De brefs instants de splendeur…

Comme tous les ans, je sors in extremis de ma torpeur hivernale pour former des voeux pour 2024. Après une année 2023 éprouvante pour notre planète, que vous souhaiter de meilleur que de (re)mettre de la poésie, dans vos vies, dans vos coeurs et dans vos têtes?

Parmi mes lectures marquantes de 2023 figurent les ouvrages d’Ocean Vuong, ce jeune vietnamien vivant aux Etats-Unis, dont j’avais dévoré le beau mais terrible roman, inspiré partiellement de son histoire familiale “un bref instant de splendeur” auquel j’ai emprunté le titre de ce billet. Le titre original est “On Earth, we’re briefly gorgeous”, et je mesure la difficulté qu’a dû poser au traducteur ce titre poli comme un galet. Avec Vuong, j’ai redécouvert le pouvoir des mots, des phrases lumineuses, décochées comme des flèches, qui touchent juste. Ce qui fait la beauté de son écriture, c’est ce mélange d’éléments poétiques et d’éléments complètement triviaux, parfois crus et cruels. Il sait décrire aussi bien, les différentes nuances du ciel lorsque le soleil se couche, l’incursion inattendue du beau au milieu des situations les plus chaotiques. “Le ciel était bleu septembre, et les pigeons s’affairaient à picorer les miettes de pain répandues dans le bombardement de la boulangerie” (Ocean Vuong).

Le beau est partout, il se cache même, dans “Le temps est une mère” dans la lecture de la liste des achats par correspondance d’une employée vietnamienne d’une onglerie américaine s’acheminant inexorablement vers la mort (la mère du poète). Dans l’énumération de ses achats, se lit la progression de son cancer, probablement provoqué par ces produits qu’elle a respirés quotidiennement et dont elle continue à ne pas se passer, l’amour pour son fils, ses douleurs de plus en plus entêtantes qui augmentent la fréquence des commandes de paracétamol, et autres items de confort pour une mère qui se meurt…

Oui, notre monde de 2024 est tourmenté, malmené, désespérant, mais il regorge tout de même de ces instants de grâce, auxquels nous aurions tort de ne pas nous laisser aller. L’apparition d’un hippocampe au milieu d’une nuée de confettis en microplastique dans un lagon surchauffé, un air de Mozart sur un paysage ravagé, un recycleur d’ordures sud-africain qui utilise sa charrette pour surfer sur une rampe d’accès désertée par les voitures. Des caissières d’une supérette qui reprennent en coeur une bluette qui passent dans leur magasin. Il y a du beau, même dans l’horreur et dans l’absurde. Le merveilleux cohabite avec le prosaïque, la plus délicate des fleurs avec la fange glauque. Et puis il y a ces plaisirs simples, éternels, comme le komorebi , ce mot décrivant le jeu particulier de la lumière parmi les arbres prisé par les japonais, et qui n’a d’équivalent dans aucune autre langue.

Je vous souhaite, tout au long de l’année 2024, de profiter de ces moments de poésie et d’émerveillement. Parce que l’émerveillement, c’est la jeunesse du corps, parce que le beau sauve, le beau soigne, le beau résiste.

“L’ espoir est la chose emplumée –

Qui perche dans l’âme-

Et chante la mélodie sans les paroles –

Et ne s’arrête – Jamais-“

Emily Dickinson

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