduquées ont un tapis rouge déroulé sous leurs pieds vers les plus hautes fonctions de l’entreprise ou des administrations ne résiste pas aux faits. 30% des managers sud-africains sont des femmes. 32% des juges de cour d’appel sont des femmes, tout comme 30% des ambassadeurs, et 24% des dirigeants des entreprises nationales. La sociologue Xolani Ngazimbi parle de “l’effet capuccino” pour évoquer cette situation en trompe-l’oeil des femmes noires dans les sphères de direction: on saupoudre quelques pincées de cacao sur la mousse blanche…

Du côté de leur vie privée, les femmes sud-africaines font également face à de grands défis, et notamment les femmes noires. Ce sont elles majoritairement qui élèvent seules leurs enfants. Le taux de divorce est un des plus élevé au monde, et plus de la moitié des mères sud-africaines n’ont jamais été mariées. La constitution reconnaît en théorie l’égalité des droits des femmes et des hommes, « mais » elle garantit aussi le droit des communautés traditionnelles et de leurs coutumes.

On a donc une constitution qui appelle à la fois à postuler l’égalité entre les femmes et les hommes de toutes les couleurs et de toutes les religions, et qui justifie, au nom du respect des traditions, des droits coutumiers qui bafouent cette égalité, puisque traditionnellement, les femmes y sont inféodées aux hommes et à leur famille, n’ont pas le droit de posséder de terre, et doivent tenir leurs guides de conduite des chefs traditionnels qui sont toujours des hommes.

La nouvelle Afrique du Sud est marquée par la violence des rapports humains héritée de cultures patriarcales, des colonisations et de l’apartheid, et ce sont les femmes qui en paient le prix fort. Le mouvement #AmINext, en septembre 2019 a rappelé que treize femmes sud-africaines sont assassinées chaque jour. Huit femmes sud-africaines sur neuf auraient été violées selon une enquête du SHRC. Soixante mille viols sont déclarés par an à la police qui ne brille pas par son zèle à trouver les coupables.  Quant à la justice, avec 4% des viols dénoncés menant à une condamnation dans le Western Cape et 7% dans le Gauteng, on ne peut pas espérer qu’elle ait un rôle dissuasif. Le viol est un sport national écrit sans ambages l’écrivaine et universitaire Pumla Dineo Gqola.

Où en sont les femmes sud-africaines près de trente ans après la fin de l’apartheid ? Elles nous donnent des leçons de courage, de résistance, et d’humanité. Car, malgré l’adversité qui s’abat souvent sur elles, elles se battent dans leurs communautés, dans des associations, dans leur famille pour faire avancer la société et offrir à leurs enfants un avenir plus serein. 

« The realities of our harsh lives made it imperative that we learn to laugh at the absurdity of our times. We laughed, for otherwise we would have succumbed, overwhelmed by the gruesomeness of that reality”.

Sindiwe Magona “Forced to grow”

A quoi rêve la jeunesse africaine?

En ces temps où la jeunesse des pays du Nord se passionne pour l’avenir de la planète, et où elle se mobilise en masse pour sauver le monde de ses démons carbonés, il y a une grande absente des débats et des programmes de télévision: la jeunesse du Sud. On est prompt à relever, avec des expressions laudatives ou méprisantes, le nombre d’étudiants ou de lycéens séchant les cours pour venir manifester devant les lieux de pouvoir. La prestation de Greta Thunberg devant les Nations Unies a été abondamment commentée. L’allocution d’une jeune fille de seize ans devant cette assemblée est en soi extraordinaire. Mais où sont les reportages sur les étudiants de Dakar, Abidjan, Cotonou, Yaoundé, Nairobi, Dar-es-Salam, Kinshasa ou Johannesbourg? S’est-on intéressé à la façon dont ces jeunes-là voient leur avenir? Qu’ont-ils à dire sur l’avenir de cette planète que, qu’on le veuille ou non, nous avons en commun?

Il serait présomptueux de répondre à un sujet aussi vaste en un billet de blog. La question appelle des recherches sociologiques, anthropologiques, économiques et serait un bon sujet de colloque interdisciplinaire. Le roman, s’il ne permet pas d’établir des faits est une aide précieuse pour illustrer des points de vue actuels. Il se trouve que j’ai récemment lu deux romans d’auteurs congolais, “Congo Inc.” d’In Koli Jean Bofane et “Johnny chien méchant”, d’Emmanuel Dongala, et que leur sujet, précisément, ce sont les rêves (enfouis/enfuis/piétinés) d’une partie de la jeunesse congolaise.

Le roman très ironique d’In Koli Jean Bofane, met en scène Isookanga, un Rastignac congolais à moitié pygmée (sa mère a fauté avec un homme d’une autre ethnie) de vingt-six ans qui décide de partir tenter sa chance à Kinshasa. Isookanga alias Congo Bololo dans sa vie virtuelle, rêve de fortune, de capitalisme et de mondialisation, loin de la sagesse immémoriale incarnée par son oncle, gardien des traditions et de la forêt. Kinshasa ne se révèle pas à la hauteur de ses attentes, et Isookanga se retrouve à la tête des shégués, ces enfants des rues qui vivent de rapines et de combines autour du marché central. Les aventures d’Isookanga sont l’occasion pour l’auteur de peindre un portrait mordant de l’actuelle RDC. Tout le monde en prend pour son grade. Les personnages secondaires de ce roman féroce sont tous plus ou moins affreux, bêtes et/ou méchants (à l ‘exception sans doute du vieux pygmée). Des édiles de la ville de Kinshasa au seigneur de guerre à la retraite, en passant par l’anthropologue belge pétrie de repentance coloniale qui croit avoir rencontré la “nature congolaise” en passant quelques jours chez les ekonda, l’officier des casques bleus qui fréquente les adolescentes prostituées du marché central, ou le pasteur très âpre au gain de l’église de la multiplication divine adepte des costumes de marque et des berlines allemandes.

Emmanuel Dongala dépeint les trajectoires de deux personnages, dans une ville du Congo non nommée, qui ont à peu près le même âge seize ans, et vont finir par s’affronter. Le premier, Johnny chien méchant, a oublié son nom de baptême. Adepte des noms de guerre, c’est un adolescent qui a été enrôlé dans une de ces milices qui vendent leur service au plus offrant et se rémunèrent en pillant et en violant ce.lle.ux qui n’ont pas l’heur d’être du bon côté. La seconde, Laokolé, a longtemps cru, conformément au rêve instillé par l’idéologie du développement occidentale, qu’une bonne éducation serait la clé de son émancipation. Elle est à la veille de passer son bac, et rêve de devenir ingénieure. Son père a été tué lors d’un précédent épisode de violence civile qui a laissé sa mère mutilée. Une énième crise met fin à tous les rêves de l’adolescente qui n’aura plus que la possibilité de développer sa résilience dans un pays qui n’a rien à lui offrir que l’absurdité de la violence et de la méchanceté.

Bien sûr, ces romans sont des oeuvres de fiction, et toute ressemblance avec des personnages et des lieux qui auraient existé est sans doute fortuite etc… Toute la jeunesse africaine ne peut se retrouver dans ces destins particuliers marqués par les crises politiques successives d’un pays qui n’en finit pas de (mal di)gérer son passé colonial, comme le rappelle In Koli Jean Bofane. Mais les romans de Chibundu Onuzo, ou de Chimamanda Ngozi Adichie pour le Nigéria, ou de Niq Mhlongo pour l’Afrique du Sud dépeignent une jeunesse aux antipodes des revendications écologistes. La préoccupation des jeunes africains, c’est l’accès aux bénéfices du “progrès” tels qu’ont pu en bénéficier leurs homologues européens. Pouvoir vivre une vie digne. Avoir accès à l’eau, à l’électricité, à des services de santé et à une éducation de qualité pour commencer. Pouvoir offrir à leurs parents des conditions de vie meilleure que celles que ceux-ci ont connu. Avoir le droit de rêver d’accéder à l’université et aux bénéfices de la mondialisation, en termes de consommation mais aussi en termes de voyages, de rencontres. Seule une toute petite partie de jeunes, issus des classes moyennes supérieures peuvent y prétendre aujourd’hui.

“Vous m’avez volé mon enfance” a scandé l’égérie du mouvement des jeunes du nord aux dirigeants de ce monde. Cette phrase résonne bien étrangement sur d’autres continents.

#AmInext ? Féminicides et violences faites aux femmes en Afrique du Sud, une réalité douloureuse.

Ce vendredi 13 septembre était organisé le #SandtonShutdown. Soixante associations de la société civile ont appelé les femmes à commencer à converger, dès trois heures du matin, vers le siège du Johannesbourg Stock Exchange (JSE), pour demander au gouvernement de porter attention aux violences faites aux femmes, et à montrer qu’il était au moins aussi concerné par le sort de ses citoyennes que par celui du capitalisme sud-africain. Le collectif s’est également adressé aux plus grandes sociétés cotées au JSE pour qu’elles participent à la lutte contre la violence de genre et financent le “plan stratégique national contre les violences de genre” (National Strategic Plan on Gender Based Violence) qui doit être lancé en Novembre prochain.

Cette manifestation n’est pas la première du genre. Elle suit une marche des femmes vers le Parlement au Cap le 4 septembre pour remettre un mémoire au Président Ramaphosa qui s’y trouvait, ainsi qu’une manifestation similaire, le 6 septembre à l’occasion du World Economic Forum à Capetown. Dans un pays où treize femmes (!!!) seraient assassinées par jour, ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont en l’espace d’une semaine, les meurtres de trois femmes emblématiques. Uyinene Mrwetyana était une radieuse jeune femme de dix-neuf ans, étudiante en cinéma à la prestigieuse université de Cape Town, elle avait la vie devant elle et a trouvé la mort, violée et battue dans le bureau de poste de Clareinch où elle résidait. La même semaine, une championne de boxe sud-africaine Leighandre Jegels était tuée par son ex-conjoint qui avait pourtant l’interdiction de s’en approcher. Une cavalière émérite a également péri. Lorsque la nouvelle du meurtre d’Uyinene a été confirmée, le corps avait disparu et on n’avait pas d’indice sur son sort avant que le meurtrier n’avoue, les étudiant.e.s d’UCT se sont ému.e.s et ont organisé des veillées à son honneur, puis un mouvement de protestation qui est sorti du campus et a réussi à mobiliser bien au delà des murs de l’université, tant le problème est ancré dans la société sud-africaine. #AmInext ? se demandent les femmes sud-africaines?

Les titres des journaux régulièrement le rappellent, il n’y a pas d’endroit sûr pour les femmes en Afrique du Sud. Elle expérimentent la violence à la maison, dans leur quartier, à l’école, dans les transports en commun, et cela concerne des femmes de tous les âges, j’en avais déjà parlé dans un de mes premiers posts sur ce blog. Rien n’a fondamentalement changé depuis 2016. Des petites filles de 18 mois, de 4 ans, de 7 ans sont violées dans leur famille, par des pères, des oncles, des frères ou des cousins. Dans les camps de squatters au bord des townships, où le seul accès à des toilettes est une rangée de toilettes chimiques mis en place par les municipalités, les filles ne vont pas aux toilettes seules et évitent d’y aller après la tombée de la nuit pour prévenir les risques de se trouver confrontées au pire. Régulièrement on retrouve le corps sans vie de fillettes violées près de ces toilettes communes. Une amie, responsable d’une association communautaire à Diepsloot me racontait qu’elle avait dû batailler pour trouver une solution d’hébergement ailleurs pour une femme d’un certain âge qui perdait la vue, et dont la faiblesse était exploitée par des voisins qui la violaient régulièrement sans qu’elle puisse savoir qui ils étaient. Les usagères de taxis, ces minibus qui servent de liaison entre les townships et leurs lieux de travail en l’absence de transports en commun dignes de ce nom, savent qu’il ne faut jamais aller en bout de ligne pour éviter d’être la dernière dans le véhicule.

“Tu ne sais pas ce qu’est que de grandir dans un township” me disent des jeunes femmes qui y ont grandi lorsque je parais avoir une vision un peu angélique de la vie dans ce pays. Je sens, dans leur pudique énonciation, qu’elles en ont vu de toutes les couleurs, et qu’elles ont une expérience très proche de la violence faite aux femmes. Si ce n’est elles-mêmes, à travers des expériences vécues par leurs mères, leurs soeurs, leurs proches amies. Les espaces ruraux ne sont pas plus sûrs pour autant. Dans la culture xhoza, la pratique de l’ukutwala, rapt rituel pour forcer le mariage s’accompagne souvent de viol et ne sert pas uniquement à passer outre les réticences de la famille, mais également celle de la jeune fille… Il n’est pas rare que des familles acceptent la lobola pour marier une de leurs filles sans demander l’avis de l’intéressée. Dans un contexte de pauvreté ou les prétendants se font rares, faute de moyens, c’est une façon comme une autre de monnayer l’investissement fait dans leur éducation (et récupérer de quoi marier un fils).

Le viol en Afrique du Sud est un sport national écrit l’universitaire et essayiste Pumla Dineo Gqola. On parle d’environ 60 000 viols dénoncés à la police par an, et d’un taux de sous-déclaration abyssal: 8 femmes violées sur 9, selon une étude du SHRC, ne prendraient pas la peine de se présenter à la police, estimant que cela ne servira à rien. Et les chiffres de résolution des cas leur donnent partiellement raison: dans une étude citée par Pumla Dineo Gqola, l’ONG Rape Crisis montre que dans les affaires de viol portées devant la justice entre 2010 et 2012 4% des cas aboutissent à une condamnation dans le Western Cape, et 7% dans le Gauteng. Quand on sait que très souvent le violeur est un proche, c’est prendre un gros risque de que de s’exposer à un échec.

La semaine dernière, une avocate travaillant pour une ONG s’occupant des femmes victimes de viol au Cap racontait un vrai parcours du combattant pour déposer une plainte avec l’une de ses protégées. Alors que selon la loi, tous les postes de police devraient pouvoir prendre les plaintes sans restriction de sectorisation (comme c’est le cas pour un accident de la route par exemple) et disposer d’une salle permettant la confidentialité des échanges et des dépositions, l’avocate et sa plaignante ont été renvoyées d’un poste à l’autre, par une mauvaise volonté évidente de la part des policiers. Pour les viols, comme pour les autres crimes, les policiers sud-africains ne font pas de zèle.

Quelles sont les causes de cette prévalence du viol en Afrique du Sud? Les essayistes et les journalistes leur emboîtant le pas n’hésitent pas à invoquer une “culture du viol” et des “masculinités toxiques” qui mènent à une acceptation de l’inacceptable, à la stigmatisation des victimes et au pardon vite accordé, voire à la glorification des violeurs. L’exemple le plus frappant en est le procès très médiatisé contre Jacob Zuma, alors prétendant à la présidence de l’ANC, intenté par celle qui a été présentée sous le pseudonyme de Kwezi pour protéger son identité. La parole de la victime y a été complètement déconsidérée sous le prétexte qu’elle ne présentait pas une vie sexuelle antérieure “conforme” à celle qu’attendaient les juges d’une victime de viol, et Jacob Zuma a pu d’en tirer sans aucun préjudice politique pour sa carrière.

Qu’entend-on par “culture du viol” dans le contexte sud-africain? Cette expression désigne un cocktail toxique qui, historiquement, politiquement, socialement, économiquement a abouti à l’exaltation d’une masculinité qualifiée d’hyper-masculinité, dont la violence contre les femmes est une composante.

L’histoire de l’Afrique du Sud est une histoire violente, d’affrontements entre tribus, entre populations autochtones et colonisateurs, entre colonisateurs eux-mêmes. Les guerres de conquête, le Grand Trek, la guerre des Boers, d’un côté, la résistance clandestine durant les décennies de l’apartheid de l’autre, ont forgé une identité masculine très militarisée dans laquelle le viol est justifié. Gqola raconte que dans les auditions de la TRC (Truth and Reconciliation Commission, les violences sexuelles envers les “camarades” ont été minimisées).

“Making Black women impossible to rape does not mean making them safe against rape. It means quite the opposite: that Black women are safe to rape, that raping them does not count as harm an is therefore permissible”

“Rape A South African nightmare” Pumla Dineo Gqola (@Feminist_Rogue)

Les sociétés pré-coloniales étaient des sociétés patriarcales, la colonisation et l’esclavage ont renforcé la valence différentielle des sexes et la valence différentielle des races. L’évangélisation par des missionnaires n’a pas rééquilibré les rôles… Le bas de l’échelle est tenu par les femmes noires. L’histoire, et l’appareil juridique sud-africain en les disqualifiant, les a rendues particulièrement vulnérables. Tout au long de l’histoire du pays le viol d’une femme noire ne “comptait pas”. Après la chute de l’apartheid, la constitution a établi l’égale dignité des hommes et des femmes, quelles que soit leur origine et leur couleur, et banni les discriminations en fonction du genre. Pourtant le viol n’a pas disparu du quotidien des sud-africaines.

Après l’avènement de la démocratie, la remise au goût du jour des cultures traditionnelles, avec des coutumes insistant sur la virginité exigée des filles, et la bigoterie d’une grande partie des églises implantées sur place ne facilite pas le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur sexualité.

Vingt-cinq ans après la fin de l’apartheid, et malgré les programmes de redistribution initiés par l’ANC, les espoirs de nombreux sud-africains de sortir de la pauvreté ont été cruellement impactés par la désindustrialisation. Comme le raconte l’étude de la sociologue Sara Motsoetsa dont j’ai rendu compte ici, une partie de la population reste exclue du rêve d’émancipation porté par l’ANC. Les contraintes économiques pesant sur les familles marginalisent les hommes qui ne peuvent endosser le rôle traditionnel de pourvoyeur des familles. Les violences envers les femmes et les enfants deviennent alors un moyen d’affirmer dans la sphère privée le pouvoir dont ils sont dépourvus dans la sphère publique.

The romance of a new country is gone, and the children that should have inherited Mandela’s dream continue to live under the brutalisation of raced, gendered terror”

“Rape A South African nightmare” Pumla Dineo Gqola (@Feminist_Rogue)

“Plus jamais ça!” scandent les pancartes, ce n’en est malheureusement pas la première édition. Les slogans ressortent, les foules descendent dans les rues, les politiques opinent du bonnet. “Je vous ai comprises” a dit en substance le président Ramaphosa, mais le problème ne se résoudra pas en un claquement de doigt. Il faut attaquer le mal à la racine, mais cette racine est complexe.

L’ex-Public Protector, Thuli Madonsela avait suggéré trois axes: s’assurer que le viol ait des conséquences négatives pour les violeurs, que ceux-ci soient durement sanctionnés, éduquer les garçons avec des cadres différents de ceux qui construisent leur masculinité toxique, et arrêter les cycles de complicité qui pérennisent le problème. Au niveau du terrain, il faut que les agents de l’Etat, la justice, les éducateurs soient impliqués dans le processus. Les ONG existent et font un travail remarquable, mais leur périmètre d’action est très limité, et l’ampleur de la tâche colossale…

Johannesbourg brûle t’il?

Mercredi 4 septembre, j’ai reçu un appel de la journaliste présentant le Journal Afrique de TV5 Monde me demandant si je voulais venir dans son studio commenter l’actualité sud-africaine, notamment la flambée de xénophobie en Afrique du Sud. J’ai accepté de me prêter à cet exercice compliqué s’il en est : il me fallait répondre en maximum une minute et demie à chaque question posée. Difficile de refléter un contexte aussi complexe que celui du pays de Mandela vingt-cinq ans après la chute de l’apartheid en un temps aussi ramassé… Je vais tenter de le faire dans ce billet de blog.

Partons des faits. Depuis quelques semaines, des incidents près de Durban, dans le centre de Pretoria, dans le sud (Lenasia) puis dans le centre de Johannesbourg laissent penser à une résurgence de ces poussées de xénophobie dont l’Afrique du Sud est coutumière. Près de Durban et sur certains axes routiers près de Jobourg, les routiers sud-africains ont encouragé des barrages pour filtrer les véhicules conduits par des chauffeurs étrangers et les molester. A Pretoria des chauffeurs de taxis d’origine étrangère ont été pris pour cibles ainsi que des commerçants nigérians du centre-ville que leurs attaquants accusaient de trafics de drogue, sous l’oeil bienveillant de la police.

Dans le centre de Johannesbourg, à Jeppestown, dimanche dernier, des émeutiers auraient effectué des raids sur des magasins appartenant à des commerçants étrangers, les ont pillé et y ont mis le feu, laissant des images de désolation, une dizaine de morts (en majorité sud-africains) et des centaines de milliers de rands de dégâts.

Comment comprendre cet accès soudain de violence, et cette expression de haine envers les étrangers? Les responsables politiques ont été assez timorés dans leurs commentaires jusqu’à mercredi, refusant d’attribuer les exactions à la xénophobie, mais arguant que les violences étaient le fait de criminels cherchant juste un prétexte pour voler et piller des commerces. Il faut dire que la désignation des étrangers comme responsables de tous les maux du pays est commune à bien des politiques sud-africains, c’est même le fond de commerce de certains. Le maire de Johannesbourg, Hermann Mashaba, commençant son mandat il y a deux ans, avait promis de “nettoyer” le centre-ville des squatters étrangers qu’il rendait responsable de l’insécurité qui y régnait depuis des décennies. L’ex-ministre de la santé leur attribuait l’engorgement des services de santé publique et des hôpitaux, et leur mauvais fonctionnement. La rhétorique sur les étrangers qui volent l’emploi des locaux fait florès dans un pays où le taux de chômage ne baisse pas.

La réaction spontanée des politiques, en l’absence d’échéances électorales proches, aurait été de laisser s’éteindre d’elles-mêmes les flammes plutôt que de monter au créneau. Les réactions internationales, et notamment des chefs d’Etat africains, au premier rang desquels, le président de l’Union Africaine, et celui du Nigeria, Muhammad Buhari ne leur en a pas laissé le loisir. Les actions xénophobes ont donc été condamnées par le Président Ramaphosa dans une déclaration minimale mercredi 4 septembre, promettant que les crimes ne resteraient pas impunis. Il pouvait difficilement s’engager moins. D’autant que les entreprises sud-africaines cherchant dans les marchés africains la croissance qu’elles n’arrivent pas à trouver chez elles, sont fragilisées sur leurs marchés extérieurs par de tels évènements. Le pillage, en guise de représailles, de supermarchés Shoprite et de boutiques MTN au Nigéria, n’arrange pas leurs affaires…

Mais qu’est-ce qui pousse des sud-africains des quartiers populaires à se soulever et à s’en prendre aux personnes d’origine étrangère et à leurs biens? La xénophobie est-elle un mal qui touche particulièrement les sud-africains? Ces sud-africains qui disent “je vais en Afrique” lorsqu’ils voyagent sur le continent, comme s’ils s’y sentaient une place à part… Il y a certainement une grande méconnaissance du continent africain en Afrique du Sud, du fait de l’isolation du pays au moment de l’apartheid. De nombreux cadres de l’ANC contraints à l’exil avaient trouvé refuge dans les pays voisins, où même en Tanzanie ou au Nigéria. Les générations suivantes se sont renfermées et considèrent désormais avec méfiance les “autres”. Pourtant l’Afrique du Sud est depuis longtemps un pays de migration. Les mines employaient des ouvriers venant de toute l’Afrique australe, zimbawéens, zambiens, habitants du Lesotho ou du Swaziland…

Il faut d’abord souligner le caractère endémique de la violence dans ce pays, une violence enracinée dans l’histoire. On a oublié les violences terribles dans les townships au moment de la fin de l’apartheid. Une violence qui n’était pas seulement le fait des blancs contre les noirs, mais aussi des noirs contre des noirs. Une salle du musée de l’apartheid à Joburg rappelle les affrontements entre les tenants de l’Inkatha Freedom Party (zoulou) et les différentes composantes de l’ANC. L’Afrique du Sud est un pays où l’on meurt pour une poignée de tournesols, ou pour un sac d’oranges… Le taux de violence familiale dans le pays est effrayant, les violences interpersonnelles, et notamment les violences liées aux genre sont légion, et les violences institutionnelles ne le sont pas moins. Le comédien Trevor Noah avait plaisanté, dans l’un de ses sketches, sur la violence dans les établissements scolaires, et notamment celle exercée par les professeurs sur les élèves: “we don’t beat them, we hit them!”*. Le topos de l’infirmière maltraitante est un thème récurrent des discours sur les hôpitaux publics, j’en ai recueilli des exemples lors de ma recherche.

La persistance de la violence est le symptôme d’une société qui va mal, et d’une population qui s’impatiente de ne pas recueillir les dividendes de la chute de l’apartheid. Les promesses de prospérité, santé, éducation et sécurité pour tous n’ont pas été tenues. La politique de Reconstruction and Development Programme (RDP) lancée par le gouvernement de Mandela en 1997, et les politiques des gouvernements suivants n’ont réussi que marginalement à redresser les déséquilibres historiques. Le fossé entre les plus pauvres et les plus riches s’est accru depuis vingt-cinq ans, et périodiquement les pauvres se rappellent au bon souvenir des gouvernants en manifestant leur insatisfaction.

La population sud-africaine a cru depuis la fin de l’apartheid, à un rythme plus soutenu que l’économie (malgré quelques années fastes). Le “miracle économique” sud-africain a attiré de plus en plus de ressortissants des pays voisins fuyant des pays politiquement et économiquement sinistrés et venant y chercher du travail. Ils se sont dirigées vers des villes encore marquées par l’urbanisme de l’apartheid, peu conçues pour accueillir le surcroît de population des migrants, qu’ils viennent des provinces sud-africaines ou des pays alentour, accentuant la compétition des plus pauvres pour les ressources rares: logement, subsistance, emploi…

Dans une économie où l’emploi est rare, ce sont les quartiers les plus défavorisés qui en pâtissent le plus. La désindustrialisation causée par la libéralisation des échanges (j’en ai parlé ici), a contraint les individus et les familles à des systèmes de débrouille généralisés. Dans une population condamnée à vivre d’expédients, de combines plus ou moins légales et de petits boulots, la concurrence accrue n’est pas vue d’un bon oeil.

Par ailleurs, les migrants ne sont pas toujours les plus mal lotis dans ces systèmes, ils viennent avec des capitaux sociaux, culturels et économiques très divers, et peuvent donner l’impression de mieux tirer leur épingle du jeu que des populations locales moins éduquées et moins solidaires. Malgré leurs diplômes, ils sont exclus d’une grande partie du marché de l’emploi du fait de règles administratives (les étrangers, même noirs ne font pas partie des ‘Black Empowerment Programmes’) et ont donc, pour débouché la création d’entreprise, commerciale ou non.

Je me souviens d’avoir fait un tour de Diepsloot avec la responsable d’une association, et avoir remarqué que les supérettes semblant les plus prospères appartenaient à des somaliens, quand les ‘spaza shops’ de leurs voisins sud-africains faisaient pâle figure. On m’a expliqué que les somaliens avaient développé des systèmes de centrales d’achats qui leur permettait d’offrir plus de choix et de meilleurs prix que leurs concurrents indépendants.

Ajoutez à ces éléments déjà explosifs, une police hautement corruptible, beaucoup plus efficace pour extirper des frais de protection aux commerçants, racketter les responsables de trafics et les automobilistes que pour garantir la sécurité des citoyens (si tant est qu’elle en ait les moyens), et vous avez les ingrédients d’une catastrophe annoncée. Les policiers envoyés sur les lieux auraient ‘observé’ les actions des pilleurs sans essayer de les dissuader. Il y a trois ans, le commissaire du poste de Jeppestown (où ont eu lieu une partie des troubles du week-end dernier) avait fini par être muté, après une campagne de protestation dans les journaux, il avait réussi à cumuler 180 jours d’absence sur l’année précédente alors qu’il dirigeait le poste de police d’un des quartiers les plus réputés de la ville pour ses problèmes d’insécurité. Dans la police, comme dans l’éducation ou la santé, l’avancement hiérarchique est moins dû aux états de service des fonctionnaires qu’au rattachement politique (et aux connections avec l’ANC)…

Dès lors que les gouvernements de l’ANC ont failli à leur mission de mettre en place des institutions fortes, garantissant à l’accès à tous à une éducation de qualité, des services de santé convenables, et à la sécurité, il n’est guère étonnant que des révoltes populaires éclatent fréquemment, et ciblent en priorité les habitants des quartiers les moins sécurisés, compte-tenu de la stratification géographique des villes.

Plutôt que des déclarations de principe sur le caractère intolérables de ces attaques, on aurait aimé que le président Ramaphosa mette les moyens d’enquêter réellement sur ce qui a provoqué les émeutes et que cette enquête aboutisse à une sanction réelle des responsables, et la restructuration de la police pour plus d’efficacité**, plutôt qu’à un énième épisode oublié une fois retombée l’agitation médiatique…

*”On ne les bat pas, on les frappe”

**Une internaute faisait remarquer que si le gouvernement n’avait pas hésité à envoyer les canons à eaux sur les étudiants de l’Université de Cape Town (qui manifestaient contre le viol et le meurtre de leur camarade de première année, violée et tuée dans un bureau de poste), mais pas sur les pilleurs de Jeppestown.