Eloge de la polyphonie

« Il faut mille voix pour raconter une histoire » selon un proverbe peau-rouge rapporté par Erri de Luca dans un petit livre qui vient de paraître chez Gallimard. J’ai lu et redit et retourné cette phrase plusieurs fois dans mes ruminations actuelles tellement elle me semble juste et sensée. Il faut mille récits pour raconter une histoire, mille voix qui se mêlent et se répondent, et se corrigent et s’infléchissent, et tissent une toile qui n’en a que plus de force, de consistance, de véracité. Bien sûr si vous les détaillez une par une, elles ne disent pas tout à fait la même chose, ne sont pas toujours synchrones, l’ensemble frise parfois la cacophonie. Mais malgré cela, ou à cause de cela, l’ensemble n’en est que plus beau, plus accompli parce que toujours fragile.

La polyphonie n’est pas forcément virtuose, comme dans un opéra de Mozart où les couches de voix se superposent. Elle est vieille comme Hérode. C’est le chant du peuple, même le plus démuni, le chant des esclaves, des travailleurs de force. Dans notre époque d’abondance, la polyphonie est oubliée, délaissée, pour une version appauvrie des récits communs. Il n’y a plus qu’une seule histoire, ou plutôt deux versions qui s’affrontent dans une vision manichéiste renforcée par les canaux des télévisions d’information en continu et des réseaux sociaux. La culture du clash se satisfait peu des nuances, des entre-deux, des voix faibles.

Pendant ma vie étudiante, j’ai brièvement fait partie d’une chorale. L’expérience qui m’a profondément marquée. Plus jeune, j’aimais chanter. Enfant, je chantais uniquement à l’oreille, reprenant des airs glanés ici ou là, des chansons populaires essentiellement. Je chantais avec mes sœurs, parfois accompagnées par mon père à la guitare et parfois avec mes cousines un répertoire qui allait de Joe Dassin à Georges Brassens, en passant par Claude François et les plus grands succès de l’Eurovision. L’important, c’était la conviction. Nous chantions à tue-tête pour notre plus grande joie. Nous nous suivions, nous empêtrions dans nos fils, nous rattrapions à la volée… Il n’y avait pas de gagnante ni de perdante, même si certaines avaient une plus jolie voix, d’autres une voix qui portait plus, d’autre une meilleure mémoire des textes, ou une oreille plus sûre. Chanter nous réunissait dans une connivence réjouissante. Le chant libère les poumons et donne la légèreté de l’oiseau.

Etudiante, j’ai retrouvé cette joie au sein d’une chorale dont j’ai brièvement fait partie. Malgré ma voix de jeune adulte, plus malhabile que ma voix d’enfant, mon manque d’éducation musicale qui m’obligeait à apprendre à l’oreille ce que les autres lisaient dans leur partition, j’en ai un souvenir lumineux. J’avais des voisines obligeantes, dans le camp des mezzos, qui me soufflaient les phrases pour que je puisse me joindre à elles. Les défauts de ma technique, nombreux, se noyaient dans la masse. Je sortais de ces répétitions les poumons dilatés, le cœur léger, et l’étau qui serrait mon thorax, en ces années où, rétrospectivement, je sais que je n’étais pas très heureuse, cette parenthèse du chant me comblait. Et ce qui me comblait, c’est qu’avec ma voix pathétique, je puisse participer à quelque chose d’aussi puissant que cet ensemble.

« Il faut mille voix pour raconter une histoire », dit la sagesse peau-rouge, elle aurait pu ajouter que si ces voix ne s’écoutent pas, ce n’est pas une histoire qu’elles produisent, c’est une cacophonie. La cacophonie, plus que la polyphonie caractérise notre époque. Les êtres humains n’ont jamais eu autant l’occasion de s’exprimer, et jamais eu autant l’occasion de manifester leur désaccord, entre deux messages de publicité des réseaux qui ont bien compris que le nerf de la guerre, c’est de posséder le canal, pas le contenu. Des réseaux qui ont bien raison d’entretenir la cacophonie, car qui dit polémique dit pic d’audience, et qui dit pic d’audience implique plus d’efficacité de la pub. C’est plus facile de rendre accro au canal des petites phrases provocatrices et des énervements subséquents, qu’à une conversation apaisée où l’on s’écoute, se complète, se désaccorde, se réaccorde partiellement. Et où l’on se confirme que le plus important c’est de trouver un moyen de vivre ensemble, sur cette planète où nous sommes très différents, par nos histoires, nos goûts, nos enfances, nos errements.

« Il faut mille voix pour raconter une histoire ». Et aussi mille visages, c’est la leçon que j’ai retenue de l’exposition à la Maison Européenne de la Photographie de l’artiste sud-africain.e Zanele Muholi. Par son travail, l’activiste visuelle (c’est comme ça qu’elle se définit) cherche à sensibiliser aux voix de personnes qu’on n’entend d’autant moins qu’elles sont une minorité dans un pays qui préfère les ignorer, quand elles ne sont pas lynchées dans les townships ou soumises à des viols correctifs/collectifs. L’Afrique du Sud est un pays qui peut à la fois être perçu en Afrique comme un havre pour toutes les sexualités, la constitution de 1996 est un exemple d’inclusivité des minorités sexuelles, et un pays moins exemplaire dans la réalité, où les possibilités du mariage homosexuel et de la GPA dans les classes blanches aisées masquent la grande intolérance des townships. Par la variété des portraits qu’il/elle fait des militant.e.s avec lesquel.le.s il/elle chemine, il/elle interroge le narratif dominant et les positions/convictions des spectateurs. Les photographies sont marquantes, de multiples portraits qui disent la diversité et l’humanité plus qu’un long discours. Et les témoignages filmés sur la difficulté d’être/ de se découvrir différent.e, chacun.e à sa manière sont d’une force inouïe. Par l’accumulation des récits, plus que par des slogans l’artiste réussit le tour de force de questionner nos certitudes, de nous ouvrir au questionnement. Qu’y a t’il de plus humain que le questionnement ?

Et pour celles/ceux qui l’auraient loupée, courez-y, c’est jusqu’à la semaine prochaine !!!

Les diaboliques de Sandton…

Retour sur le fait divers qui passionne l’Afrique du Sud depuis le mois d’avril : l’arrestation du “violeur de Facebook” et de sa complice, médecin/influenceuse réputée

Avez-vous entendu parler de Thabo Bester et Nandipha Magudumana, les Bonnie & Clyde sud-africains contemporains? L’affaire défraye la chronique en Afrique du Sud et offre tous les ingrédients du thriller haletant. Des viols en série et au moins un meurtre dans les années 2000. Des victimes, recrutées sur Internet, désireuses de se lancer dans une carrière de mannequin sous la houlette de celui qui prétendait agir pour une agence internationale. Une idylle avec une médecin/influenceuse complice d’une évasion aussi spectaculaire que rocambolesque. La poursuite d’une carrière d’entrepreneur à succès/escroc de haut vol du fond d’une prison réputée “de haute sécurité”. Et la chute, alors que les tourtereaux commençaient à couler des jours tranquilles à Hyde Park, un des quartiers les plus huppés du nord de Johannesbourg. Une photo anodine prise par une cliente à la caisse d’un supermarché de Sandton City qui fait tout basculer. Un romancier n’aurait pas rêvé meilleure intrigue pour un polar dans le milieu bling bling des quartiers chics de Johannesbourg.

En 2012, Thabo Bester, surnommé “le violeur de Facebook”, est condamné à perpétuité par la justice sud-africaine, pour des viols en série sur des jeunes femmes recrutées sur Facebook, et pour au moins un meurtre, celui de son ex-petite amie. Il a été arrêté en Tanzanie début avril 2023 et extradé, avec sa compagne et complice, l’influenceuse et médecin “Dr”Nandipha Magudumana, vers l’Afrique du Sud. Si l’affaire a fait grand bruit c’est que Bester est réputé mort depuis un an, suite à l’incendie de sa cellule d’isolement dans la prison à haute sécurité de Mangaung, dans le Free State. Le corps calciné retrouvé dans les décombres a fait accréditer un peu vite par les autorités la thèse du suicide, et la petite amie du supposé défunt “violeur de Facebook” a réclamé à cor et à cris la dépouille disant qu’en tant qu’épouse ayant contracté un mariage coutumier avec Bester, elle avait le droit de faire procéder aux funérailles. Le corps lui est remis, puis repris sur requête des juges de Bloemfontein chargés de faire la lumière sur l’incendie. Une femme se disant la mère de Thabo Bester avait également été réclamer le corps mais le défaut de congruence de son ADN avec celui du cadavre brûlé de Mangaung, s’il ne met pas la puce à l’oreille des enquêteurs officiels, interdit tout de même qu’on lui rende.

L’Ex-ennemi public était donc réputé mort pour les autorités, bien contentes de s’en débarrasser. C’était compter sans GroundUp, un site d’investigation indépendant, qui ne se satisfait des conclusions trop rapides des autorités. Même si la thèse du suicide et de l’incendie accidentel était plausible, un certain nombre d’interrogations ont été écartées trop rapidement. Comment se fait-il qu’un feu puisse survenir dans le quartier de sécurité d’une prison? Pourquoi a-t-on changé Bester de cellule un jour avant l’incendie, et choisi justement celle qui se trouvait dans l’angle mort des nombreuses caméras de surveillance? Quelle est la cause de la mort du cadavre retrouvé dans la cellule? Peut-on se suicider en se donnant un coup violent à la tête et incendier ensuite sa propre cellule? Dans ce cas, comment expliquer qu’il n’y ait pas de trace de suie dans l’appareil respiratoire du cadavre? A-t-on authentifié formellement le corps comme étant celui de Thabo Bester? Comment se fait-il que le corps soumis à l’autopsie mesurait 1 mètre 45 quand Bester sur ses “mugshots” atteignait le mètre 70? Qui sont les personnes aperçues s’enfuyant furtivement sur le parking de la prison à trois heures du matin juste avant le déclenchement de l’incendie? Pourquoi leur voiture n’a-t-elle pas été notée dans les registres d’entrée et de sortie de l’enceinte de la prison? La justice avançant lentement, et GroundUp n’ayant aucune base légale pour faire accélérer une enquête que des autorités policières et pénitentiaires semblaient peu enclines à mener, l’affaire en serait certainement restée là sans, une fois encore, les réseaux sociaux.

Thabo Bester eut-il choisi une complice moins voyante, l’affaire aurait pu ne pas éclater au grand jour. Mais, pour des raisons qui restent à éclaircir, depuis sa prison, Bester avait réussi à nouer une relation avec la célèbre médecin et influenceuse, le Docteur (elle tient beaucoup à son titre) Nandipha Magudumana. La jeune femme, originaire du Western Cape, élevée dans le Kwazulu Natal, est diplômée de la faculté de médecine de Wits et propriétaire d’une clinique de médecine cosmétique de Sandton, fréquentée par le gratin des médias sud-africains. Elle aurait même eu comme cliente une ex-miss South-Africa. La jeune femme croule sous les hommages et les honneurs, elle est nominée en 2018 par l’hebdomadaire Mail & Guardian parmi les deux cents jeunes sud-africains plus influents, elle figure la même année dans plusieurs classements du même type. Entrepreneuse à succès, elle commercialise, grâce aux centaines de milliers de followeuses de son compte Instagram, des injections de beauté, des peelings chimiques, de la réimplantation de cheveux et autres actes de médecine esthétique, en faisant miroiter, jour après jour sur le réseau social, sa vie de “black diamond” menant la vie de la grande bourgeoisie noire de Sandton, invitée à toutes sortes de mondanités. Joli brin de fille au teint lumineux, toujours impeccablement coiffée et habillée, mariée civilement à un pédiatre de Benoni dont elle a deux filles, elle personnifie la réussite pour les habitantes des townships qui reconnaissent en elle un exemple à suivre. Elle évite de mentionner qu’elle figure comme propriétaire de plusieurs business hasardeux, dans l’événementiel et dans les médias lancés par Bester depuis sa cellule. Et que c’est avec lui qu’elle a monté, après son évasion, une entreprise de rénovation immobilière de luxe.

Un simple cliché pris par une internaute a suffi pour réactualiser la possibilité d’une machination. A l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, la maxime “pour vivre heureux, vivons cachés” prend tout son sens. Une cliente du Woolies de Sandton, repère l’influenceuse vedette dans le supermarché, faisant ses courses avec un homme qu’elle n’identifie pas comme son pédiatre de mari. Tout excitée, elle prend une photo à la caisse et l’envoie à une amie, fan absolue de la doctoresse. La diffusion de la photo de l’homme accompagnant Dr Nandipha met la puce à l’oreille des enquêteurs de GroundUp et force le couple à la fuite, d’abord vers le Zimbabwe, puis la Zambie et la Tanzanie où il a été retrouvé et arrêté puis mis à disposition des autorités africaines. Extradés, les amants diaboliques comparaissent séparément devant le tribunal, fin avril, Bester fait le fanfaron, et sa complice, masque son visage et ses cheveux sous une capuche violine et un masque FFP2, sans doute pour tenter de préserver ce qu’il reste de son capital d’influence.

Bester est renvoyé sous les verrous dans la prison de haute sécurité de Pretoria. Nandipha Magudumana attend le verdict de sa demande de liberation sous caution ces jours-ci. Si sa complicité ne fait guère de doute, il y a un certain nombre d’éléments à établir. C’est elle qui a réclamé à la morgue le corps de Katlego Bereng, retrouvé calciné dans la cellule de Bester. Il a été récemment enterré par sa famille, traumatisée par le traitement subi par la dépouille. Les responsabilités/complicités au sein de la prison sont à déterminer, tout comme devrait être déterminée si l’inaction apparente de la police sud-africaine doit être attribuée à l’incompétence ou à la corruption.

La diffusion de la photo et sa ressemblance frappante avec Bester a fini par sortir de leur inactions les autorités sud-africaines qui ont masqué sous l’étiquette de “secret de l’enquête” leur inappétence à agir. Devant la commission d’enquête parlementaire, comme à leur habitude, elles ont nié en bloc toute absence de diligence.

Nous ne saurons jamais le fin mot de l’histoire, ou alors réécrit par un écrivain fantôme, pour vendre un scénario à Netflix. J’aimerais bien savoir pourquoi Nandipha, qui n’est pas une idiote, a été fascinée par un tueur et un violeur en série, au point de compromettre un vrai début d’histoire à succès sud-africaine. Comment a-t-elle été séduite par un criminel endurci, du fond de sa prison du Free State? La romance a-t-elle commencé sur Internet? Qu’est-ce qui lie ces deux-là?

De lui on sait qu’il est né à Soweto, quatrième enfant d’une mère célibataire qui l’abandonne aux (mauvais) soins d’une grand-mère qui ne s’occupe pas de lui, qu’il n’a sans doute pas beaucoup fréquenté l’école, mais qu’il était certainement intelligent et inventif, si l’on en croit le nombre d’arnaques dont il est l’auteur. Le récit par GroundUp de l’organisation d’un évènement sur les femmes et les médias organisé à Sandton, de sa cellule de Mangaung, avec la participation annoncée d’actrices hollywoodiennes noires comme invitées vedettes pour lequel des participantes ont déboursé quelques milliers de rands est incroyable.

Le fait divers a mauvaise presse. On a souvent déploré qu’il soit utilisé pour masquer un manque d’informations substantielles, et qu’il serve de bouche-trou lorsque le contenu des journaux se concevait en colonnes. Il y en a certains, et l’histoire des diaboliques de Sandton en est, qui nous tendent un miroir particulièrement révélateur des faiblesses de nos sociétés. L’histoire des Bonnie & Clyde sud-africains rappelle le rôle désormais central des réseaux sociaux et d’Internet dans nos vies et, partant, dans les affaires criminelles. Elle nous dit également la fascination pour un certain discours sur l’entrepreneuriat et la réussite de façade dans une société où les inégalités n’ont cessé d’augmenter depuis la fin de l’apartheid malgré les politiques de black empowerment successivement mises en place.

L’accent mis sur ces réussites avec les narratifs qui vont avec, les classements des “jeunes sud-africains d’avenir” trompétés dans les médias masquent commodément les échecs de l’ANC à offrir, depuis l’avènement de la démocratie, un avenir différent aux jeunes sud-africains pauvres. L’histoire souligne également la corruption endémique qui gangrène tous les échelons de la société sud-africaine, le jeu trouble des influenceurs/influenceuses, qui mettent souvent en avant des personae factices, véritables miroirs aux alouettes. Elle montre, s’il en était besoin, qu’on peut être issu d’une majorité auparavant opprimée et être de parfaites ordures. Et, plus que tout, l’affaire Thabo Bester rend visible l’impunité permise par l’argent, quand les petites gens, anciennes victimes ou familles restent seules avec leur chagrin.

La fée électricité

Power to the people dit le slogan fort opportunément trouvé par le DA (Democratic Alliance), principal parti de l’opposition sud-africaine pour signifier son ras-le-bol des coupures d’électricité qui minent le pays depuis trop longtemps. Mercredi 25 janvier 2023 marque une journée d’action dans tout le pays qui devrait voir s’agréger un certain nombre de forces d’opposition. Les déboires de la compagnie nationale d’électricité ne font qu’empirer.

En décembre 2022, après ce qui avait constitué une première en septembre, au sortir de l’hiver, Eskom, aussi surnommée Eishkom annonçait de nouveau le passage dans la phase 6 de délestage. Après la stupeur : mais que diable signifie la phase 6 de délestage (WTF ?), vinrent la colère et l’incompréhension. Malgré les efforts consentis ces dernières années, la résignation au service réduit suite au Covid, le pays ne sort pas de l’ornière. Les sud-africains n’en peuvent plus. Stage 6, signifie six coupures de deux heures réparties sur 24 heures. Les usagers sont priés de se passer d’électricité la moitié de la journée : une situation rarissime sauf dans les pays en guerre, comme l’Ukraine, ou sans pilote depuis longtemps. Avouez que pour le pays auto-proclamé première puissance économique de l’Afrique, cela fait désordre!

Les industriels et les commerçants sont aux abois. Après deux années de Covid, et de confinement strict, le lot de deuils, et la débâcle économique qui a suivi, ceux qui n’ont pas déjà fait faillite sont au bord du gouffre. Comment continuer à produire, vendre, travailler, sans électricité ? Pour les commerçants vendant des produits frais, comment sécuriser leur stock ? Les délestages à répétition usent les meilleures volontés. Cerise sur le gâteau, la nouvelle direction d’Eskom a annoncé vouloir augmenter de 18% le prix du kwh pour financer les investissements nécessaires à la remise en état des centrales et du réseau. D’où la mobilisation du 25 janvier pour exprimer leur ras-le-bol.

Le président Ramaphosa a renoncé la semaine dernière à faire le déplacement prévu à Davos, où il devait, tant bien que mal, jouer la partition de l’Afrique du Sud, moteur du développement économique du continent africain. Pour essayer d’éteindre l’incendie, il a nommé une énième commission. Mais sa crédibilité est entachée par les trois décennies au pouvoir pour son parti, l’ANC dont les promesses ont été systématiquement oubliées, et où seule une minorité a su tirer son épingle du jeu en faisant preuve d’une inventivité qui pourrait inspirer les meilleurs kleptocrates. Les gouvernances de l’état, des provinces et des entreprises d’état sont des contre-exemples à tous point de vue. Il y a quatre ans j’écrivais que le système judiciaire sud-africain était un rempart contre la gabegie, je ne suis pas sûre que je le réécrirais aujourd’hui.

Ramaphosa a été reconduit parce qu’il était le moins mauvais candidat, mais avec des soupçons de corruption. La découverte fortuite de billets de banque planqués dans un canapé volé dans une de ses résidences a beaucoup terni son image. Ramaphosa, on s’en souvient est devenu riche grâce à son implication, en tant que jeune avocat, dans les négociations qui ont abouti à la chute de l’apartheid. Considéré, par les milieux d’affaires, comme la dernière cartouche de l’ANC, son bilan est plus que mitigé.

Quels sont les effets de ces délestages sur les citoyens sud-africains ? Le principal, c’est l’aggravation des inégalités. Lorsque les services publics s’effondrent, c’est une constante, les mieux dotés s’adaptent en ayant recours à des solutions privées. En Afrique du Sud ça a été le cas pour la santé, l’éducation, la sécurité et désormais l’énergie. Lorsque j’habitais Johannesbourg, avec la section locale d’IESF nous avions visité l’usine flambant neuve d’un brasseur de bière international. Lassé par les problèmes de fourniture d’eau et d’énergie, l’industriel avait investi dans une usine totalement autonome, déconnectée du système électrique, et recyclant son eau. A défaut d’autre chose, il n’y aura pas de pénurie de bière!

Aujourd’hui les sud-africains les plus aisés ont acheté des groupes électrogènes, fournissant le minimum vital pendant les interruptions. Une solution pratique mais bruyante, et coûteuse, et et polluante. Depuis le mois de septembre et l’apparition des délestages de phase 6, certains ont obtenu le droit (payant) de se déconnecter du réseau national pour fonctionner en autarcie avec panneaux photovoltaïques et batteries. C’est plus cher, mais ils ne dépendent plus d’un fournisseur de moins en moins fiable. Dans les beaux quartiers, on n’entend plus, en bruit de fond, le criaillement des ibis hadedas, ou le cancanement prostestataire des touracos gris, mais le ronronnement des groupes électrogènes. Et les effleuves écoeurantes du diesel flottent sous l’ombre bienfaisante des jacarandas.

Ironie de l’histoire, l’ANC a fini par appeler ses supporters à se joindre aux manifestations prévues le 25 janvier contre la mauvaise gestion d’Eskom dont elle a nommé les responsables depuis presque trente ans…

PS; Lorsqu’il y a quelques semaines l’opinion publique française était électrisée (jeu de mots assumé) par le risque de délestage en cas d’hiver particulièrement rude, je me suis souvenue que l’interruption intempestive des services publics les plus basiques faisait partie de mes (re)découvertes de la vie en Afrique. Si la perspective n’est pas des plus réjouissantes, je sais par expérience qu’on arrive à gérer deux heures d’interruption de l’électricité. La mise en garde gouvernementale, mal vécue par une partie de l’opinion a en tout cas eu le mérite de nous faire réaliser la dépendance que nous avions à une électricité toujours disponible, et à des prix raisonnables. Nous vivons avec la certitude implicite que nous ne manquerons jamais d’électricité, et la possibilité de coupures organisées pour maintenir le service nous parait insupportable. Envisager le sevrage, même pour deux heures sur vingt-quatre nous a fait frémir. N’est-il pas temps de réviser notre modèle?

Saumâtre Nature?

La clôture de parc nationaux est elle la meilleure façon de préserver la biodiversité? Quels sont les acteurs les plus légitimes?

Août 1991, nous nous sommes installés le mois précédent dans une petite maison de la banlieue de Boston, et nous profitons de trois semaines de vacances pour faire un tour des parcs nationaux de l’ouest américain. Après une semaine au Yellowstone, où la variété de la flore et de la faune m’a rappelé avec insistance le psaume de la Création, nous prenons un vol de Salt Lake City pour Las Vegas, où nous avons loué une Ford plus encombrante que puissante, avec le passage de vitesse au volant. Nous en sommes à notre dernière étape : les paysages légendaires des westerns de notre enfance.

Ce voyage est celui de l’émerveillement, c’est mon deuxième voyage aux Etats-Unis, pays mythique où je n’aurais jamais rêvé de mettre les pieds, alors que je grandissais sur les franges du Sahara. Je suis fascinée par l’échelle grandiose des paysages et de leur variété. Je déteste d’emblée Las Vegas et son atmosphère de cupidité électrique. Les gens aimantés par le jeu et les gains mirifiques qu’on leur fait miroiter, les bandits manchots jusque dans les toilettes, et les grilles de loto sur les tables de petit déjeuner, avec les chiffres rouges clignotants sur des écrans longilignes tout le long de la salle à manger du Circus Circus. Je suis ravie que nous n’y passions qu’une nuit, et que nous filions ensuite vers Flagstaff, notre camp de base pour le Grand Canyon et plus tard vers Monument Valley.

“Comment pouvons-nous parler de progrès alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les plus nobles manifestations de la vie?”

Romain Gary, Les racines du ciel.

La beauté minérale des paysages de cette partie du sud-ouest des Etats-Unis me rappelle les paysages de mon enfance, avec une végétation différente. Les entablements géologiques rouges du Grand Canyon, et leurs variations de couleurs selon le moment de la journée sont un enchantement. Dans la chaleur d’août, le monde animal se terre. Nous apercevrons tout au plus quelques coyotes, lorsque le soir tombe. Le seul rappel que nous nous trouvons sur des terres indiennes, ce sont ces écriteaux baroques, à quelques endroits. « Caution, friendly indians behind you », et les publicités pour un « trading post » d’artisanat Navajo.

A Kayenta, ou nous avons pris une chambre d’hôtel pour visiter Monument Valley, je perçois pour la première fois, que la réalité du lieu est moins paradisiaque, et que cette beauté des paysages préservés se double sans doute d’un coût humain. Je visite la supérette locale pour refaire le plein de bouteilles d’eau et de quelques fruits et snacks pour la route. Autour de moi, et des inévitables touristes, et quelques représentants de la population locale, des Navajos, descendants de Manuelito, les visages las et pour la plupart obèses, achètent bières, chips et barres chocolatées avec des « food stamps », ces bons distribués par les autorités aux descendants des tribus natives privés d’autres moyens de survie.

Ce cliché ne figure pas dans mon album de voyage. Mais le malaise reste aussi vivace que les tirages que j’ai collés dans un album photo relié à la couverture en tissu noir. Il ressurgit par moments. Comme cette fois à l’entrée du parc d’Etosha, en Namibie, où des femmes himbas[1], le corps et les longues tresses enduites de pigments rouges proposent de petits objets artisanaux sans âme, se prêtant au jeu de la photographie par les touristes qui postent sur les réseaux sociaux la rencontre « tellement authentique » avec une madone australe allaitant son enfant. Ou lorsque l’hôte bien intentionné d’une réserve privée propose la visite du village typique de telle ou telle ethnie, avec présentation d’artisanat local et danses folkloriques. Ou lorsque sur le groupe d’expatriés d’un réseau social, un futur voyageur demande des expériences locales « véridiques », « sortant des sentiers battus ».

Je n’arrivais pas à analyser le mélange de gêne et d’agacement que je ressentais à ces moments-là. J’ai lu récemment quelques articles de la chercheuse Aby Sène-Harper sur les liaisons dangereuses entre développement, capitalisme et sauvegarde de la nature. Et certains de ses arguments ont fait mouche.

La préservation de la nature, qui est un objectif louable, n’est pas dénuée d’arrière-pensées. Ce qui joue, en toile de fond de toute une pensée conservationniste, depuis la création des premiers parcs nationaux, notamment le Yellowstone, mais aussi ceux qui ont suivi, c’est une mise en accusation des peuples autochtones, soupçonnés d’être à l’origine de la dégradation des terres et de la perte de ce qui ne s’appelait pas encore la biodiversité. La pensée conservationniste est donc, dès l’abord, très marquée par des filtres coloniaux.

La protection des espaces « naturels » se fait, dès la fin du dix-neuvième siècle, par l’éviction des habitants humains et leur marginalisation. Une nature préservée, c’est une nature « vierge » de toute occupation humaine, et tant pis si ces terres abritent depuis la nuit des temps des êtres humains. Ceux-ci sont disqualifiés d’office. Les habitants originels sont repoussés aux marges des réserves naturelles, où ils survivent comme ils peuvent. Ils n’ont souvent pas le bagage scolaire ni les dispositions sociales pour se qualifier pour les emplois touristiques ou scientifiques induits.

Je me souviens que quand j’étais enfant, mes parents étaient très amis avec le directeur du centre de pêche d’Air Afrique, dans la Baie du Lévrier, pas très loin de Nouadhibou. Ce géant jovial, qui a passé sa vie dans les camps de chasse ou de pêche de l’ouest africain, avait toujours beaucoup de succès avec ses histoires de traque d’éléphants. Il ne manquait pas de bagout et racontait avec humour ses expéditions les plus épiques, où transparaissait la volonté de satisfaire la chasse au trophée de tel client important, star du show business ou du monde des affaires. Il existait des centaines de guides de chasse et de pêche comme lui, officiant sur le continent africain ou toute autre étendue giboyeuse et peu peuplée. Alors qu’on a beaucoup fustigé les “populations indigènes irresponsables” auxquelles on a volontiers imputé la disparition de la biodiversité, le rôle de la prédation “de loisir” et celui de l’exploitation des ressources minérales ou agricoles intensives menant à l’extinction de la faune ont été euphémisées. Ce n’est pas forcément une mauvaise idée de créer des zones de conservation de la nature, même si elles ont parfois un côté un peu factice, j’en ai parlé ici. En revanche, il faut réinterroger le modèle pour que les bénéfices en soient plus équitablement partagés. Si la biodiversité est notre patrimoine commun -et cela j’en suis persuadée- ne faut-il pas réinterroger le postulat selon lequel les populations qui en ont été en charge depuis des milliers d’années seraient moins à même de le protéger que les héritiers des puissances coloniales?

Selon Aby Sène-Harper, des dizaines de millions de gens auraient été déplacés pour laisser la place à ces forteresses de la conservation de la nature où les élites mondiales viennent se reconnecter avec une idée fantasmée de la nature telle qu’elle devrait être, ou payer des dizaines de milliers de dollars pour avoir le droit de tuer des animaux sauvages. Drôle de paradoxe qui fait qu’on accepte, dans des réserves privées adjacentes au Kruger, ou dans les espaces immenses du Bostwana, qu’un touriste puisse sacrifier un lion en payant des milliers de dollars, mais lorsqu’un braconnier tue un rhinocéros pour gagner à peine mille dollars, on réclame sa tête et le droit de lui tirer dessus sans sommation… Selon que vous serez puissant ou misérable…

Avec l’augmentation des terres protégées, et une sensibilité de plus en plus acérée à la cause de la biodiversité, la sanctuarisation se gagne au prix d’une militarisation des zones, et des méthodes musclées de protection. Les heurts deviennent de plus en plus fréquents, notamment au Congo, et plus récemment en Tanzanie.

A l’heure où la gouvernance mondiale de l’environnement, mise en place pour sauver notre planète des conséquences catastrophiques d’un réchauffement climatique excessif, prévoit de sanctuariser 30% de la surface des terres d’ici 2030, c’est un élément qu’il faut avoir en tête pour ne pas répéter à l’inifini les mêmes injustices.

“L’Afrique ne s’éveillera à son destin que lorsqu’elle cessera d’être le jardin zoologique du monde.”

Romain Gary, Les racines du ciel


[1] https://www.namibie-en-liberte.com/conseils-voyage/culture/himbas

Faut-il célébrer les quatre cents ans de Molière?

Molière a quatre cents ans. J’ai lu dans le journal Le Monde que d’aucuns, dans sa propre maison, la Comédie Française, se seraient posé la question de ce qu’il fallait en faire. Ses pièces ne sont-elles pas un peu datées? Molière n’est-il pas moins subtil que Marivaux? Il n’était pas toujours très tendre avec les femmes, Molière! Une vraie féministe peut-elle lui pardonner “Les précieuses ridicules” et “Les femmes savantes”, des pièces où il moque des femmes désireuses de s’instruire? Peut-on, doit-on, fêter Molière dont les valeurs ne cadreraient plus avec une époque éprise d’une diversité que son siècle ignorait, tout tourné qu’il était vers un roi Soleil qui promulga en 1685 le Code Noir, accélérateur de la traite transatlantique.

La première fois que j’ai entendu parler de Molière, enfin de Jean-Baptiste Pocquelin, fils de tapissier, plus connu sous le nom de Molière, c’est à Cansado, dans le salon de notre maison. Maman nous avait acheté une série de livres disques éducatifs de la collection du Petit Ménestrel, et parmi ceux-ci, il y avait un disque sur la vie de Molière avec des extraits de spectacles enregistrés à la Comédie Française.

Comme j’ai pu rire en entendant la scène de ménage entre Martine et Sganarelle, au début du “Médecin malgré lui”, la scène où Scapin feint l’enlèvement de son jeune maître pour soutirer de l’argent à son père “que diable allait-il faire dans cette galère?”, la scène de l’avare où Arpagon cherche sa cassette “au voleur, à l’assassin, il est là, je le tiens!”, et la scène où Louison vend la mèche sur les amours de sa grande soeur à son malade imaginaire de père. J’ai été émue à l’écoute du dialogue entre Arnolphe et Agnès dans “L’école des femmes”. Pourquoi un vieil homme voudrait-il épouser cette jeune innocente? Cela n’était pas totalement décalé avec la réalité du pays où j’habitais et où il arrivait qu’on marie les filles à peine pubères. J’ai écouté ce disque des dizaines de fois, il finissait par crisser – il faut dire que le sable omniprésent n’arrangeait pas un vinyle déjà soumis à l’usure naturelle – et je crois qu’à la fin je le connaissais par coeur. Je lui dois sans doute mon amour du théâtre, longtemps imaginé, avant de passer la porte de la rue de Richelieu, des années après, lorsque je suis devenue parisienne.

Mon second contact avec Molière, ce furent les quatre tomes de ses pièces, dans la collection Garnier Flammarion, achetés par maman à la librairie Clairafrique de Dakar. Les ai-je lus et relus aussi! J’aimais ces dialogues vifs et bien troussés, ces personnages qui se dessinaient derrière ces lignes écrites en petits caractères. J’étais en cinquième, je préférais “le Médecin malgré lui” et le “Bourgeois Gentilhomme” aux plus compliqués “Dom Juan” ou “Tartuffe” qu’il me faudrait plus de temps pour apprécier.

Molière a accompagné ma scolarité dans le secondaire. On étudiait alors une pièce par an dans ces éditions scolaires pour lesquelles chaque professeur avait sa préférée, ce qui nous a valu d’en avoir , à la maison, au moins trois versions différentes, à la grande incompréhension de ma mère… J’ai encore en tête certaines des tirades apprises par coeur pour le cours de monsieur Irolla, inoubliable professeur de français de mes années lycée, qui nous les faisait déclamer sur l’estrade, à côté de son bureau. Pour certains c’était un supplice. J’aimais bien donner la réplique aux malheureux cloués au pilori. “Et Tartuffe?”

J’ai retrouvé Tartuffe en Afrique du Sud. Il y a quatre ans. Sylvaine Stryke, une sud-africaine sponsorisée par l’Institut Français en avait fait une mise en scène pour le Joburg Theatre. Nous y avions invité les jeunes de Sizanani et leur mentors. J’ai été frappée par la pertinence de la pièce dans un contexte sud-africain, et par la façon dont l’intrigue et les dialogues sonnaient particulièrement juste dans ce contexte.

Un (faux) dévot invoquant Dieu à toutes les sauces mystifie un père crédule tout en courtisant sa jolie (seconde) épouse, voilà qui ne surprendrait pas dans un township! Des amours contrariées de jeunes tourtereaux, pour lesquels le mariage est impossible sans l’assentiment de la famille et des échanges d’argent, tristement courant! Une domestique familière n’ayant pas sa langue dans sa poche et disant leur fait à tous les membres de la maisonnée, une habituée des beaux quartiers ? Les domestiques y sont les meilleurs amis/ennemis des familles, dont elles connaissent les plus intimes travers. La metteuse en scène avait voulu choisir ses acteurs dans toute la palette de la nation arc-en-ciel, pour présenter une famille métissée, et la pièce a fait mouche. Cela se voyait aux sourires, et aux visages réjouis des spectateurs. “I may be pious, but I’m still a man”… “Pour être dévot, je n’en suis pas moins homme”!

L’universalité de Molière m’a surprise ce soir-là, au Joburg theatre. J’ai été émerveillée que ses messages puissent passer aussi bien, malgré les différences de contexte. Les hypocrites gouvernent toujours le monde. Les bigots prospèrent, et la religion (ou l’apparence de religion) conduit, ici comme aux antipodes, à des attitudes déraisonnables quand, au lieu de questionner l’esprit, on se contente d’appliquer la lettre. J’ai revu cette fois où Véro, l’animatrice de Sizanani, motivant les jeunes pour le Matric (le bac sud-africain), avait fini par dire aux étudiants que ce n’était pas la peine que leurs Gogo (grands-mères), s’usent en prières tous les dimanches à l’église pendant des heures. L’obtention du Matric est plus sûrement une histoire de travail que de miracle (et peut-être de décision du ministre de l’éducation d’accorder un “pass” à 40% de réussite aux épreuves).

Molière aussi, me vint à l’esprit lorsque cette amie sociologue, éduquée à l’Université de Cape Town m’avait raconté la réaction de sa mère lorsqu’elle avait envisagé de s’inscrire en doctorat. “Mais tu ne trouveras jamais de mari!”. Les femmes savantes, ici et là-bas, font encore peur. Une femme éduquée, c’est une hérésie: “Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés,/ Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez / Quand la capacité de son esprit se hausse / A connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.”

C’était une redécouverte assez délicieuse que de voir que l’oeuvre d’un homme, qui a voulu “peindre d’après nature” le portrait de son temps, arrive à toucher, trois siècles et demi après, les coeurs de jeunes gens d’un autre continent.

Mon glossaire sud-africain

Marie-Agnès, géniale animatrice d’atelier d’écriture, ayant proposé la semaine dernière un exercice de glossaire, je n’ai pas hésité à replonger dans ces petits mots, ces petites expressions typiquement sud-africaines. Une occasion de relire aussi (rapidement) une partie des billets de ce blog… Enjoy!

Ag shame : interjection, mix afrikaans-anglais, signale la désolation et/ou la compassion. “Le petit chat est mort! – Ag shame!”.

Biltong : friandise du bush. Viande de gibier ou de boeuf séchée et découpée en fines lamelles. Peut servir d’encas, ou colmater les petites fringales de la journée.

Borehole : puits/pompage privé de la nappe phréatique. Permet aux habitants des quartiers aisés d’arroser leurs somptueux jardins, et de remplir leur piscine même en temps de pénurie due à l’abaissement des niveaux des réservoirs.

Braaï: moment de convivialité. Rassemblement amical, déjeuner du week-end autour du braaï, ustensile connu sous d’autres latitudes sous le nom de barbecue. On est attendu à un braaï à partir de 13h00 et on peut en repartir vers 17h00, en ayant énormément consommé de viande, d’alcools -sud-africains bien sûr!- et autres délices. Il est recommandé de prendre un Uber pour rentrer chez soi après un braaï, sauf si vous êtes invité par votre voisin.

Eish : Interjection polysémique familière, plutôt utilisée par la population africaine, à ne pas utiliser dans un dîner chic. Eish! signale l’interrogation, l’incrédulité, l’impuissance, la sympathie, et parfois l’amusement. “Il faut que jeunesse se passe… Eish!”

Glamping: contraction de “glamour” et “camping”. Un oxymore pour certains, le glamping est une activité réservé aux blancs sud-africains. “Camper dans le bush? “ m’objecta un jour mon prof de zoulou “c’est n’importe quoi, le bush c’est plein de bêtes, et dangereuses en plus!”. On peut aimer le camping et le luxe, d’où le glamping, version luxueuse du premier avec à la clé des dizaines d’équipements dont je n’aurais jamais imaginé l’existence, disponible dans des enseignes de sport et de plein air, ou chez le très chic Melvin and Moon pour les nostalgiques de Out of Africa.

God bless you : expression fourre-tout, permet de ravaler sa culpabilité devant le mendiant auquel on vient de donner quelques pièces au pied du robot.

Gym : lieu important de la sociabilité des villes sud-africaines. On s’inscrit au gym pour profiter des centaines d’appareils et d’agrès pour moduler son corps, pour suivre des cours collectifs (ah, le “strech-a-move de Jannie!”), nager, mais surtout échanger les derniers potins dans les vestiaires ou au bar autour d’un cocktail détox-vitamines.

Inhlawulo : dommages et intérêts demandés par la famille d’une jeune femme enceinte, engrossée lors d’une relation hors mariage, à la famille du géniteur supposé. Les dommages sont censés couvrir les besoins de la mère pendant sa grossesse et les premiers mois du bébé. La demande est souvent synonyme d’humiliation publique pour la jeune femme.

Hadeda: réveille-matin johannesbourgeois. Nom de ces ibis aux plumes grises irisées qui nichent dans les arbres majestueux des jardins de Johannesburg. Ils produisent juste avant l’aube des cris de bébés humains qu’on égorge. Les hadedas se nourrissent de Parktown prawns, larves de gros grillons qui prolifèrent dans les pelouses bien arrosées des beaux quartiers.

Lekker : de l’afrikaans, cool, chouette, bath… Si un interlocuteur, ou une interlocutrice répond “lekker” à l’une de vos propositions, vous pouvez en déduire: 1) qu’il/elle est enthousiaste; 2) qu’il/elle est probablement afrikaner ou que sa langue maternelle est l’afrikaans.

Loadshedding: aussi appelé délestage. Manifestation de l’impuissance des centrales électriques sud-africaines à fournir de façon constante et sans interruption une population toujours plus accro à l’énergie. Symbole de la corruption et de la mauvaise gestion Eskom, surnommée Eishkom, la compagnie d’électricité nationale, a plus brillé ces dernières années par sa capacité à engraisser des proches du pouvoir, qu’à entretenir un parc de centrales à charbon vieillissantes.

Lobola : prix de la fiancée, largement répandu en Afrique Australe et en Afrique de l’Est. Somme demandée par la famille de la future mariée à la famille du futur marié, pour donner sa bénédiction aux épousailles. Le prix se négocie en équivalent-vaches et prend en compte l’âge, la beauté, le niveau d’éducation de la future épouse. Des petits malins ont même inventé un application pour la calculer. Ce qui, semble-t-il, aurait contribué à l’inflation des lobola. Bien que reconnaissant les mariages coutumiers et religieux en plus du mariage civil, l’Afrique du Sud détient un record de naissances hors mariage.

Malva pudding : gâteau éponge écoeurant, étouffe-chrétien composé d’une base à fort taux de glucose, de beurre et de farine, arrosé d’une crème à la vanille manquant de subtilité.A refuser poliment.

Robot: feu de circulation. Ne pas chercher Goldorak ou un androïde quelconque lorsqu’on vous parle de robots en Afrique du Sud. Il s’agit d’un bête feu de circulation.

Roïbos : tisane rouge, à base de roïbos (plante-rouge), boisson favorite des sud-africains.

Taxi: minibus Toyota Quantum utilisé comme transport collectif par les noirs pour rentrer dans leur township. Les taxis sud-africains portent sur leur hayon leur maxime: “sesfikile”: on est arrivé. “siyaya”: on y va, des versets de la Bible en version littérale ou en version cryptique Isaïe 37:12, des professions de foi: “God is my sheperd”. Les taxis sont des hauts-lieux de la vie johannesbourgeoise: on y naît, on y meurt, on s’y rencontre. Les conducteurs de taxis sont connus pour leur conduite hasardeuse, leur habileté à manier des “profanities” (grossièretés), et leur piètre observance du code de la route. Ne pas essayer de leur faire entendre raison.

Western Cape : Province du Cap, de la cité-mère. Lieu de vacances favori de nombreux sud-africains, et siège du parlement. Partout ailleurs dans le pays, il est de bon ton de dire du mal du Western Cape et de ses poseurs d’habitants.

Les promesses n’engagent-elles que celles qui y croient?

Vous pouvez aussi écouter ce billet ici.

“Il faut lire tout Damon Galgut”. C’est ce que me répondit une professeure de littérature de l’université de Pretoria rencontrée lors d’un séminaire alors que je lui demandais où diriger mes lectures sud-africaines. Je souhaitais sortir du triangle des classiques : Gordimer-Coetzee-Brink. Par souci de représentativité, elle m’avait également conseillé Imran Coovadia, Marlene Van Niekerk, et Zakes Mda. J’avais l’intention de suivre ses conseils pour Damon Galgut, mais le roman “the good doctor” m’a tellement impressionnée que j’ai craint d’être déçue par tout autre roman que je lirais de cet auteur. La parution récente de “La promesse”, qui vient de remporter le Booker Prize, m’a incitée à franchir le pas.

“La promesse” est un excellent roman pour qui veut comprendre l’Afrique du Sud et les trente dernières années de l’histoire de ce pays. Le fil narratif est simple. Alors qu’elle est sur son lit de mort, Rachel Swart fait promettre à son mari, Manie, qu’il donnera à Salomé, leur domestique, la petite maison dans laquelle elle habite sur le terrain de leur ferme. La promesse que Mannie fait distraitement est entendue par Amor, la dernière des trois enfants du couple. Lorsque Rachel meurt, Manie s’empresse d’oublier sa promesse, d’autant plus irréalisable que les lois de l’apartheid ne permettent pas aux noirs de posséder de l’immobilier sur des terres destinées à la population blanche.

Le livre s’articule autour de ce que les trois enfants Swart, Anton, Astrid et Amor, vont faire à leur tour de cette promesse, tout en couvrant trois époques distinctes de l’histoire de l’Afrique du Sud : la fin de l’apartheid, l’avènement de Mandela, avec l’inévitable épisode de la victoire des Springboks à la coupe du monde de rugby, les errements de la période Zuma et le Guptagate dont j’ai abondamment parlé dans ce blog.

Galgut a choisi une veine sarcastique pour décrire, dans les errements de la famille Swart, une famille blanche assez ordinaire, une société sud-africaine (blanche essentiellement), mesquine, cupide, bigote, incapable de s’imaginer à la place de l’autre, et de se remettre en question après la démocratisation du pays. Une démocratisation qui signe aussi la fin de l’embargo commercial et permet l’enrichissement soudain de certaines franges de la population. Certaines scènes, à la fois acides et réalistes me rappellent des choses vues, lues ou vécues lors de mes trois années à Johannesbourg. Le roman se lit d’une traite.

Au delà de la satyre, le roman propose une belle réflexion sur le statut des domestiques, artisans invisibles du bien-être des familles blanches sud-africaines. Membres de la famille, corvéables à merci, sacrifiant leur vie familiale à celle de leurs patrons, souvent plus proches des enfants qu’elles élèvent que de leurs propres enfants, que deviennent-elles lorsqu’elles ne sont plus en âge de travailler? “Elle peut rester ici jusqu’à sa mort” répondent à leur tour les héritiers persuadés, comme tout employeur de domestique, que dans sa famille, celles-ci sont bien traitées. Mais que laissera Salomé à son seul enfant? Et si les conditions changent, si la ferme périclite, si la famille connaît un revers de fortune? Que devient Salomé?

Comme tous les bons romans, celui-ci ne se clôt pas. Je l’ai refermé en me demandant si finalement, “La promesse” dont il est question, n’est pas seulement celle qu’Amor entend sa mère mourante demander à son père. Mais si l’auteur ne demandait pas en miroir à ses compatriotes de s’interroger sur celles faites par les artisans de la démocratisation du pays et de la rédaction de la constitution la plus inclusive du monde. Alors que l’ANC vient de connaître des défaites historiques (phénomène récurrent) aux élections locales avec une abstention record, il serait approprié que ses dirigeants se posent la question de ce qu’ils ont fait de leurs promesses.

The African Queen… and other stories

Un poème en prose écrit pour l’atelier de Bruce Bégout sur l’une des grandes dames de Jobourg… on the boulevard of broken dreams…

Que n’a-t-on pas écrit sur mon compte ?

On a méprisé mon côté « nouveau-riche », tape-à-l’œil. On a dit que j’étais hautaine, une mauvaise fille, une putain à la solde de maquereaux nigérians… On a produit des milliers d’articles, de reportages, de romans, de scenari de films à mon sujet. On a clamé que je représentais la grandeur et la décadence de Johannesbourg. Dans les portraits photographiques ou sur les silhouettes de la skyline en métal vendues dans les magasins de souvenirs de la ville, je me détache, appuyée sur la colline de Berea, avec pour seule rivale le bilboquet effilé de la tour de télévision. Nos profils hiératiques dominent toutes les photos de la « New-York » africaine.

Je suis issue de la folie des hommes et de leurs ambitions surdimensionnées, à l’image de cette ville, éternellement jeune et en transformation. eGoli. La cité de l’or, promesse de fortune rapide pour les aventuriers qui s’y sont pressés depuis la découverte du filon du Witswatersrand. Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal. Ils sont venus s’entasser à Ferreirasdorp, le village de tentes d’un portugais ayant flairé le profit qu’il pouvait tirer de ses hommes, arrivant avec leurs pelles, leurs pioches et leurs tamis, obnubilés par leurs rêves de fortune.

Puis sont venus les randlords, personnages sans scrupule, qui ont exproprié les premiers, et se sont fait construire, sur « the Ridge » la falaise, des manoirs de pierre Brenthurst, Northwards, aux jardins manucurés qui n’avaient rien à envier à la vieille Europe, ou à la rivale du Cap, « la cité-mère » et ses bâtisses hollandaises annoblies par les siècles. Au nord de la falaise, toute une ville horizontale s’est étendue, rangée le long des allées de jacarandas qui tracent au printemps des guirlandes de pompons parme entre les parcelles arborées, des rangées de sycomores aux troncs blancs graphiques en hiver, des chênes européens alignés pour procurer de l’ombre et remplacer la végétation basse et sèche du veld.

La ville continuait à accueillir tous les rêves du monde. Les mines s’enfouissaient plus loin dans le sol. La cité s’élançait vers le ciel. Il fallait bâtir pour affirmer l’appartenance de la métropole de l’or au cercle des villes-monde. C’est alors que j’ai été conçue. Plus haute tour d’habitations d’Afrique, for whites only. Cinquante-quatre étages, cent-soixante-treize mètres de haut, une structure tubulaire autour d’une cour centrale pour faciliter l’aération. Toilet paper tube monumentale. Concentré de ville parmi les immeubles bas du quartier de Berea, avec des commerces et des services, un club de sport, une piscine, et même une piste de ski intérieure.

Les journaux m’appelaient : African Queen, ils ont célébré l’audace architecturale et la nouvelle empreinte que celle-ci laissait dans la ville. Le futur de la man-made forest, c’était la ville de béton verticale. J’ai été inaugurée quelques mois avant les émeutes de Soweto, dont on pouvait apercevoir les fumées noires, à travers les panneaux entièrement vitrés du haut de ma couronne, dans les triplex luxueux tapissés de moquette orange, avec vue panoramique, solarium, jacuzzi et terrasse pour l’inéluctable braaï.

La période glorieuse n’a pas duré, les premiers habitants m’ont désertée. Finis les Rastignac aux visages blancs remplacés par un flot de fugitifs des townships et de pays d’Afrique centrale en proie aux sursauts de la décolonisation.

Je suis devenue un township vertical. Un squat à la petite semaine, avec spaza shops et shebeens, groupes de prières et autres trafics moins avouables. J’ai abrité jusqu’à dix-mille âmes. Des bigotes et des athées, des tsotsi et des prêcheurs. Des domestiques, des jardiniers, des commerçants, des cousettes, des chauffeurs de taxi des ouvriers et des employés. Des âmes cabossées par l’existence et les luttes armées, partout sur le continent. Des âmes qui ne cherchaient pas l’or, mais juste un refuge, et de quoi subsister, dans une ville dont les richesses miroitent jusqu’à Lagos, Lumumbashi et Addis.

On en a raconté des histoires sur cette période. La Reine Africaine s’est muée en Tour de Babel dystopique, refuge des gangsters, des dealers de drogues et de prostituées. On se passait le mot : éviter les douzième et treizième étages, Sodome et Gomorrhe de béton, lieux de tous les dangers. Se garder du cœur de la tour, devenu déversoir à ordures, faute d’ascenseur en fonctionnement. On m’a surnommée Suicide Central, parce que parfois, des femmes se défenestraient directement sur le tas d’immondices. Les hommes préféraient le côté rue.

On a voulu me transformer en prison, en résidence touristique de standing pour la coupe du Monde de foot. Ma réputation a enflé. J’ai servi de décor à des films de science-fiction. L’orbe du ciel se détachant sur la grille tubulaire de béton et de verre nourrissait les imaginaires les plus effrayants. Etoile noire, station spatiale, d’un empire décati. Je suis devenue un lieu de pèlerinage pour amateurs de frissons intergalactiques.

On a raconté que j’étais finie, que j’allais devenir, comme tant de ces immeubles du centre-ville, un squat putride et désespérant. Mais je suis toujours là, j’attire les éclairs des nuits d’été jobourgeoises et abrite des foudres des humains pour qui la vie est moins rude en mon sein que dans les rues horizontales et grouillantes de la voisine Yeoville. Je veille sur eux, et sur la douce violence de leurs rêves. 

*La photo d’illustration est de @Fivelocker / Flickr

Pour un portrait photographique: https://www.lensculture.com/articles/mikhael-subotzky-ponte-city-a-portrait-of-johannesburg

La mères fondatrices de l’anthropologie sud-africaine… Chronique d’un oubli…

A propos de l’ouvrage d’Andrew Bank: “Pionners of the field: South Africa’s women anthropologists”

Longtemps, l’anthropologie sud-africaine s’est racontée comme une histoire d’hommes (blancs, et majoritairement chrétiens). Les apports décisifs des femmes dans la discipline a été amplement minorés. L’historien Andrew Bank auteur de “Pioneers of the field: South African Women Anthropologists” paru en 2016 a décidé de changer le narratif en écrivant une histoire matrilinéaire des débuts de l’anthropologie sociale en Afrique du Sud.

Jusqu’en 2016, la galerie de portraits du département d’anthropologie de l’université de Wits, brille par sa mise en évidence de la suprématie masculine. Hormis (Agnes) Winnifred Hoernlé qui a été la fondatrice du département, les autres femmes ayant marqué l’anthropologie sud-africaine sont absentes. Or, contrairement à d’autres disciplines universitaires très fermées, l’anthropologie, dès ses débuts a attiré et volontiers accepté les femmes (en tout cas dans le monde anglo-saxon). Il leur était difficile de faire carrière dans le cénacle universitaire, mais elles faisaient des étudiantes et des chercheuses hors pair.

Andrew Bank retrace les itinéraires de six pionnières de l’anthropologie sociale sud-africaine: Winnifred Hoernlé, Monica Hunter Wilson (dont j’ai déjà évoqué la vie ici) , Ellen Hellmann, Audrey Richards, Hilda Beemer Kuper et Eileen Jensen Krige. Andrew Bank a exploré les archives professionnelles et personnelles des chercheuses, et a rencontré ou correspondu avec des membres de leurs familles, pour restituer les parcours professionnels et parfois personnels de ces femmes incroyables. Songez que Winifred Hoernlé a exploré en char à boeufs le territoire des Nama (dans ce qui est aujourd’hui la Namibie) en 1912 et 1913!

De la matriarche de cette tribu, Winifred Hoernlé, née en 1885, à la benjamine, Hilda Beemer Kuper née en 1911, les six femmes évoquées dans l’ouvrage ont en commun d’avoir ouvert la voie d’une discipline neuve, de l’avoir fait avec une implication impressionnante passant des séquences très longues sur le terrain, recueillant des informations précieuses, et laissant des monographies, des articles et des archives extrêmement utiles aux générations actuelles cherchant à comprendre les transformations infligées aux populations noires par la colonisation et l’apartheid.

Elles ont aussi pour particularité d’avoir été effacées deux fois de l’histoire, une première fois pendant la période de l’apartheid (à part Winifred Hoernlé, fondatrice du département d’anthropologie sociale puis pilier de la vie universitaire et intellectuelle du pays), et une seconde fois après la démocratisation. En tant que femmes blanches, on leur colle une étiquette de suppôts du colonialisme, et on les soupçonne de collusion avec le gouvernement nationaliste, justifiant leur disparition de l’histoire.

Discipline reposant sur un matériel empirique recueilli sur le terrain, l’anthropologie a accueilli assez volontiers les femmes et les marginaux* dans ses rangs. La variété des participants aux séminaires de Malinowski à Londres montre que l’anthropologie a été ouverte assez tôt (dès qu’elle a abandonné l’anthropologie physique) à un public étudiant venant des marges: des femmes, des colonisés, des juifs… Ce qui rendait la tâche compliquée lorsqu’il fallait remplir des postes de chercheurs (forcément masculins, et si possible anglais et protestant, l’administration étant extrêmement chauvine).

Winifred Hoernlé rencontre son futur mari lorsque celui-ci est mandaté par l’autorité académique pour lui dire que, malgré ses diplômes du Collège de Cape Town et de l’Université de Cambridge, “embaucher une femme (au poste universitaire qu’elle brigue) serait trop risqué”. Elle n’obtiendra son premier poste à Wits quelques années plus tard, en rentrant de Boston où son mari enseignait. L’université veut embaucher Alfred et celui-ci pose comme corollaire qu’on propose une position à son épouse. Position dans laquelle elle sera confirmée puis promue. Monica Hunter Wilson se voit elle aussi snober dès qu’elle accède au statut de femme mariée, alors qu’elle a fait un début de carrière très prometteur et qu’elle a plus d’expérience que son mari.

Lorsqu’elle demande une bourse pour travailler avec Godfrey sur les Nyakusa en Tanzanie, le comité d’attribution hésite craignant que ses devoirs de femme mariée ne l’empêchent de mener à bien sa mission. Godfrey Wilson, qui cumule les avantages d’être diplômé d’Oxford, anglais et protestant, souffle le poste de premier directeur du Rhodes-Livingstone Institute, à Audrey Richards. Celle-ci pourtant, a pris la suite de Winifred Hoernlé à Wits et est alors beaucoup plus qualifiée, il le reconnaîtra lui-même. Monica Wilson finit par faire une carrière universitaire. Elle la doit en partie à son veuvage, qui la contraint à gagner sa vie. Audrey Richards, jamais mariée, mènera, au delà de ses trois ans à Wits une grande carrière internationale, n’étant pas contrainte par des attachements familiaux.

Pourtant, les attaches et les obligations familiales n’empêchent pas les cinq disciples de Winifred Hoernlé de consacrer un temps précieux à leurs terrains dont les monographies exceptionnelles qu’elles livrent sont une mines de renseignements pour les ouvrages plus théoriques écrits par leurs confrères.

Ces femmes vouaient une reconnaissance certaine à leur matriarche. Winifred Hoernlé, de son bureau de Wits university les a soutenues, encouragées. Elle les a aidées à dénicher des bourses de recherche, des terrains. Les traces de l’abondante correspondance que la première directrice du département d’anthropologie de Wits a entretenue avec chacune en est témoin. Elles montrent une passeuse de savoir infatigable qui correspond avec ses ouailles sur le terrain et discute leurs résultats, leur demande d’explorer des pistes nouvelles, de sourcer pour elle des artefacts qui feront grandir la collection du Musée de Wits. De nombreux anthropologues locaux ont rendu hommage à ses qualités d’enseignante hors norme, réellement préoccupée de ses étudiant.e.s.

Ces femmes tomberont dans l’oubli. En tant que femme mariée à un universitaire, on assigna tardivement à Winifred les opinions ségrégationnistes et conservatrices de son mari, le philosophe Alfred Hoernlé, oubliant son appui sans faille à la création du South African Institute of Race Relations où travaillèrent plusieurs de ses anciennes disciples. Les directives qu’elle donnait dans ses lettres et ses cours à ses étudiants montrent sa ferme conviction d’une égale valeur et dignité de tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur sexe, et leur position sociale.

En quoi l’apport de ces femmes était-il important? Comme dans d’autres disciplines où l’apport du terrain est crucial, l’interdiction de faire carrière dans le champ académique leur a laissé la latitude de rester sur le terrain plus longtemps que leurs confrères. La comparaison des temps passés sur les terrains par les anthropologues hommes et femmes est nettement en faveur des femmes. Elles ont contribué à ouvrir des terrains que les hommes n’avaient pas investi: sur l’intime, la vie familiale. Leurs collègues masculins tiraient profit des monographies détaillées qu’elles fournissaient pour étayer leurs propres ouvrages théoriques.

Elles ont été les premières en Afrique du Sud, à s’intéresser aux conséquences de l’urbanisation et aux bouleversements introduits par le déplacement des populations, en sortant des réserves indigènes – pour comprendre comment les cultures s’adaptaient ou se modifiaient au contact des populations d’origine européennes. Winifred Hoernlé étudie, dans les années 20, les Nama vivant à Windhoek, Monica Hunter s’intéresse aux Pondo d’East London, Ellen Hellmann aux brasseuses de bière des taudis de Rooiyard à Johannesbourg, etc.

Leur position éloignée du pouvoir, du fait d’être des femmes (quoique blanches) a été un atout pour leur acceptation sur les terrains car elles étaient moins soupçonnées de collusion avec le pouvoir. Elles étaient mieux tolérées sur leurs terrains, même si certains chefs leurs adjoignaient des accompagnants responsables de leur sécurité, craignant des représailles en cas d’incident.

Elles vont contribuer à apporter une vision dynamique des populations qu’elles étudient, à rebours de la vision parfois essentialisante et figée de certains de leurs prédécesseurs. Elles montrent les effets destructurants du travail migrant, l’indigence des écoles des townships et le dénuement des familles. Ellen Hellmann sera la première à s’intéresser d’un point de vue sociologique aux phénomènes de gangs dans les townships..

On leur reproche, à la fin de l’apartheid, de n’avoir pas émigré, d’avoir fait le gros avec le pouvoir, de ne s’être pas engagées politiquement. Leurs écrits et leurs actes révèlent des positions profondément libérales (au sens où on l’entend en Afrique du Sud) et opposées à la ségrégation raciale. Hellen Helmann est sans doute celle qui s’est le plus engagée, en abandonnant une carrière académique pour travailler pour le South African Institute for Race Relations. Elles ont toutes soutenu les mouvements anti-apartheid, la marche des femmes sur Pretoria en Août 1956 où Hilda Kuper est arrêtée avec son assistante de recherche Fatima Meer. Monica Wilson, au mépris des lois, logeait chez elle sa domestique/confidente/amie, et recevait ses étudiants noirs. Elle n’a eu de cesse de soutenir ses étudiants noirs. Monica Wilson, Eileen Krige et Ellen Hellmann ont, dans toutes les commissions officielles ou parlementaires où elles ont été auditionnées, témoigné leur opposition farouche au “développement séparé” et au système des bantoustans, soulignant les coût humains et familiaux que ce système entraînait pour la population noire.

Aujourd’hui, leurs oeuvres sont des oeuvres-clés pour comprendre l’évolution de la société sud-africaine. Grâces soient rendues à Andrew Bank de lever le voile sur leurs destinées!

* Par marginaux j’entends les anciens colonisés qui n’avaient droit qu’avec parcimonie aux études universitaires, et les juifs qui dans une partie des pays européens et des empires étaient parfois évincés de postes financés par des fonds publics.

Monica Hunter Wilson, une vie qui force le respect…

Hommage à Monica Hunter Wilson, anthropologue sud-africaine visionnaire

Pour écouter ce billet en podcast, cliquer ici!

Je me souviens avoir aperçu, dans une librairie à Johannesbourg, “The fires beneath” la biographie que Sean Morrow a consacrée en 2016 à Monica Hunter Wilson. J’avais feuilleté le livre, puis je m’étais dirigée vers le rayon fiction sud-africaine.

@benedicterousseau

Pour les besoins de mon projet d’écriture, j’ai recroisé la route de cette anthropologue qui s’était intéressée dès les années 1930 au changement social chez les Pondo, dans ce qui est aujourd’hui la province du Cap Oriental. Son ethnographie, qui a donné lieu à la rédaction de la thèse d’anthropologie qu’elle a soutenue à Cambridge, publiée sous le titre “reaction to conquest”, est l’une des plus fouillée qui soit et très utile à qui veut comprendre l’évolution des structures familiales traditionnelles, sous les coups redoublés de la colonisation, de l’évangélisation, de l’industrialisation et de l’urbanisation.

J’ai acheté récemment la version numérique de cette biographie, et j’ai eu un véritable coup de foudre, pour la personne et pour son oeuvre. Je l’ai traduit en une lettre que je vous livre ici.

Comment devient-on anthropologue? J’aurais aimé te poser la question, mais je n’ai que le loisir que de pister ta trace dans des ouvrages ou des compte-rendu académiques un peu arides. Je crois deviner que pour toi, ce fut le fruit du hasard, de plusieurs hasards. Naître en 1908 à Lovedale d’abord, dans ce qui deviendra la province du cap oriental, au tout début de l’Union Sud-Africaine. Tes parents David et Jessie Hunter, sont des missionnaires venus d’Ecosse pour apporter le Salut en Afrique Australe. Lovedale est une bourgade centrée autour de la mission, qui veut éduquer et évangéliser les natifs, les « bantous » et préparer une élite noire, chrétienne et instruite. A l’école de la mission, tu as comme condisciples les filles des familles des grandes lignées xhosa. Elles t’apprendront quelques rudiments de la langue et susciteront ta curiosité par les remarques qu’elles ne manquent pas de faire sur certaines visions étriquées des éducatrices missionnaires. Tu pressens que l’histoire n’est pas univoque.

Le second évènement, c’est le décès de ton frère, Aylmer, à quatre ans, foudroyé par une infection. Dans les souvenirs que tu garderas jusqu’à ta mort, il y a cette réponse cruelle de ta mère lorsque ton père lui fait remarquer sobrement qu’il leur reste un enfant, toi. « But it’s the boy ». C’est le garçon qui est parti. Il aurait mieux valu que ce fût toi, la fille qui soit emportée. Même pour une mère aimante comme Jessie, les lettres que tu lui as adressées pendant toute sa vie montrent à quel point vous étiez proches et parfois complices contre l’autorité austère de ton presbytérien de père, même pour une mère aimante, la mort d’une fille, vaut mieux que celle d’un garçon.

Ganvié @benedicterousseau

La mort de ton frère a rendu possibles tes études en Angleterre. Tes parents n’auraient pu se permettre de vous y envoyer tous les deux. Pour ta mère il était entendu que le rôle d’une femme était de mettre au monde et d’élever des enfants. Tu es envoyée en pensionnat à Port Elisabeth, puis tes parents financent des cours de tutorat pour que tu puisses passer les concours pour les collèges universitaires acceptant des filles en Angleterre. Contre toute attente, tu es acceptée à Girton College, un des deux établissements d’enseignement supérieur admettant des filles à Cambridge, dans les années 20. Tes années à Cambridge sont des années où tu t’épanouis, physiquement et intellectuellement. Mais tu réalises que la terre où tu es née te manque. Tes origines écossaises si fièrement revendiquées par ta famille ne masquent pas cet attachement viscéral à la terre d’Afrique Australe.

Tu proposes à ta directrice de travailler sur le changement social entraîné par la colonisation sur les peuples bantous, et plus précisément sur la vie des femmes. Cela n’a l’air de rien, mais poser la question ne va pas de soi à l’époque où la colonisation est présentée sous l’angle de la civilisation (forcément positive). Cela cumule deux avantages : te débarrasser de l’histoire anglaise, compliquée, et te rapprocher de ceux que tu aimes. Tu obtiens des fonds pour rentrer chez toi et étudier les Pondos*, dont tu maîtrises déjà un peu la langue.

Les réseaux de Lovedale, la bonne réputation de la mission dans la population locale te débloquent des terrains, tout en satisfaisant le besoin de tes parents de te savoir en sécurité. Il est rare pour une anthropologue de se faire déposer sur le terrain par l’automobile familiale. Tu commences par observer à partir de magasins dans de petites bourgades de brousse. Dans l’une d’elles, la femme du propriétaire, une métisse répondant au nom de Mary Dreyer, sera une précieuse informatrice et interprète. Elle te présente les représentantes des différents clans Pondos venant s’approvisionner, et de fil en aiguille, tu es invitée dans leurs kraals pour observer, leur poser des questions, faire l’ethnologue.

Tu adores ça. Tu notes les plus menus détails. Tu commets des bourdes. Mary t’explique patiemment ce qu’il faut faire et ne pas faire. Une génération vous sépare, elle te prend sous son aile. Avec elle, tu assistes à des cérémonies d’initiation des filles. Tu découvres les subtilités des négociations de la lobola, le « prix de la fiancée » qui scellent le mariage entre deux individus et les alliances entre les clans dont ils sont issus. Ce n’est pas seulement une question économique, une mise sur le marché des filles qui sont échangées contre des vaches. Venant d’une famille protestante, et de parents missionnaires, tu es étonnée de la liberté sexuelle assumée des adolescents. Une liberté sexuelle encouragée avant le mariage, que l’évangélisation va bientôt brider et condamner. Le terrain t’ouvre les yeux, élargit ta sensibilité. Tu écris à ta mère qu’être là t’apporte tellement de choses, que même si tu n’arrives pas à bout de l’écriture – ça me parle tellement!- tu auras énormément appris.

Ton mariage avec Godfrey Wilson, rencontré en Angleterre, ne te détourne pas de ton travail. Pourtant tu n’as rien d’une suffragette ni d’une féministe. Tu as entendu Virginia Woolf à Girton prononcer la conférence qui deviendra « une chambre à soi ». Mais elle ne t’a pas impressionnée.

Godfrey dont le père est un universitaire spécialiste de Shakespeare, s’est mis à l’anthropologie qu’il étudie avec Malinowski, le génial auteur des “Argonautes du Pacifique occidental”. Il obtient des financements pour travailler en Tanzanie. Il te pousse à demander également une bourse pour que vous travailliez ensemble, il adore lire les descriptions de ton travail dans votre longue correspondance d’amoureux. Vous vous écrivez plusieurs fois par semaine pendant vos mois de séparation.

Après un mariage en petit comité, chez tes parents, tu le suis en Tanzanie chez les Nyakyusa. Vous êtes merveilleusement complémentaires sur vos terrains. Tu rassures ta mère en lui disant que c’est transitoire, qu’une fois ce travail achevé tu te consacreras à votre famille. Mais en fait tu adores ce que tu fais. Tu aimes à être sur le terrain, inconfortablement installée, à questionner, observer, prendre des notes, photographier. Tu fais de longues marches pour atteindre les villages, parfois avec Godfrey, parfois avec un de vos boys comme accompagnateur. Vous formez une équipe très efficace, ta capacité d’observation fine est à la hauteur de la facilité de Godfrey d’acquérir de nouveaux langages et de sa propension un rien pompeuse à tout théoriser.

Le dernier événement qui va cimenter ta vocation, c’est le suicide de Godfrey, à la fin de la seconde guerre mondiale. Pendant toutes ces années tu l’as su fragile. Tu as cru que ton amour, que votre complicité au travail et dans votre famille, éloigneraient de lui les nuages noirs de la dépression qu’il combat depuis l’adolescence. L’homme brillant, charmeur que tu as épousé est devenu une ombre, tu n’as pas pu l’en empêcher. La guerre passe par là, et l’enrôlement dans l’armée britannique de ce pacifiste convaincu ne fait qu’aggraver son état.

Tu continues pendant toute ta vie à converser avec lui dans ta tête, dans les travaux que tu signes de vos deux noms. Jeune veuve avec deux garçons à élever, tu n’as plus le choix, tu commences une carrière universitaire. Après sa mort tu continues à exploiter le matériel de terrain que Godfrey et toi avez amassé. Puis tu t’associes à de jeunes chercheurs pour t’intéresser aux conséquences de l’urbanisation. Tu écris des ouvrages qui feront date. Tu pressens avant beaucoup de monde que l’anthropologie qui fige les natifs dans des essences n’a pas d’intérêt, qu’il faut y adjoindre une dimension historique, qu’il faut y ajouter le changement social, la compréhension des effets des interactions avec les colonisateurs, et leurs conséquences. Tu pressens que les frontières entre anthropologie, sociologie et histoire ne sont pas aussi étanches qu’il n’y paraît. Dans une époque qui sépare nettement les peuples premiers et les occidentaux industrialisés, tu es une visionnaire.

J’aurais voulu te rencontrer, pouvoir t’interroger. Ta vie est un exemple remarquable de résilience et d’ouverture aux autres. Tu aurais pu te contenter des représentations figées des bantous figurant dans les compte-rendus des missionnaires à l’intention de leurs volontaires, pétris de leurs préconceptions chrétiennes et de justification de leur intervention. Tu as su aller plus loin et comprendre le système de l’intérieur.

Tu aurais pu te contenter, comme le faisaient les anthropologues fonctionnalistes en vogue en Angleterre, enfermer les Pondos dans une représentation figée dans l’histoire. Une tentation facile pour ceux qui passent peu de temps sur le terrain et n’y retournent jamais, ce qui évite de se poser la question du changement social. Mais toi, tu voyais bien que le contact avec les missionnaires et les colonisateurs modifiait les vies des familles et des clans. Tu as connu les créations des townships et les grands déplacements de la population noire.

Tu as bénéficié d’une place à part, car tu appartenais à cette terre, comme ceux que tu étudiais. Dans une des lettres envoyées à ta mère tu reconnais “you can’t help belonging to South Africa when you have been born there”. Cette proximité aurait pu brouiller ta perception, mais il n’en a rien été. Plus tard, lorsque faire carrière est devenu une obligation, et malgré les difficultés d’un régime pour lequel tu n’avais aucune sympathie, tu choisis de ne pas t’exiler et de faire avancer la cause de l’intérieur. Interrogée par un administrateur afrikaner sur la création des bantustans, tu n’hésites pas à lui répondre qu’à ton sens, la seule solution viable est la liberté d’installation pour tous, quelle que soit leur couleur de peau. Tu ne veux pas d’un développement séparé.

L’organisation de tes funérailles, en 1982, avec un office chrétien à l’église, présidé par un évêque blanc, et une cérémonie d’hommages rendus, sous la présidence d’un évêque noir, à Hogsback sur la propriété que tu as héritée de tes parents, témoigne de ton étonnante personnalité, et de la place que tu as su prendre. On ne mesure pas à quel point, ces hommages et ces chants, en anglais et en xhosa, de personnes de toutes les nuances de l’arc en ciel -dont Desmond Tutu- sortaient de l’ordinaire. Tu as su t’imposer, sans te renier, dans des mondes professionnel et politique, pourtant conçus, pour paraphraser le titre de ton dernier ouvrage “for men and elders”: pour les hommes et les ancêtres.

* Le romancier sud-africain Zakes Mda a écrit une très belle fresque sur la colonisation du Pondoland “Little suns”, pas disponible en français à ma connaissance.

PS: J’ai pris les photos illustrant ce billet sur mon dernier terrain au Bénin. Je n’ai pas de photo du Pondoland.