Revenons en arrière. Faisons un voyage dans le temps. Souvenez-vous d’il y a tout juste un an, pensiez-vous que nous pourrions connaître une nouvelle année de m… aussi anxiogène? Moi non. Sincèrement, après une pandémie mondiale qui a perturbé l’économie planétaire, mettant à l’arrêt l’usine du monde et tué quinze millions de personnes en deux ans, le retour des talibans à Kaboul, une menace jihadiste persistante au Sahel et la perspective de bouleversements climatiques sans précédent, what could possibly go wrong?
Mea culpa, mea maxima culpa, le pire n’est jamais certain, mais il n’est pas improbable. Aussi cette année, pour mon traditionnel billet – il faut bien sacrifier aux rites – de nouvel an, j’ai décidé d’éviter, une nouvelle fois, les bons voeux, pieux ou impies, les usuels poncifs de pensée positive, et les (forcément) bonnes résolutions dégoulinantes d’espoir. Les mantras pour conjurer l’incertitude, ce n’est pas mon truc.
Puisque c’est très tendance, chères lectrices et lecteurs, innovons un peu! Et même, puisque c’est encore plus tendance, n’hésitons pas à avoir recours à la reverse innovation. Figurez-vous qu’en Equateur, il est d’usage, le 31 décembre à minuit, de brûler des monigotes, des effigies de l’année qui vient de s’écouler, pour éloigner tous les regrets et les soucis, et redémarrer la nouvelle année sur de nouvelles bases.
Cette coutume, vague réminiscence du biblique bouc émissaire, est attestée à Guayaquil sur la côte Pacifique à la fin du XIXème siècle. Les personnages à l’aspect carnavalesque étaient exposés les derniers jours de l’année avant d’être immolés par le feu au cours d’une cérémonie populaire. L’usage s’est propagé vers l’intérieur des terres où il se perpétue encore aujourd’hui. Les effigies étaient, à l’origine, confectionnées en paille, comme nos épouvantails, vêtues comme des être humains, et elles étaient incendiées, à minuit sonnante, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, exorcisant par le feu les malheurs passés.
Les monigotes les plus impressionnants sont préparés chaque année par des artisans et demandent plusieurs jours de travail. On peut acheter un monigote ou en confectionner un à la maison, avec les moyens du bord : de vieux vêtements et un masque grimaçant en papier mâché. Parfois, on lit le (faux) testament du monigote avant d’allumer le bûcher. Mettre le feu à une marionnette en papier mâché est probablement aussi productif, qu’énoncer les inévitables “santé, bonheur, prospérité, paix sur la terre et stabilisation du proche-orient”.
Les monigotes représentent souvent des personnages publics, des politiciens, des protagonistes de film, des héros de dessin animés. Pour la petite anecdote, le monigote le plus demandé en cette fin d’année 2022 était le joueur de foot Lionel Messi. Je n’arrive toujours pas à savoir comment l’interpréter.
Quel aspect aurait votre effigie pour 2022? Pour la mienne, j’ai quelques idées.
Le bad guy de 2022, c’est incontestablement celui qui a ramené la guerre au coeur de l’Europe. Je commencerai par rembourrer d’exemplaires de la Pravda, un vieux treillis de l’armée russe, surmonté d’un masque de son chef suprême. Je le coifferai d’une coiffure de mollah iranien, et lui collerai bien une barbe postiche. Pour ce qu’ils ont fait à Salman Rushdie, et aux centaines de victimes de la répression depuis la mort, sous les coups de la police des moeurs, de Mahsa Amini, en septembre dernier.
J’ornerai sa poitrine, à la place des médailles, des pins représentant tous les fâcheux et fâcheuses, complotistes, jusqu’au boutistes, antivax militants, tenants de la pire bêtise, bigoterie et autres misologues. J’y enfoncerai, comme sur les fétiches Kongo, des clous pour les prophètes des réseaux sociaux, de la 5G, du 12.0 qui font croire aux jeunes qu’il vaut mieux gagner sa vie en vendant des trucs inutiles sur Internet qu’en sachant distinguer un cèdre d’un séquoïa, et en apprenant les noms et les modes de vie des passereaux et autres habitants minuscules de ce qui reste de nos jardins. Il semblerait qu’à dix ans un petit états-unien est capable de reconnaître les logos d’une centaine de marques commerciales, mais incapable de citer les noms de quatre arbres poussant près de chez lui…
Je réserverai quelques clous pour les hypocrites et les carriéristes de la politique… et quelques autres pour les moralistes et donneurs de leçons adeptes du “faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais”. Enfin, dans une petite boîte ignifugée, je ferai porter à ma marionnette un petit croquis: une version de la colombe de Picasso avec un brin d’olivier pourtant le long de ses branches le slogan des révoltés iraniens “femme, vie, liberté”. Je l’aspergerai de vodka, ferai craquer une allumette, et j’en ferai un grand feu de joie. Et je jouirai du spectacle. Je me laisserai envahir de cette joie primaire qui flotte dans la lumière, s’affûte avec la chaleur, cette joie qui “ne se laisse pas penser”, se réchauffe aux flammes orange qui dansent, et montent jusqu’au ciel où les étincelles rajoutent d’éphémères étoiles.
Et vous, vous l’orneriez comment votre monigote de 2022?