L’Afrique côté lectures…

“Ce que le Jour doit à la Nuit”, “Petit Pays”, “Agaat”

L’Afrique, l’article défini singulier dont on affuble le nom du continent cache mal la diversité des histoires et des cultures qui y sont présentes. J’ai récemment fini trois livres dont j’ai envie de vous parler et qui illustrent (un peu) cette diversité. Deux livres d’auteurs francophones: “Ce que le jour doit à la nuit” de Yasmina Khadra, “Petit Pays” de Gaël Faye, et un livre d’une auteur Afrikaner: “Agaat” de Marlene Van Niekerk (traduit en anglais). Trois livres qui montrent les difficultés qu’il y a à évoquer l’Afrique comme un continent unifié et homogène.

C’est la première fois que je lis ces trois auteurs. Et je vais les évoquer dans l’ordre décroissant de l’intérêt qu’ils ont suscité pour moi. J’ai emprunté le Yasmina Khadra au café bouquin de Jobourg Accueil, j’avais entendu beaucoup de bien de cet auteur confirmé mais n’avais jamais pris le temps d’ouvrir un de ses livres. Ayant de surcroît passé mes premières années en Algérie et ayant une partie de mon ascendance originaire d’Oran, me plonger dans une production littéraire algérienne ne me déplaisait pas. “Ce que le jour doit à la nuit” conte l’histoire de Younes devenu Jonas, algérien “assimilé” vivant son enfance puis son adolescence dans la société pied-noire à Oran puis Rio Salado, petite ville de vignes fondée par des descendants d’espagnols. Son monde se réduit à une petite bande de garçons du même âge avec lesquels ils font les quatre-cent coups jusqu’aux inévitables “évènements d’Algérie” qu’ils ne verront pas venir et à l’indépendance qui séparera ceux qui pensaient être amis pour la vie. Younes sera hanté jusqu’à la fin par son histoire d’amour impossible avec Emilie.

Gaël Faye dont ce premier roman a déjà reçu le prix Fnac des lecteurs et est short-listé pour le Goncourt, évoque à travers l’histoire de son personnage principal et narrateur, petit garçon puis adolescent de Bujumbura, les tragédies jumelles de ces deux “petits pays” des grands lacs: le Rwanda et le Burundi. Gaby, le personnage principal retrace son parcours de petit garçon métis qui vit une enfance heureuse et insouciante à Bujumbura entre un père ingénieur français un brin hippie et une mère rwandaise immigrée au Burundi lors d’un précédent épisode de haine des hutus contre les tutsis. La séparation des parents est le début de la perte d’innocence de Gaby et peu à peu, les évènements politiques, coup d’Etat au Burundi puis massacre des tutsis au Rwanda viendront marquer à jamais son existence et celle de sa famille. La volonté de neutralité et de non-engagement du père ne réussira pas à abriter sa famille de la brutalité d’une réalité historique où ceux qui ne choisissent pas se voient assigner un camp.

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Le troisième roman, “Agaat” de Marlene Van Niekerk, qui m’a été chaudement recommandé par une universitaire de l’université de Pretoria (et je comprends pourquoi!) retrace la vie de Kamilla de Wet née Redhelinghuys. Par ce roman, Marlene Van Niekerk renouvelle un genre assez populaire de la littérature Afrikaner, le “roman de ferme”. Camilla, fille unique d’une mère autoritaire est une bonne représentant de la bonne société agricole Afrikaner du Cedeberg, région montagneuse de la province orientale du Cap. A l’occasion de son mariage, elle hérite de la ferme créée par son arrière grand-mère: Grootmoedersdrift. Elle va consacrer sa vie à cette terre qu’elle a dans les veines, telle une Scarlett O’hara d’Afrique Australe. Bien plus douée pour l’agriculture que son mari, le beau, creux, violent et rancunier Jak de Wet, elle mène l’exploitation de main de maître, les initiatives de Jak menant souvent à des catastrophes. Malheureuse de ne pas avoir d’enfant, elle adopte dans un premier temps une petite fille à moitié infirme maltraitée par les siens, dont elle fera sa créature et qu’elle prénommera Agaat. L’enfant se révèle redoutablement douée et apprend très vite tous les secrets de la ferme et de la tenue d’une maison. La bonne société Afrikaner voit d’un mauvais oeil ce surinvestissement de Milla dans cette enfant et lorsqu’elle attend enfin un héritier, elle se résigne à réassigner à Agaat sa place de servante. Agaat devient la nourrice et la confidente de Jakkie, qu’elle aidera sa mère à mettre au monde. L’histoire est narrée à la première personne par Milla, sur son lit d’agonie, où elle est à la merci d’Agaat qui veille sur elle et prévient ses moindres désirs, Milla étant atteinte d’une paralysie qui fait qu’elle ne peut plus communiquer que par des battements de paupières. La narration entrecroise flux de conscience du présent où Milla se voit décliner, les interactions quotidiennes avec Agaat, il y a des pages très belles sur la relation de soins, les retours sur le passé où Agaat lit les carnets où Milla tenait son journal. Cette oeuvre est une oeuvre foisonnante, d’une expression très poétique, jamais lugubre malgré le sujet. Il y a notamment une scène savoureuse où la grabataire Milla réussit à faire une farce à sa voisine la trop vertueuse et bien-pensante Béatrice. Agaat est un roman qu’il faut prendre le temps de déguster où l’on voit la pesanteur de la société Afrikaner, les carcans dans lesquels elle emprisonne hommes et femmes, blancs et noirs. Contraintes que fuira Jakkie, l’enfant unique, tiraillé entre sa mère blanche et sa mère de couleur… La palette des sentiments finement décrits entre Agaat et Milla est incroyable de finesse.

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Les ressorts narratifs sont assez similaires dans les deux premiers romans, la chronologie (même si dans les deux cas il s’agit de restitution, par les personnages principaux, d’événements passés) reste linéaire. Même si l’écriture de Khadra est une écriture de belle facture, je n’ai pas été emportée par ce roman comme j’ai pu l’être par ceux de de Gaël Faye ou de Marlene Van Niekerk. Gaël Faye réussit, en peu de pages à captiver son lecteur et à l’absorber toutes affaires cessantes dans son récit et à le déposer un peu plus loin, après l’avoir secoué dans ses tourbillons comme une vague le ferait d’un baigneur imprudent. Sans doute le fait qu’on ne connaît pas grand chose au fond du Rwanda et du Burundi renforce t’il l’intérêt pour le roman. Et les soubresauts des destins actuels des deux pays, l’un montré par certains comme une réussite de réconciliation avec un Paul Kagame couvert de louanges, tandis que l’autre s’enfonce dans la violence et la censure, renvoyant chez eux les journalistes indiscrets, ne fait qu’accroître le besoin de comprendre la généalogie de tout cela.

Le but de la littérature (enfin celle qui m’est chère), c’est d’ouvrir des mondes. Objectif particulièrement réussi pour Gaël Faye et Marlene Van Niekerk, et dans une moindre mesure pour Yasmina Khadra. En tout cas un encouragement à continuer d’explorer les productions littéraires africaines!

“Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie” Gaël Faye “Petit Pays” Grasset 2016

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