La vraie vie c’est la littérature?

DSC_0083Cela fait quelque temps que je n’ai pas publié de post, prise par divers voyages et obligations familiales. Difficile aussi de trouver un sujet, il y en a tellement! L’actualité en Afrique du Sud est presque aussi agitée qu’en Europe. Cet hiver (austral), les élections municipales ont vu cinq des principales métropoles du Pays passer sous la houlette du DA (Democratic Alliance), parti de l’opposition à l’ANC et réputé plus blanc que son principal adversaire. Une défaite historique qui a continué à secouer le parti de Mandela, miné par le bilan des années Zuma. On a aussi fêté les cinquante ans de la marche des femmes sur Pretoria, contre la loi sur les laisser-passer (que devaient porter les noirs lorsqu’ils se déplaçaient dans le pays). Ici, on n’a pas seulement une journée des femmes (fériée, qui commémore cette fameuse marche), mais un mois des femmes, le mois d’août, qui donne lieu au meilleur comme au pire, du pink-washing aux réflexions sur l’échec des gouvernements successifs à améliorer significativement la condition des femmes. Oui, le nombre des femmes au parlement sud-africain est exemplaire, mais la proportion de femmes victimes de violences est effrayante, le taux de contamination des très jeunes femmes par le virus du SIDA est un des pires de la planète etc.. La semaine dernière s’est déroulé un nouvel épisode du bras de fer opposant le ministre des finances Pravin Gordhan à la clique de Zuma dont il veut desserrer la main mise sur les industries para-étatiques. Enfin, les étudiants frénétiques rêvent de rejouer les manifestations de #FeesMustFall de l’an dernier. Certains ont même mis le feu à un campus de l’Université du KwaZulu Natal… Bref, les sujets abondent et donnent le tournis.

Heureusement, il y a la littérature. J’ai fini récemment deux ouvrages dont la lecture m’a stimulée et dont j’ai envie de vous parler ici. L’un est un essai de littérature comparée “Conversations in motherhood” de Kseniya Robbe et l’autre est un roman de Damon Galgut (dont il faut tout lire paraît-il) “The good doctor”. Evidemment, tout rapprochement avec mes centres d’intérêt de toujours n’est absolument pas fortuit, mais la lecture de ces deux livres m’a permis de calmer la confusion et le sens d’impuissance et d’incompréhension qui ne laissent pas de m’assaillir lorsque je consacre trop de temps à lire les nouvelles sur les réseaux sociaux. Il existe un remède au non-sens et au chaos, c’est la littérature, non pas parce qu’elle proposerait des solutions, mais parce qu’elle permet de relayer des expériences en se débarrassant des postures soi-disant objectives. La présentation des subjectivités dans la littérature permet de communiquer l’expérience de l’autre plus que les injonctions et les imprécations de politiques trop avides d’attirer les suffrages ou d’intellectuels auto-proclamés qui cherchent à conforter leur audience. J’ose penser qu’elle peut aussi permettre de renouer des dialogues.

Je ne reprendrais pas l’argument complet de de Ksenia Robbe, mais son ouvrage qui fait dialoguer justement des romancières/écrivaines sud-africaines de différentes communautés, mettant en scène des protagonistes questionnant leur rôle de mère et leur expérience de la maternité, a plusieurs grands mérites à mes yeux.  Il présente un grand nombre de productions, principalement de fiction, par des auteures locales (d’expression anglaise ou afrikaner) dont je n’avais pas forcément entendu parler. D’ailleurs, à part Nadine Gordimer vous en connaissez beaucoup, vous, des romancières sud-africaines? Par ailleurs, elle reprend les arguments des écrits analysés et en y mettant en évidence les rôles des mères, et les relations de ses mères avec leurs enfants (naturels ou adoptés), et avec les membres de leurs communautés, ce qui lui permet de souligner les asymétries des situations maternelles selon les positions des protagonistes dans des espaces historiques (pré/post-apartheid), géographiques, culturels, raciaux et sociaux. Elle pose aussi la question du rôle des mères dans la perpétuation des injustices dans l’ancienne comme dans la nouvelle Afrique du Sud.

Pourquoi est-ce une bonne idée de s’intéresser aux images/expériences des mères dans la production littéraire sud-africaine? Parce que la condition de mère concerne un grand nombre de femmes, que dans certaines sociétés l’accession à la maternité est sacralisée, ou facilement naturalisée, parfois représentée de façon très stéréotypée, surtout en ce qui concerne les mères africaines. Parce que la maternité est à la fois source d’oppression et de pouvoir pour les femmes. Les mères qui sont à la fois les garantes de la survie des famille, l’instrument de leur reproduction, celles qui se battent pour élever leurs enfants dans les meilleures conditions possibles, mais aussi parfois les gardiennes acharnées des traditions qui étouffent les jeunes générations. La maternité est également une source de fracture entre les femmes des différentes races. Les femmes blanches construisent leur émancipation sur le travail des femmes noires qui abandonnent leurs enfants pour gagner leur vie en s’occupant de ceux des autres avec lesquels elles construisent des liens de proximité parfois très forts.

Cet essai donne envie de lire les romans des auteures citées (je me suis ruée sur “Agaat” de M. Van Niekerk) et montre la richesse de ces écrits qui décrivent la vie des femmes et les liens entre ces expériences de vie, et l’histoire troublée du pays. Les relations familiales sont teintées par le contexte politique et historique, même si ce n’est pas le propos des auteures. Mais comment faire autrement dans un pays à l’histoire aussi tourmentée? Il laisse entrevoir les difficultés que rencontrent aujourd’hui ses habitants pour pouvoir se définir comme nation. Qu’ont de comparable les expériences de vie de ces femmes? Comment construire une identité et un projet dans lesquels tous se reconnaissent quand le passé est si lourd? Le monde de la production littéraire sud-africaine lui-même est également parcouru par des fractures. Peut-on parler d’une littérature sud-africaine quand les auteurs ne partagent même pas une même langue? Finalement, le point commun de ces livres n’est-il pas d’essayer de faire sens de ces fractures et de ces divisions, de retisser des dialogues pour inventer un avenir commun?

C’est ce que j’ai aimé dans le roman de Damon Galgut: “The good doctor”. Ce roman met en scène deux personnages principaux, le narrateur, un médecin désabusé exerçant dans un hôpital déglingué d’une ex-capitale de Bantoustan, et un jeune médecin plein d’illusions, voulant aider à construire la “nouvelle Afrique du Sud” en choisissant d’effectuer son service communautaire dans ce même hôpital. L’arrivée du jeune médecin idéaliste bouleverse les habitudes de ce navire à l’abandon qu’est l’hôpital. Il bouscule les acquis, lance de nouveaux projets, fait croire à une partie du personnel que les choses peuvent changer. Sa candeur obstinée va obliger le narrateur à réfléchir sur sa propre expérience, son passé. Le narrateur est à la fois agacé et fasciné par son jeune collègue dont les tentatives de contribuer à l’amélioration des services de l’hôpital suscitent chez lui des sentiments confus qui vont de l’ironie à l’espoir. La lecture du roman donne à voir l’histoire de certaines “villes” d’Afrique du Sud, nées des impératifs administratifs du régime d’apartheid voulant organiser la séparation des races, oubliées de tous après 1995, mais que certains ont voulu maintenir dans un semblant de vie. Les personnages du roman sont pris dans cet univers absurde dans lequel ils essaient de survivre.

Il faut connaître l’histoire pour la surmonter semble être le message de l’auteur, dans la “nouvelle Afrique du Sud”. Les travaux de la commission Vérité et Réconciliation n’ont pas tout résolu, l’apartheid a laissé des traces sur de nombreux individus qui n’en finissent plus de se débattre avec le passé. Si la lecture de ces ouvrages n’est pas forcément réconfortante, elle dessine nettement la forme des démons qui viennent hanter les questions actuelles. Elle donne à voir les types d’expériences qu’ont pu vivre ceux qui manifestent, revendiquent, contredisent, vocifèrent dans la presse ou sur les réseaux sociaux.

Pendant que j’écrivais ces lignes, ironiquement, des étudiants de l’université du KwaZulu Natal brûlaient une bibliothèque, protestant contre l’augmentation des frais de scolarité pour la prochaine année, les conditions d’accueil dans les résidences étudiantes et l’insécurité… Décidément, on ne s’ennuie jamais dans ce pays!

 

 

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