“Why I liked Winnie? Because she was a badass!”*

“Il y a un temps pour tout” dit l’Ecclésiaste, (…) un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour gémir et un temps pour danser”.  Aujourd’hui l’Afrique du Sud est en deuil et pleure la mort de son enfant terrible, devenue “Mère de la nation”, Winnie Madikizela-Mandela décédée ce 2 avril 2018. Personnage controversé, Winnie Madikizela-Mandela n’en était pas moins extrêmement populaire et les hommages abondent sur les réseaux sociaux. Le président Ramaphosa l’a bien compris qui a annoncé des funérailles nationales.

Je laisse aux historiens la charge de nous dire qui elle était vraiment, au delà de la ferveur (ou de l’horreur) populaire. Je voudrais apporter ici quelques éléments qui peuvent expliquer pourquoi autant de sud-africains sont affectés par son décès.

Il y a plusieurs versions de Winnie Mandela. Elle a vécu 81 années d’une vie très intense, un destin profondément humain dans l’histoire compliquée et violente de ce beau pays. Les vidéos diffusées au Musée de l’Apartheid montrent une jeune femme déterminée qui reprend le flambeau de son mari condamné à la prison à perpétuité en 1963 et qui fera vivre son message contre/malgré un régime de plus en plus dur.

Elle choisit de ne pas s’exiler (ce qu’ont fait plusieurs familles des condamnés du procès de Rivonia) et de mener la lutte sur le territoire sud-africain. Elle le paiera de multiples manières, intimidations, incarcérations, torture, interdictions. Pendant les 27 ans d’emprisonnement de son mari, elle sera à la fois d’un soutien constant, on le voit dans les échanges de lettres qui ont été publiés. Elle devient également une vraie combattante, cheffe de gang et prête à tout pour défaire l’apartheid. La pratique du necklacing dont elle aurait été une des instigatrices est une des mises à mort les plus barbares qui soit.

Winnie Madikizela-Mandela n’était pas Pénélope, ou pour prendre des exemples de ce continent, ni Adelaïde Tambo, ni Albertina Sisulu ces autres “mères de la nation”, plus conformes au rôle d’éternelles secondes, de soutien affectif et logistique qu’on met plus souvent en avant. Ces personnes remarquables ont été des exemples de décence et d’empathie auxquels on a trop tendance à vouloir cantonner les femmes. C’est au titre de l’expression de cette différence que Winnie est un vrai exemple pour les femmes d’Afrique du Sud et du monde entier. Malgré le côté controversé du personnage, nombre de femmes sud-africaines s’identifient à elle et voient en elle un exemple de résilience et de courage, dans un pays où la condition féminine est encore très marquée par la culture patriarcale.

Dans un joli roman paru en 2004, “the cry of Winnie Mandela”, l’écrivain Njabulo Ndebele montre comment le destin de Winnie stimule les femmes de la société sud-africaine, comment son histoire est un reflet de la condition des femmes, et une inspiration à vivre leur propre vie. Ce roman est une variation sur le thème de l’absence, et sur ce que font les femmes, dans une société patriarcale quand les hommes sont absents sans date fixée de retour. Les quatre héroïnes du roman interpellent Winnie, parce qu’elles se retrouvent aussi, à un moment de leur vie, sans leurs hommes. Le mari de l’une est parti étudier la médecine à l’étranger, pendant qu’elle est restée au pays pour travailler et payer ses études. Le mari de l’autre était dans l’armée clandestine et à déserté le foyer pour lutter contre le gouvernement de l’apartheid. Le mari de la troisième est parti chercher du travail dans les mines et n’a plus donné de nouvelles. Celui de la quatrième accumule les infidélités… Elles se tournent vers la plus illustre des femmes sud-africaines, celle qui a été mariée sans pouvoir voir son mari pendant vingt-sept ans. Comment a t’elle fait? Véritable incitation à vivre sa vraie vie, et non celle dictée par la famille, le regard des voisins ou la communauté, c’est un livre féministe qui décrit bien en quoi Winnie Madikizela-Mandela est une héroïne.

Winnie a écrit de nouveaux codes, elle ne s’est pas laissée enfermer, au propre comme au figuré, dans des carcans. Si elle s’est brûlé les ailes, c’est à la mesure de ses transgressions. Ceux qui la voyaient disparaître du champ politique après le divorce avec Mandela deux ans après la libération de celui-ci se sont trompés. Winnie a su se forger une existence politique au delà de sa relation avec Mandela. Elle n’a pas hésité à dire leur fait aux hommes politiques locaux lorsqu’elle le jugeait nécessaire, indépendante d’esprit jusqu’au bout. Elle est restée une inspiration pour beaucoup de sud-africains.

Comme le disait l’une des convives, un peu pompette il est vrai, du long déjeuner auquel nous étions conviés hier: “why I loved Winnie? Because she was a badass!”. Et je ne suis pas fondamentalement en désaccord avec elle. Il y a un temps pour tout, un temps pour se réjouir et un temps pour pleurer, un temps pour semer et un temps pour récolter. Aujourd’hui l’Afrique du Sud fait son deuil, et pleurent leur Winnie… Demain, on peut l’espérer, dans une Afrique du Sud plus apaisée et moins meurtrie, les historiens feront leur travail.

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