Power to the people dit le slogan fort opportunément trouvé par le DA (Democratic Alliance), principal parti de l’opposition sud-africaine pour signifier son ras-le-bol des coupures d’électricité qui minent le pays depuis trop longtemps. Mercredi 25 janvier 2023 marque une journée d’action dans tout le pays qui devrait voir s’agréger un certain nombre de forces d’opposition. Les déboires de la compagnie nationale d’électricité ne font qu’empirer.
En décembre 2022, après ce qui avait constitué une première en septembre, au sortir de l’hiver, Eskom, aussi surnommée Eishkom annonçait de nouveau le passage dans la phase 6 de délestage. Après la stupeur : mais que diable signifie la phase 6 de délestage (WTF ?), vinrent la colère et l’incompréhension. Malgré les efforts consentis ces dernières années, la résignation au service réduit suite au Covid, le pays ne sort pas de l’ornière. Les sud-africains n’en peuvent plus. Stage 6, signifie six coupures de deux heures réparties sur 24 heures. Les usagers sont priés de se passer d’électricité la moitié de la journée : une situation rarissime sauf dans les pays en guerre, comme l’Ukraine, ou sans pilote depuis longtemps. Avouez que pour le pays auto-proclamé première puissance économique de l’Afrique, cela fait désordre!
Les industriels et les commerçants sont aux abois. Après deux années de Covid, et de confinement strict, le lot de deuils, et la débâcle économique qui a suivi, ceux qui n’ont pas déjà fait faillite sont au bord du gouffre. Comment continuer à produire, vendre, travailler, sans électricité ? Pour les commerçants vendant des produits frais, comment sécuriser leur stock ? Les délestages à répétition usent les meilleures volontés. Cerise sur le gâteau, la nouvelle direction d’Eskom a annoncé vouloir augmenter de 18% le prix du kwh pour financer les investissements nécessaires à la remise en état des centrales et du réseau. D’où la mobilisation du 25 janvier pour exprimer leur ras-le-bol.
Le président Ramaphosa a renoncé la semaine dernière à faire le déplacement prévu à Davos, où il devait, tant bien que mal, jouer la partition de l’Afrique du Sud, moteur du développement économique du continent africain. Pour essayer d’éteindre l’incendie, il a nommé une énième commission. Mais sa crédibilité est entachée par les trois décennies au pouvoir pour son parti, l’ANC dont les promesses ont été systématiquement oubliées, et où seule une minorité a su tirer son épingle du jeu en faisant preuve d’une inventivité qui pourrait inspirer les meilleurs kleptocrates. Les gouvernances de l’état, des provinces et des entreprises d’état sont des contre-exemples à tous point de vue. Il y a quatre ans j’écrivais que le système judiciaire sud-africain était un rempart contre la gabegie, je ne suis pas sûre que je le réécrirais aujourd’hui.
Ramaphosa a été reconduit parce qu’il était le moins mauvais candidat, mais avec des soupçons de corruption. La découverte fortuite de billets de banque planqués dans un canapé volé dans une de ses résidences a beaucoup terni son image. Ramaphosa, on s’en souvient est devenu riche grâce à son implication, en tant que jeune avocat, dans les négociations qui ont abouti à la chute de l’apartheid. Considéré, par les milieux d’affaires, comme la dernière cartouche de l’ANC, son bilan est plus que mitigé.
Quels sont les effets de ces délestages sur les citoyens sud-africains ? Le principal, c’est l’aggravation des inégalités. Lorsque les services publics s’effondrent, c’est une constante, les mieux dotés s’adaptent en ayant recours à des solutions privées. En Afrique du Sud ça a été le cas pour la santé, l’éducation, la sécurité et désormais l’énergie. Lorsque j’habitais Johannesbourg, avec la section locale d’IESF nous avions visité l’usine flambant neuve d’un brasseur de bière international. Lassé par les problèmes de fourniture d’eau et d’énergie, l’industriel avait investi dans une usine totalement autonome, déconnectée du système électrique, et recyclant son eau. A défaut d’autre chose, il n’y aura pas de pénurie de bière!
Aujourd’hui les sud-africains les plus aisés ont acheté des groupes électrogènes, fournissant le minimum vital pendant les interruptions. Une solution pratique mais bruyante, et coûteuse, et et polluante. Depuis le mois de septembre et l’apparition des délestages de phase 6, certains ont obtenu le droit (payant) de se déconnecter du réseau national pour fonctionner en autarcie avec panneaux photovoltaïques et batteries. C’est plus cher, mais ils ne dépendent plus d’un fournisseur de moins en moins fiable. Dans les beaux quartiers, on n’entend plus, en bruit de fond, le criaillement des ibis hadedas, ou le cancanement prostestataire des touracos gris, mais le ronronnement des groupes électrogènes. Et les effleuves écoeurantes du diesel flottent sous l’ombre bienfaisante des jacarandas.
Ironie de l’histoire, l’ANC a fini par appeler ses supporters à se joindre aux manifestations prévues le 25 janvier contre la mauvaise gestion d’Eskom dont elle a nommé les responsables depuis presque trente ans…
PS; Lorsqu’il y a quelques semaines l’opinion publique française était électrisée (jeu de mots assumé) par le risque de délestage en cas d’hiver particulièrement rude, je me suis souvenue que l’interruption intempestive des services publics les plus basiques faisait partie de mes (re)découvertes de la vie en Afrique. Si la perspective n’est pas des plus réjouissantes, je sais par expérience qu’on arrive à gérer deux heures d’interruption de l’électricité. La mise en garde gouvernementale, mal vécue par une partie de l’opinion a en tout cas eu le mérite de nous faire réaliser la dépendance que nous avions à une électricité toujours disponible, et à des prix raisonnables. Nous vivons avec la certitude implicite que nous ne manquerons jamais d’électricité, et la possibilité de coupures organisées pour maintenir le service nous parait insupportable. Envisager le sevrage, même pour deux heures sur vingt-quatre nous a fait frémir.N’est-il pas temps de réviser notre modèle?
“Our farm is designated as one of those that, under the new government, may be taken away (for nothing) or bought (at whatever nominal price) by the government for the purpose of ‘land redistribution’. (…) Our farm is gone, whether we like it or not. Dad shrugs. he lights a cigarette. he says, ‘well, we had a good run of it, hey?” Alexandra Fuller Don’t let’s go to the dogs tonight
Une mesure demandée par l’EFF de Julius Malema et qui a été soutenue par l’ANC, à laquelle Malema a extorqué son accord, l’échangeant contre la promesse de faire chuter Athol Trollip, maire de Nelson Mandela Bay depuis Août 2016, et qui présente le désavantage d’être DA (Democratic Alliance) et blanc.
Le vote de l’amendement sur l’expropriation sans compensation a par ailleurs fait remonter les inquiétudes dans une population de fermiers qui disent vivre en état de siège, dans la crainte d’être assassinés, et dont AfriForum, le think-tank Afrikaner se fait régulièrement l’écho dans la presse. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une attaque violente sur une ferme ne soit perpétrée. Il y eu en 2016/2017 638 attaques sur des fermes et 74 personnes tuées sur la même période. Les détails sordides des attaques révèlent une barbarie et une sauvagerie particulière. D’où l’accusation portée de “génocide” à l’oeuvre contre les fermiers blancs par AfriForum et abondamment relayée. En France les médias ont rapporté les attaques, et certains ont même évoqué une “omerta” sur les meurtres de fermiers blancs.
Bref, vue de loin, l’Afrique du Sud peut être perçue comme un pays à feu et à sang et à deux doigts d’une plongée dans un gouffre similaire à celui qu’à vécu son voisin d’outre Limpopo. Qu’en est-il réellement? Les fermiers blancs, réellement menacés, y sont ils, plus que d’autres populations, en danger? J’ai voulu rassembler dans ce billet quelques éléments pour relativiser les images déformées complaisamment colportées dans certains médias (notamment un reportage présenté par Bernard de La Villardière intitulé: “L’Afrique du Sud au bord du chaos”).
Tout d’abord, quelques faits. Ce qui frappe, lorsqu’on parcourt ce pays, c’est son immensité. Sur un territoire qui est deux fois et demi celui de la France métropolitaine, il accueille environ 50 millions d’habitants dont une bonne partie vit aux abords des grandes agglomérations du pays. Le reste du territoire est très peu peuplé. Les fermes étant généralement dans des parties quasi-désertes du territoire. Du fait de leur isolement, elles sont de fait très vulnérables aux attaques et les fermiers ont depuis longtemps été habitués à constituer des milices et des groupes d’entraide en cas de problème. On peut trouver des exemples de cette vulnérabilité dans le roman de JM Coetzee “Disgrace” et dans le récit qu’Alexandra Fuller de son enfance dans des fermes au Zimbabwe et en Zambie: “Don’t let’s go to the dogs tonight”. Les difficultés d’exploitation de fermes peu rentables, et les troubles politiques des années 1970 et 80 contraindront la famille Fuller à changer régulièrement d’endroit pour des fermes de plus en plus isolées et vulnérables.
L’agriculture commerciale de l’Afrique du Sud est très développée. Elle permet l’autosuffisance alimentaire et des exportations vers les pays voisins. Les caractéristiques géographiques et climatiques offrent toute une variété de récoltes, des produits de base comme des produits plus exotiques. On peut trouver, produits sur le territoire national, des champs de maïs, des vignes, des oliveraies, des vergers de pommiers (vers le Cap) et des producteurs de mangues et d’agrumes (vers le Mpumalunga). On comprend sans mal que certains huguenots et autres membres des églises réformées européennes au XVIIème siècle (Dieu le leur pardonne) aient pu y voir une vraie terre promise.
Les Boers, devenus Afrikaners, se sont enorgueillis d’avoir su faire fructifier ces terres. Ils omettent tout de même d’évoquer que leur prospérité agricole a bénéficié de l’exploitation d’une main d’oeuvre d’esclaves avant la mainmise des anglais sur le territoire, et d’une force de travail sous-payée après… Ils ont également profité du Land Act de 1913 qui réservait 93% de la terre aux blancs minoritaires sur le territoire et seulement 7% aux noirs, La “relative” bonne santé des fermes sud-africaines est donc assise sur cette double injustice historique que vingt quatre ans de transition démocratique n’ont pas su effacer. Les gouvernements qui se sont succédés depuis 1994 ont essayé de rétablir l’injustice sur la répartition de la terre en essayant de racheter à des fermiers volontaires leur terres pour les céder à des fermier noirs. Malheureusement, la redistribution a été assez limitée.
Comme je l’ai écrit à plusieurs reprises dans ce blog, l’ANC, au pouvoir depuis la transition démocratique, a failli. Elle n’a pas su (ou pas pu, mais cela revient au même) mettre en place des services publics qui compensent les inégalités historiques. Les “service delivery protests” qui émaillent la vie locale des provinces montrent à quel point les localités isolées manquent de services de base. Le raccordement de tous à l’eau et à l’électricité, les promesses de logements décents, d’écoles publiques de qualité pour tous et de services de santé et de sécurité (police) au services de tous, sont très souvent restées à l’état de promesses non réalisées. Dans ces conditions, il n’est pas incompréhensible que les violences s’accroissent et la presse locale regorge tous les jours d’incidents dans les zones rurales. Des violences qui s’exercent à l’intérieur mais aussi à l’extérieur des communautés. Dans cette lutte de ceux qui n’ont rien contre ceux qui possèdent, le fermier (blanc ou noir) est malheureusement une cible facile en zone rurale.
On ne peut nier que les fermiers soient menacés. On peut comprendre que la barbarie de certaines attaques entretienne un sentiment de vulnérabilité qui puisse devenir paranoïaque. Cependant, pour établir la qualification de “génocide” il reste à prouver que les fermiers blancs soient plus menacés que d’autres segments de la population, et que c’est leur couleur de peau qui motive des attaques qui les cibleraient spécifiquement. Aucune statistique ne peut permettre d’établir qu’il y a effectivement plus de risque pour les fermiers blancs, car la race ne fait pas partie des éléments collectés par la police lorsqu’une attaque de ferme est rapportée. Par ailleurs, les 80 meurtres de fermiers sont à rapporter aux quelques 19 000 meurtres enregistrés par en dans le pays.
La violence insupportable à l’encontre des fermiers est à l’image de celle qui frappe le reste du pays, dont seuls sont exempts (la plupart du temps) ceux qui peuvent se protéger dans des résidences hyper sécurisées, derrière des hauts murs surmontés de barrières électrifiées, avec plusieurs systèmes d’alarmes reliés à des sociétés privées de sécurité disposant de forces d’interventions rapides 24 heures sur 24. L’état de déshérence des forces de police, ne répondant pas au besoin de sécurité et de justice les plus basiques des populations laisse place à une culture de l’autodéfense et de méfiance vis à vis de l’autre qui s’exprime malheureusement dans des actes de violence et de barbarie. Parce qu’ils n’ont aucune confiance dans la police, les habitants finissent par vouloir rendre eux mêmes un semblant de justice aveugle et expéditive.
Dans ce pays où les inégalités n’ont cessé de se creuser depuis la fin de l’Apartheid, les mots que Coetzee fait dire par David Lurie, le personnage principal de “Disgrace”, à sa fille Lucie qui a été violée par trois hommes dans sa ferme, gardent une poignante actualité…
“(it is a ) risk to own anything: a car, a pair of shoes, a packet of cigarettes. Not enough to go around, not enough cars, shoes, cigarettes. Too many people, too few things. What there is must go into circulation, so that everyone can have a chance to be happy for a day. That is the theory; hold to the theory and to the comforts of theory. Not human evil, just a vast circulatory system, to whose workings pity and terror are irrelevant. That is how one must see life in this country: in its schematic aspect. Otherwise one could go mad.” JM Coetzee Disgrace
Le président Ramaphosa essaie de déminer le terrain depuis l’annonce de l’amendement sur l’expropriation sans compensation. L’avenir nous dira comment il compte mettre en oeuvre cette épineuse question. Reste à savoir si c’est la meilleure façon de combler les inégalités. Quant à la violence endémique dans la société sud-africaine, elle ne pourra se résorber sans une importante remise à niveau des services publics. Une vraie évolution des services de police est nécessaire. Comment faire en sorte que ceux-ci soient perçus comme au service de l’ordre et de la loi à la fois par les fermiers et les populations les plus pauvres? C’est à cette seule condition que pourront s’apaiser les tensions.
La grande actualité du mois de janvier en Afrique du Sud est un sujet récurrent: l’éducation. Oui, celle-là même dont Nelson Mandela a proclamé qu’elle était l’outil le plus puissant pour changer le monde!
2) des inscriptions à l’université des heureux lauréats (enfin, ceux qui ont la chance d’arriver à naviguer les méandres interneto-administratifs),
3) de la rentrée scolaire pour les premiers et second degrés, effectuée cette année aujourd’hui, le 17 janvier, non sans mal dans certains endroits.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout cela ne se passe pas dans la franche bonne humeur…
Il se trouve que cette année, j’ai vécu cette période avec une certaine intensité parce que mes deux “mentees” d’Alexandra, Lumka et Nkateko, passaient leur examen et jouaient leur place en université. Le contrat que nous avions passé il y a deux ans, lorsque je les ai rencontrées, c’est de travailler ensemble pour qu’elles soient, comme elles le souhaitaient, les premières de leurs familles à intégrer l’université.
Le Matric, marronnier de début d’année, reflet des clivages sud-africains…
La presse sud-africaine est atone en début d’année, concomitance des grandes vacances et des fêtes de fin d’année, il ne s’y passe pas grand chose. Alors la proclamation des résultats de l’examen de fin de l’enseignement secondaire, le 3 janvier pour les établissements privés, et le 5 janvier pour les établissements publics ont eu les honneurs de tous les médias. Les responsables des écoles privées les plus prestigieuses ont ouvert la marche en communiquant sur leurs excellents résultats: 98,7% de réussite sur les 112 130 élèves ayant présenté l’examen) dont 88% obtiennent le certificat avec au moins un Bachelor Pass, c’est à dire le niveau minimum pour étudier à l’université. Comme tous les ans, les établissements ont fait la part belle à leurs lauréat.e.s les plus talentueux/talentueuses (ayant eu au moins 7 distinctions, c’est à dire plus de 80% de réussite dans toutes les matières.
Congratulations to Kathleen Freeman, Alexandra Keogh, and Jamie-Lee McDonic on being placed on the IEB’s list for Commendable Achievement (i.e. top 5% of learners in 5 subjects and 80% or more for Life Orientation). https://t.co/0IjyX0ygCD#MatricResults2017pic.twitter.com/5RdNl5VerX
Chaque collège a ainsi publié dans les journaux locaux une pleine page de félicitations avec les photos en uniforme des plus valeureux lauréats et lauréates tous sourires, en profitant pour promouvoir l’excellence de leur enseignement…
Côté public, la ministre de l’Education au niveau national et les responsables de l’éducation de toutes les provinces se sont relayés pour se féliciter des excellents résultats des établissements publics, ils ont reçu les élèves les plus brillants pour des cérémonies. Les officiels ont communiqué sur un taux de réussite en nette progression: 75,1% pour les 802 423 élèves ayant présenté l’examen en 2017 contre 72,5% en 2016.
La proclamation des résultats a, on se l’imagine, suscité commentaires et polémiques, dont deux me paraissent assez révélatrices des tensions irrésolues de la société sud-africaine. Le ministre provincial de l’éducation du Gauteng, Panyaza Lesufi, a en effet remis en question le système des deux examens séparés pour les 800 000 élèves du public et les 110 000 élèves du privé. Pourquoi y aurait il deux types d’examens? Cette différence n’alimente elle pas la perception d’une éducation de qualité profitant essentiellement aux enfants des plus riches? La polémique a été vite enterrée, d’autant que les enfants des élites gouvernementales profitent allègrement de l’avantage que leur confère une éducation dans le système privé qui leur assurera sans problème une place à l’université, les lycéens du privé raflant plus de “distinctions” (plus de 80% de réussite dans une matière) que leurs homologues du public, l’acceptation à l’université se faisant sur les notes à l’examen favorise donc ceux-ci (avec un avantage aux élèves des catégories défavorisées sous le régime de l’apartheid, soit les noirs, les colored et les indiens). L’éducation privée tend à mieux préparer les élèves aux examens et à l’université, seuls 2% des étudiants issus du privé décrochent contre presque 50 % des étudiants provenant d’établissements publics.
Côté public, les éditorialistes n’ont pas été tendres avec le système éducatif public dénonçant, derrière les proclamations victorieuses, une certaine hypocrisie… Certes, les résultats sont en hausse, mais si l’on tient compte du nombre de jeunes entrés dans l’enseignement secondaire six ans auparavant, l’éducation publique n’en mène qu’environ la moitié à l’examen de fin d’études secondaires, en laissant une bonne partie sur le bord de la route… Les résultats des dernières études internationales comparatives PISA et PIRLS montrent des résultats en lecture catastrophique des élèves sud-africains. Le taux de réussite au matric serait donc l’arbre qui cache la forêt. Dur constat pour la patrie de Mandela…
Le chemin de croix de l’inscription à l’université…
Une fois le matric en poche avec le fameux “bachelor pass”, on pourrait croire que les ennuis des lycéens sont terminés. Les lycéens, lorsqu’ils ont postulé pour des études universitaires en avril-mai dernier ont fait des voeux pour une admission en université. Ils ont reçu deux types de réponses: admis sans condition si leurs notes en Grade 11 (avant dernière année de lycée) étaient suffisants ou admis à la condition d’obtenir des notes minimales dans certaines matières (admission conditionnelle). Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. Plusieurs types d’obstacles se dressent sur le chemin des futurs étudiants et tous sont inégalement armés pour y faire face.
Avoir un Bachelor Pass est nécessaire, mais pas suffisant compte-tenu du nombre de postulants. Par ailleurs les déclarations de Jacob Zuma à la veille de la convention de l’ANC mi-décembre promettant l’université gratuite pour les plus pauvres ont gonflé les effectifs des postulants. Les universités sud-africaines reçoivent dix fois plus de candidatures que de places. Les notes de matric connues, il n’est pas rare qu’elles aient beaucoup trop d’admis sous condition pour un même programme… Commence une véritable valse des futurs étudiants entre les différentes universités pour trouver une place. Le diplôme universitaire étant perçu comme le passeport pour une nouvelle vie, l’espoir pour certains, comme mes mentees d’Alexandra, de sortir de la pauvreté.
Théoriquement toutes les inscriptions ou l’expression de nouveaux choix si l’on n’a pas eu le programme que le souhaitait doivent se faire sur Internet, sur le portail des universités. Un certain nombre d’universités a prévenu, dès le jour des résultats qu’elle n’accepterait pas les élèves en “walk-in”, c’est à dire venant physiquement s’inscrire sur place. La voie Internet est supposée pouvoir répondre à toutes les éventualités, toutes les demandes. Mais les sites sont submergés, ralentis par le nombre de connections simultanées, et ont parfois du mal à enregistrer les changements/choix des futurs étudiants.
Certains étudiants ont quand même tenté d’aller sur place. Dans certaines universités cela a été la cohue, des lycéens ont été blessés. Unisa a dû mettre en place un service de sécurité spécial pour éviter la panique. Pourquoi les postulants s’acharnent ils à aller sur place? Rationnellement on pourrait se dire que le recours à Internet est tellement plus simple. Mais voilà, pour un jeune d’Alexandra, qui n’a pas d’ordinateur portable, pas de connection Internet à la maison, passer du temps sur les sites d’universités à la recherche du plan B est pénible par le manque d’ergonomie des sites, et coûteux. La data est horriblement chère en Afrique du Sud. Les sites ne sont pas à jour et ne prévoient pas toutes les possibilités. Les obstacles administratifs à l’inscription sont kafkaïens pour tous ceux qui ne sont pas familiers avec le système… Les lycées des townships n’organisent pas de session avec tous les élèves ayant passé leur matric pour les aider à s’inscrire à l’université, d’ailleurs, ils n’ont pas forcément d’Internet…
Le cas échéant, une fois admis dans un programme, il faut acquitter le montant de l’inscription, 3000 rands. Les étudiants bénéficiant de l’aide de NFSAS (un système d’emprunt d’Etat) sont censés ne pas avoir à les débourser, mais les listes des bénéficiaires ne sont pas encore parues, obligeant les parents à faire des contorsions budgétaires pour assurer une place à leurs enfants. Parfois les parents ne comprennent pas: “mais Zuma a dit que l’université serait gratuite pour les plus pauvres?”. Que feront les refoulés? Sans doute pas les titres des journaux et des médias qui seront passés à autre chose.
#backtoschool2018 : Hoërskool Overvaal, un cas d’école pour la démocratie sud-africaine
Aujourd’hui c’était la rentrée pour les écoles primaires et les lycées de l’enseignement public. Une rentrée normale sauf pour quelques élèves qui n’ont pas pu être inscrits dans une école leur convenant. Les prix prohibitifs de l’enseignement privé fait que pour la majorité des familles l’enseignement public est la seule solution. Le système scolaire public fait face à une forte demande, et ne peut pas toujours accéder aux souhaits des parents. La situation la plus problématique dans le Gauteng est celle qui mené à des protestations et des affrontements devant l’école d’Hoërskool Overvaal de Vereneering, un bastion de culture Afrikaner ce matin.
Manquant de place pour des élèves, le département Education du Gauteng avait décidé de forcer l’inscription de 55 élèves dans cette école publique proche de leur domicile dont la langue d’enseignement est l’Afrikaans. Parmi ces élèves, aucun ne parlait l’Afrikaans et le département éducation du Gauteng a demandé à l’école d’adapter sa langue d’enseignement en créant une classe proposant des cours en anglais. La direction de l’école a refusé, objectant qu’elle manquait de moyens pour ce faire. L’affaire s’est (provisoirement) finie devant la Haute Cour du Gauteng qui a donné raison à l’école contre l’ autorité provinciale.
Hoërskool Overvaal est ce qu’on appelle une “model C school”. Les “model C schools” sont, au sein de l’enseignement public, les anciennes écoles destinées aux élèves blancs, des écoles qui historiquement ont été mieux dotées en infrastructures et en enseignants. Cet avantage historique, et le fait qu’elles sont plutôt dans des “bons quartiers”, font qu’au sein du système public, ces écoles sont réputées être celles qui fonctionnent le mieux et qui donnent les meilleures chances aux élèves. Les files d’attente les jours d’inscription sont impressionnantes tant la demande est forte.
La constitution permet l’existence d’écoles dont la langue d’enseignement est une des onze langues officielles, il se trouve que dans certaines provinces, l’Afrikaans n’est pas une des langues les plus demandées dans l’enseignement public comme dans l’enseignement privé et les écoles dont la langue d’enseignement est l’Afrikaans sont donc moins surchargées que les autres. Les écoles publiques ont l’obligation d’inscrire les enfants habitant dans un rayon de 5 km autour d’elles, mais la direction de l’école a refusé d’inscrire les enfants ne parlant pas Afrikaans. La rentrée s’est donc effectuée aujourd’hui dans une atmosphère tendue, des membres des branches locales de l’EFF et de l’ANC (unis pour une fois) étant venus dans l’intention d’empêcher une rentrée normale.
Un parent d’élève a été blessé, ainsi que des manifestants blessés par des balles en caoutchouc de la police locale… Les enjeux de la confrontation sont compliqués: on peut comprendre la province du Gauteng et sa volonté de mieux répartir ses moyens en imposant aux écoles ayant des effectifs moins importants d’accepter de prendre des élèves en plus. L’argument que cela permettrait par ailleurs une meilleure compréhension mutuelle des communautés, pourrait avoir du sens. Reste que pour la communauté Afrikaner, ce serait une reddition de plus après l’abandon de l’Afrikaans comme seule langue d’enseignement dans les universités traditionnellement Afrikaners. AfriForum, le think-tank défendant la culture et les intérêts de la population Afrikaner a d’ailleurs marqué son soutien à la direction de l’école…
Ces vignettes de rentrée mettent bien en évidence les défis de l’éducation sud-africaine presque vingt-cinq ans après les premières élections libres. Comment assurer une égalité des chances dans un pays où les écarts entre les plus riches et les plus pauvres ne continuent de se creuser, dans un pays où coexistent deux systèmes d’éducations avec des différences de moyens abyssaux, dans un pays avec onze (11!) langues officielles? Le chantier est immense, se présente à tous les niveaux dans des systèmes d’équations compliqués. On ne peut pas dire que l’ANC ait brillé dans sa façon de se confronter à la tâche…
Tournoi de sport dans une bonne école privée de Johannesburg…