Ils ont quitté la France du général de Gaulle…

Une rencontre avec les français de Vanderbiljpark, arrivés dans les années 1970 dans cette petite bourgade industrielle au sud de Johannesbourg…

Avez-vous entendu parler de Vanderbijlpark? Cela ne m’étonne guère, ce n’est pas vraiment le genre de bourgade dont vous entendrez parler dans les guides touristiques vantant les mérites de l’Afrique du Sud.

C’est une ville industrielle créée dans les années 20 sur les bords de la rivière Vaal, à une centaine de kilomètres de Johannesbourg, par l’ingénieur Henrik Van der Bilj. Un bastion de cols bleus afrikaners. Avec les villes voisines de Sasolburg et Vereeniging, elle forme le triangle industriel du Vaal, regroupant aciéries, raffineries et autres complexes industriels. Elle compte 95 000 habitants majoritairement blancs (à plus de 54%). Une partie de Vandebiljpark a été construite par ISCOR (South African Iron and Steel Corporation, maintenant passé sous la houlette d’Arcelor Mittal) pour loger ses employés. Le long des rues portant des noms d’hommes de lettres: Shakespeare, Milton, Balzac… des barres de bâtiments similaires en briques à un étage en briques avec petite cour, aujourd’hui un peu mités pompeusement baptisés “terraces”, rappellent les cités industrielles de l’Angleterre ou du Nord de la France.

Un samedi de janvier 2017, le consul général de France à Johannesburg, monsieur Raymond Quereilhac allait, comme tous les ans, avec le président de la Société Française de Bienfaisance de Johannesburg, rendre visite et partager la traditionnelle galette des rois avec la communauté française de Vanderbijlpark. Je lui ai demandé de l’accompagner. J’avais envie de rencontrer ces français arrivés entre la fin des années 60 et le début des années 70 qui ont fait souche sur place et ne sont jamais repartis. Il paraît qu’il y a eu jusqu’à 800 français à Vandebijlpark. Cela m’intéressait d’entendre leurs histoires, leurs expériences si différentes de celles des “expats” envoyés par les grands groupes français, arrivant aujourd’hui dans les banlieues nord de Johannesburg.

Ils étaient une vingtaine, dans la salle d’un petit hôtel de Vanderbijlpark. Certains parlant encore très bien le français, certains l’ayant un peu oublié, truffant leurs conversations de mots ou d’expressions anglaises “so… so…” ou afrikaner… Certains un peu cabossés par l’âge, ils ont allègrement passé la barre des soixante-dix ans! Les deuils, la vie, en ont marqués quelques uns. D’autres semblent avoir mieux tenu le choc, parlant fort et marchand droits comme des i, certains avec enfants et petits-enfants, heureux en tout cas de se retrouver et de partager ce moment.

J’ai pu discuter avec plusieurs des participants qui m’ont raconté des histoires de vies très émouvantes et parfois surprenantes. Ils sont arrivés dans la même décennie, entre 61 et 71, avec des parcours qui reflètent ce qu’était la France sous de Gaulle et Pompidou, une histoire qui contraste avec le thème rebattu des trente glorieuses ou la nostalgie de cette France des années 70 si télégénique. C’est de cette France-là qu’ils ont eu envie de partir, de changer d’air, d’horizon. Ils venaient de régions variées. L’une de mes interlocutrices était une pied-noir de la région d’Oran, arrivée en 62 et installée dans le Tarn mais elle n’en supportait pas le climat. Le mari d’une autre était maçon et ne trouvait pas de travail dans sa Normandie natale, ils avaient envie de changer. Une autre est venue à vingt ans avec ses parents, toute la famille déménageait alors, elle n’allait pas rester. Un de mes interlocuteurs venait de Lorraine où il était ajusteur dans une usine, l’autre était électricien dans la région bordelaise. Ils n’aimaient pas le climat social dans ces années 67-68. En Lorraine, les mines commençaient à fermer, il y avait des grèves. Ils ont lu les annonces dans les journaux locaux. ISCOR proposait à des personnes qualifiées des contrats de trois ans pour venir travailler en Afrique du Sud, avec billets d’avion (aller-retour) pour toute la famille, logement sur place. Ils sont allés aux réunions d’information, se sont dit “pourquoi pas?”, ont tout liquidé en France et ont pris l’avion (d’Orly? du Bourget?). Certains se sont mariés à la hâte pour pouvoir venir ensemble. Ils ont atterri à Johannesburg (“aéroport était tout petit alors!”) avec quelques valises. Et le maire de Vanderbiljpark en personne est venu les chercher. Et là, ils ont découvert un autre monde, une autre culture.

Les débuts ont été rudes. “On est arrivé, il pleuvait, mon père voulait repartir tout de suite! Ce n’était pas ce qu’on lui avait dit!”. “Il ne nous avaient pas tout dit à la réunion d’information” dit un autre en souriant. Il a fallu s’habituer. Ce n’était pas la vie de cocagne. On avait des maisons par contrat, mais elles n’étaient pas meublées. Il fallait attendre les premières payes et mettre un peu de sous de côté pour acheter une table, des chaises, un frigidaire… pour la machine à laver, on a attendu longtemps!  On faisait les lessives à la main. Il fallait aussi se faire comprendre dans les magasins, trouver de quoi manger. “on ne comprenait pas ce qu’il y avait, heureusement ma femme parlait un peu l’anglais”… “Les Afrikaner n’étaient pas sympa avec nous, ils nous regardaient d’un drôle d’air… Ils pensaient qu’on était là pour leur prendre leur travail”. “Ils nous ont traités comme des nègres” lâche une de mes interlocutrices qui ne mâche pas ses mots. Ils ont dû apprendre la langue, pour se débrouiller. Certains ont été tentés de repartir au bout de trois ans, mais ne l’ont pas fait. Ils se sont habitués à ce nouveau pays, à son climat. Ils ont appris à négocier leur contrat (toujours regarder l’aide médicale et la retraite!). Certains ont acheté leur maison. “C’était plus sûr, sinon chaque fois que vous changiez de travail, on vous mettait à la porte de chez vous”. A l’époque, c’était facile de changer de travail, les français étaient bien formés, on les embauchait tout de suite. Les enfants sont nés, ont grandi, se sont faits à cette vie. Certains vivent encore à Vanderbiljpark d’autres sont allés vivre ailleurs.

En cinquante ans le pays a changé, mais ils sont restés, ils ne se sentaient pas vraiment chez eux en France quand ils rentraient, pas très souvent, pour des évènements familiaux. Les bouleversements politiques en Afrique du Sud, la fin de l’apartheid, ils ont fait avec, même s’ils reconnaissent que sur la fin, c’était plus difficile de trouver du travail. Ils disent aussi que pour leurs enfants c’est dur. Il y a eu des épreuves, des deuils, des enfants partis trop vite, des veuvages dont l’évocation leur serre la gorge. Mais leur vie est ici, ils essaient de s’entraider face aux épreuves.

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Post-scriptum: Ayant eu un commentaire sur une “zone d’ombre” de cet article (dont une partie abrégée est parue sur lepetitjournal.com de Johannesburg) sur les opinions politiques des personnes citées dans ce texte et leur complaisance supposée avec le régime de l’apartheid, je souhaite apporter quelques précisions. D’une part, j’ai rencontré ces personnes lors d’un évènement festif, le partage de la galette des rois et cet article n’est pas le fruit d’entretiens structurés avec les personnes, mais d’échanges. Ce n’est donc pas un travail sociologique mais une rencontre. J’ai personnellement été surprise que, lorsque je leur ai demandé quelle avait été leur impression en arrivant en Afrique du Sud, aucun ne m’ait mentionné la dureté de l’apartheid, alors qu’à mes yeux c’était le problème structurant d’Afrique du Sud dans les années 60 (montée puissance, premiers déplacements massifs, régime policier etc.). Lorsque je leur ai posé la question “et l’apartheid?” ils m’ont répondu qu’ils avaient fait avec. Et en même temps, pour des français quittant la France de ces années-là, la séparation entre les blancs et les noirs et l’état policier n’était peut-être pas si choquante que ça. Il se peut aussi que la séparation ait été tellement bien organisée dans ce triangle industriel afrikaner que les français n’aient pas vu (ou n’aient pas voulu remarquer) ce qui se passait en dehors de leur univers immédiat. C’est ce qui m’a intéressée chez eux, c’est ce prisme très “France des années 60” qui se ressent même pour certains dans leur façon de parler, qu’ils ont gardé.

Quelle place pour le consentement dans la politique de santé publique sur le sida en Afrique du Sud?

J’ai très peu évoqué sur ce blog le problème de santé publique majeur dans ce pays: celui de la prévalence du SIDA. C’était un oubli calculé. Je voulais éviter de tomber directement dans le cliché: “décrivez nous l’Afrique du Sud en trois chapitres: 1) la sécurité, 2) le racisme, 3) le SIDA”… Par ailleurs c’est vrai que dans ma vie quotidienne d’expatriée vivant dans les banlieues nord de Johannesburg je suis peu confrontée à cette réalité. J’ai pourtant eu l’occasion d’approcher un peu le sujet, qui ne peut qu’intéresser une sociologue “de la santé”. J’ai assisté à quelques présentations dans des séminaires de travaux sur l’histoire de l’épidémie, et le département sociologie d’UNISA (une université de Pretoria pour laquelle je fais de petits boulots) m’a demandé d’évaluer deux mémoires de masters d’étudiants en “Social Behaviour studies on HIV & AIDS”. Et comme c’est Le problème numéro un de santé publique je suis allée assistée à la matinée de présentations organisée par l’Unicef le jour du #worldaidsday2016 .

Cela ne suffit pas à faire de moi une experte, loin de là, mais cela m’a permis de constater que des notions que je considérais comme universelles et acquises, comme l’alpha et l’oméga de l’éthique médicale, n’avaient pas forcément cours dans ces contrées australes. La constatation la plus marquante pour moi, peut-être compte-tenu de mes recherches passées, était l’absence totale du mot “consentement” des débats ou discussions. Alors que  depuis les années 70 et la révélation des pratiques scandaleuses de certaines spécialités médicales ou des protocoles des essais thérapeutiques (stérilisations forcées ou utilisations de populations vulnérables comme cobayes pour des recherches “médicales”), la médecine occidentale a fait du consentement éclairé la pierre angulaire de sa pratique, ici, cela ne semble pas être une notion pertinente. Ou peut-être ne suis-je pas allée aux bons endroits. Je vais commencer par restituer rapidement les faits saillants sur l’histoire de l’épidémie en Afrique du Sud, j’évoquerai ensuite les faits qui m’ont marquée lors de la matinée de l’Unicef.

Les plus âgés d’entre nous ne peuvent ignorer que l’épidémie SIDA en Afrique du Sud a fait l’objet d’un énorme déni, sous la présidence de Thabo Mbeki… Le président Mbeki, avant de faire machine arrière et lancer une campagne de financement public des traitements anti-rétroviraux pour tous les africains du sud avait soutenu un certain nombre de thèses totalement farfelues sur la maladie. En mars 2016, un expert travaillant pour les Nations Unies a d’ailleurs déposé une plainte contre Thabo Mbeki auprès du Tribunal Pénal International, arguant que le retard pris par Mbeki sur les antirétroviraux aurait causé la mort de 300 000 personnes. En effet depuis 1998 en Afrique du Sud une association d’activistes appelée la Treatment Action Campaign faisait activement campagne pour le remboursement des anti-rétroviraux dans le pays, appels qui ne seront entendus que fin 2003. Une perte de chance pour la population d’un des pays les plus touchés au monde par le virus.

Ce sont surtout les témoignages que j’ai entendus à la conférence Unicef sur le Sida chez les enfants et les adolescents qui m’ont touchée. Les chiffres d’infection par le virus du Sida chez les adolescents en Afrique sub-saharienne sont extrêmement inquiétants. Le premier témoignage émanait d’une femme remarquable, une namibienne, Livey Van Wyck, qui a contracté le SIDA en 2001, lorsqu’elle avait 17 ans. Elle ne savait pas ce qu’était le Sida, ne voulait pas dire à sa mère qu’elle était enceinte, mais lorsque cette dernière l’a découvert, elle a fait ce que toute autre mère aurait fait, elle l’a amenée consultée au dispensaire local. Là on a fait procéder à un certain nombre d’examens et de tests, et, nous dit Livey Van Wick, elle ne savait pas quels tests on lui avait fait. Quelques semaines plus tard, elle revient au dispensaire et elle rentre dans le cabinet du médecin avec sa mère (!). Dans le cabinet du médecin se trouvait également une infirmière et un pasteur (!!!!). Devant tout ce beau monde, le médecin lui annonce qu’elle est séropositive et le pasteur d’enchaîner sur le péché et le repentir, la damnation etc. Visiblement, vu la suite, le médecin a dû également lui parler des antirétroviraux, mais son souvenir le plus vif, c’est le sermon du pasteur. Rentrée chez elle, elle devient une pariah. Elle est renvoyée de son école (qu’elle adorait), elle a interdiction de manger avec les mêmes couverts que ses frères et soeurs, interdit pour eux de boire dans les mêmes verres, de partager des bouteilles d’eau etc. Pour sa famille, elle devient la brebis galeuse et doit mourir dans les mois à venir. Elle entend sa mère parler avec ses tantes de la préparation des funérailles (à 17 ans), qui va être invité, qui doit amener la vache qu’on tuera pour nourrir tout ce beau monde… Mais elle ne meurt pas. Au bout de quelques mois, sa mère lui fait comprendre qu’elle est un embarras pour toute la famille, que le voisinage la regarde de travers et qu’elle doit s’en aller. Elle la met à la porte et lui recommande d’aller vivre chez sa grand-mère sans même lui donner d’argent pour le transport. Livey fait du stop et sa grand-mère s’avère être la première personne qui la traite comme un être humain depuis l’annonce du diagnostic. Elle la fait rentrer dans sa maison et s’occupe d’elle et du bébé à naître. Grâce aux antirétroviraux financés par un programme de l’Unicef, le bébé naît sans le virus. Et la jeune mère survit. Cependant elle découvrira trois ans plus tard que les médecins, pendant sa césarienne, en ont profité pour lui ligaturer les trompes…  sans évidemment lui demander si, à 18 ans, elle pensait avoir d’autres enfants… Comme c’est une jeune femme énergique, elle retourne au village dont elle a été bannie et se bat contre les préjugés entourant les séropositifs. Son caractère étonnant et la maturité qu’elle a acquise pendant cette épreuve la feront élire plus jeune maire de Namibie. Elle continue aujourd’hui à travailler inlassablement pour ce qui est devenu sa cause, son fils est devenu adolescent et est toujours séronégatif.

L’histoire de cette jeune femme est très édifiante et est une “success story”, mais elle soulève quand même des questions quant à pratique des personnes qui dévoilent les résultats des tests. Je sais bien qu’en Afrique l’individu a moins de poids que la communauté, mais pour ce genre de nouvelle, est-il nécessaire qu’elle soit annoncée devant une assistance aussi nombreuse? Le conflit adolescente enceinte-mère est classique, il rajoute de la complexité à l’annonce. Quant à la présence du pasteur, elle s’explique par l’extrême religiosité des personnes en Afrique Australe mais elle est difficile à concevoir pour des yeux occidentaux.

Ce témoignage très fort a été suivi de témoignages plus courts de jeunes gens dans la salle, dont je ne saurais évaluer l’âge qui disaient que le stigmate était toujours présent, qu’ils avaient été rejetés par leur famille suite à la découverte de leur séropositivité. Presque quinze ans après la décision du gouvernement sud-africain de financer les traitements pour tous, le sida est une maladie qui isole et exclut. Selon les experts présents, c’est cette stigmatisation qui fait que les personnes ne se font pas tester et ne sont pas sous traitement. Les deux maîtres mots de cette conférence étaient donc la nécessité des tests et l’éducation. La possibilité d’un auto-test semblait une voie prometteuse, permettant dans un premier temps aux personnes ayant pris des risques d’évaluer s’il convient de se faire tester ou non. Les participants se sont aussi félicités des nouvelles possibilités de prévention avec le PrEP et les prochains essais de vaccin.

Evidemment, je ne suis pas une experte sur les politiques de santé publique de lutte contre le sida, mais l’absence de toute forme de discussion sur le consentement, où même le fait que le consentement des personnes aux tests, aux traitements ne soit jamais évoqué, ne serait-ce qu’en passant juste pour dire qu’il est incontournable mais que ce n’est pas le sujet m’a laissée perplexe. Alors je suis allée voir sur Internet, et là quelques recherches m’ont appris que depuis 2010, le test HIV n’était pas obligatoire mais qu’il était systématiquement proposé aux femmes enceintes en Afrique du Sud et qu’elles devaient s’y opposer activement pour ne pas l’avoir. Une étude de l’association Aids Legal Network s’est intéressée à l’expérience qu’en avaient les femmes et a trouvé (ce qui ne m’étonne pas vraiment) que le droit des femmes a une information claire et un consentement éclairé était bafoué, que les femmes interrogées s’étaient senties obligées de faire le test, que les pratiques des soignants étaient “humiliantes, non-respectueuses et abusives”. Elles exprimaient par ailleurs des réserves sur le fait que les résultats des tests étaient donnés sans aucun souci de confidentialité, avec des portes ouvertes ou du personnel soignant qui allait et venait, que les soignants les poussaient à révéler leur séropositivité à leur entourage, et que la révélation d’une séropositivité pouvait amener dans le cadre familial ou la communauté à des abus psychologiques ou physiques, à une stigmatisation difficiles à vivre. Une étude Amnesty International de 2014 montre qu’à cause de ces pratiques, et de la crainte d’être testées sans leur consentement, des femmes ne se présentent pas aux dispensaires pour recevoir des soins prénatals et en meurent…

La question du consentement n’est donc pas à prendre à la légère… Vu de la direction des grands organismes internationaux et des services de santé publique avec lesquels ils collaborent, la logique du tester tous et traiter tous paraît la solution la plus rationnelle. Mais quelle en est la conséquence pour les individus, dans leur vie quotidienne et leur communauté?  Je voudrais conclure sur une citation extraite du roman de Gil Courtemanche “Un dimanche à la piscine à Kigali”, une réponse faite par une prostituée ruandaise à l’infirmière québécoise qui lui amène l’enveloppe avec les résultats de son test…

“Vous êtes gentils mais inutiles. Je ne veux pas savoir ce que dit l’enveloppe. Séropositive, je meurs. Séronégative, je meurs. Vous nous regardez, vous prenez des notes, vous faites des rapports, écrivez des articles. Pendant que nous mourrons sous votre regard attentif, vous vivez, vous vous épanouissez” p 210

 

Il faut qu’on parle du Zimbabwe…

Oui, il faut qu’on parle du Zimbabwe. Je n’y suis pas encore allée (escapade prévue aux Vic Falls dans l’année à venir!!!) mais on ne peut pas vivre à Joburg sans entendre parler de ce pays frontalier avec lequel l’Afrique du Sud possède certains points en commun. Colonisé par le très controversé Cecil Rhodes, ce territoire au nord de l’Afrique du Sud est l’un de ses alliés historiques (des membres éminents de l’ANC pendant la lutte contre l’apartheid y ont trouvé refuge), un de ses principaux partenaires commerciaux, et aussi, en raison de sa situation économique et politique délicate, un de ses principaux pourvoyeurs en immigrants, légaux ou clandestins. L’année 2015 aurait vu un nombre record de demandes de visas de zimbabwéens pour l’Afrique du Sud, l’ambassade d’Afrique du Sud à Harare en a recensé 72 000, mais combien de zimbabwéens ne s’embarrassent pas de formalités et passent juste la frontière pour tenter leur chance?

Ce qui est sûr c’est qu’on ne peut manquer de remarquer la présence de zimbabwéens dans tous les secteurs de la vie économique. Avec des taux de chômage annoncés (et invérifiables) entre 60 et 90% au fabuleux pays de Robert Mugabe, il n’y a pas vraiment lieu de s’en étonner. Les zimbabwéens s’intègrent assez bien dans la vie sud-africaine et trouvent des emplois car (jusqu’à présent) l’éducation zimbabwéenne avait très bonne réputation en Afrique du Sud. A tel point que les travailleurs zimbabwéens renvoyaient leurs enfants dans leur pays pour les y faire scolariser. La tendance pourrait s’inverser, la situation des caisses de l’Etat zimbabwéen lui permettant de moins en moins de faire face à ses échéances, et les grèves d’enseignants qui n’ont pas reçu leur paye, ne sont pas pour rassurer. La presse n’étant pas vraiment libre au Zimbabwe, il est difficile de savoir ce qui s’y passe. Il se trouve que j’ai eu l’occasion de lire un recueil de nouvelles de la zimbabwéenne Petina Gappah qui s’arrache comme des petits pains au rayon de littérature africaine chez Waterstone’s à Londres (merci à ma merveilleuse Valentine de me l’avoir fait découvrir).

Comme je l’ai écrit dans un de mes précédents posts, parfois, la littérature est un bon moyen de faire connaissance avec un pays, surtout lorsqu’on n’y a jamais mis les pieds ou que les médias y sont entravés par la censure. “Rotten Row”, qui est une version corrodée de “la route du roi” (!!) est le nom familier de l’endroit où se situe le tribunal d’Harare, capitale du Zimbabwe. Dans ce recueil de nouvelles plus ou moins interconnectées, Petina Gappah, avocate de formation nous raconte des histoires qui trouvent ou non leur issue au tribunal d’Harare. Dans ce livre mordant, l’auteure n’épargne pas ses coups. Elle brosse le portrait d’une  société zimbabwéenne pétrie de contradictions, engluée dans la crise économique. Une société où les profiteurs s’engraissent sur la bête pendant que les autres vivent de sermons, de cantiques et d’expédients. Une société où la justice ne joue pas son rôle de protecteur des faibles, et la corruption est omniprésente. Où les puissants peuvent écraser des misérables avec leur voiture de luxe devant des témoins sans que les procédures aboutissent. Où les hommes et les femmes sont écrasés par le poids des traditions, croient en la sorcellerie et ses pouvoirs, etc..

Il faut lire ce livre fascinant qui recèle de petites perles. On y découvre les vies de zimbabwéens ordinaires confrontés à des injustices où à une justice trop expéditive, un assistant de taxi lynché par la foule, des scènes de ménage, des chamailleries entre femme légitime (selon le droit) et épouse coutumière, une querelle entre deux vendeuses de rue, des accusations de sorcellerie… Des récits parfois caustiques, parfois doux-amers… Deux nouvelles m’ont particulièrement touchée. L’une, plutôt caustique “the old familiar faces” décrit la face sombre de l’univers des ONG, particulièrement dynamique en Afrique et en Afrique Australe où elles sont un secteur économique à part entière. Elle se déroule pendant une convention où les suspects usuels, les gestionnaires locaux d’ONG, ces crocodiles qui ont trouvé le bon filon pour recevoir régulièrement des subsides en devises étrangères, se regardent en chien de faïence et essaient de s’attirer les faveur du nouveau représentant diplomatique. Le précédent ayant malheureusement procédé à un audit qui avait conclu à des gaspillages de fonds… L’auteure fustige les comportements de ces acteurs opportunistes pour lesquels les valeurs ne sont plus que des postures permettant de capter des ressources de façon totalement cynique.

“Feminism is an activity, not a philosophy… It is an income-generating activity in the NGO sector, just as human-rights is an income-generating activity in the NGO sector, election support is an income-generating activity in the NGO sector, and voter education is an income-generating activity in the NGO sector” p91

La seconde nouvelle que j’aimerais évoquer “a kind of justice” est sans doute liée aux missions que l’auteure a effectuée en tant qu’avocate. Elle ne se déroule pas au Zimbabwe (c’est la seule), mais dans le Liberia d’après la guerre civile, et c’est une réflexion sur la “justice d’exception” mise en place pour juger les chefs de la guerre civile. Des interrogations très pertinentes sur la justice internationale et ses exigences. La narratrice, avocate envoyée dans le pays en mission compare le traitement des justiciables et des détenus de droit commun au Libéria, le petit voleur des rues, celui qui tue un poulet avec sa voiture, avec le sort des chefs de guerre qui endossent la responsabilité de la mutilation de dizaines de milliers de personnes et d’autant de morts entre le Liberia et la Sierra Leone. En constatant des conditions de détention et d’auditions de justice privilégiées pour des personnes ayant été à l’origine de faits monstrueux, prison construite spécialement, impossibilité d’être condamné à la peine de mort, elle se demande si cette justice peut être perçue comme juste par l’homme de la rue…

Dans un contexte où la justice internationale est souvent parée de toutes les vertus, c’est une nouvelle intéressante à lire…

Au fait, saviez-vous que Bob Marley & the Wailers qui avaient été invités le 17 avril 1980 à chanter pour célébrer l’accession à l’indépendance du dernier pays africain encore colonisé?

 

Vous avez dit… camping?

Rassurez-vous, le sujet de ce billet n’est pas une énième critique de la trilogie des 3 P: Pastis-Pétanque-Patrick qui immortalisa, pour les francophones, le camping des Flots Bleus… mais de ce qui est ici un art, une activité nationale… Le camping ici, c’est du sérieux, et les mois de décembre et janvier sont certainement les mois où il est pratiqué le plus intensivement, puisque, vous l’avez compris, ce sont les grandes vacances sud-africaines! Grosso modo, les sud-africains que je côtoie à Joburg se partagent entre deux catégories:

1) ceux qui vont visiter de la famille, dans un lieu de villégiature: généralement dans l’ex-province du Cap (les jours sont longs et la température agréable, tempérée par la présence de la mer) ou qui louent des maisons dans les mêmes stations balnéaires (Plettenberg Bay, le Cap ou Hermanus sont ici les équivalents des St Tropez, Biarritz et la Trinité sur Mer). Il n’en sera pas question dans ce billet.

2) ceux qui partent à l’aventure, avec leur équipement de camping, et sillonnent les splendeurs paysagères de l’Afrique Australe… Et il y a de quoi faire!

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Les raisons de l’engouement pour le camping? Elles sont sans doute multiples, intuitivement je les classerai en deux grandes catégories: les raisons pragmatico-économiques et les raisons culturelles.

Pour résumer ce que j’entends par “les raisons pragmatico-économiques”: l’Afrique du Sud est plutôt bien fournie en hébergements touristiques abordables, maisons d’hôtes, chalets à louer, mais partir à plusieurs et pour deux ou trois semaines en saison haute peut tout de même finir par se révéler onéreux. Par ailleurs, l’immensité du territoire fait que certaines zones ne sont pas couvertes. Et pour les pays environnants, Namibie et Botswana, majoritairement désertiques, trouver un hébergement en haute saison peut être problématique. Des hébergements par ailleurs de qualité très variable… Avoir son campement avec soi permet aussi d’être plus souple sur les itinéraires et de les composer vraiment à son goût.

Les raisons culturelles concernent surtout les sud-africains d’ascendance afrikaner ou britannique, les noirs ne sont pas très motivés. Mon prof de zoulou par exemple trouve particulièrement absurde d’aller passer ses vacances sous la tente avec un confort restreint… et la probabilité de rencontrer des bestioles peu sympathiques et potentiellement dangereuses pour certaines (la malaria existe encore dans certaines parties septentrionales du pays, comme au Botswana, en Zambie et au Zimbabwe). Dans certains lycées privés anglophones pour les garçons de la bonne bourgeoisie jobourgeoise, une expérience proposée (et tentée par une majorité) est le week-end de camping pères-fils, dans le bush sans confort… une sorte de rite de passage masculin… Pour les  afrikaners, le camping véhicule des souvenirs de l’épisode du Grand Trek, entrepris par les boers (colons d’origine hollandaise) pour échapper aux anglais qui avaient pris possession de la Province du Cap, et fonder au delà du Drakensberg les états libres d’Orange et du Transvaal. Cette épopée en chariots tirés par des boeufs s’affiche dans le marbre des bas reliefs du massif monument des Voortrekker à Pretoria. Une expérience aux dimensions quasi-épiques avec démontage de chariots pour faire face au relief accidenté des montagnes, batailles avec les redoutables guerriers zoulous, etc. On peut aussi y voir tout simplement l’attrait de profiter de la nature et de l’air pur sans intermédiaires, par des citadins lassés des week-ends dans les malls et les gyms climatisés des “suburbs”.

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Le camping ici se pratique comme un art. Si l’on peut trouver sur de nombreuses fermes des emplacements spéciaux pour les campeurs, les sites concentrant des centaines de maisons de toile du type “Les Flots Bleus”ne sont pas d’actualité. La version favorisée du voyage de camping est le voyage itinérant (road trip) avec bivouac. Ce type de voyage demande une certaine préparation. Les plus aventureux (et sans doute les plus jeunes ou les moins argentés) se contenteront de jeter dans le coffre de leur automobile une tente, et des sacs de couchage. Les transports collectifs ne sont pas un bon plan et le voyage avec tente et sac-à-dos n’est pas vraiment recommandé. Le road-trip nécessite une mobilisation quelques semaines voire mois auparavant. Il faut penser à l’itinéraire et anticiper les aspects pratiques.

Personnellement avant d’habiter en Afrique du Sud, je n’avais jamais réalisé à quel point les possibilités d’équipement de camping étaient développés. C’est un secteur économique à part entière! Depuis mon arrivée dans le pays j’achète régulièrement les publications Getaway et Go!, des magazines destinés à promouvoir les voyages individuels en Afrique Australe. Ces superbes publications conseillent des destinations, des itinéraires. De Cape Town au Malawi en trois semaines aller-retour, les incontournables du Botswana, l’essentiel de la Namibie, la découverte de petits joyaux méconnus dans la Province du Eastern Cape… Ils donnent également des indications pratiques: où bivouaquer, comment négocier les routes les plus difficiles (et oui, malgré un très bon réseau routier dans l’ensemble, certaines régions enclavées vous contraindront à des portions de chemin sur des pistes de condition variable!), quel matériel emporter, acheter, louer etc.

J’avais déjà remarqué l’omniprésence dans les centres commerciaux de magasins axés sur la vie en plein air, mais ces magazines sont saturés de compte-rendus de tests comparatifs: la meilleure lampe frontale, la trousse à pharmacie la plus complète, la meilleure tente, la meilleure remorque pour votre quatre-quatre (on parle de vrais quatre-quatre, pas ceux garés le long des trottoirs à Neuilly ou dans le XVIème permettant à leur propriétaire d’accéder en toute saison à leur fermette en Normandie…). Parce que figurez-vous, il y a plusieurs sortes de remorques: de la plus basique: celle qui ne comprend que vos affaires, à celle qui comprend une tente se dépliant autour d’une unité centrale. Je vous passe la description des tentes, de la pop-up-tent (pas vraiment pro, excusez-moi, c’est bon pour vous protéger du soleil à la plage ou pour les super-béotiens) à celle (4 couchages) que vous pouvez déployer sur le toit de votre véhicule tout terrain au palace pour lequel vous n’avez pas intérêt à oublier les sardines en partant… La cerise sur le gâteau étant la petite cabine en toile pour vous ménager une certaine intimité pour la douche ou les toilettes chimiques (oui oui vous pouvez aussi transporter ce genre de commodité avec vous, beurk!)…

A l’approche de Noël et de la haute saison, j’ai été abreuvée de jolis catalogues d’équipement pour les vacances en plein air. Et là, vous n’imaginez pas la profusion d’articles: un véritable inventaire à la Prévert… … Dix types de snorkel pour le quatre-quatre: indispensable pour le passage des rivières ou pour éviter l’asphyxie du moteur lorsque l’on est ensablé… des treuils motorisés pour vous sortir des mêmes mauvais pas…  pour le côté “confort”: des lits de camp/matelas, classique, vaisselle de camping, glacières (classiques ou à brancher sur la batterie de votre véhicule, histoire de garder la bière fraîche en toutes circonstances), les chaises et les tables de camping: plastique? aluminium? rectangulaire? carrée? Une vraie caverne d’Ali Baba… Et pour les nostalgiques d’Out of Africa, de Stanley, Livingstone ou de Savorgnan de Brazza, mention spéciale pour Melvill and Moon, le must des fournisseurs pour safari… Personnellement, j’ai un petit coup de coeur dans leur catalogue pour le Rhodes Field Bar en bois sombre, qui permet de transporter et de présenter en toute occasion votre collection d’alcools et de spiritueux (sans oublier les cacahouètes) parce que bon, la classe, on l’a où on ne l’a pas… Quoi que, le petit écritoire pliable pour écrire mes mémoires au soleil couchant en sirotant l’inévitable G & T prophylactique pour la malaria (non homologué par l’OMS).

Vous l’aurez compris, le camping ici n’est pas un passe-temps d’amateur! Pour les paresseux et les moins impécunieux il est possible de louer un véhicule quatre quatre tout équipé (jusqu’à la tourniquette, pour faire la vinaigrette!), ou, fin du fin, faire du Glamping (contraction de Glamour+camping) ou en plus de l’équipement on vous fournira les accompagnateurs qui vous aideront à monter et à démonter le tout, voire à vous préparer en sus le petit repas à la belle étoile. Elle n’est pas belle la vie?

 

I wish you Love!

Chers tous, après une longue absence (et oui, dans l’hémisphère sud c’était les grandes vacances!), après un périple au Nord et au Sud pour reconnecter avec la famille etc. je suis enfin de retour à Johannesburg et prête à repartir pour de nouvelles aventures. Avant d’attaquer mon premier billet (rassurez-vous j’en ai plein dans ma hotte), et comme il est d’usage en début d’année, je voulais vous exprimer mes meilleurs voeux pour cette année 2017.

L’an dernier, en 2016, je n’ai pas trouvé de mots pour envoyer des voeux, moi qui auparavant, tâchais de trouver avec constance quelques rimes ou quelques idées pour m’acquitter de cet exercice, et illustrer la familiale photo de vacances tous sourires dehors, j’avais trouvé qu’avec ce qu’avait vécu mon pays en novembre, avec les attentats, le chaos qui a suivi, tout cela était très vain. Et je l’avoue mon coeur n’y était pas. En 2017, je ne peux pas dire que l’avenir soit moins incertain qu’il ne l’était l’an dernier, et les images anxiogènes relayées dans les médias et les réseaux sociaux ne sont pas pour nous apaiser. Mais j’ai eu quand même envie de me prêter de nouveau au jeu… Mais que souhaiter? Comment l’exprimer, comment vous englober tous, ceux qui me sont chers, ceux que je ne connais pas et qui lisent ce blog, ceux que je connais et qui ne lisent pas ce blog, ceux que j’ai rencontrés cette année, mes très vieux amis…  J ‘ai trouvé mon bonheur, moi qui suit si peu calée dans l’art poétique, dans cet extrait d’une chanson de Frank Sinatra (qui l’avait piquée à Trenet, mais dont je trouve la traduction particulièrement à mon goût!), à fredonner sur l’air de “que reste-il?”…

I wish you bluebirds in the spring, to give your heart a song to sing,
And then a kiss, but more than this, i wish you love.
And if you like lemonade to cool you in some lazy glade,
I wish you health, and more than wealth, i wish you love.

C’est tout ce que je vous souhaite pour 2017, foin des grands mots, des envolées lyriques, des pensées creuses… Car comme le disait Saint Thomas: “s’il me manque l’Amour, je ne suis rien”.  Non l’amour n’est pas une notion hippie passée de mode, un truc pour les babas cool mal dégrossis ou les rastas dans les vapeurs de MJ… Ce billet n’est pas non plus une incitation à vous lancer toutes affaires cessantes dans une relation torride… je ne vous referai pas le cours sur l’Eros et l’Agapé (vous pouvez toujours chercher sur Wikipédia, ça vous changera de Facebook), mais je pense que c’est le plus petit dénominateur commun de la construction d’un monde respirable pour tous. Et compte-tenu des défis qui attendent notre planète pour l’année qui vient, “juste un peu d’amour” cela ne serait déjà pas si mal! dsc_6815