Johannesbourg brûle t’il?

Mercredi 4 septembre, j’ai reçu un appel de la journaliste présentant le Journal Afrique de TV5 Monde me demandant si je voulais venir dans son studio commenter l’actualité sud-africaine, notamment la flambée de xénophobie en Afrique du Sud. J’ai accepté de me prêter à cet exercice compliqué s’il en est : il me fallait répondre en maximum une minute et demie à chaque question posée. Difficile de refléter un contexte aussi complexe que celui du pays de Mandela vingt-cinq ans après la chute de l’apartheid en un temps aussi ramassé… Je vais tenter de le faire dans ce billet de blog.

Partons des faits. Depuis quelques semaines, des incidents près de Durban, dans le centre de Pretoria, dans le sud (Lenasia) puis dans le centre de Johannesbourg laissent penser à une résurgence de ces poussées de xénophobie dont l’Afrique du Sud est coutumière. Près de Durban et sur certains axes routiers près de Jobourg, les routiers sud-africains ont encouragé des barrages pour filtrer les véhicules conduits par des chauffeurs étrangers et les molester. A Pretoria des chauffeurs de taxis d’origine étrangère ont été pris pour cibles ainsi que des commerçants nigérians du centre-ville que leurs attaquants accusaient de trafics de drogue, sous l’oeil bienveillant de la police.

Dans le centre de Johannesbourg, à Jeppestown, dimanche dernier, des émeutiers auraient effectué des raids sur des magasins appartenant à des commerçants étrangers, les ont pillé et y ont mis le feu, laissant des images de désolation, une dizaine de morts (en majorité sud-africains) et des centaines de milliers de rands de dégâts.

Comment comprendre cet accès soudain de violence, et cette expression de haine envers les étrangers? Les responsables politiques ont été assez timorés dans leurs commentaires jusqu’à mercredi, refusant d’attribuer les exactions à la xénophobie, mais arguant que les violences étaient le fait de criminels cherchant juste un prétexte pour voler et piller des commerces. Il faut dire que la désignation des étrangers comme responsables de tous les maux du pays est commune à bien des politiques sud-africains, c’est même le fond de commerce de certains. Le maire de Johannesbourg, Hermann Mashaba, commençant son mandat il y a deux ans, avait promis de “nettoyer” le centre-ville des squatters étrangers qu’il rendait responsable de l’insécurité qui y régnait depuis des décennies. L’ex-ministre de la santé leur attribuait l’engorgement des services de santé publique et des hôpitaux, et leur mauvais fonctionnement. La rhétorique sur les étrangers qui volent l’emploi des locaux fait florès dans un pays où le taux de chômage ne baisse pas.

La réaction spontanée des politiques, en l’absence d’échéances électorales proches, aurait été de laisser s’éteindre d’elles-mêmes les flammes plutôt que de monter au créneau. Les réactions internationales, et notamment des chefs d’Etat africains, au premier rang desquels, le président de l’Union Africaine, et celui du Nigeria, Muhammad Buhari ne leur en a pas laissé le loisir. Les actions xénophobes ont donc été condamnées par le Président Ramaphosa dans une déclaration minimale mercredi 4 septembre, promettant que les crimes ne resteraient pas impunis. Il pouvait difficilement s’engager moins. D’autant que les entreprises sud-africaines cherchant dans les marchés africains la croissance qu’elles n’arrivent pas à trouver chez elles, sont fragilisées sur leurs marchés extérieurs par de tels évènements. Le pillage, en guise de représailles, de supermarchés Shoprite et de boutiques MTN au Nigéria, n’arrange pas leurs affaires…

Mais qu’est-ce qui pousse des sud-africains des quartiers populaires à se soulever et à s’en prendre aux personnes d’origine étrangère et à leurs biens? La xénophobie est-elle un mal qui touche particulièrement les sud-africains? Ces sud-africains qui disent “je vais en Afrique” lorsqu’ils voyagent sur le continent, comme s’ils s’y sentaient une place à part… Il y a certainement une grande méconnaissance du continent africain en Afrique du Sud, du fait de l’isolation du pays au moment de l’apartheid. De nombreux cadres de l’ANC contraints à l’exil avaient trouvé refuge dans les pays voisins, où même en Tanzanie ou au Nigéria. Les générations suivantes se sont renfermées et considèrent désormais avec méfiance les “autres”. Pourtant l’Afrique du Sud est depuis longtemps un pays de migration. Les mines employaient des ouvriers venant de toute l’Afrique australe, zimbawéens, zambiens, habitants du Lesotho ou du Swaziland…

Il faut d’abord souligner le caractère endémique de la violence dans ce pays, une violence enracinée dans l’histoire. On a oublié les violences terribles dans les townships au moment de la fin de l’apartheid. Une violence qui n’était pas seulement le fait des blancs contre les noirs, mais aussi des noirs contre des noirs. Une salle du musée de l’apartheid à Joburg rappelle les affrontements entre les tenants de l’Inkatha Freedom Party (zoulou) et les différentes composantes de l’ANC. L’Afrique du Sud est un pays où l’on meurt pour une poignée de tournesols, ou pour un sac d’oranges… Le taux de violence familiale dans le pays est effrayant, les violences interpersonnelles, et notamment les violences liées aux genre sont légion, et les violences institutionnelles ne le sont pas moins. Le comédien Trevor Noah avait plaisanté, dans l’un de ses sketches, sur la violence dans les établissements scolaires, et notamment celle exercée par les professeurs sur les élèves: “we don’t beat them, we hit them!”*. Le topos de l’infirmière maltraitante est un thème récurrent des discours sur les hôpitaux publics, j’en ai recueilli des exemples lors de ma recherche.

La persistance de la violence est le symptôme d’une société qui va mal, et d’une population qui s’impatiente de ne pas recueillir les dividendes de la chute de l’apartheid. Les promesses de prospérité, santé, éducation et sécurité pour tous n’ont pas été tenues. La politique de Reconstruction and Development Programme (RDP) lancée par le gouvernement de Mandela en 1997, et les politiques des gouvernements suivants n’ont réussi que marginalement à redresser les déséquilibres historiques. Le fossé entre les plus pauvres et les plus riches s’est accru depuis vingt-cinq ans, et périodiquement les pauvres se rappellent au bon souvenir des gouvernants en manifestant leur insatisfaction.

La population sud-africaine a cru depuis la fin de l’apartheid, à un rythme plus soutenu que l’économie (malgré quelques années fastes). Le “miracle économique” sud-africain a attiré de plus en plus de ressortissants des pays voisins fuyant des pays politiquement et économiquement sinistrés et venant y chercher du travail. Ils se sont dirigées vers des villes encore marquées par l’urbanisme de l’apartheid, peu conçues pour accueillir le surcroît de population des migrants, qu’ils viennent des provinces sud-africaines ou des pays alentour, accentuant la compétition des plus pauvres pour les ressources rares: logement, subsistance, emploi…

Dans une économie où l’emploi est rare, ce sont les quartiers les plus défavorisés qui en pâtissent le plus. La désindustrialisation causée par la libéralisation des échanges (j’en ai parlé ici), a contraint les individus et les familles à des systèmes de débrouille généralisés. Dans une population condamnée à vivre d’expédients, de combines plus ou moins légales et de petits boulots, la concurrence accrue n’est pas vue d’un bon oeil.

Par ailleurs, les migrants ne sont pas toujours les plus mal lotis dans ces systèmes, ils viennent avec des capitaux sociaux, culturels et économiques très divers, et peuvent donner l’impression de mieux tirer leur épingle du jeu que des populations locales moins éduquées et moins solidaires. Malgré leurs diplômes, ils sont exclus d’une grande partie du marché de l’emploi du fait de règles administratives (les étrangers, même noirs ne font pas partie des ‘Black Empowerment Programmes’) et ont donc, pour débouché la création d’entreprise, commerciale ou non.

Je me souviens d’avoir fait un tour de Diepsloot avec la responsable d’une association, et avoir remarqué que les supérettes semblant les plus prospères appartenaient à des somaliens, quand les ‘spaza shops’ de leurs voisins sud-africains faisaient pâle figure. On m’a expliqué que les somaliens avaient développé des systèmes de centrales d’achats qui leur permettait d’offrir plus de choix et de meilleurs prix que leurs concurrents indépendants.

Ajoutez à ces éléments déjà explosifs, une police hautement corruptible, beaucoup plus efficace pour extirper des frais de protection aux commerçants, racketter les responsables de trafics et les automobilistes que pour garantir la sécurité des citoyens (si tant est qu’elle en ait les moyens), et vous avez les ingrédients d’une catastrophe annoncée. Les policiers envoyés sur les lieux auraient ‘observé’ les actions des pilleurs sans essayer de les dissuader. Il y a trois ans, le commissaire du poste de Jeppestown (où ont eu lieu une partie des troubles du week-end dernier) avait fini par être muté, après une campagne de protestation dans les journaux, il avait réussi à cumuler 180 jours d’absence sur l’année précédente alors qu’il dirigeait le poste de police d’un des quartiers les plus réputés de la ville pour ses problèmes d’insécurité. Dans la police, comme dans l’éducation ou la santé, l’avancement hiérarchique est moins dû aux états de service des fonctionnaires qu’au rattachement politique (et aux connections avec l’ANC)…

Dès lors que les gouvernements de l’ANC ont failli à leur mission de mettre en place des institutions fortes, garantissant à l’accès à tous à une éducation de qualité, des services de santé convenables, et à la sécurité, il n’est guère étonnant que des révoltes populaires éclatent fréquemment, et ciblent en priorité les habitants des quartiers les moins sécurisés, compte-tenu de la stratification géographique des villes.

Plutôt que des déclarations de principe sur le caractère intolérables de ces attaques, on aurait aimé que le président Ramaphosa mette les moyens d’enquêter réellement sur ce qui a provoqué les émeutes et que cette enquête aboutisse à une sanction réelle des responsables, et la restructuration de la police pour plus d’efficacité**, plutôt qu’à un énième épisode oublié une fois retombée l’agitation médiatique…

*”On ne les bat pas, on les frappe”

**Une internaute faisait remarquer que si le gouvernement n’avait pas hésité à envoyer les canons à eaux sur les étudiants de l’Université de Cape Town (qui manifestaient contre le viol et le meurtre de leur camarade de première année, violée et tuée dans un bureau de poste), mais pas sur les pilleurs de Jeppestown.

Vivre avec rien… la sobriété (mal)heureuse?

Une fois n’est pas coutume, cette semaine j’ai décidé de vous parler d’un livre “Eating from one pot”*. Ce livre est le compte-tenu d’une recherche menée par Sarah Mosoetsa, du département de sociologie de l’université de Wits. Elle s’intéresse aux stratégies d’existence/de survie des familles pauvres dans deux townships du Kwazulu-Natal.: Enhlalakahle et Mpumalunga.

On échappe rarement à deux narratifs opposés sur la pauvreté: celui de la lutte impitoyable pour la subsistance ou celui de la formidable solidarité de ceux qui manquent de tout mais pour lesquels l’entraide est la clé de voûte de la survie. Les romans “Dog eats dog” ou “After tears” de Niq Mhlongo, un auteur que j’apprécie beaucoup, offrent une vision ironique de la débrouillardise ordinaire de l’habitant des townships. Ses récits montrent régulièrement des jeunes hommes extorquant, à force de roublardise, une partie de l’argent que leur mère ou tante économisait pour le loyer du domicile familial, et allant tout dépenser en joints ou en alcool, mais également des jeunes femmes échangeant des faveurs sexuelles contre de l’argent.

“”Oh Dingz, I nearly forgot. Your brother left some money for you to pay for the electricity and rent at the municipality office” said my aunt “that is, if you have the time?” I hesitated; I could see a way out of my cashless situation; I could use the rent money to celebrate elections and then get Dunga to bail me out when he got paid at month-end” Niq Mhlongo, Dog eats dog. Kwela Books.

Mais, si le regard du romancier est acéré et se nourrit d’un sens de l’observation remarquable, il lui manque la profondeur de l’enquête sociologique.

L’enquête de Sarah Mosoetsa est très intéressante parce qu’elle déploie, grâce à sa connaissance des terrains toutes les dimensions de la vie dans les townships qu’elle a patiemment observés et dont elle a longuement interrogé une centaine d’habitants. L’ouvrage nous permet de comprendre comment la pauvreté a pu se développer dans cette région suite à la transition démocratique, et comment cette pauvreté est vécue par les familles, et conduit à des tensions et des conflits autour de la répartition des ressources et des rôles familiaux, qui pourraient être des éléments d’explications des violences endémiques des township.

Les townships étudiés ont la particularité de se trouver à proximité de villes où fleurissaient les industries textiles et de la chaussure avant la chute de l’apartheid. L’embargo décrété par les puissances occidentales contre le régime de l’apartheid avait contraint le pays à developper une industrie qui employait à l’époque la moitié des habitants de Mpumalunga et Enhlalakahle. Avec la chute de l’apartheid et la signature des accords du GATT à Marrakech en 1994, ces industries n’ont plus été protégées de la concurrence extérieures et ont été amenées à fermer où à se délocaliser. Nombre des travailleurs se sont alors trouvés sans emploi et sans revenu fixe. Les entreprises fermant ont parfois octroyé à leurs employés une indemnité, mais celle-ci a vite été engloutie, en l’absence de perspective de ré-emploi. Les politiques économiques”progressives”et d’allègement de la pauvreté des gouvernements post-transition démocratique n’ont guère porté leurs fruits. Si quelques familles ont eu des trajectoires “ascendantes” ce n’est pas la majorité. La majorité reste enkystée dans une pauvreté dont on ne voit pas l’issue.

Les groupes familiaux se sont alors reconstituées essentiellement en se regroupant autour d’un parent possédant une source de revenu stable et/ou un logement. Ces regroupements sont le résultat de choix plus pragmatiques qu’affinitaires.  De plus en plus souvent dans les townships, les grands-mères qui sont devenues ce point central à la non-désintégration de la famille et des individus, parce qu’elles perçoivent une allocation de l’état à partir de 60 ans (environ 800 rands, soit 60 Euros), laquelle allocation sert de revenu de base à toute la famille. Les familles interrogées par la chercheuse (bien que les trajectoires sont diverses) disposaient en moyenne de 800 rands par mois. Les allocations perçues par les mères de jeunes enfants (300 rands par enfant)  viennent également en complément.

Le rétrécissement des revenus est source de tensions et de conflits, voire de violences intra-familiales. Comment faire vivre un groupe familial contraint à la cohabitation de trois générations sur 800 rands par mois? Les tensions vont avoir lieu autour de la répartition des (maigres) ressources disponibles. La dépense principale est la nourriture, composée seulement des basiques pap (bouillie de maïs), thé et sucre. Les dépenses pour l’éducation (uniformes ou livres pour les écoliers) et la santé sont non prioritaires. Parfois les familles ne peuvent plus payer leurs notes d’électricité (la moitié des familles interrogées) et elles ont recours à des branchements sauvages ou utilisent la paraffine pour s’éclairer.

Lorsque la famille possède une cour, les femmes essayent de faire pousser quelques légumes pour améliorer l’ordinaire. Les membres de la famille participent à une économie informelle, échange de services entre voisins, et activités plus ou moins légales. Mais très souvent si les filles sont censées partager avec le reste de la famille leurs revenus, il n’en est pas de même pour leurs frères ou leurs pères. Les jeunes femmes percevant une allocation pour jeune enfant (méprisamment appelé “Imali yeqolo”, l’argent gagné avec son dos, par l’ex-ministre des finances Malusi Gigaba) sont censées la partager avec la famille et son vivement prises à parti si elles ne reversent pas tout dans la caisse commune.

Les familles propriétaires d’un logement de plusieurs pièces en sous-louent pour s’assurer un revenu complémentaire via les loyers. Les femmes vont faire de menus travaux, planter des légumes dans un bout de jardin le cas échéant. Elles vont aussi faire du bénévolat dans des associations souvent liées à des églises qui pourront leur apporter quelques gratifications. Certaines jeunes femmes vont échanger des services sexuels contre de l’argent ou de la nourriture, la précarité alimentaire étant la norme.

Les hommes, dans la très patriarcale culture zouloue, sont traditionnellement les principaux pourvoyeurs de la famille. Ils se retrouvent humiliés de ne plus pouvoir remplir leur fonction et s’adaptent moins facilement à un autre rôle. “Ma femme ne me respecte plus” dira l’un des interviewés à la chercheuse. Et il refusera de détailler à une femme (la chercheuse) l’usage qu’il fait de l’argent dont il dispose. Sa femme se prêtant à l’interview investit tout ce qu’elle gagne pour la famille et la maison. Les femmes sont moins affectées dans leur identité que les hommes par la perte d’emploi formel. Mais en tant que responsables de l’espace domestique, leur disponibilité pour produire des revenus dans l’économie informelle est moindre, ayant toujours à s’occuper des tâches ménagères, des enfants et fournir un repas par jour aux membres de la maisonnée. De fait la position des femmes se renforce, ce qui est très mal admis par les hommes de la maison.

« Men frequently compensate for their sense of powerlessness by exerting power over women. Zulu tradition is frequently invoked in order to justify the subordination of women and to reassert the position of the man as the ‘natural’ head of the household”

Ne trouvant pas leur place/rôle dans la maison, certains hommes vont extorquer des fonds à leurs mères/femmes/filles pour aller passer leur temps au shebeen (troquet local).

La fonte des revenus a fait disparaître également les instances de socialisation et d’entraide. Sans revenus réguliers, plus question de verser quelques centaines de Rands à un syndicat ou à une église. Dans “Dog eats dog”, le héros mentionne que sa tante ne va plus à l’église qu’une fois qu’elle a reçu sa pension à la fin du mois car elle avait été aperçue ne donnant que cinq rands à la quête alors que le tarif règlementaire était de dix rands. L’humiliation conséquente à sa stigmatisation par le pasteur l’avait fait renoncer à aller aux offices lorsqu’elle n’avait pas dix rands sur elle… Les associations qui prospèrent sont les associations informelles qui ne demandent pas de cotisation fixes que les familles ne peuvent plus leur verser.

Si la solidarité qui peut émaner des interviews est admirable, force est de constater que c’est une solidarité plus contrainte que volontaire. Les grands-mères avouent un état d’épuisement et de lassitude à porter leur famille à bout de bras. Il y a un seuil à partir duquel, il n’est pas humainement possible de “faire mieux avec moins”…

« The biggest challenges facing older people today in these communities does not come as much from the challenges of old age – ill health and death- as from domestic violence and abuse – emotional, financial, physical and psychological. The perpetrators are mostly the victims’ children and grandchildren. The motive is usually their desire to get access to the older person’s pension money.”

Les échecs des politiques de créations d’emplois et l’économie quasi-stagnante en Afrique du Sud ne laissent pas présager d’évolution positive possible. L’auteure met en évidence l’effet pervers du système des allocations qui bénéficient en priorité aux femmes ayant des jeunes enfants et aux grands-mères, qui les rendent vulnérables aux maltraitance des hommes de la famille. (L’allocation vieillesse pour les hommes n’est perçue qu’à partir de 65 ans et compte-tenu des tendances démographiques, ils sont moins nombreux à partir de cet âge-là).

Quelles solutions à ces situations dramatiques? L’auteure plaide pour une refonte du système d’allocations, voire pourquoi pas de la mise en place d’un revenu universel comme cela a été fait en Namibie. Mais la Namibie compte 2,5 millions d’habitants et l’Afrique du Sud vingt fois plus… Dans un pays dont la dette publique est très élevée, et dont la capacité d’emprunt est affaiblie, plusieurs agences de notation ayant dégradé le ratio de la dette, il resterait à trouver les ressources pour financer une telle mesure.

La lecture de cette recherche permet de mieux comprendre les stratégies de subsistance dans les deux townships, et met en exergue le rôle crucial des aides sociales dans la survie des familles pauvres. A la lumière de ce livre, on comprend mieux le drame qu’aurait été la défaillance de SASSA (l’organisme qui délivre chaque mois leur aide sociale aux dizaines de millions de bénéficiaires).

Il aurait été intéressant de lire des études de cas similaires dans les townships des grandes métropoles, plus proches de bassins d’emplois potentiels, mais aussi plus mélangés et plus peuplés.  Il faudrait comparer les stratégies de subsistance des sud-africains pauvres qui ont droit à ces aides sociales minimales, et des immigrés plus ou moins légaux sans ce filet de sécurité. Quelle est la part de la solidarité familiale/communautaire? Des activités illégales? Cela permettrait peut être de comprendre dans quelle mesure les violences xénophobes régulières dans les townships peuvent être attribuées à la concurrence autour de ressources rares.

* “Eating from one pot The dynamics of survival in poor South African households” Sarah Mosoetsa Wits University Press 2011

 

 

 

L’univers impitoyable des zama zama…

Dans la galaxie des personnages que l’on peut rencontrer aux franges de Johannesbourg, au bout de la chaîne alimentaire de la grande métropole sud-africaine, il y a les zama zama…

Savez-vous ce que sont les zama zama? Ils font régulièrement parler d’eux dans les titres sensationnels des quotidiens locaux. Je ne m’étais jamais réellement intéressée à eux jusqu’à ce fait divers sordide dans le campement informel de Cloverdene à Benoni, à l’ouest de Johannesburg. Sept corps de morts par balles pourrissant au soleil avaient été retrouvés dans un terrain vague et identifiés comme des zama zama, des mineurs clandestins, faisant craindre la reprise d’une guerre entre différents groupes rivaux. Ces craintes ont été ravivées par les meurtres, quelques jours plus tard, de quatre femmes apparentées aux victimes alors qu’elles préparaient leurs funérailles. De 2015 à 2017 la police d’Ekhuruleni aurait dénombré plus de quarante meurtres liés à la guerre des zama zama sans avoir la moindre piste quant aux responsables des tueries. Le manque d’efficacité de la police sud-africaine confine, hélas, à la légende, et redresser les torts faits aux zama zama, comme aux habitants des townships en général, est le cadet de ses soucis.

Les zama zama (“essaye, essaye” en zoulou), dont on estime qu’ils sont autour de quinze mille, font partie des recalés de l’histoire, des invisibles victimes des abandons progressifs des anciens sites miniers. Ils sont, comme l’a formulé une journaliste, au fin-fond de la chaîne alimentaire de l’activité minière illégale. En grande majorité étrangers, venus des pays avoisinants: Mozambique, Zimbabwe, Malawi, Lesotho, Swaziland pour travailler, ils se sont trouvés coincés quand les mines ont fermé. Victimes du désinvestissement continu dans l’activité minière, ils révèlent une partie sombre de la vie du pays, une réalité clandestine dont on ne prend conscience périodiquement qu’avec les entrefilets dans les journaux.

On trouve des zama zama partout où il y a des mines désaffectées ou des gisements non exploités. Autour des gisements de chrome dans le Limpopo, dans des anciennes mines de charbon du Mpumalanga, et bien sûr tout autour des restes de ce fameux filon d’or découvert en 1886 sur le plateau du East Rand qui a suscité l’incroyable développement de Johannesburg. La géographie de la ville, lorsqu’on déploie un de ses plans, révèle une quantité impressionnante de poches de terrain non construit et clôturé. Ces “non-lieux” sont les anciens puits de mine rendus théoriquement inaccessibles lors de la fin de leur exploitation industrielle, mais auxquels les zama zama trouvent toujours un moyen d’accéder. Lorsque la presse ne fait pas état de la guerre des gangs autour de l’accès à ces puits désaffectés, elle rapporte des opérations de sauvetage dans les boyaux des mines, par les bénévoles du MRS (Mines Rescue Service)…

Devenir zama zama est un choix par défaut. Avec un taux de chômage officiel avoisinant les 40% en Afrique du Sud, il ne faut pas faire le/la difficile pour pouvoir gagner sa pitance quotidienne. Descendre dans les entrailles de la terre et essayer d’en arracher quelques éclats d’or paraît une alternative convenable. Il faut bien sûr du cran, pour circuler/ramper et travailler dans des conditions rudimentaires, dans ces boyaux mal entretenus, parfois inondés, où rendus difficiles par les éboulements, (plus de 16 000 kms de galeries sous la Witwatersrand Belt selon Greg Mills), avec les risques d’effondrement que cela comporte. Il faut aussi payer la “sécurité”/protection, des gangs qui se disputent férocement les accès aux galeries et prélèvent leur dîme sur les mineurs clandestins, soit en quantité de sable à tamiser, soit en espèces sonnantes et trébuchantes. Les zama zama meurent jeunes, ils ont deux fois plus de risques de mourir de leur activité que les mineurs légaux, pour des revenus bien en deçà de ceux de leurs homologues non clandestins.

La désindustrialisation et le désinvestissement dans le secteur minier depuis la chute de l’apartheid ont favorisé l’apparition des zama zama. L’Afrique du Sud représentait 40% de la production mondiale d’or à la fin des années 80, elle n’en était plus qu’à 5% en 2016, le nombre de mineurs ayant été quasiment divisé par deux. Cette chute n’est pas due aux réserves aurifères qui restent parmi les plus importantes au monde, mais aux difficultés croissantes d’extraction des réserves d’or, qui demandent des investissements importants, et une charte du secteur minier qui découragerait les investisseurs averses. D’où une fermeture des mines et à des licenciements massifs.

La seule ressource restant aux travailleurs licenciés et ne disposant pas d’autres sources de revenus, est de s’engager dans une activité économique informelle. Pour les ex-mineurs du Witwatersrand, l’extraction clandestine devenait l’issue la plus évidente, ce qui les laisse à la merci des gangs et des risques d’une activité dans les marges.

Régulièrement des zama zama marchent sur le département des Mines à Pretoria pour demander la légalisation de leur activité d’extraction, la création d’un statut de mineur indépendant, qui finalement reproduirait le schéma des premiers arrivés sur l’East Rand avec leurs pelles et leurs pioches.

Mais cette proposition se heurte à la charte de l’industrie minière, et impliquerait d’imaginer un statut de travailleur indépendant. Dans ce cas, comment réguler une activité dangereuse à la fois pour les mineurs et les riverains? Les remblais des précédentes exploitations et les dépôts d’eau teintée du mercure utilisé par l’industrie pour agréger l’or rendent durablement inhabitables et impropres à la culture des pans entiers des abords de Johannesburg.

Une autre raison du désintérêt des autorités sud-africaines pour ces travailleurs est qu’il s’agit en majorité de migrants des pays voisins. Il n’y a pas de bénéfice politique à tirer de mesures aidant les migrants. L’ANC ces dernières années n’a pas hésité à jouer un jeu trouble face aux explosions sporadiques de xénophobie dans les townships. Les états d’origines des zama zama, englués dans leur problèmes économiques et politiques sont tout aussi inefficaces à protéger le sort de leurs ressortissants à l’étranger…

L’histoire se répète à eGoli…

En conclusion musicale, une interprétation par le choeur de l’université du Cap de cette rengaine que chantaient les mineurs pour se donner du courage et qui fait maintenant partie du patrimoine culturel du pays: Shosholoza, du nom du train emmenant les migrants vers les mines…

* L’image utilisée en illustration de ce billet est une réinterprétation personnelle d’une peinture de Sam Nhlengetwa, artiste sud-africain que j’apprécie beaucoup pour la justesse de sa dépiction de l’univers des petits travailleurs de Johannesburg.

Mort pour une poignée de tournesols…

Depuis près d’un mois, une petit bourgade de la province du North West, nommée d’après un célèbre huguenot français, Coligny, connaît des manifestations quasi-quotidiennes et réactive les tensions raciales dans le village. Des magasins du village et des maisons appartenant à des blancs ont été saccagés et pillés, mais les habitants continuent à manifester. Ce qui a causé ces tensions? La mort le 20 avril, d’un adolescent noir de dix-sept ans, Matsomola Jonas Mosweu, qui avait été pris par deux fermiers blancs en train de voler des tournesols dans un de leur champ. Ce qui s’est passé après est peu clair, mais le jeune homme a été retrouvé mort, sur le bord d’une route, probablement après être tombé (ou s’être jeté?) de la benne du bakkie (le terme local désignant les pick-ups).

Les circonstances de la mort doivent être éclaircies par la justice, mais le premier juge (blanc), craignant pour la sécurité de la famille s’est récusé. Le second (noir), qui a demandé à la famille de la victime d’être présente à l’audience pour expliquer sa décision, a accordé aux deux accusés la liberté sous caution le 8 mai, arguant que les résultats de l’autopsie n’étaient pas connus, que le témoin n’avait pas formellement identifié les deux hommes, ni la victime. Ce jugement a satisfait les familles des deux hommes libérés, mais augmenté la fureur des habitants de la petite ville. Certains ont saccagé les magasins de la rue principale de la bourgade, d’autres ont brulé des pneus sur les routes menant aux fermes, d’autres ont mis le feu à plusieurs maisons appartenant à des blancs.

Les incidents ont vite fait remonter les tensions entre blancs et noirs de la ville rouvrant des plaies à peine refermées.

Pas sûr que les réactions des politiques locaux aident à résoudre quoi que ce soit. Certains responsables politiques (notamment de l’ANC), jouent les pompiers pyromanes, n’hésitent pas à proclamer que l’apartheid existe toujours à Coligny, ignorant superbement que leur parti est au pouvoir, que c’est lui qui a mis fin au système, et que s’il y a un échec de la réconciliation entre communautés, il faudrait au moins que le parti qui tient les rênes depuis vingt quatre ans en prenne sa part. L’EFF, qui a manifesté récemment à Coligny, reproche aux autorités et notamment aux forces de police et à la justice, d’accorder beaucoup plus de crédit et d’attention aux faits mis en avant par les blancs que lorsqu’ils sont approchés par des noirs pour le même type de plainte. Un reproche qui est exprimé assez fréquemment aux détenteurs de l’autorité publique. Le seul témoin de la scène de crime a dû se faire accompagner par une représentante EFF du North West pour que sa déposition soit prise en compte, aboutissant à l’arrestation des deux fermiers.

Quelle signification accorder à ces évènements? Les responsables politiques nationaux ont évité de se mêler de l’affaire qui suscite quelques commentaires dans les journaux et les sites d’information en ligne. L’affaire fait moins les gros titres que les énièmes pitreries des gens au pouvoir, la dernière en date étant la réinstallation dans son ancien poste de l’ancien directeur d’Eskom, Brian Molefe, dans un coup de théâtre dont seule l’Afrique du Sud a le secret.

On pourrait considérer que Coligny est juste une de ces petites bourgades enflammées par un fait divers et que tout cela va se calmer et rentrer dans l’ordre. Après tout, les protestations sont nombreuses en Afrique du Sud. Environ 2000 manifestations sont recensées par an, depuis 2014, en augmentation par rapport à la période précédente (1997-2013) où il y en avait en moyenne 900, et concernent surtout les townships ou des villages abandonnés dont les habitants veulent signaler le manque de “service delivery”. Ces manifestations témoignent de l’état d’abandon dans lequel se trouvent les campagnes ou les périphéries des villes sud-africaines, dont les habitants noirs se sentent laissés pour-compte, et questionnent leur participation à une démocratie qui ne semble fonctionner que pour les riches.

Coligny ressemble à nombre de petits villages ruraux du North West. Une rue principale avec des magasins, des maisons éparpillées le long de la route, qui se détache sur la terre rouge et sèche des bas-côtés, des fermes appartenant à des Afrikaners, souvent signalées par un portail et les noms des propriétaires, un township qui s’étend avec des “shacks” en tôle, et des cubes en parpaings entassés les uns près des autres. Les promesses de l’ANC de donner à tous une maison et l’accès à l’eau, l’électricité et à des toilettes, n’ont pas été remplies. Le raccordement à l’électricité est problématique, parfois les habitants ont accès à des systèmes d’électricité prépayée, mais ils n’ont pas les moyens et bidouillent. Certaines maisons n’ont pas d’eau, pour les habitants des shacks, il y a souvent des lignes de toilettes sèches, au bord des townships.

Avec un salaire journalier de 105 rands (7,5 €) pour un journalier agricole, pourvoyant souvent aux besoins de cinq personnes, pas de terrain permettant un petite agriculture de subsistance*, pas d’eau pour irriguer la terre sèche, les habitants ne mangent pas toujours à leur faim. Comme le souligne l’économiste de l’agriculture Tracy Ledger, si personne ne meurt de faim en Afrique du Sud, la capacité à se nourrir est plus dépendante de la proximité d’un supermarché que de celle des lieux de production  agricole. Très souvent, il est plus économique pour une famille pauvre de se nourrir de chips et de soda hyper sucrés que de “mealie meal” (sorte de polenta qui constitue l’aliment de base des sud-africaines), de poulets et de légumes. Le prix du “mealie meal” aurait augmenté de plus de 30% l’an dernier alors que l’inflation générale était autour de 7%.

Le champ de tournesols se trouve de l’autre côté du township. La barrière entourant le champ a été volée. Les habitants du township ont pris l’habitude de couper à travers champ pour circuler. Notamment les jeunes qui vont au lycée dans la ville voisine en effectuant vingt kilomètres à pied lorsque les bus ne fonctionnent pas ou qu’ils n’ont pas les moyens de payer le transport. Les chapardages d’épis de maïs et de fleurs de tournesol sont nombreux ce qui excède les fermiers qui n’hésitent pas à attraper les voleurs pris en flagrant délit et à les amener au poste de police.

Le 20 avril, c’était les vacances scolaires, les parents de Matsomola Jonas Mosweu le croyaient chez des amis dans une ferme où il avait l’habitude d’aller. Il a trouvé la mort dans un champ de tournesols…

*Malgré les promesses de redistribution des terres, les terrains agricoles sont encore massivement aux mains des fermiers blancs (Il faut dire que le Land Act de 1913 accordait 93% des terres aux fermiers blancs et que sans expropriation, mais en faisant seulement appel à la rétrocession négociée, cela n’avance pas vite).

 

 

 

Et Dlamini coula SASSA…

J’avais conclu mes précédents billets sur la vie politique sud-africaine sur l’espoir que représentent, contre une certaine classe politique corrompue, les associations de la société civile et la justice sud-africaine. Cette constatation est renforcée à la vue de la dernière en date, celle concernant le système de sécurité sociale sud-africaine la SASSA.

Une nouvelle fois un membre du gouvernement sud-africain a fait preuve de son plus total mépris pour les plus pauvres de ses concitoyens et pour les injonctions de la cour constitutionnelle. Ce mois-ci, l’affaire qui a agité les médias sud-africains avait pour étiquette l’acronyme SASSA (South African Social Security Agency), et le contrat passé avec la société CPS (Cash Paymaster Services) pour la distribution des allocations (“social grants”) à un nombre de bénéficiaires estimé entre 14 et 17 millions de personnes selon les sources.

De quoi s’agit-il? En 2014, une décision de la cour constitutionnelle d’Afrique du Sud rend un jugement qui estime illégale l’attribution à CPS de la sous-traitance du paiement des “grants” à leurs bénéficiaires. Les sommes accordées ne sont pas mirobolantes (quelques centaines de rands mensuels) mais représentent souvent la seule rentrée d’argent pour des familles pauvres qui n’ont pas d’autres sources de revenus. Le jugement de la Cour Constitutionnelle en 2014 demandait au ministère du développement social, ministre de tutelle de SASSA, de trouver une autre solution que CPS pour la distribution des allocations, constatant des irrégularités dans le processus d’attribution du marché et dans l’exécution des missions du prestataire. Etaient soulignées notamment quelques pratiques abusives du prestataire qui effectuait des prélèvements sur les sommes versées par SASSA au titre de créances qu’il avait consenties, à des taux élevés, aux allocataires. Compte-tenu de l’importance du problème, et ne souhaitant pas pénaliser les bénéficiaires des “grants”, la décision de justice donnait jusqu’au 31 mars 2017 (soit trois ans) au ministère pour s’exécuter. Un premier appel d’offre de services pour remplacer CPS n’ayant rien donné en 2015, le ministère se trouvait alors dans l’obligation de trouver des ressources/une structure pour le faire au sein de l’administration. Interrogée au Parlement fin 2015 à ce sujet, la ministre répondait que SASSA prendrait en main les paiements.

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Fin février 2017, les associations de défense des droits ont commencé à demander à la ministre Bathabile Dlamini, quelle solution alternative elle avait trouvé au contrat avec CPS. Les réponses plus qu’évasives de la ministre laissaient entendre qu’aucun plan n’avait été envisagé, ou que la solution interne évoquée avait peu de chance d’être opérationnelle. Sauf à prolonger le contrat du fournisseur en place,  contrairement à la décision de la cour constitutionnelle, il y avait peu de chances que les les bénéficiaires des “social grants” perçoivent leur mensualité au premier avril. Vendredi 17 mars, la cour constitutionnelle a de nouveau statué sur le cas SASSA/CPS et le jugement énoncé est particulièrement sévère avec la ministre dont il a souligné l’incompétence crasse tout au long du processus. Cependant, dans l’intérêt des bénéficiaires des aides sociales, la cour ne voit pas d’autre moyen que de prolonger pour un an maximum le contrat de CPS, mais demande à ce que des comptes lui soient rendus régulièrement sur la progression de la procédure de substitution. Elle demande à ce que la ministre donne des explications sur la débâcle ou soit contrainte à payer elle même les frais de justice encourus.

Des articles de presse ayant interrogé des titulaires de l’administration mettent en évidence l’incurie qui régnait au ministère et l’impossibilité dans laquelle la ministre était d’affirmer à quelque moment que ce soit de la procédure qu’il n’y avait pas de crise de SASSA et que l’agence serait en mesure d’assurer son rôle au premier avril 2017.

Mois après mois le gouvernement du dernier mandat de Zuma, qui voudrait voir les pouvoirs du président renforcé, montre l’inexorable dérive de l’ANC, parti qui a suscité tant d’espoirs mais qui se trouve aujourd’hui à bout de souffle et incapable d’insuffler une nouvelle dynamique à une société où la population noire commence à se demander si elle n’ont pas été le dindon d’une farce qu’elle trouve de plus en plus indigeste.

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Crossroads…

On the road… on n’est jamais déçu… road trip à Johannesburg!

Les amateurs de road-movies le savent bien, on n’en apprend jamais autant sur une société et ses obsessions qu’à ses carrefours.

Dans une agglomération qui compte, selon les estimations, entre huit et dix millions d’habitants et ne propose pas de transports publics dignes de ce nom, le réseau routier est d’une importance capitale à la vie urbaine. Malgré les plaintes assez fréquentes de ses habitants, les routes de Johannesbourg sont plutôt bien entretenues, et la circulation n’y connaît pas ces embouteillages incessants de certaines autres grandes métropoles africaines comme Nairobi ou Lagos. la conduite à Jo’burg est un sujet de prédilection dans les communications entre les anciens et les nouveaux. Il faut évidemment commencer par s’habituer à conduire du mauvais côté de la route, à naviguer entre les rues fermées par leurs habitants et surveillées par des compagnies de sécurité, ce qui complique le travail des GPS, apprendre à se méfier des “taxis” ces minibus Toyota qui sillonnent la ville pour transporter les plus pauvres, et qui sont prêts à tout pour poursuivre leur course au profit, doubler les voitures dans toutes les configurations possibles, avec une préférence marquée pour la queue de poisson, brûler les feux (ici appelés “robots”), et malmener de l’avertisseur ou de la voie tout ce qui s’oppose à leur passage. Il faut également apprendre à partager les routes avec toutes sortes de véhicules pas toujours homologués, des carrioles vintage aux charrettes à bras dont les timoniers préfèrent en général emprunter les routes à contresens.

L’étendue de la ville et l’importance de la circulation automobile rendent indispensables ces instruments de régulation du trafic que sont les feux (je ne sais si quelqu’un a compté le nombre de feux à Joburg, mais c’est un travail de romain!). On n’apprécie jamais autant l’apport de ces accessoires que quand ils tombent en panne à une heure où la circulation se densifie. La défection de certains feux sur le William Nicol Drive en fin d’après-midi, c’est le mal de tête assuré! Certains recommandent de ne jamais s’arrêter aux feux la nuit tombée, pour des raisons de sécurité (sic), le feu rouge pouvant permettre à des brigands de s’emparer de votre voiture en vous menaçant d’une arme (ça arrive). Le jeu est alors de s’assurer que la voie est libre avant de traverser le carrefour en toute illégalité. Si les radars de contrôle de vitesse sont assez courants, les caméras pour prendre en flagrant délit les conducteurs ne respectant pas les feux n’ont pas encore été mis en service.

Pour la sociologue que je suis, lorsque mon attention de conductrice n’est pas sollicitée par la tâche complexe de déterminer quand je puis sans risque engager ma voiture dans le carrefour parce qu’ils ont encore arrêté ce satané feu (souvent par interruption de l’alimentation électrique, il y a des travaux partout, cette ville est un chantier permanent), les carrefours sont des lieux particulièrement révélateurs de ce qu’est la société sud-africaine. Les carrefours des quartiers nord de Johannesburg, présentant un paysage moins urbain que CBD (central business district), bénéficient souvent de terre-pleins et de beaux trottoirs, donc de surface d’exposition supplémentaire. L’humoriste Trevor Noah qui a grandi à Soweto explique dans l’un de ses sketches où il compare les villes nord-américaines à celles de son pays natal qu’il avait été frappé par le fait qu’il n’y avait (aux USA) jamais personne aux carrefours.

A Johannesburg, pour peu qu’on circule sur une des grandes artères qui traversent la ville, les carrefours sont immanquablement accaparés, en tout cas dans la journée. Il y a bien sûr les mendiants de tous âges qui vous tendent la main puis la portent à leur bouche pour vous montrer qu’ils ont faim. Quelques femmes avec leur petit calé dans le dos, ou parfois avec des plus grands qui attendent patiemment, les fesses calées dans le terre-plein poussiéreux. Je me demande toujours comment ils font pour ne pas attraper de coup de soleil en plein cagnard, ou ne pas finir sous les roues des voitures. Il y a les aveugles, ou les paralytiques accompagnés par un parent compatissant. Parfois ces mendiants essaient de faire preuve d’originalité. La semaine dernière au lieu du sempiternel “homeless, 2 children, looking for a job, please help, God Bless You”, ou de la version service public “I keep this area clean and crime free, please help”, un mendiant a essayé un “my wife was kidnapped by CIA, please help”. Il était trop loin pour que je lui demande si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle…

Il y a ceux qui tentent de monnayer quelques marchandises (des chargeurs de téléphones portables made in China qui tomberont en capilotade après la première utilisation, le fixe-vignette d’immatriculation sur le pare-brise, des chapelets de perles en bois avec au choix une croix chrétienne ou la forme de l’Afrique). Il y a les artisans qui vendent des sculptures d’animaux (girafes, lions, hippopotames ou rhinocéros) ou de fleurs en perles qui mettent un peu de couleur et de fantaisie au bord des routes. Les vendeurs de balais en fibre du Kwazulu Natal et les méga-plumeaux en plumes d’autruche (authentiques!) pour déloger les araignées des plafonds. Les vendeurs de journaux et autres distributeurs de prospectus.

Au début de mon séjour j’ai aussi été intriguée par ces gens au milieu des carrefours affublés de sacs poubelles noués à leur cou. Ils attendent simplement de vous débarrasser des cochonneries que vous accumulez dans vos véhicules, moyennant un dédommagement sous forme de piécettes. Certains peu scrupuleux empochent les piécettes et oublient en partant vos papiers gras et gobelets sur le terre-plein. Le week-end quelques clowns ou acrobates remplacent les laveurs de pare-brises essaient d’améliorer leur ordinaire en offrant quelque pitrerie. Les plus remarquables sont les équipes de jeunes gesticulant sur des casiers à bouteille dans un exercice qui se situe mêle les claquettes, le hip hop et le jonglage.

Parfois ce ne sont pas les gens que l’on remarque aux carrefours, mais les affichages sauvages… sorte de rappel des obsessions populaires et des maux de la société. Publicités pour des services divers. Petites pancartes en carton accrochées aux arbres ou feuilles collées à la hâte. Les numéros de téléphone de chercheurs d’emplois, sur des petits cartons griffonnés à la hâte, les pubs pour les élagueurs (on est dans une “man made forest”, je ne vous l’ai pas dit?) ou de jardiniers. Dans un pays où le chômage est endémique, les moyens même les plus désespérés sont à tenter. Les pubs pour le “Penis Enlargment”, les “quick abortions”, les prothèses de fesses. Raccourci des stéréotypes. Ici les femmes noires les plus désirables sont du genre dodues, le terme pour désigner une femme belle en isiZulu signifie également “rembourrée”, et la reine n’est pas appelée roi-femelle, mais éléphante… et dans un pays où l’éducation sexuelle est indigente, où les lieux publics et les entreprises sont obligées de mettre des préservatifs gratuits dans les toilettes, et au taux de grossesses adolescentes imposant, les faiseuses d’anges ont un avenir…