Puisque la majorité d’entre vous est en vacances, si on parlait lecture?

Les semaines passent et je n’ai toujours pas tenu ma promesse de partager mes lectures sur mon continent d’accueil… Honte à moi. Bon, c’est vrai vous avez, chers lecteurs français, la chance de pouvoir aller assister en direct aux conférences d’Alain Mabanckou  au Collège de France depuis quelques mois, ou de pouvoir en regarder les captations vidéos… Mais bon, le plus célèbre des auteurs congolais est plutôt orienté vers la littérature d’expression française, et l’Afrique anglophone aussi regorge d’auteurs qui valent la peine qu’on s’y intéresse.

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Spontanément j’ai pioché depuis longtemps dans les productions d’auteurs francophones: Kourouma, Hampaté Ba, Mabanckou bien sûr. De la littérature anglophone, bizarrement, jusqu’à très récemment je n’avais lu que des auteurs blancs écrivant sur l’Afrique. Blixen, Le Carré, Boyd, Lessing… Sur l’Afrique du Sud, parce que la lutte contre l’apartheid a marqué mon imaginaire d’adolescente sang-mêlé, j’avais depuis longtemps lu André Brink et Alan Paton, auteurs très engagés, et plus récemment Nadine Gordimer dont les “Life Time Stories” reflètent très bien la vie sous le régime de l’apartheid, et les luttes de ceux qui s’y opposaient. Combien de photos du superbe et effrayant Musée de l’apartheid, pourraient illustrer ces nouvelles si précises?

En arrivant à Joburg, j’ai décidé de m’intéresser plutôt à la littérature produite par des auteurs noirs, des auteurs pas forcément traduits en français, mais qui pourraient éclairer une autre face de la situation de ce pays. La meilleure façon, est bien sûr d’aller dans une librairie. Il y en a de très belles à Johannesburg, la vente de livres sur Internet ne les a pas encore obligées à fermer boutique, et ça c’est plutôt une bonne nouvelle. La production éditoriale a l’air assez dynamique même si les têtes de gondoles présentent très souvent les mêmes “best-sellers” que les librairies partout dans le monde. Quelques auteurs locaux font quand même partie des listes de recommandation/ meilleures ventes. Le dernier opus policier de Deon Meyer par exemple… Et il y a toujours une pyramide d’essais sur la situation politique du pays, en perpétuelle reconstruction depuis 1994: les ouvrages de Moeletsi Mbeki (oui, le fils de Govan et le frère de Thabo) qui dressent un portrait sans concession de la nouvelle Afrique du Sud, l’ouvrage du journaliste Justice Malala “Now we have begun our descent” qui condamne les dernières errances d’un ANC corrompu et à court d’idées, l’essai provocateur de Ferial Hafferjee: “what is there were no whites in South Africa?”, plus un certain nombre d’autres analyses plus ou moins du même jus.

Enfin, et dans un tout petit coin, on peut trouver enfin la fiction locale/africaine. Et là, les ennuis pointent à l’horizon, qui/que choisir pour commencer à explorer les productions littéraires locales? Eliminer dans un premier temps les auteurs nigérians, pourtant prolifiques, et essayer de favoriser les auteurs locaux. Essayer de trouver les voix qui ne se sont pas exprimées, sortir du “récit unique” de l’Afrique éternelle, ou éternellement damnée selon les auteurs. Sortir des grandes narrations des luttes politiques et découvrir des parcours, des thèmes, des histoires qui pourraient s’adresser à la majorité des sud-africains, toutes couleurs confondues. Et pour peu qu’on se plonge dans la production littéraire locale, on trouve assez vite à se satisfaire.

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L’auteur que j’ai découvert avec le plus de bonheur est Zakes Mda. Un vieux routard de la littérature sud-africaine dont la réputation ne m’était pas venue aux oreilles jusqu’à ce que je m’installe ici (seuls trois de ses romans sont traduits en français). Je viens d’ailleurs de finir “Black Diamond” son roman publié en 2009 dont le héros est Don Mateza un ancien combattant de la lutte contre l’apartheid dans le Johannesburg affairiste des années 2000. Recyclé dans une compagnie de sécurité (florissantes dans l’Afrique du Sud contemporaine comme je l’ai évoqué plus haut), Don ronge son frein en attendant une promotion qui ferait de lui ce “black diamond”pendant que certains de ses camarades, ayant mieux su faire jouer leur réseau, ont acquis des fortunes grâce aux obligations de BEE (black economic empowerment) édictées par le gouvernement démocratique pour redresser les injustices économiques du passé. Le roman est l’occasion de déployer quelques portraits typiques de la nouvelle société sud-africaine ou le matérialisme a vite remplacé le credo marxisant des “camarades”et ou la pauvreté perdure. Contrairement aux auteurs blancs dont les ouvrages sont hantés par les fantômes de l’apartheid, la littérature de Zake Mda nous fait découvrir un point de vue rarement exprimé et c’est assez agréable. On n’y sent pas ce surmoi pesant des romans de Coetzee ou Brink qui ne peuvent qu’interroger leur propre place et leur légitimité à écrire, eux qui seront toujours, malgré eux, par leur couleur et leur année de naissance, assimilés aux colonisateurs/oppresseurs. Zake Mda est né avec l’apartheid, en 48 mais n’en fait pas un thème majeur de ses romans qui tous racontent une Afrique du Sud noire qu’on n’a jamais pris la peine d’écouter. Le “Whale Caller” est un roman d’une grande poésie, une histoire d’amour à Hermanus, petite cité balnéaire de la province du Cap Oriental (Western Cape), réputée parce qu’on peut y admirer les baleines pendant leur période de reproduction. Histoire d’amour entre deux personnages que vous ne remarqueriez pas si vous y étiez en vacances où en dehors de la saison, entre le crieur de baleine et une vagabonde. Le roman retrace merveilleusement les paysages somptueux de cette région d’Afrique du Sud, battue par les vents et le soleil. Enfin, son dernier opus “Little Suns” raconte la quête, au début du vingtième siècle, par le personnage éponyme, aux confins du Eastern Cape, de son amour perdu, par Little Suns, meurtrier d’un magistrat anglais qui veut enrôler son peuple dans une guerre, à l’encontre des coutumes qui proscrivent à leur chef de partir au combat en période de deuil. Le roman permet de raconter un épisode sanglant de la colonisation, la rebellion des amaMpondomise contre le représentant du colonisateur, le magistrat Hope dont la rigidité va mener à l’affrontement.

Bref, un vrai coup de coeur pour cet auteur, une voix intéressante de la littérature sud-africaine contemporaine!