Reconnecter avec son brocoli intérieur… mode d’emploi!

Des trucs et des ficelles pour contourner la difficulté d’écrire… L’écriture, ça se travaille, dans la joie, et dans le brocoli!

Où l’on parle de livres, d’écriture, du sens de la vie, d’amitié et de brocolis…

Amies lectrices, amis lecteurs, je vois vos pupilles vaciller fébrilement devant votre écran. Enfin pour celles et ceux qui ont ouvert ce billet malgré ce titre calamiteux. “Elle a pété un câble Bénédicte ? Il faut qu’elle arrête de fumer les herbes de son potager normand, cela ne lui vaut rien qui vaille!”. Je m’égare ces temps-ci, mais avant de m’envoler pour mon continent de coeur, alors que mes batteries faiblissent et que je ne sais plus d’où, pourquoi, et comment j’écris, je voulais évoquer un livre qui me fait du bien, un de ces manuels d’écriture dont je prends régulièrement des shoots pour m’adonner à cet exercice solitaire et souvent ingrat: “Bird by Bird, Some Instructions on Writing and Life” d’Anne Lamott.

Je l’ai commandé à un libraire d’occasion, je ne suis pas sûre qu’il soit réédité, mais il m’accompagne dans mes moments de doutes et je ne puis que le recommander à celles et ceux qui taquinent le clavier, et poursuivent des envies d’écriture. Mon amie Christie m’a offert il y a quelques années, “The Right to Write”, de Julia Cameron, qui propose une série d’exercices pour délier la plume ou le clavier, et j’ai une pile de manuels d’écriture dans ma bibliothèque, mais ces temps-ci, j’aime bien me réfugier dans les courts textes d’Anne Lamott. J’apprécie ses positions philosophiques sur l’existence, et l’humour de cette professionnelle des cours d’écriture créative.

Anne Lamott et ses anecdotes me sauvent des affres de la page blanche, et des crises d’imposture qui me traversent périodiquement. Oui, écrire (pour moi), c’est me demander tous les jours s’il ne vaudrait pas mieux renoncer, que de coucher sur l’écran des platitudes en comparaison desquelles la Belgique paraît plus haute que l’Himalaya. J’atteins mon Everest le jour de l’envoi de mes factures.

La dernière fois que ma crise Bartlebyenne était à son acmé -cf mon dernier billet– ce n’est pas un DJ, mais cette phrase de son livre, qui m’a sauvé la vie :“on a tous un truc à pleurer”. On a tous un truc à pleurer, et on écrit tous autour de ce truc. Certaines histoires sont plus universelles ou plus immédiatement parlantes, comme les histoires de transfuges ou de réfugiés – je vous ai dit que j’avais adoré le premier roman d’Ocean Vuong?- Mais personne, pas même le bébé le plus fortuné ne naît dans un monde d’où la maladie, la souffrance ou la mort seraient absentes. C’est la révélation de Siddharta (Gautama), si bien décrite par Herman Hesse, et le ferment d’un bon nombre d’oeuvres littéraires!

Nous nous constituons littérairement autour d’un manque, que nous cherchons à pallier par nos tentatives de donner du “sens” à ce que nous expérimentons. Ecrire, c’est construire autour de l’imperfection, même futile, de nos vies. L’essentiel est dans le chemin que cela nous fait emprunter. Voilà que je m’exprime comme un personnage de Tintin… De quoi finir décapitée, comme un brocoli!

Mais c’est quoi au fait, cette histoire de légume? Revenons donc à nos brocolis. D’où viennent-ils ces brocolis? De chez monsieur Lam, le marchand de primeurs premium de Garches? Peut-être, mais pas tout à fait. Ils proviennent d’un autre texte d’Anne Lamott, qui l’a puisée elle même chez Melvin Kaminsky alias Mel Brooks (il n’y a pas de mauvaise référence lorsque l’on écrit, il n’y a que des références qui fonctionnent). Le brocoli est à Anne Lamott ce que le chewing gum est à Mac Gyver… C’est un moyen à mettre en oeuvre lorsqu’on approche de la panne sèche: il suffit de reconnecter avec son brocoli intérieur, ou explique Brooks, “demander au brocoli comment on doit le manger”. Laissons nous guider par l’appel du brocoli, et tout ira bien! Gageons que vous ne verrez plus vos brocolis du même oeil!

Et vous, quels sont vos trucs pour replonger dans l’écriture, ou trouver un sens à la vie quand tout part en lambeau?

La vie sauvage, fable moderne …

Qui aime bien charrie bien, un coup de gueule à la manière de Voltaire… issu de mon dernier atelier d’écriture.

Ils étaient convenus qu’en ce début de siècle où étaient prédits les pires cataclysmes depuis le tremblement de terre de Lisbonne qui avait ébranlé les fondements des royautés européennes, le mieux à faire pour sauver leur peau, voire leur âme, était de migrer vers l’intérieur des terres, dans un hameau isolé, des influences néfastes comme des rayonnements solaires et des phénomènes météorologiques extrêmes qui étaient annoncés comme l’avenir inéluctable de notre belle planète.

Candide et Cunégonde revenaient à la terre, la vraie, après avoir brûlé leur jeunesse dans les banlieues arborées de l’ouest parisien. Leur conversion avait commencé il y a quelques années. Candide avait troqué la Mini Cooper électrique promise par ses parents pour l’obtention du baccalauréat désormais plus facile à obtenir que le permis de conduire, pour une modeste bicyclette insubmersible avec cadre en carbone et chaîne anti-déraillante, sacoches multipoches ultra-légères et anti-rayonnements nucléaires. Cunégonde, élevée au bio et à la danse classique avait renoncé à son heure et demie de rituel beauté quotidien – avec vingt-sept produits différents- pour de la graisse à traire végétale multi-usages. Ils avaient décidé, devant leurs parents ébahis, de jeter aux orties (bio, surtout conserver les racines, séchées et pulvérisées elles font un excellent remède anti-diabétique et dépuratif!) l’avenir tout tracé de Candide à La Banque Vanderdandur de beau-papa pour une fermette façon ranch dans le fin fond du Cantal.

L’avenir commença dans le TER reliant Clermont-Ferrand à Saint-Flour. « Sens-tu mon Amour comme l’air est plus pur ici ? » chuchota Cunégonde. Candide approuva, tout émoustillé des picotements dans son corps et des échauffements épidermiques que l’approche de la sous-préfecture lui procurait. Bientôt leur nid d’amour, déniché au cœur des prairies vallonnées des contreforts du Massif Central, grâce à une annonce providentielle sur Gens de Confiance. Le Père Pangloss, le propriétaire, un paysan chenu qui portait une barbe de père Noël, mal taillée les attendait à la gare, dans une 2 CV Citroën qui datait de l’an 40. Cunégonde fronça les sourcils à l’idée que ce véhicule ne fonctionnait sans doute pas au jus de betterave, mais Candide l’assura que le côté vintage du véhicule faisait de leur chevauchée un péché véniel. En préventif, pour expier leur faute, ils réciteraient le soir avant de se coucher dix fois le programme de Yannick Jadot pour les présidentielles. « Vous voici au nid d’Aigle ! » leur annonca Pangloss en toussant dans sa barbiche et s’arrêtant juste le temps de débarquer leur maigre paquetage, et redémarrant sans leur donner le code du wifi.

Cunégonde ouvrait la bicoque en s’émerveillant des bontés de la Providence. L’ingéniosité de l’upcycling paysan dans les moindres recoins de la maison la laissait pantoise. Bidons de laits retournés pour servir de tabourets, table en caisse à savon, rideaux dépareillés fruits de négociations acharnées dans les vide-greniers campagnards, cheminée charbonneuse avec son immense trépied à chaîne. N’hésitez pas à piller le potager ! leur avait crié Pangloss dans le crissement de la 2 CV. Le retour à la Nature s’annonçait plein de promesses !

Ils se mirent à explorer le jardin. Chaque nouvelle plante leur arrachait des cris d’admiration. Quelle beauté ! Quelle splendeur ! Comme la nature est bien faite ! Ils virent une biche et son faon à la lisière d’un bois, la queue d’un lapin de Garenne sautiller puis disparaître près d’un genévrier. Un monde nouveau s’ouvrait devant eux. De l’autre côté du vallon, les pelotes laineuses d’un troupeau de moutons au pâturage les plongea dans de longues minutes de contemplation proche de l’extase. Ils respiraient fort, se tenaient la main, se regardaient émus aux larmes. Quelle pureté de l’air ! Les cris de Candide s’intensifièrent lorsqu’il vit s’approcher un oiseau majestueux déployant ses grandes ailes. Un aigle ! N’y a t-il-pas sur terre vision plus incroyable ? Son humeur déchanta lorsque le volatile lâcha près de lui un litre de fiente verdâtre avant de fondre sur un agneau qui têtait encore sa mère, de l’autre côté de la vallée.