La fée électricité

Power to the people dit le slogan fort opportunément trouvé par le DA (Democratic Alliance), principal parti de l’opposition sud-africaine pour signifier son ras-le-bol des coupures d’électricité qui minent le pays depuis trop longtemps. Mercredi 25 janvier 2023 marque une journée d’action dans tout le pays qui devrait voir s’agréger un certain nombre de forces d’opposition. Les déboires de la compagnie nationale d’électricité ne font qu’empirer.

En décembre 2022, après ce qui avait constitué une première en septembre, au sortir de l’hiver, Eskom, aussi surnommée Eishkom annonçait de nouveau le passage dans la phase 6 de délestage. Après la stupeur : mais que diable signifie la phase 6 de délestage (WTF ?), vinrent la colère et l’incompréhension. Malgré les efforts consentis ces dernières années, la résignation au service réduit suite au Covid, le pays ne sort pas de l’ornière. Les sud-africains n’en peuvent plus. Stage 6, signifie six coupures de deux heures réparties sur 24 heures. Les usagers sont priés de se passer d’électricité la moitié de la journée : une situation rarissime sauf dans les pays en guerre, comme l’Ukraine, ou sans pilote depuis longtemps. Avouez que pour le pays auto-proclamé première puissance économique de l’Afrique, cela fait désordre!

Les industriels et les commerçants sont aux abois. Après deux années de Covid, et de confinement strict, le lot de deuils, et la débâcle économique qui a suivi, ceux qui n’ont pas déjà fait faillite sont au bord du gouffre. Comment continuer à produire, vendre, travailler, sans électricité ? Pour les commerçants vendant des produits frais, comment sécuriser leur stock ? Les délestages à répétition usent les meilleures volontés. Cerise sur le gâteau, la nouvelle direction d’Eskom a annoncé vouloir augmenter de 18% le prix du kwh pour financer les investissements nécessaires à la remise en état des centrales et du réseau. D’où la mobilisation du 25 janvier pour exprimer leur ras-le-bol.

Le président Ramaphosa a renoncé la semaine dernière à faire le déplacement prévu à Davos, où il devait, tant bien que mal, jouer la partition de l’Afrique du Sud, moteur du développement économique du continent africain. Pour essayer d’éteindre l’incendie, il a nommé une énième commission. Mais sa crédibilité est entachée par les trois décennies au pouvoir pour son parti, l’ANC dont les promesses ont été systématiquement oubliées, et où seule une minorité a su tirer son épingle du jeu en faisant preuve d’une inventivité qui pourrait inspirer les meilleurs kleptocrates. Les gouvernances de l’état, des provinces et des entreprises d’état sont des contre-exemples à tous point de vue. Il y a quatre ans j’écrivais que le système judiciaire sud-africain était un rempart contre la gabegie, je ne suis pas sûre que je le réécrirais aujourd’hui.

Ramaphosa a été reconduit parce qu’il était le moins mauvais candidat, mais avec des soupçons de corruption. La découverte fortuite de billets de banque planqués dans un canapé volé dans une de ses résidences a beaucoup terni son image. Ramaphosa, on s’en souvient est devenu riche grâce à son implication, en tant que jeune avocat, dans les négociations qui ont abouti à la chute de l’apartheid. Considéré, par les milieux d’affaires, comme la dernière cartouche de l’ANC, son bilan est plus que mitigé.

Quels sont les effets de ces délestages sur les citoyens sud-africains ? Le principal, c’est l’aggravation des inégalités. Lorsque les services publics s’effondrent, c’est une constante, les mieux dotés s’adaptent en ayant recours à des solutions privées. En Afrique du Sud ça a été le cas pour la santé, l’éducation, la sécurité et désormais l’énergie. Lorsque j’habitais Johannesbourg, avec la section locale d’IESF nous avions visité l’usine flambant neuve d’un brasseur de bière international. Lassé par les problèmes de fourniture d’eau et d’énergie, l’industriel avait investi dans une usine totalement autonome, déconnectée du système électrique, et recyclant son eau. A défaut d’autre chose, il n’y aura pas de pénurie de bière!

Aujourd’hui les sud-africains les plus aisés ont acheté des groupes électrogènes, fournissant le minimum vital pendant les interruptions. Une solution pratique mais bruyante, et coûteuse, et et polluante. Depuis le mois de septembre et l’apparition des délestages de phase 6, certains ont obtenu le droit (payant) de se déconnecter du réseau national pour fonctionner en autarcie avec panneaux photovoltaïques et batteries. C’est plus cher, mais ils ne dépendent plus d’un fournisseur de moins en moins fiable. Dans les beaux quartiers, on n’entend plus, en bruit de fond, le criaillement des ibis hadedas, ou le cancanement prostestataire des touracos gris, mais le ronronnement des groupes électrogènes. Et les effleuves écoeurantes du diesel flottent sous l’ombre bienfaisante des jacarandas.

Ironie de l’histoire, l’ANC a fini par appeler ses supporters à se joindre aux manifestations prévues le 25 janvier contre la mauvaise gestion d’Eskom dont elle a nommé les responsables depuis presque trente ans…

PS; Lorsqu’il y a quelques semaines l’opinion publique française était électrisée (jeu de mots assumé) par le risque de délestage en cas d’hiver particulièrement rude, je me suis souvenue que l’interruption intempestive des services publics les plus basiques faisait partie de mes (re)découvertes de la vie en Afrique. Si la perspective n’est pas des plus réjouissantes, je sais par expérience qu’on arrive à gérer deux heures d’interruption de l’électricité. La mise en garde gouvernementale, mal vécue par une partie de l’opinion a en tout cas eu le mérite de nous faire réaliser la dépendance que nous avions à une électricité toujours disponible, et à des prix raisonnables. Nous vivons avec la certitude implicite que nous ne manquerons jamais d’électricité, et la possibilité de coupures organisées pour maintenir le service nous parait insupportable. Envisager le sevrage, même pour deux heures sur vingt-quatre nous a fait frémir. N’est-il pas temps de réviser notre modèle?

Les promesses n’engagent-elles que celles qui y croient?

Vous pouvez aussi écouter ce billet ici.

“Il faut lire tout Damon Galgut”. C’est ce que me répondit une professeure de littérature de l’université de Pretoria rencontrée lors d’un séminaire alors que je lui demandais où diriger mes lectures sud-africaines. Je souhaitais sortir du triangle des classiques : Gordimer-Coetzee-Brink. Par souci de représentativité, elle m’avait également conseillé Imran Coovadia, Marlene Van Niekerk, et Zakes Mda. J’avais l’intention de suivre ses conseils pour Damon Galgut, mais le roman “the good doctor” m’a tellement impressionnée que j’ai craint d’être déçue par tout autre roman que je lirais de cet auteur. La parution récente de “La promesse”, qui vient de remporter le Booker Prize, m’a incitée à franchir le pas.

“La promesse” est un excellent roman pour qui veut comprendre l’Afrique du Sud et les trente dernières années de l’histoire de ce pays. Le fil narratif est simple. Alors qu’elle est sur son lit de mort, Rachel Swart fait promettre à son mari, Manie, qu’il donnera à Salomé, leur domestique, la petite maison dans laquelle elle habite sur le terrain de leur ferme. La promesse que Mannie fait distraitement est entendue par Amor, la dernière des trois enfants du couple. Lorsque Rachel meurt, Manie s’empresse d’oublier sa promesse, d’autant plus irréalisable que les lois de l’apartheid ne permettent pas aux noirs de posséder de l’immobilier sur des terres destinées à la population blanche.

Le livre s’articule autour de ce que les trois enfants Swart, Anton, Astrid et Amor, vont faire à leur tour de cette promesse, tout en couvrant trois époques distinctes de l’histoire de l’Afrique du Sud : la fin de l’apartheid, l’avènement de Mandela, avec l’inévitable épisode de la victoire des Springboks à la coupe du monde de rugby, les errements de la période Zuma et le Guptagate dont j’ai abondamment parlé dans ce blog.

Galgut a choisi une veine sarcastique pour décrire, dans les errements de la famille Swart, une famille blanche assez ordinaire, une société sud-africaine (blanche essentiellement), mesquine, cupide, bigote, incapable de s’imaginer à la place de l’autre, et de se remettre en question après la démocratisation du pays. Une démocratisation qui signe aussi la fin de l’embargo commercial et permet l’enrichissement soudain de certaines franges de la population. Certaines scènes, à la fois acides et réalistes me rappellent des choses vues, lues ou vécues lors de mes trois années à Johannesbourg. Le roman se lit d’une traite.

Au delà de la satyre, le roman propose une belle réflexion sur le statut des domestiques, artisans invisibles du bien-être des familles blanches sud-africaines. Membres de la famille, corvéables à merci, sacrifiant leur vie familiale à celle de leurs patrons, souvent plus proches des enfants qu’elles élèvent que de leurs propres enfants, que deviennent-elles lorsqu’elles ne sont plus en âge de travailler? “Elle peut rester ici jusqu’à sa mort” répondent à leur tour les héritiers persuadés, comme tout employeur de domestique, que dans sa famille, celles-ci sont bien traitées. Mais que laissera Salomé à son seul enfant? Et si les conditions changent, si la ferme périclite, si la famille connaît un revers de fortune? Que devient Salomé?

Comme tous les bons romans, celui-ci ne se clôt pas. Je l’ai refermé en me demandant si finalement, “La promesse” dont il est question, n’est pas seulement celle qu’Amor entend sa mère mourante demander à son père. Mais si l’auteur ne demandait pas en miroir à ses compatriotes de s’interroger sur celles faites par les artisans de la démocratisation du pays et de la rédaction de la constitution la plus inclusive du monde. Alors que l’ANC vient de connaître des défaites historiques (phénomène récurrent) aux élections locales avec une abstention record, il serait approprié que ses dirigeants se posent la question de ce qu’ils ont fait de leurs promesses.

Bonne chance monsieur le Président !

Alors c’est fait. Voici presque deux semaines que le rusé Jacob (Zuma), après avoir convoqué des journalistes de la SABC pour leur dire son incompréhension vis à vis de la demande qui lui avait été faite par les instances dirigeantes de l’ANC a fini par se rendre à l’évidence. Il a présenté sa démission aux instances dirigeantes de l’ANC. Le mercredi 14 février 2018 aux alentours de 22 heures, prenait fin l’ère de Jacob Zuma à la tête de la république d’Afrique du Sud. Moins hésitant que son voisin d’outre-Limpopo, le président Zuma après avoir tenté de négocier un préavis, s’est rendu à l’évidence, il valait mieux capituler que subir l’affront d’une huitième motion de défiance au parlement, présentée, pour la première fois par son propre parti: l’ANC. Le matin les faucons de la police avaient perquisitionné le manoir abritant la famille Gupta et des rumeurs d’arrestation des frères Gupta et de Duduzane Zuma, fils chéri du président et affidé des Gupta, avaient commencé à se répandre (bien que totalement infondées).

La fin des “Zupta” aura été à l’image du dernier mandat de Zuma: rocambolesque. Tenant en haleine le pays entier pendant deux semaines, le feuilleton, avec sa fin abrupte, a sevré brutalement tous les amateurs de suspense. Pas de “cliffhanger”, de menaces voilées, de promesses de révélations sensationnelles. Pas de petite phrase mémorable, juste un banal communiqué, « pour le bien du parti ». Dans la foulée, Cyril Ramaphosa a prêté serment et a pu prononcer le très attendu #SONA2018 dans un parlement apaisé. Le début du mandat du président Ramaphosa se présente plutôt sous des auspices favorables, le cours du Rand s’est affermi, les acteurs économiques ont opiné du chef.

Sa communication est sans faute, très inspirée des standards imposés par la présidence Obama. Photos dans les journaux le montrant, jeune étoile montante de la politique africaine, aux côtés de Madiba en 1994, diffusion sur les réseaux sociaux de selfies avec des joggers sur la promenade de Sea Point à Mouille Point le matin au lever du jour, marche contre l’obésité et la malbouffe dans un township, incitant les habitants à marcher plus. L’ANC se rengorge de la bonne tenue du Rand et de l’unité retrouvée. La DA (Democratic Alliance) principal parti d’opposition ronge son frein, pas vraiment d’aspérités à mettre en évidence pour reprendre la parole. Le pays n’a d’yeux que pour “Cyril”, cet ex-jeune syndicaliste devenu l’un des principaux négociateurs/artisans de la CODESA (convention qui donna naissance  à l’exemplaire constitution de la nouvelle Afrique du Sud), puis converti en Black Diamond, rendu multi-millionnaire grâce aux politiques de redistribution du capital des entreprises sud-africaines au sortir de l’apartheid…

Ramaphosa rassure Clifton (banlieue chic du Cap où il réside: vue imprenable sur l’Atlantique et immobilier le plus cher de tout le pays) et Sandton (siège du Johannesburg Stock Exchange). Il a aussi l’assentiment de tous ses compatriotes qui n’envisagent pas de voter pour un autre parti que l’ANC. Dans ce pays où le respect des anciens est une valeur cardinale, on ne peut se détourner de la main qui vous a libérée, même au prétexte qu’elle ressemble de plus en plus à un croc de boucher. Beaucoup de sud-africains “ordinaires” montrent un regain d’enthousiasme pour leur pays depuis l’éviction de Zuma. C’est tout juste si l’on entend, dans ce concert de louanges et de proclamations d’optimisme, les bémols de l’EFF qui soupçonne fortement le nouveau président d’avoir beaucoup encouragé l’intervention musclée de la police à Marikana en Août 2012 (il avait fait partie du conseil d’administration de la société propriétaire de la mine).

Après neuf ans de pillages des caisses de l’Etat et des entreprises para-publiques, de détérioration gravissime des services publics, d’augmentation dramatiques des inégalités, on a envie d’y croire. Il serait bon de voir le pays reprendre espoir et offrir à sa jeunesse la promesse d’un avenir qui porte moins les traces de l’héritage de l’apartheid, redonner l’espoir aux townships et aux zones rurales les plus oubliées.

L’un des piliers de la construction de la nouvelle “nouvelle Afrique du Sud” serait l’abandon de la culture d’impunité grévant à la fois les services publics, les entreprises para-publiques, et l’élite économique. La comparution des “Zupta” devant une cour de justice et leur condamnation pour leurs pratiques d’extorsion serait une bonne première étape, mais une partie des acteurs a fui le pays. Et ils ont les moyens de vivre sans encombre dans des contrées ne possédant pas de convention d’extradition avec l’Afrique du Sud. La condamnation des principaux responsables des désastres d’Eskom, de Sassa, et de Life Esidimeni, montrerait à la Nation qu’être à un poste de pouvoir comporte une part de responsabilité que l’on ne peut contourner. Le comportement d’un Brian Molefe, complice des Gupta dans le coulage d’Eskom de Qedani Mahlangu, responsable des services de santé dans le Gauteng, ne peuvent plus être admis comme inévitables et rester sans sanction.

Les têtes doivent tomber à tous les niveaux, celui des responsables politiques (et la composition des responsabilités au sein des commissions de l’ANC sera un bon signe de la résolution à changer les moyens de faire de la politique), celui des responsables des entreprises étatiques qui on facilité la corruption, celle des fonctionnaires locaux qui jouent sur la culture de l’impunité: les directeurs d’hôpitaux qui volent dans la caisse, les professeurs de lycée qui échangent notes contre prestations sexuelles, les policiers qui se font un plaisir d’accepter un règlement des amendes “on the spot” (NDRL: c’est à dire dans leur poche). Mais il faut aussi s’intéresser aux liens consanguins dans le secteur économique privé, où des scandales comme celui de Steinhoff, ou comme celui qui a affecté Mc Kinsey, KPMG, SAP et d’autres multinationales, montrent que la collusion et l’entre-soi mènent souvent à des abus. Dans le cas de Steinhoff, la malhonnêteté du management est sans doute en cause, mais le manque de diversité de l’élite du business sud-africain (pour la plupart passés par les mêmes lycées privés chics et les filières de “chartered accounting” de UCT ou de Wits), a favorisé le manque de réactivité (voire la complicité) des commissaires aux comptes de l’entreprise et des membres du conseil d’administration. En attendant l’une des victimes collatérales de la dernière affaire financière sud-africaine risque d’être le fond de pension des fonctionnaires sud-africains…

Bonne chance donc monsieur le Président Ramaphosa, je vous souhaite de réussir à remettre ce pays sur une trajectoire qui donne leurs chances à tous les sud-africains et à ceux qui ont choisi de vivre dans ce merveilleux pays. Et comme le murmurait l’esclave qui tenait la couronne de laurier à l’oreille du général vainqueur auquel Rome faisait un triomphe: “souvenez-vous que vous êtes un homme” et j’ajouterais même que “la roche Tarpéienne est près du Capitole”.

Fin de partie en vue pour Jacob Zuma?

Encore une folle semaine politique au pays de Mandela. L’évènement le plus commenté en a été la remise à une date ultérieure du discours sur l’état de la Nation sud-africaine que devait prononcer Jacob Zuma le jeudi 8 février. Le 31 janvier, Mnusi Maimane, leader de l’Alliance Démocratique (DA) avait écrit à Baleka Mbete, numéro Une du parlement, pour lui demander de reporter le SONA (State Of the Nation Address) jusqu’à ce que l’Afrique du Sud soit dotée d’un nouveau président. Tout ce que pourrait prononcer un Jacob Zuma affaibli par les affaires de corruption et la victoire de Cyril Ramaphosa à la conférence nationale de l’ANC en décembre 2017, n’aurait aucun sens. Pourquoi dépenser des millions de rands dans une cérémonie qui aurait pour point central un discours vide ? L’EFF promettait, comme les années précédentes des démonstrations de force… un petit rappel ci-dessous de la houleuse rentrée parlementaire, deux mois après la publication du remarqué rapport de la Public Protector sur le “State Capture” qui insistait sur la corruption à grande échelle sévissant au plus haut niveau de l’état sud-africain.

Baleka Mbete a sagement reporté sine die les célébrations. En effet, le discours qui marque l’ouverture du Parlement et du Conseil National des Provinces pour l’année, marque le début de réceptions d’officielles de toutes sortes, diplomates et membres de l’élite économique et politique sud-africaine.

L’annonce que le discours ne serait pas prononcé jeudi 8 Février comme prévu, car les conditions d’une ouverture du parlement dans une certaine sérénité n’étaient pas réunies, a fait repartir les rumeurs de prochaine démission de Zuma. L’exécutif de l’ANC s’est réuni longuement tout le week-end dernier à la résidence du président de la république à Pretoria pour discuter d’un éventuel retrait de Zuma, conformément au souhait du nouvel exécutif de l’ANC. On aurait presque aperçu les vautours voler en cercle au dessus de Mahlamba Ndopfu, la résidence des présidents sud-africains à Pretoria.

Mais rien n’y a fait. Le rusé Jacob ne semble pas pressé de laisser son poste. Chacun y est allé de son pronostic. Il négocierait un parachute doré, demanderait des garanties sur son impunité, etc. Toujours est-il que personne n’a pu lui faire entendre raison. Il est encore dans la place et compte bien y rester. Il ne partira pas contraint et forcé mais quand il l’aura décidé. Les partis d’opposition ont promis un blocage national si Jacob Zuma prononce le SONA. Julius Malema, qui a été un des plus fervents supporters de Zuma lorsque celui-ci a obtenu la peau de Thabo Mbeki en 2007, a juré de mettre fin à la présidence Zuma. Une motion de censure a déjà été déposée pour le 17 février, et une journée nationale d’action de l’opposition à Zuma est prévue pour le 22 du même mois. Tout cela laisse de marbre l’occupant des Union Buildings.

La menace judiciaire se précise, une nouvelle bataille sur les 783 charges de corruption qui pèsent contre Zuma a été perdue par ses avocats. Une enquête sur le State Capture devrait être ouverte sous la houlette d’un juge indépendant. Le comité exécutif voudrait éviter la honte de l’impeachment ou du procès pour corruption alors que Zuma est encore en place, mais comment lui faire entendre raison? Lui forcer la main reviendrait à braquer les soutiens que uBaba possède encore dans le parti qui ne peut pas se payer le luxe d’une hémorragie de cadres en prévision des élections de 2019. Laisser traîner la situation peut également faire paraître comme déjà affaiblie la nouvelle direction de l’ANC et ternir l’aura dont peut bénéficier Cyril Ramaphosa dans l’élite économique du pays.

Bref, on aurait tord de vouloir enterrer trop vite uBaba décidément rompu aux manoeuvres politiques. La formule qui résume le mieux l’impasse politique du moment en Afrique du Sud est celle qui figure sur la couverture du Mail & Guardian de cette semaine: “He’ll go now-now” (c’est à dire, quand il le voudra). Pour les non initiés, lorsqu’un interlocuteur sud-africain vous annonce qu’il vient “now-now” ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, cela annonce un futur éventuellement proche… ou pas!

Marikana, symbole persistant des injustices de la société sud-africaine

Le 16 Août marque un sombre anniversaire en Afrique du Sud. Aujourd’hui cela fait exactement cinq ans que des policiers ont tiré à Marikana sur des mineurs grévistes de la société Lonmin en tuant 34 et en blessant 78 autres. Comme tous les ans, les journaux consacrent des articles à la commémoration, les leaders de l’EFF et du DA sont allés commémorer l’évènement aujourd’hui dans la petite bourgade de la province du North West, et demandent des comptes au gouvernement de l’ANC qui a ordonné ou laissé perpétrer le massacre. Le gouvernement Zuma n’a toujours pas tenu les promesses faites à l’issue du conflit social qui a marqué les esprits et fracturé la confiance aveugle que nombre de sud-africains portaient au parti de Mandela.

Les plaies de Marikana sont encore béantes.  Marikana a marqué les esprits qui croyaient que plus jamais ils n’assisteraient à des scènes de violences de ce type, des brutalités policières aveugles, des hommes atteints d’une balle dans le dos par des tirs des forces de l’ordre. Personnellement cela correspond à un souvenir très vivace de mon premier séjour en Afrique du Sud. Rentrant d’une semaine enchanteresse à admirer les merveilles du parc Kruger, j’avais été abasourdie par cette info en boucle sur les télévisions, et ces images rappelant les pires moments de l’apartheid: des policiers tirant sur des mineurs faisant des centaines de victimes. 300 mineurs ont été arrêtés suite aux évènements de Marikana et disent avoir été torturés par la police.

Les responsables de la police nationale et locale n’ont jamais été inquiétés. Ils ont poursuivi leur carrière ou bénéficié de promotions alors qu’il a été prouvé dans un rapport remis au président Zuma en janvier 2016, qu’ils avaient régulièrement menti durant les enquêtes sur le massacre et qu’il y a eu des opérations de maquillage des faits commis par des membres de la police. Des autorités morales comme l’archevêque Desmond Tutu ont relevé à l’époque la terrible trahison des plus pauvres qu’avait été le massacre: “As a country we are failing to build on the foundations of magnanimity, caring, pride and hope embodied in the presidency of our extraordinary Tata Mandela”. Des livres ont été écrits par des universitaires ou des journalistes pour reconstituer les enchaînements de faits menant au massacre du 16 août 2012. Les demandes de réparation pécuniaire, ou même d’une simple reconnaissance des erreurs commises à tous les niveaux de l’Etat des familles des mineurs assassinés sont restées lettre morte. Le gouvernement qui a promis des indemnisations tergiverse encore sur la fixation des montants alloués.

La justice n’a pas fait preuve de diligence concernant Marikana, pas de poursuites engagées, pas de procès, pas de sanctions pour ceux qui ont causé la mort de dizaines de mineurs. Le vice-président de l’ANC, Cyril Ramaphosa, vu comme un possible futur président du pays n’a offert que de timides explications à son empressement de faire envoyer des renforts policiers sur place et de les inciter à utiliser tous les moyens pour briser la grève. Dans un mail demandant au ministre l’intervention d’une plus grand force policière, il a qualifié les grévistes de criminels, ne reconnaissant pas au conflit un simple caractère social. Il ne lui ai jamais venu qu’en sa qualité d’actionnaire et de membre du conseil d’administration de Lonmin il était malvenu d’exercer des pressions sur le ministre de la police d’alors.

Des débats enflammés ont eu lieu dans des cercles universitaires, le parti de Julius Malema, l’EFF est né sur les cendres du massacre de Marikana, des livres et des rapports d’ONG ont été écrits sur le sujet. Mais les constatations, cinq ans après les faits, sont assez amères. Les familles n’ont reçu ni indemnités, ni excuses du gouvernement et ont du mal à trouver la paix. L’épisode a conforté l’idée qu’il n’y a de justice, dans la nouvelle Afrique du Sud, que pour les puissants et les membres d’une certaine élite. La justice et la démocratie n’existent toujours pas pour les plus pauvres en Afrique du Sud.

Cette constatation est d’ailleurs quasi-quotidienne dans le pays. J’en ai déjà parlé ici. Il se trouve qu’hier, ayant décidé de faire une escapade familiale dans le parc national du Pilanesberg voisin de Marikana, nous avons été déroutés par une manifestation: autoroute coupée, pneus brûlant sur la chaussée, personnes chantant et dansant le Toyi-toyi sur les routes. J’ai cru qu’il s’agissait d’une commémoration sauvage de Marikana. L’activiste Nigel Branken que je lis sur Facebook et qui soutient les victimes de Marikana m’a appris ce matin qu’il s’agissait en fait de personnes demandant à récupérer le corps d’un jeune homme abattu le deux août dernier dans une ferme d’agrumes des alentours. Avec deux complices, il aurait été surpris par le fermier en train de chaparder des oranges, le fermier a tiré et les deux complices ont pu s’enfuir. On n’a plus entendu parler du troisième. La police n’a donné aucune explication et semble protéger le fermier et sa famille qui ont déserté leur propriété vers laquelle les manifestants ont marché hier (en menaçant d’y mettre feu). Personne n’a apparemment trouvé nécessaire d’expliquer à la famille où était le corps du jeune homme, quand il le leur remettraient et si une instruction était en cours… Selon que vous serez puissant ou misérable… la justice sera plus prompte à se saisir de votre cause…

“There’s really no such thing as the ‘voiceless’. There’s only the deliberately silenced, or the preferably unheard.” Arundhati Roy

 

 

Les révolutionnaires finissent mal… en général!

Semaine politique chargée en Afrique du Sud. Jacob Zuma a survécu mardi 8 août à son septième vote de défiance, avec cependant moins de panache que les fois précédentes. Pourtant, lundi 7 août dans l’après-midi, surprenant un certain nombre d’observateurs, la numéro un du Parlement, Mbaleka Mbete, avait accordé le droit de vote à bulletin secret, une première au parlement sud-africain. D’aucuns y voyaient le prélude à la démission de Zuma, car il “suffisait” d’une soixantaine de votes de députés ANC pour débarrasser le pays de la présidence du rusé Jacob

Le poids des révélations des #wikileaks démontrant l’étendue de la corruption  encouragée par Zuma et ses affidés aurait dû faire réagir les loyalistes de l’ANC, ceux qui n’ont pas oublié les leçons apprises de leurs glorieux aînés auxquels la population sud-africaine est redevable de la chute de l’apartheid il y a 23 ans. Hélas, trois fois hélas, malgré les voix qui se sont élevées au sein du parti, dont une députée, Makhosi Khoza menacée de mort parce qu’elle osait appeler à la démission du président Zuma, malgré les désaccords très prononcés des membres du Parti Communiste Sud-africain, le SAPC, dont Pravin Gordhan, l’ancien ministre des finances limogé est l’un des ténors, malgré le lobbying effectué par Julius Malema, ancien chef des Jeunesses de l’ANC étant entré en dissidence il y a quelques années après avoir été instrumental dans l’accession de Zuma au pouvoir, uBaba (Papa, titre affectueux donné par ses partisans) a remporté encore une fois la partie. Menaces et intimidations se sont fait pressantes au sein de l’ANC et ont suffi pour que le “président Teflon” s’en sorte une fois de plus.

Mardi 8 août, l’atmosphère était électrique sur les réseaux sociaux, mélange d’espoir et de résignation. On a réalisé un peu tard que Zuma ne pouvait pas perdre. Seuls 34 députés de l’ANC (qui vont devoir défendre chèrement leur peau, au sens propre comme au sens figuré) ont voté pour la destitution de Zuma, les 198 autres ont respecté la discipline féodale du parti et tant pis si celui a trahi depuis bien longtemps les idéaux de ses pères fondateurs, ses grands principes généreux et à l’écoute des populations les plus fragiles. La vérité est que l’ANC n’est plus le parti mené par la figure tutélaire de Mandela, il n’est plus le parti de ces hommes qui ont passé plus de vingt ans de leur vie en prison pour défendre leurs idéaux, il n’est plus le parti de ses clandestins d’Umkhonto We Sizwe (la Lance de la Nation, branche armée de l’ANC) qui ont pris les armes pour défendre une Afrique du Sud plus juste et moins blanche. C’est devenu un parti moyenâgeux avec ses seigneurs et ses vassaux qui accumulent les profits en spoliant largement les caisses de l’Etat.

Les parades révolutionnaires que jouent les “vétérans” en treillis, lors des célébration du parti, où qui menacent les manifestants anti-Zuma osant approcher Luthuli House (le siège de l’ANC dans le centre historique de Johannesburg) ne trompent personne. L’esprit de l’ANC s’est usé pendant les vingt années au pouvoir. Il est temps pour les sud-africains, malgré l’immense dette morale qu’ils ont envers l’ANC, d’élire d’autres dirigeants que ceux de l’ANC. Les résultats du vote de mardi laissent en effet présager que le clan Zuma saura verrouiller aussi bien le renouvellement de sa direction en décembre de cette année. L’alternative n’est cependant pas évidente. Le vote pour un autre parti que l’ANC fait encore figure de trahison pour une partie importante de la population: on ne vote pas contre ceux qui vous ont fait accéder à la citoyenneté non? L’Alliance Démocratique (DA) a du mal à se défaire de l’image d’un parti de blancs et ne sera, de ce fait jamais majoritaire. Par ailleurs, les sorties récentes de celle qui en fut longtemps à sa tête sur les “bénéfices de la colonisation” ont laissé des traces durables dans l’opinion publique et annihilé les efforts de Mnusi Maimane l’actuel leader, pour en faire un parti dans lequel pourraient se reconnaître tous les sud-africains. Quant à l’EFF (Economic Freedom Fighters), fondée par Julius Malema après son départ de l’ANC, son modèle est le modèle chaviste du Vénézuela, et ne laisse guère présager de lendemains qui chantent si l’on en croit les informations en provenance de ce qui fut l’un des pays les plus riches d’Amérique Latine.

Alors pourra t’on aller vers une alliance improbable entre la carpe libéralo-démocratique et le lapin re la révolution bolivaro-chaviste “Freedom Fighter”? Cela a été tenté dans certaines des métropoles gagnées sur l’ANC en Août 2016, sans qu’on puisse encore en discerner les effets.

Jacob en rit encore…

Molefe, Mo le fait pas?

Le dernier hashtag à la mode sur les réseaux sociaux sud-africains ces deux dernières semaines, c’est #lifeofbrian . On y trouve un nombre de tweets souvent assez comique sur une situation politique qui n’incline pas à la mélancolie…

Nous avons laissé Brian Molefe, en novembre dernier, après la publication du rapport sur la “State Capture”, pleurant en conférence de presse, et inventant un “shebeen” à Saxonwold (lieu de résidence des Gupta) où il aurait passé du temps, à l’insu de sa femme. Un peu éclaboussé par le scandale, il décidait quelques jours après la parution du rapport, de donner sa démission, pour ne pas nuire à la réputation et au bon fonctionnement d’Eskom (également surnommée Eishkom), la compagnie publique d’électricité. Cette attitude avait été saluée comme un exemple de responsabilité, dans un pays qui n’y est guère habitué (relire les précédents posts).

En janvier dernier, Brian Molefe refaisait parler de lui alors que l’ANC du North West était en ébullition puisque Papa Zuma avait demandé à un des parlementaires de cette province de démissionner pour laisser sa place au pauvre Brian, privé de moyen de subsistance depuis sa démission (enfin presque puisqu’il devait toucher comme bonus de départ 30 millions de rands comme retraite anticipée). Brian devint donc parlementaire, et nombre de pronostiqueurs se virent fort surpris lorsqu’il ne décrocha pas le ministère des finances au moment du houleux remaniement qui coûta son poste à Pravin Gordhan et précipita la dette de l’Etat sud-africain au statut de junk bond. Quelques cadres de l’ANC auraient émis (pour une fois) quelques réserves.

Voilà donc Brian Molefe, prêtant serment devant Mbaleka Mbete, numéro un du parlement en janvier, frais et dispo comme un écolier lors de la rentrée des classes. Tout semble rentré dans l’ordre quand soudain, le 12 mai dernier, nouveau coup de théâtre, Brian Molefe démissionne du parlement pour reprendre sa place chez Eskom, tranquille, comme si rien ne s’était passé. La nouvelle ne passe pas inaperçue. Quelles mouches ont piqué Brian et ses amis du conseils d’administration de la compagnie d’électricité? Quel sont les motifs d’un tel revirement? Monsieur de la Rochefoucauld (non pas Maxime, l’autre!) l’avait bien dit: “c’est l’intérêt qui guide le monde”. Tout est (bien sûr) une histoire de gros sous…

Parmi les explications successives et embrouillées de Brian, d’Eishkom et de Lynn Brown, ministre des entreprises publiques, quelques pistes. Brian Molefe avait démissionné, pour “ne pas nuire à la gouvernance” de l’entreprise publique, pensant faire jouer la clause de retraite anticipée qui lui assurait un versement confortable de 30 millions de rands (environ 2 millions d’Euros) malgré les seulement dix-huit mois qu’il avait passé à la tête de l’entreprise publique. Las. Il n’avait pas assez bien lu son contrat. Il ne remplissait pas les conditions d’âge pour la retraite anticipée. Brian n’entendait pas pour autant renoncer au pactole (sans blague: honnête et fauché, c’est pas franchement une position enviable dans ce pays).

Il a donc engagé des discussions avec le conseil d’administration, qui avait justement du mal à le remplacer, bien qu’ayant rendu publique (comme exigé par la loi) la vacance de poste et recherché activement un successeur. Le faisant office de CEO était récemment embourbé dans une affaire de favoritisme, de contrats accordés pour une somme dépassant le milliard (!) de rands à une société dont il ignorait que sa belle-fille était mandataire sociale. Bref, début mai, les discussions aboutissent à la démission surprise du Parlement et, le 15 mai à la réinstallation de Molefe dans le fauteuil qu’il avait quitté six mois auparavant. Il est accueilli en véritable rock star au siège d’Eish!kom  lors de son retour… Vous imaginez Jean-Bernard Levy qui serait allé faire un tour ailleurs pendant six mois, accueilli comme ça Avenue de Wagram?

Malheureusement pour lui, ce retour au bercail n’est pas passé inaperçu. La ministre Lynn Brown a été convoquée à Luthuli House (le siège de l’ANC) pour s’expliquer devant les autorités du Parti sur cette décision, qui si elle arrange les affaires de Zuma et de ses amis Gupta, notamment sur le deal portant sur la construction d’une centrale nucléaire a rencontré des réticences chez les non guptaphiles. L’opposition a déposé le 15 mai devant la Haute Cour de justice du Gauteng une interdiction du retour de Molefe aux manettes d’Eskom. La ministre des entreprises publiques a vaguement toussé que, comme le package départ anticipé à la retraite ne fonctionnait pas, il était bien moins coûteux pour l’entreprise publique de réinstituer l’impétrant que de lui payer, sur les deniers de l’entreprise (puisque le fond de pension avait refusé la demande) les 30 millions de rands auxquels il estimait avoir droit. Cette explication n’étant pas suffisante, l’impétrant ajoutait qu’en fait, il n’avait pas vraiment démissionné, mais pris des congés sans solde. Congés pendant lesquels, bien sûr, il avait trouvé amusant de se faire nommer au parlement. L’ennui c’est qu’on ne peut pas être à la fois parlementaire et détenir un poste dans une société publique… Bref un imbroglio qui a connu un nouvel épisode hier (le 23 mai) en attendant la décision de la Haute Cour, avec une commission parlementaire ad hoc réunie pour entendre les explications de la ministre très surprise par le niveau d’hostilité rencontré par cette décision… Inutile de dire que la ministre n’a pas convaincu ses contradicteurs, au premier rang desquels l’ex-ministre des finances Pravin Gordhan, du bien fondé de sa décision.

Seul l’avenir (et la Haute Cour) nous dira si Brian Molefe peut légalement reprendre le chemin de son bureau (et prétendre aux gratifications salariales qui vont avec). On n’est pas à l’abri d’un énième retournement de situation, mais les tensions au sein de l’ANC et les passes d’armes pour la succession de uBaba Zuma laissent présager une fin d’année agitée…

“Donc, voici l’hiver de notre déplaisir”*

Nous avons donc laissé le rusé Jacob la semaine dernière, après un remaniement nocturne signant la mainmise du clan Zuma sur les ressources de l’Etat sud-africain sous couvert de “radical economic transformation”. Où-en-est-on dix jours après? Comment ont réagi les sud-africains et quelles sont les prochaines étapes? Il semble ici qu’on se prépare à un “winter of discontent” comme l’écrivait joliment Shakespeare dans la scène d’ouverture Richard III. Et les épisodes politiques à venir n’auront rien à envier à la plus noire des tragédies du Barde… Car Zuma ne se rendra pas sans livrer bataille, s’il faut lui reconnaître une qualité, en plus de la ruse, c’est celle de l’opiniâtreté.

Reprenons la chronologie des derniers jours:

29 mars: à l’issue des funérailles d’Ahmed Kathrada, “uncle Kathy”, vétéran vénéré de la lutte contre l’apartheid et compagnon de prison de Mandela, Zuma révoque son ministre des finances et remanie son gouvernement en y conservant uniquement des fidèles. Les non-sanctions de Bathabile Dlamini, responsable de la gestion catastrophique des “social grants” et de Nomvula Mokonyane, ministre des “water & sanitation”, dont le ministère affiche un taux d’échec de gestion de la ressource et un taux d’endettement record qui conservent leurs postes sont vues comme des indices du resserrement autour de Zuma d’une équipe qui lui est redevable, malgré le discours sur la “radical economic transformation” pour laquelle le maintien de Gordhan et Jonas aurait été un obstacle.

30 mars: Les partis d’opposition demandent à la numéro un du parlement le vote d’une motion de défiance contre Zuma. Un certain nombre de poids lourds de l’ANC, dont le vice-président Cyril Ramaphosa, le secrétaire général Gwede Mantashe et le trésorier général Zweli Mkhize font entendre leur désaccord avec la décision du président de limoger son ministre des finances. Le SACP, dont est issu Gordhan, le comité d’éthique de l’ANC ainsi que des vétérans demandent à Zuma de démissionner. Les pro-Zuma de l’ANC, notamment les représentants de l’ANCYL (la youth league de l’ANC) et de ANCWYL (la women’s league) montent au créneau pour dire que le moment n’est pas à la dissension mais au regroupement autour du président et fustigent violemment ceux qui expriment des voix discordantes. Pendant le week-end, et au début de la semaine du les concertations se succèdent à l’ANC qui a battu le rappel dans les provinces pour l’occasion. La numéro un de l’assemblée, Baleka Mbete revient en catastrophe de l’étranger où elle était en déplacement pour participer aux débats.

En début de semaine, des opposants à Zuma ont lancé le mot d’ordre (peu suivi) pour un #blackmonday, où les sud-africains sont appelés à s’habiller en noir pour exprimer leur réprobation à la politique de Zuma. Les partis d’opposition annoncent une journée d’arrêt de travail et de manifestations le vendredi 7 avril. Le ministre des finances nouvellement nommé, Malusi Gigaba prenant son poste annonce que le remplacement d’un individu ne peut pas avoir de conséquences économiques immédiates, qu’il faut lui laisser prendre ses marques dans son nouveau poste.

3 avril: la terre tremble à Johannesburg et l’agence de notation Standards & Poor annonce qu’elle dégrade la note souveraine de l’Afrique du Sud qu’elle classe désormais en “junk bond” ce qui va rendre plus difficile à l’Etat sud-Africain les emprunts à l’extérieur pour refinancer sa dette qui ne cesse d’augmenter. Le milieu économique sud-africain exprime son inquiétude.

4 avril: l’agence de notation Moody annonce elle aussi une dégradation de la note de l’Afrique du Sud en “junk bond”. Le compte twitter de la présidence de la république annonce que manifester contre le gouvernement est illégal (sic), les trois dissidents les plus célèbres de l’ANC vont à Canossa et présentent des excuses à Jacob Zuma pour leurs prises de position publiques.

Pendant la semaine, les cérémonies d’hommages rendus à Ahmed Kathrada ont lieu dans tout le pays, qui servent de tribune à Pravin Gordhan qui ne manque pas de rappeler à la tribune la lettre que Kathrada avait envoyée à Zuma l’an passé après le Nkandlagate pour lui demander de démissionner. Les journaux annoncent que le JSE (Johannesburg Stock Exchange) a lancé une enquête pour comprendre les mouvements à la hausse détectés sur les actions de la société Oakbay appartenant aux Gupta quelques heures avant la démission de Gordhan.

Des membres de la famille de Zuma, des affidés comme certains ministres ou la présidente de la compagnie aérienne nationale Dudu Myeni, se relaient pour expliquer à la presse que la dégradation de la note souveraine n’est pas une mauvaise chose, que cela va permettre à l’état sud-africain de renégocier selon ses propres termes, les conditions de son endettement. Visiblement, ils n’ont pas trop suivi ce qui s’est passé en Argentine, en Grèce et dans les pays dont la note de la dette souveraine a été dégradée…  La nouvelle se répand que le deal avec les russes pour la construction d’une centrale nucléaire très coûteuse (mais rapportant des contrats de fournitures intéressants à la famille Gupta) est réactivé, avec des dates de lancement d’appels d’offres déjà programmées.

5 avril: La “speaker” du parlement Baleka Mbete annonce qu’un “vote of no confidence” est planifié pour le mercredi 18 avril accédant à la demande des partis d’opposition.

6 avril: après la cérémonie d’hommage à Ahmed Kathrada en la Cathédrale Saint George du Cap, des organisations de la société civile appellent à occuper les rues de Cape Town autour du Parlement pour dialoguer. Un mouvement similaire a lieu sur Church Square à Pretoria.

7 avril: des dizaines de milliers de sud-africains défilent notamment dans les rues du Cap de Johannesburg et de Pretoria pour clamer leur opposition à Zuma. Des sud-africains de Londres se sont également rassemblés sous le même mot d’ordre sur Trafalgar Square. Le DA a finalement renoncé à marcher sur le siège de l’ANC Luthuli House dans le centre de Johannesburg pour demander la démission de Zuma, les jeunes de l’ANC ayant menacé de représailles les manifestants qui oseraient s’approcher. Des démonstrations pacifiques ont lieu un peu partout certains manifestants allant jusqu’à se poster devant la demeure des Gupta à Saxonwold, faubourg huppé de Johannesburg. Les Gupta peu à l’aise se feront même livrer un véhicule blindé militaire pour pouvoir se protéger… L’ampleur du mouvement n’est pas suffisante pour enclencher quelque réaction. Malgré la brève apparition de l’archevêque Desmond Tutu au côté des manifestants au Cap, la revendication du rassemblement d’une partie très large de la population n’est pour l’instant pas vérifiée.

Forts de la réussite de ce premier test, les organisateurs ont lancé un nouveau mot d’ordre pour le mercredi 12 avril. Une occasion de voir si le mouvement prend et se renforce, et réussi à fédérer au delà des organisations initiales, ce qui est loin d’être acquis.

Le clivage racial se fait encore sentir et des opposants à Zuma n’ont pas voulu se joindre à un mouvement qu’ils percevaient comme mené par des blancs des classes moyennes et supérieures. Les commentaires sur les réseaux sociaux mentionnent notamment le manque de réactivité de la population blanche, prompte à prendre la rue lorsqu’on touche à son pouvoir économique, mais qu’on n’a pas vu se mobiliser lors des évènements de Marikana ou contre d’autres injustices qui touchent en majorité la population pauvre noire.

Les funérailles et hommages aux héros de la libération font l’objet de joutes entre les différentes factions de l’ANC. Pravin Gordhan et Mcebisi Jonas ont été hués et empêchés de s’exprimer par des membres de l’ANCYL lors d’un hommage rendu à Durban à “Uncle Kathy”. Embêté par les démonstrations et le fait qu’elles n’aient pas été totalement anecdotiques, le président Zuma a trouvé hier la parade, lors de son discours en hommage à Chris Hani, leader du parti communiste sud-africain assassiné en 1993, dénonçant des manifestations racistes, où des nombreux panneaux auraient comparé Zuma à un singe.

L’argument du racisme et de la division de la nation arc-en-ciel selon des lignes raciales est l’argument final auquel le président Zuma a affaire en dernier recours. Soufflant sur des braises mal éteintes. Des jeunes de l’ANCYL ont récemment mis en cause la légitimité de Barbara Hogan ancienne membre de la branche armée de l’ANC clandestine et ancienne ministre et veuve d’uncle Kathy, de s’exprimer, sous prétexte qu’elle était blanche et donc raciste. Certaines sources laissent entendre que les Gupta auraient loué les services d’une agence de Public Relations londonienne, Bell Pottinger pour attiser le feu de la discorde raciale. Ce sont les services de cette agence qui auraient concocté la campagne contre le “white monopoly capital” en octobre dernier, cet élément de langage apparaissant soudainement dans le débat public et relayé par des comptes twitter nouvellement créés.

Les semaines qui viennent s’annoncent donc intéressantes, au delà de la menace de “dérive à la zimbabwéenne” déclinée à l’envi dans les commentaires économico-politiques. Ce qui est sûr c’est que la démocratie sud-africaine connaît là son épreuve la plus sérieuse depuis l’accession de Mandela au pouvoir et que l’ANC va devoir choisir entre la soumission entière à la volonté de domination (et d’accaparement) d’un chef ou le respect de l’héritage de Mandela et de ses compagnons, et leur rêve de construction d’une société multi-raciale plus juste. La bataille qu’a engagée le parti très minoritaire UDM auprès de la cour constitutionnelle pour l’obtention du vote à bulletin secret  le 18 avril est un épisode important, comme le sera la manifestation du 12 avril.

Mais on ne doit pas s’attendre à ce que Zuma se rende sans livrer une bataille pour laquelle il s’est révélé jusqu’à présent fin connaisseur et manipulateur des rouages politiques locaux…

“Je suis déterminé à être un scélérat, et à haïr les frivoles plaisirs de ces jours. J’ai tramé des intrigues, de perfides prologues, grâce à des prophéties d’ivrognes, des libelles et des rêves”… Richard III

*William Shakespeare Richard III “Now is the winter of our discontent”…

Une semaine politique sans queue ni tête…

Jacob Zuma n’a pas attendu le jour des fous pour jouer une farce qui laisse les sud-africains pantois. La semaine politique a été folle et chargée pour la nation Arc-En-Ciel, prélude au premier avril?

En résumé accéléré, en début de semaine, le rusé Jacob rappelle au pays son ministre des finances Pravin Gordan et le second de celui-ci Mcebisi Jonas, partis faire une tournée en Grande Bretagne et aux Etats-Unis pour rencontrer des investisseurs et les convaincre de la solidité de l’économie sud-africaine et de l’intérêt pour eux d’investir dans le pays. Les raisons du rappel sont confuses, on a évoqué tout d’abord  le fait que “le président n’aurait pas donné son accord à ce voyage”.

On a supposé un lien avec les intérêts de la famille Gupta (lire ici) alors que s’ouvre, à Johannesburg, le procès que ces amis du président (aussi surnommés le “Saxonwold Shebeen”) intentent au ministère des finances suite aux décisions, il y a quelques mois, de toutes les banques sud-africaines auxquelles ils avaient affaire de cesser de traiter avec eux et de fermer les comptes de leurs entreprises. Enfin, après que le président a procédé nuitamment à une démission brutale des deux rappelés sans consultation préalable du NEC (National Executive Committee) de l’ANC comme c’est l’usage, on a laissé entendre que le président Zuma aurait eu vent d’un rapport d’espions (appelé ici intelligence report) faisant mention d’un (improbable) complot de Gordhan et Jonas, partis en Grande Bretagne et aux Etats-Unis pour négocier le renversement de l’Etat sud-africain.

Cette semaine a aussi été marquée par le décès d’une des figures emblématiques de l’ANC, Ahmed Kathrada, affectueusement surnommé “Uncle Kathy”, ancien compagnon de Mandela, jugé comme lui lors du procès de Rivonia, et enfermé aussi pendant 27 ans à Robben Island. Uncle “Kathy’, personnage charismatique et plein de sagesse, avait, il y a un an appelé à la démission de Jacob Zuma, devant le nombre d’affaires qui entachaient sa présidence voir ici. La disparition d’oncle Kathy d’une malencontreuse pneumonie, a quelque peu bouleversé les plans de Zuma qui a attendu la fin des funérailles de ce dernier pour annoncer son remaniement ministériel, et la démission des deux principaux responsables du ministère des finances.

La veuve de Kathrada, Barbara Hogan, ancienne ministre, a demandé expressément au président de ne pas assister aux obsèques, exposant les failles qui traversent l’ANC. Des cérémonies d’hommage à Uncle Kathy se déroulent dans tout le pays dont certaines se sont transformées en manifestations anti-Zuma. Vendredi le parti communiste sud-africain, le SACP a demandé à Zuma de démissionner.

Bref les conjectures vont bon train. Twitter s’affole. Le rand, dont le cours s’était raffermi ces dernières semaines s’est de nouveau dévalorisé, plongeant le monde économique dans l’inquiétude. Mais la probabilité que le rusé Jacob renonce de lui-même à son poste et à la possibilité de mettre à profit les derniers mois de sa présidence pour maximiser à la fois son “indemnité de départ” et minimiser les risques qu’il soit poursuivi pour les diverses malversations dont il est soupçonné est à peu près aussi élevée que celle que l’engagement d’une équipe de pingouins culs-de-jatte sur le Tour de France…

Finalement, la seule bonne nouvelle de la semaine en Afrique du Sud vient peut-être de la province du Cap Oriental où les membres de la communauté rasta viennent de gagner la première manche dans une bataille juridique pour obtenir le droit de cultiver et de consommer chez eux leur propre marijuana, appelée ici Dagga, chez eux. Les usagers voulaient être traités de la même façon que les consommateurs d’alcool ou de tabac. Il y a une vingtaine d’années, le Dagga Party of South Africa avait plaidé (sans succès) que les dispositions du “Drugs and Trafficking Act” entravaient la pratique de la religion rasta. Hier, la Haute Cour a déclaré inconstitutionnelle l’interdiction du Dagga. La décision prise par la Haute Cour n’est pas encore définitive, mais c’est, selon le leader du DPSA, un pas encourageant. Ce progrès est également la conséquence des démarches engagées pour l’autorisation de l’utilisation médicinale de la marijuana, qui est en train d’être examinée et pour laquelle un circuit légal de production et de distribution est mis en place par l’industrie pharmaceutique à travers la “Medical Innovation Bill”. Reste à convaincre le Parlement d’amender le “Drugs and Trafficking Act”.

“Hopefully as people start to move over from alcohol rather to weed, I will see a happier, healthier country” Jeremy Acton, head of the Dagga Party of South Africa to the Star (April 1st, 2017)

“Choose weed over greed”, un slogan à méditer pour le clan Zuma… Allez, ça vaut bien un petit coup de Bob Marley?

Le rêve de Jacob…

Cela fait quelque temps que je n’ai pas abordé le sujet de la vie politique sud-africaine, non pas parce qu’il ne s’y passe rien. La vie politique locale est toujours très mouvementée, mais parce que, comme le disait je ne sais plus quel philosophe, le rire naît souvent de la distance qu’il y a entre la situation du rieur et la situation dont on rit. Or la vie politique occidentale, et notamment la campagne électorale française ces derniers temps, offre de plus en plus ses épisodes chaotiques et qui font douter de la démocratie dont les vies politique africaine et sud-africaine sont coutumières.

En cherchant une illustration pour ce premier billet “vie politique” de l’année 2017, je suis tombée sur cette peinture de Gauguin que j’aime beaucoup, bien qu’elle soit moins connue que celles de sa période tahitienne, peinture de la période “Pont-Aven”dont j’apprécie les couleurs et le mouvement et qui s’intitule “le combat de Jacob et de l’Ange”. Le titre résume ce que sera l’année 2017 pour le président Zuma. Comme cette peinture venait en illustration d’un site d’éducation religieuse, j’ai jeté un coup d’oeil sur le texte et  j’y ai vu quelque ironie.

Au fait, savez-vous qui est Jacob? Ne vous cachez pas derrière votre souris! Si vous ne l’avez jamais fait, plongez vous dans l’Ancien Testament, un des meilleurs livres qui ait jamais été écrits. Un de ceux que j’emporterais sur une île déserte, un condensé d’orgueil, de machinations, de jalousies familiales, d’adultère, de meurtres, de péchés plus laids les uns que les autres, bref un “page-turner” multi-millénaire! Jacob, c’est le fils d’Isaac, le père des douze tribus d’Israel, et depuis son enfance c’est un petit malin (héhéhé). Le prénom Jacob signifie “protégé de Dieu”… Jacob dans la Bible est un insoumis qui mènera un combat contre un ange (représentant Dieu) qui lui révélera ensuite dans un rêve qu’il a été choisi pour être le père du peuple élu (les théologiens me pardonneront ce raccourci).

L’année 2017 sera l’année du combat de Jacob Zuma et de l’ange de la Démocratie sud-africaine. Je ne sais pas si les calvinistes qui ont peuplé la région du Cap et les peuples africains christianisés croient aux anges, mais ils feraient mieux de prier pour que l’intérêt de tous prévalent et non seulement ceux des affidés du clan Zuma. Pourquoi donc cette importance de 2017? En décembre 2017 aura lieu le grand congrès durant lequel l’ANC, au pouvoir depuis vingt-deux ans, désignera le ou la successeur(e) de Jacob Zuma à la tête de l’ANC. Ce ou cette successeur(e) sera évidemment le candidat désigné de l’ANC aux élections présidentielles de 2019. Et l’avenir de Jacob Zuma et de ses 783 charges pour corruption, trafic d’influence etc. on en a parlé ici, dépendra évidemment de la désignation de son/sa successeur/e.

2017-02-25

Les deux poids lourds en lice sont un homme et une femme (combat très paritaire, il faut le souligner): Cyril Ramaphosa, l’un des rédacteurs de la constitution sud-africaine, milliardaire aux intérêts multiples, actuel vice-président de l’ANC qui se voyait déjà promis à la présidence, comme ses prédécesseurs avant lui avaient “naturellement” glissé de la vice-présidence à la présidence, et Nkosazana Dlamini Zuma, femme politique, ancienne ministre de la santé sous Mbeki ayant contribué à retarder l’admission de la bombe sanitaire qu’était le SIDA, ayant récemment terminé son mandat de présidente de l’Union Africaine, où elle n’a guère brillé, mais et c’est surtout le noeud du problème ex-femme de Jacob Zuma, mère de deux de ses enfants, et ayant son rondavel particulier à Nkandla, fief des Zuma.

Le clan Zuma est tout entier à son travail de sape contre Cyril Ramaphosa. Vieux routier de la politique, celui-ci s’est enrichi au moment de l’accession à la démocratie grâce à ses relations politiques avec l’oligarchie blanche. Il est devenu un homme d’affaires respecté, actionnaire minoritaire et membre de multiples conseils d’administration des plus grandes sociétés du pays. Il est perçu comme un allié du capital et du milieu des affaires dans une ANC où le Parti Communiste et l’union des syndicats COSATU sont des composantes non négligeables. Ses états de service ont également été ternis par le rôle qu’on lui prête dans les évènements tristement célèbres de Marikana, en août 2012 où il est soupçonné d’avoir pesé pour une intervention musclée de la police contre les manifestants et grévistes de cette mine de platine pour favoriser ses intérêts et ceux de ses co-actionnaires.

L’affaire s’est soldée par une trentaine de morts et soixante dix blessés dont un certain nombre avec des balles dans le dos… Marikana a marqué les débuts de la défiance de l’électorat traditionnellement ANC avec le parti de Mandela. Qu’un gouvernement issu des luttes de la libération de l’apartheid fasse tirer sur des travailleurs noirs qui constituaient son vivier naturel de voix a ébranlé l’opinion et ouvert la voie aux autres partis.

La route est longue jusqu’au congrès de décembre et pour l’instant bien malin qui pourrait prédire qui sortira vainqueur (ou vainqueure?) de la lutte interne à l’ANC qui s’engage. A l’extérieur du parti, les partis d’opposition, la Democratic Alliance (DA) qui a gagné le contrôle de quatre des grandes métropoles sud-africaines aux dernières élections locales, et l’EFF (les Economic Freedom Fighters) de Julius Malema, semblent vouloir tout faire pour empêcher Jacob Zuma de terminer son mandat, et surtout de faire nommer comme successeure, une personne qui aurait tout intérêt à enterrer les affaires judiciaires du père de ses enfants.

En attendant, Jacob Zuma se montre combatif. Début février a eu lieu le traditionnel discours sur le”State Of The Nation”, à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire de l’année à Cape Town. C’est un évènement annuel, toujours très solennel, où le président vient en grande pompe prononcer ses voeux et son programme pour l’année qui commence devant le Parlement. Le discours est suivi pendant plusieurs jours de réceptions à Cape Town, et de réponses des parlementaires de l’opposition au programme énoncé par le président. Cette année, redoutant plus encore que les années précédentes les manifestations de ses opposants, le chef de l’Etat a fait renforcer les sécurité sur le parcours qu’il devait effectuer avant d’arriver au Parlement. Il a fait appel, de manière tout à fait exceptionnelle à l’armée pour renforcer le discours policier, s’attirant les commentaires désobligeants des partis d’opposition, prompts à brandir la menace de la fin de la démocratie.

La numéro un du parlement a fait évacuer sans ménagement les représentants de l’EFF qui manifestaient bruyamment leur désaccord avec les agissements du chef de l’Etat et s’opposant à ce qu’un chef d’Etat reconnu coupable de non-respect de la constitution s’exprime dans l’enceinte du parlement. La twittosphère a repassé en boucle le visage grimaçant de Julius Malema rudoyé par les personnels de sécurité, et escorté sous bonne garde avec ses co-députés en dehors de l’assemblée. Le “community manager” de la présidence d’Afrique du Sud s’est même fendu d’un “ahahahaha” en réponse à la plainte de Malema alléguant que les Pandore lui auraient massacré les bijoux de famille pour obtenir sa coopération et le faire sortir…

Evidemment, le fond du discours de Zuma a été moins abondamment commenté que les évènements périphériques et la démonstration de force de l’EFF qui a refusé de laisser le président s’exprimer avant d’être violemment sorti de l’assemblée par les policiers en civil.

Le président Zuma n’a rien d’un orateur captivant, et après la demi-heure de bras de fer entre la numéro un du Parlement Baleka Mbete, et la sortie (pacifique celle-ci) des représentants du DA suite au refus de la même Baleka Mbete de faire respecter une minute de silence en mémoire des victimes de Life Esidemeni. Le président Zuma est désormais largement inaudible ce qui ne l’empêche pas de tirer les ficelles en arrière-plan. Ainsi il a contraint un député de la Province du North West à démissionner pour laisser sa place à Brian Molefe, ex-directeur d’Eskom ayant été pointé du doigt par l’ex Public Protector Thuli Madonsela dans le rapport “State Capture” pour sa collusion avec la famille Gupta. La rumeur prétend que cela paverait la voie à un remplacement du ministre des finances honni par le clan Zuma, Pravin Gordhan, par un affidé de Zuma qui pourrait permettre à sa famille de continuer à s’enrichir en négociant des commissions sur des marchés publics…

Les rêves de Jacob Zuma risquent fort d’être perturbés en cette dernière année où il assure la présidence de l’ANC. Mais comme son homologue de l’ancien testament, la ruse est une de ses qualités maîtresses et il ne serait pas étonnant qu’il n’hésite pas à en jouer…

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