Les fêtes de dévoilement de sexe des foetus, nouveau rite de passage des enfants à naître?

Au siècle dernier, alors que mon aînée était en petite section de maternelle, et que j’approchais du terme de mon second accouchement, je tombais (métaphoriquement) de ma chaise lorsque son institutrice me félicita pour “les jumeaux”. Des jumeaux, Doux Jésus, mais qu’est-ce qui pouvait lui faire penser que j’attendais des jumeaux? Elle avait demandé à Camille le prénom du futur bébé, et celle-ci lui avait dit “Pimprenelle ou Nicolas”. Comme nous n’avions pas demandé le sexe de notre futur enfant, c’était la réponse facétieuse que nous lui faisions, soucieux de garder l’indétermination jusqu’au moment de rencontrer notre nouveau-né. Ce genre d’anecdote n’aurait plus court aujourd’hui, alors que “l’injonction de visibilité” hypermoderne pousse les futurs parents à donner à leurs enfants une existence numérique avant même leur naissance.

Savez-vous ce qu’est une gender reveal party? Selon une journaliste du Monde celles-ci seraient de plus en plus fréquentes en France. Importées des Etats-Unis où elles ont été inaugurées par une blogueuse “famille” créative et innovante en 2008 désirant ménager une surprise à son mari qui n’avait pas assisté à l’échographie du second trimestre. Les cérémonies de dévoilement du genre consistent à créer un événement autour de la révélation du sexe biologique de l’enfant à naître. La vidéo de l’évènement est souvent diffusée sur les réseaux sociaux, et fait le buzz et informe le monde entier- enfin, le monde connecté- de la bonne nouvelle. Sur Youtube, certaines vidéos de GRP ont été vues des millions de fois…

Faut-il y voir dans ces évènements de dévoilement de l’intime, l’avènement d’un narcissime (2.0) en bleu et rose? Où une pratique somme toute minoritaire de futurs parents déboussolés voulant témoigner par là de leur adéquation à une norme de parents “performants”? Voire, une énième ruse du capitalisme, consistant à créer un business à partir de toute mode bankable. Les affaires étant les affaires, toute une série de micro-entreprises surfent sur le créneau porteur de l’événementiel familial, un contingent des mom-preneuses en mal d’activité qui ont lâché le filon des petits-pots pour bébés pour se consacrer aux ludiques baby showers et autres gender reveal parties.

A la fin du siècle dernier, lorsque j’ai eu mes enfants et que j’ai commencé à travailler sur la maternité, les futurs parents se passaient un cliché pourri en noir et blanc sur papier thermique. Seule la famille proche était informée, si les futurs parents souhaitaient connaître le sexe du foetus, et le divulguer. Au vingt-et-unième siècle, dans les pays occidentaux, la mode serait à la mise en scène instagramable de la découverte du sexe de leur futur enfant et le prétexte à une fête et à une débauche de consommation ostentatoire. La vidéo est reprise en boucle et commentée « oh my Goooood! »

Ma thèse de sociologie, soutenue il y a vingt ans, porte sur l’échographie et sur ce qu’elle apportait au suivi de grossesse, dans le domaine médical, mais aussi dans la relation des futurs parents à l’enfant à naître. L’échographie obstétricale a introduit un nouveau patient, le fœtus, et créé de nouvelles obligations, pour les soignants comme pour les futurs parents et suscité des questions passionnantes. Que faire quand l’intérêt de la mère et celui du futur enfant ne coïncident pas?

Comme je l’ai évoqué dans un chapitre de l’ouvrage “humains, non-humains”, l’échographie obstétricale renouvelle les frontières de l’humanité. Elle fait rentrer très tôt le fœtus dans le cercle familial, intrônise les parents comme responsables du/ de la futur.e enfant, symétrise les positions des femmes et des hommes dans la grossesse, en permettant aux futurs pères de participer. La découverte du sexe du futur bébé donne plus de réalité à un futur enfant dont on peut choisir le nom dès le second trimestre de grossesse. Il n’est pas rare que les futures parents arrivent en consultation au dernier trimestre en évoquant le futur enfant par son prénom, comme s’il était déjà né.

L’échographie, pour laquelle le futur père est sommé de se rendre disponible, sert, dans une société de plus en plus sécularisée où le mariage a perdu de sa popularité, d’officialisation de la formation de l’unité familiale, quand arrive le premier enfant, et de rite d’agrégation du futur enfant à la famille.

Cette présence accrue rend possible des conversations, dans la consultation, autour du caractère présumé de l’enfant à naître, qui varie si c’est une fille ou un garçon. Les filles ont des jambes de danseuses et une propension à bouder. Les garçons des mollets de footballeurs et de l’énergie à revendre. L’assignation de stéréotypes commence très tôt. Cette assignation est reprise dans la vie quotidienne. On évoque alors “la petite soeur” ou “le petit frère” avec les premiers nés. On prépare la chambre avec des accessoires genrés.

Les spécialistes de la naissance déploraient, à la fin du siècle dernier, que la médicalisation de la grossesse délaissait la ritualisation qui marquait la naissance sociale des parents (lors de la naissance du premier enfant) et d’un nouveau membre de la famille, puis de la société.

Les rites d’agrégation autour de la naissance existent dans toutes les sociétés. Qu’il s’agisse des baptêmes, des présentations au temple, aux offrandes, l’inventivité humaine au cours des siècles leur a donné des formes diverses. Les rites pouvaient avoir lieu en prénatal. En France, avant la sécurisation des césariennes, il arrivait que les sages-femmes ou médecins baptisent in utero, le fœtus qui se présentait mal. Une façon, dans une France majoritairement catholique, de garantir l’accès au paradis a un mort-né promis sinon à errer indéfiniment dans les limbes.

Les Gender Reveal Parties peuvent être considérée comme l’un des rites d’agrégation inventés par les sociétés humaines qui répond à la nouvelle injonction de visibilité des sociétés contemporaines. L’information sur le futur nouveau-né sort du cercle le plus intime. On change d’échelle et on rajoute en plus un côté consommation ostentatoire, avec la fabrication d’artefacts comme des gâteaux, ballons, voire location d’avions, de bateaux, d’engins pyrotechniques dangereux.

On peut quand même se demander à quoi correspond le besoin de publiciser un élément qui relève de l’intime? Qu’est-ce que les couples recherchent à travers cela? Comment cela les prépare t’il à leur rôle de parents? Quel effet cela peut-il avoir sur le futur enfant?

Cette tyrannie de la visibilité jusque dans les moments les plus importants de la vie psychique, rend-elle service aux futurs parents? La gender reveal party met en scène les (futurs) parents. Elle performe, par une scénarisation inspirée souvent des émissions de télé-réalité, ou des vidéos de réseaux sociaux, une certaine idée de la parentalité désincarnée et festive. Cela répond à une incertitude voire une angoisse normale pour chaque futur parent, fonction de sa propre histoire familiale, sur sa capacité à assumer l’éducation de ses futurs enfants. Cela relègue aussi complètement l’idée de la fragilité de la grossesse, et le fait que celle-ci, dans des cas certes rares, n’est parfois pas menée à terme.

Il est par ailleurs curieux que dans une époque où d’aucun.e.s prônent une éducation non genrée et la fluidité des identités de genre, on puisse avoir en parallèle des manifestations sociales qui tendent à assigner dès avant la naissance un genre, sur la base du simple sexe biologique constaté à l’échographie. Cette assignation va souvent de pair avec des caractéristiques correspondant à des stéréotypes binaires qui la renforcent, pouvant mener à les considérer comme un “fléau sexiste”. Au point que certains éditorialistes se demandent s’il est recommandé de répondre favorablement à une telle invitation.

Le plus beau cadeau qu’on puisse faire a un/une enfant à naître n’est-il pas de pouvoir, en progressant sur le chemin de la vie, déterminer qui il/elle veut être? C’est le projet de toute une vie. Le sur-déterminer socialement avant la naissance en insistant sur la découverte de son sexe biologique est une façon un peu curieuse de procéder. Sommes nous déterminés par notre phénotype? Que se passera-t-il dans le cas où le nourrisson ou la nourrissonne ne correspond pas au fantasme que les futurs parents se sont créé et qu’ils auront solidifié par ces dispositifs mêlant échographie, réseaux sociaux et happening?

La montagne qui accoucha d’une souris…

Vous pouvez écoutez le podcast de ce billet en cliquant ici!

L’esprit humain est une étrange chose, et la volonté de garder un amant volage peut amener une femme à de bien étranges extrémités.

Les médias en ligne et les réseaux sociaux sud-africains ces dernières semaines ont été tenus en haleine par l’affaire des décuplés de Tembisa (#Tembisa10). Confiné et morose, avec l’arrivée de l’hiver et la mise au ban des voyageurs en provenance d’Afrique du Sud par les autorités des pays craignant le risque de diffusion de l’ex-variant-sud-africain, le pays de Mandela croyait avoir trouvé sa “feel-good story” avec une première mondiale: la naissance annoncée de décuplés à une habitante de Tembisa.

Cette naissance, qui aurait pu donner une nouvelle entrée pour l’Afrique du Sud au livre Guiness des records, a tourné en boucle sur les médias en ligne et les réseaux sociaux locaux. Le journal Pretoria News a diffusé une photo de Gosiame Sithole, la future mère, arborant un ventre éléphantesque au côté de Tebogo Tsotsetsi le père de ses enfants. Le couple, qui avait déjà des jumeaux de six ans, avait accepté d’être interviewé au sixième mois de cette grossesse miraculeuse -huit bébés d’un coup!- par un média de Pretoria, permettant au journaliste de prendre la photo d’une Gosiame Sithole et de son ventre impressionnant, et lui demandant, pour des raisons culturelles, de ne la diffuser qu’à la naissance des enfants.

Le dix juin, le père contacte le journal Pretoria News pour annoncer que Gosiama Sithole a mis au monde, à Pretoria, à, non pas huit, mais dix bébés, sept garçons et trois filles, pris en charge en réanimation néonatale. Les autres médias en ligne et les réseaux sociaux s’emparent du sujet de cette naissance miraculeuse, lançant une collecte sous le mot-dièse #nationalbabyshower pour permettre à la mère qui aurait arrêté de travailler au début de sa grossesse, et au père, sans emploi et dont la famille n’a pas versé d’argent à la famille de la future mère pour les frais de grossesse et l’accueil des bébés, de pouvoir faire face à l’énormité de la tâche.

Les services sociaux du Gauteng se saisissent de l’histoire et s’enquièrent de la mère mais ne peuvent en trouver trace dans aucun des hôpitaux publics de la province. Le père, qui fait l’objet de nombreuses demandes d’interview de la part des médias doit admettre qu’il n’a pas vu les bébés, sa femme lui a juste indiqué par des messages WhatsApp qu’elle aurait donné naissance à dix bébés, et ne lui a envoyé que la photo d’un seul bébé. Elle ne répond plus à ses appels.

Le 15 juin, la famille du père, Tebogo Tsotsetsi, pressée par les questions des journalistes auxquelles elle est bien en peine de répondre, publie un communiqué de presse déclarant n’avoir aucune preuve de la naissance de décuplés et demandant aux généreux donateurs de s’abstenir de verser de l’argent sur tout compte destiné à pourvoir aux besoins des fantomatiques décuplés. Elle pressent que le miracle n’est pas loin de se muer en escroquerie… Ce même jour, Gosiama Sithole se présente avec sa soeur à l’hôpital Steve Biko de Pretoria demandant à voir ses dix bébés et prétendant avoir accouché à l’hôpital Louis Pasteur d’où on lui aurait dit avoir transféré ses dix bébés prématurés à Steve Biko en réanimation. Les autorités de l’hôpital n’ont jamais admis de décuplés en réanimation mais elles contactent l’hôpital Louis Pasteur qui n’a aucun dossier d’accouchement au nom de Gosiame Sithole ni de dossier de transfert.

Les journalistes de Pretoria News crient au scandale d’Etat et maintiennent l’histoire de la naissance des décuplés, qui seraient morts du fait de la qualité des soins déplorable des hôpitaux publics du Gauteng. Les autorités de la province voulant éviter le scandale de l’impréparation des hôpitaux à faire face à cette naissance extraordinaire auraient, selon une “enquête exclusive du journal” fait disparaître les corps des bébés prématurés. La plupart des autres médias s’en tiennent à la version d’un probable canular d’une femme mentalement fragile et délaissée par le père de ses enfants. Gosiama Sithole a été interrogée par la police et emmenée à l’hôpital pour différentes expertises médicales et psychiatriques. L’histoire qui a tenu les médias en ligne en haleine pendant une dizaine de jours semble donc se dégonfler comme un ballon de baudruche.

Il y a plusieurs morales à cette histoire. Le première, c’est que, comme le disait Joseph Goebbels, “plus le mensonge est gros, plus le peuple le gobe facilement”. La seconde c’est que les réseaux sociaux ont un pouvoir d’amplification des canulars gigantesque. La troisième c’est que les journalistes africains ne sont pas plus sages que les européens quand il s’agit de vérifier les informations. La naissance d’octuplés (devenus décuplés selon la fantaisie de la prétendue mère) est un évènement assez rare pour qu’avant même la naissance elle soit vue exclusivement par une équipe soignante dédiée, et non dans le circuit habituel des maternités publiques.

Espérons qu’honteux et confus, tels le corbeau de la fable, ils feront en sorte qu’on ne les y prennent plus…

PS: En cadeau Bonus pour Ngisafunda, je vous offre la fable “L’ours et l’amateur des jardins” dite par Fabrice Lucchini cette fin de semaine, devant le président Macron…

Le post-partum un tabou à lever?

Depuis quelques jours twitter affiche un nouveau fil de témoignages, #monpostpartum suite au refus de la chaîne ABC de diffuser une publicité pour une marque d’articles de maternité post-accouchement, la trouvant trop crue pour figurer au milieu d’une cérémonie aussi glamour que celle de la remise des Oscars.

Un certain nombre de femmes indignées a pris la parole pour dire à quel point cette relégation paraissait injuste et pointait en même temps une faille béante de l’information faite de cette période si délicate pour les accouchées qui est celle du post-accouchement. Sur le fil #monpostpartum se sont invitées des dizaines de jeunes femmes, racontant leur expérience du post-partum, loin des représentations de la félicité hollywoodienne. Pas de maman à l’air reposé allaitant sans peine un nourrisson lisse et décontracté, mais des écoulements et des douleurs multiples. Rappelez-vous, le corps a mis neuf mois à fabriquer un bébé, il lui faut plus que vingt-quatre heures pour solder cette période de chamboulement, se remettre des tensions intenses des contractions et du passage du futur bébé dans le bassin!

Le corps des femmes post-accouchement, c’est moche, gore et douloureux… Le contraire de l’image de la femme politique Rachida Dati, alors Garde des Sceaux, retournant toute pimpante à son bureau de ministre deux jours après sa césarienne. Il faudrait donc “dézinguer les tabous du post-accouchement” et montrer ce qu’est réellement cette période pour provoquer des changements de mentalité et aider les femmes à passer ce cap difficile.

Cette réalité échappe à une grande partie de l’entourage des jeunes femmes qui se sont exprimées et qui témoignent d’une insensibilité totale de leurs proches à leur fatigue, leur baisse de moral, leur manque de désir. Tout le monde le sait bien: “la grossesse et l’accouchement ne sont pas des maladies” mais… comme le souligne la juriste et activiste Marie-Hélène Lahaye, dans sa chronique, cette période est une période traumatisante pour un certain nombre de femmes qui risque de développer des dépressions post-natales ou de souffrir de syndromes post-traumatiques. On ne fait pas assez attention aux femmes pendant cette période, toute l’attention se reporte sur le nouveau-né, oubliant que celle qui l’a porté est encore dans une période de fragilité. Le terme de “congé maternité” n’aide pas d’ailleurs à se représenter le fait qu’il ne s’agit pas de vacances ou d’un luxe offert aux jeunes femmes, mais d’une période nécessaire à leur organisme pour se remettre des bouleversements physiologiques intenses de la grossesse et de l’accouchement, et de l’ajustement aux besoins d’un nourrisson.

Je n’ai pas encore évoqué la différence existant entre les façons dont étaient racontées les suites de couches, pendant mon étude pour “devenir mère à Johannesbourg”. Pour une fois les plus mal loties n’étaient pas celles qu’on aurait pu croire. Parmi la cinquantaine de femmes rencontrées, celles qui ont le mieux vécu leur période post-partum étaient, les femmes noires, les femmes ayant eu un suivi sage-femme dans le secteur privé, et les femmes ayant eu une formation approfondie à la naissance (pas les deux matinées règlementaires du samedi matin proposées dans les cliniques privées).

Pour les autres, le vécu du postpartum, c’était la non-préparation aux conséquences de la césarienne, les problèmes d’allaitement, la gestion de la solitude et de la soudaine focalisation de l’attention sur le nouveau-né.

“C’est quand même bizarre, quand tu es enceinte tout le monde est gentil et te demande comment ça va et puis dès que le bébé est sorti, tu n’existes plus, personne ne te demande plus comment tu te sens.” Monica, Sandton

L’impression de ne pas être assez préparée, pas assez aidée était assez répandue. Une des interviewées qui avait choisi un suivi sage-femme m’a montré les discussions d’un groupe WhatsApp de jeunes mères auquel elle participait et c’est aussi ce qui ressortait d’un grand nombre de commentaires.

Parmi les femmes noires, quelle que soit leurs origines sociales ou géographiques, le besoin de repos de la jeune mère est pris au sérieux. Un système d’aide se met en place pour que les premiers mois après l’accouchement (la durée est variable selon les familles), la jeune mère n’ait qu’à se reposer et à prendre soin de son bébé. Le plus souvent ce sont d’autres femmes de la famille: les mères, les soeurs, les tantes, les cousines qui se relaient pour soulager la jeune accouchée de toute autre préoccupation que dormir, et nourrir son bébé. Les interdictions et les prescriptions venant des cultures traditionnelles permettent aux jeunes mères de se remettre plus sereinement du bouleversement qu’est l’accouchement.

La réclusion des mères et des nouveaux-nés est assez répandue dans les familles africaines. Les mères font boire à leur filles des tisanes pour stimuler la production de lait, les stimulent et les conseillent.

« Mon bébé est né le 17 janvier 2017. Je suis restée une semaine à l’hôpital. Je me suis levée le deuxième jour. Les débuts de l’allaitement ont été compliqués. Au début mon bébé ne savait pas comment s’y prendre. C’était hyper douloureux. J’ai cru qu’il allait m’arracher les tétons. On a mis au moins une semaine à s’ajuster. Ma tante m’expliquait comment faire. De temps en temps mes seins étaient tellement pleins que le lait ne coulait plus. Elle m’appliquait un linge humide pour relâcher le lait. Elle mettait un peu de lait caillé sur mes tétons lorsque le bébé était trop paresseux. A cause de la césarienne, j’ai eu mal pendant un bout de temps. Tout le monde m’aidait. Ils savaient que j’avais mal. Ma tante est venue habiter chez moi pendant trois mois avec ses deux filles de neuf et sept ans pour m’aider à m’occuper du bébé. »

Nothemba, Alexandra

Lorsque la famille maternelle est loin, des amies ou des voisines peuvent prendre le relais. C’est une survivance de la coutume qui voulait que la jeune femme, surtout lorsqu’elle accouchait de son premier enfant, rentrait auprès de sa mère pour accoucher. Cela lui permettait plus facilement d’être exemptée de ses obligations de ménage et de participation aux corvées dans sa belle-famille et d’éviter la promiscuité du mari, les relations sexuelles pendant l’allaitement étaient prohibées.

« On a gardé mon fils à la maison pendant ses trois premiers mois. Les bébés chez nous ne doivent pas être vus des autres jusqu’à leur trois mois. Quand on l’amenait chez le médecin, on le couvrait entièrement pour que personne ne puisse le voir. Avant que le cordon ne soit tombé, encore moins de gens sont autorisés à le voir » Hannah, Wendywood

Les structures familiales nucléaires des couples d’origine européenne, et leur acceptation de la vision biomédicale de la grossesse, encadrée par les gynécologues obstétriciens, les préparent mal à encaisser le choc des premières semaines post-accouchement. Les médecins sud-africains sont très vigilants sur la surveillance de la grossesse, et très prompts à détecter le moindre facteur de risque pouvant orienter les femmes vers des césariennes plus rémunératrices pour les praticiens et moins risquées pour leur assurance professionnelle. Ils sont totalement silencieux sur les désagréments des suites de couche et les aides éventuelles à mobiliser. Or, comme me le confie Sandra, une conseillère psychologique spécialisée dans la transition émotionnelle vers la parentalité qui propose des cours d’accompagnement et des groupes de parole aux futurs parents, ceux-ci n’ont aucune idée de ce qui attend les femmes après l’accouchement.

“J’ai entre cinq et six couples par groupe. Moins de la moitié des futurs parents a déjà vu une personne allaiter. Ils sont complètement focalisés sur le médical, les tests, les échographies… Ils sont captivés par le médical…” Sandra. Bryanston

Sandra dénonce aussi les méfaits des réseaux sociaux et les “grossesses Instagram” qui ne montrent que le côté valorisant de la maternité et pas les à-côtés angoissants. Les jeunes femmes ne comprennent pas pourquoi leur réalité ne ressemble pas à celle de telle influenceuse tellement à l’aise dans sa maternité et pour qui tout semble si simple…

Quelques femmes ont choisi de suivre des cours de préparation à la parentalité offrant un panorama très complet de la grossesse aux premiers mois de l’enfant sur plusieurs mois. D’autres ont choisi de bénéficier d’un suivi sage-femme dans le secteur privé. Ce suivi permet d’avoir des discussions longues sur de très nombreux sujets, centrées sur leur questionnement. Pendant les visites mensuelles, et des visites post-natales à la maison la sage-femme s’assure que tout va bien pour la mère comme pour l’enfant et où elle peut donner des conseils. Les doulas, pour celles qui font appel à ces accompagnantes, font également des visites à domicile en post-natal pour rassurer les jeunes mères et conseiller les jeunes parents. La réassurance fournie par ces aides lors du retour à la maison, ainsi que la visite possible d’une consultante en lactation aide à un démarrage moins traumatisant.

Le propos de ce billet n’est pas de décerner des points aux uns ou aux autres. Il est quand même intéressant de constater que pour les grossesses les moins médicalisées – les jeunes mères des townships sont suivies dans le secteur public par des sages-femmes ou des infirmières pendant leur grossesse, il est très rare, sauf en cas de césarienne ou de détection d’un facteur de risque, qu’elles voient un médecin pendant leur grossesse ou leur accouchement- le post-partum se passe visiblement mieux que dans les grossesses suivies par des gynécologues du secteur privé.

L’entourage se mobilise pour passer une période de post-partum qui peut s’avérer compliquée. La coutume, fondée sur des traditions anciennes, s’avère efficace pour les femmes des townships. La prise en charge familiale traditionnelle semble bien fonctionner mais elle repose exclusivement sur les femmes et n’est pas toujours en phase avec les préconisations de la biomédecine. La place du “care” est importante mais elle peut être assortie de pratiques et de recommandations contraires qui crée des conflits.

Phindile, une sage-femme me racontait qu’elle allait visiter une de ses clientes, une femme noire très éduquée, qui était à la limite du baby blues parce que sa mère, illettrée, s’opposait à elle sur la façon de prendre soin du bébé. Quand la mère voulait suivre les recommandations de la biomédecine sur l’alimentation exclusive au sein et l’évitement de tisanes et de médications traditionnelles, la grand-mère s’arrangeait pour contourner les interdictions de sa fille. Ce qui engendrait une angoisse très forte chez la jeune femme et minait sa capacité à se sentir une bonne mère.

Du côté des femmes d’origine européenne, les médecins ne voient pas forcément dans leur mission d’informer leur patientes. Les consultations sont courtes, tournent autour de sujets médicaux, de l’échographie intégrée dans la consultation d’obstétrique, et sont axées prioritairement sur la détection des facteurs de risques pour le foetus, lesquels sont mis en avant pour la recommandation de la césarienne. La césarienne est devenue pour un certain nombre de médecins sud-africains le moyen d’extraction le plus rapide et la moins risquée possible du bébé. Dans cette optique, la mère est un accessoire, et elle n’a qu’à endurer les effets secondaires pour le bien de son bébé. L’information à transmettre dans cette optique est purement médicale. Les futures mères sont libres d’aller piocher de l’information ailleurs, me disait un gynécologue. Il ne conseillait pas les cours de préparation faits par des sages-femmes, celles-ci étant susceptibles de planter des idées farfelues dans les cervelles impressionnables des femmes, comme le fait qu’elles n’auraient pas forcément besoin de tout l’arsenal médical…

C’est une démarche volontaire des femmes de rechercher d’autres sources d’information et de s’enrôler dans des cours de préparation complets, qui implique aussi de pouvoir se les offrir. Les cours effectués par des sages-femmes et les consultations avec des conseillères en lactation sont remboursés par les assurances privées. Mais ce n’est pas forcément le cas des groupes de paroles, et autres cours de yoga prénatal qui aident les femmes à mieux se sentir dans leur corps et leur vie de femme gestante, puis accouchée.

Le détour par l’Afrique du Sud n’a pas pour but de vanter un modèle qui a ses failles comme j’ai pu l’écrire à de nombreuses reprises dans ce blog, mais de tirer quelques enseignements.

D’une part, notre focalisation sur la médicalisation de la grossesse et de l’accouchement dans la seconde moitié du vingtième siècle nous a fait oublier que ce qui se joue pour la femme est au delà du physiologique. Les progrès de l’obstétrique ont permis de faire des miracles et de sauver un grand nombre de femmes et d’enfants mais il ne faut pas non plus oublier que la majorité des grossesses n’entre pas dans la catégorie du pathologique.

Il y a toute une transition à effectuer de l’état de femme vers celui de femme enceinte puis de mère, qui ne s’arrête pas à la sortie de la maternité. Le chemin est long et dépend du système de support de la maman à la sortie de la maternité.

On a beaucoup à apprendre de ce qui se passe chez les autres. C’est une façon de décentrer notre perspective sur bien des sujets. Les deux leçons que j’ai tirées de ces entretiens avec les femmes sud-africaines c’est que d’une part, il faut mieux anticiper la période du post-partum et organiser un réseau de soutien autour des jeunes femmes. Dans nos familles nucléaires, le père est sans doute le mieux placé pour assurer cette présence auprès de la mère et du nourrisson. L’idée d’un allongement du congé paternité est sans doute à creuser sérieusement.

La seconde leçon c’est qu’on ne peut pas tout attendre d’un corps médical qui, après tout, n’a pour mission que d’assurer la sécurité des accouchements. Chaque femme a des besoins et des envies différentes pour son accompagnement. Ca peut être du soutien familial ou amical, il faut savoir le demander. Sinon, c’est à elle de trouver ce qui lui convient parmi les propositions des sages-femmes libérales, doulas, sophrologues, etc. centrées sur la naissance qui l’aideront à prendre conscience de la transition qui s’opère, et de se sentir pleinement investie dans son rôle de mère.

La romancière turque Elif Shafak a raconté dans un très beau récit “Lait noir” la dépression du post-partum qui l’avait assaillie à la naissance de son premier enfant. Elle y évoque aussi cette coutume turque qui veut qu’on ne laisse jamais une jeune accouchée seule pendant les quarante premiers jours pour “chasser les djinns” qui voudraient s’attaquer à elle. La présence de ses parentes n’a pas suffi a chasser ses djinns, particulièrement retors. Elle a utilisé sa propre arme d’écrivaine pour combattre les idées noires qui l’assaillaient et lui faisaient croire qu’elle ne serait jamais à la hauteur de la tâche: la littérature. Elle s’est replongée dans les écrits d’autres écrivaines qui avaient relaté leurs expériences de maternité, et en a tiré un très beau livre, et guéri.

Grossesses 2.0 : devenir mère à l’ère du digital… (Devenir mère à Johannesburg, part 8)

Cela faisait quelque temps que j’avais envie de vous faire un petit billet sur ce thème mais ‘La coupe d’Hygie’, excellent blog au demeurant, m’a piqué mon titre pour ce billet, alors j’ai décidé de partager aujourd’hui ma surprise sur la ‘digitalisation des grossesses’. En effet, pour une certaine partie des femmes interrogées, les smartphone et Internet ont pris une place croissante dans le vécu de grossesse.

L’auteur de la Coupe d’Hygie détaille dans son billet pourquoi la très sérieuse FDA (Food and Drug Administration) nord-américaine, vient d’approuver l’application ‘Natural Cycles’ comme une méthode contraceptive efficace (quoique moins efficace que d’autres méthodes: pilule ou stérilet). Avec pédagogie il décortique comment les normes de la FDA construisent l’efficacité d’un contraceptif, à quelles épreuves, pour parler comme une sociologue des sciences, on a soumis ‘Natural Cycles’ pour lui délivrer l’approbation.

Ayant effectué mes derniers terrains en France et au Royaume Uni en 2011, je n’avais pas encore pris la mesure de l’importance d’Internet et des applications parmi les acteurs de la grossesse. Très vite, les femmes que j’ai interrogées en Afrique du Sud, du moins celles qui ont les moyens de disposer d’un smartphone et d’un accès non restreint à Internet ont évoqué leur usage d’Internet et des applications pour smartphones comme alliés de leur parcours reproductif. En effet, les ‘applis’ smartphone en ont aidé plus d’une à éviter les grossesses non désirées pendant leur période en-couple-stable-mais-sans-désir-d’enfant, puis à définir les périodes où elles étaient les plus fécondes lorsque le projet d’agrandir la famille se précisait. Bien souvent ces femmes avaient opté pour  cette contraception moins efficace mais moins contraignante que la pilule* à partir de la stabilisation de leur couple. Pour certaines, cela s’était traduit par une grossesse un peu plus précoce que souhaitée, mais cela a permis à une grande majorité de planifier leur grossesse.

Une fois la grossesse constatée, les jeunes futurs parents étaient en général avides d’informations sur les prochains mois. Un nombre non négligeable de mères m’a avoué avoir beaucoup écumé les blogs et les forums sur Internet, visionné des vidéos sur You Tube, et téléchargé des applications pour comprendre ce qui se passait dans leur grossesse. Pour les anglophones le téléchargement de l’application “What to expect (when you’re expecting)’** était une référence plusieurs fois citée. Les futures mères appréciaient des petites notifications envoyées quotidiennement sur ce qui se passait, de pouvoir s’imaginer les principales étapes franchies, semaine par semaine, par leur futur bébé.

Enfin, une mère m’a mentionné l’application ‘who’s your daddy?’*** grâce à laquelle son mari recevait des informations spécifiques et qui apprenait aux primo-pères à (bien) suivre la grossesse de leur compagne. En l’occurrence, l’application comprenait un espace pour monitorer les contractions et comprendre quand partir pour la maternité, fonctionnalité qui leur avait été utile le jour J.

La ‘digitalisation’ des grossesses est devenue inéluctable pour les femmes des classes moyenne/moyenne supérieure. L’offre en santé connectée ne pouvait passer à côté d’une condition, la grossesse, de plus en plus médicalisée dans les pays développés. La maîtrise de la reproduction peut désormais passer par des moyens non hormonaux, comme en atteste l’homologation de l’application Natural Cycles par la FDA (qui lui reconnaît cependant une efficacité moindre qu’aux contraceptifs hormonaux).

Les diverses applications de suivi de grossesse répondent à un besoin d’information bien naturel des femmes, surtout des primipares. Ce que leurs mères, tantes, dans les années 80 cherchaient dans leurs livres ou auprès de leurs médecins, que leurs grand-mères et grand-tantes apprenaient en lisant Laurence Pernoud, ou par des discussions entre paires, dans les années 60, les ‘digital natives’ des années 2000 en sont informées via Internet ou leur smartphone. Elles peuvent ainsi avoir une idée du type d’exercice qu’elle peuvent faire pendant la grossesse, des types d’alimentation recommandés, et toutes sortes d’autres choses…

Comme pour toute innovation, il y a du bon et du moins bon dans cette ‘digitalisation des grossesses’. Oui, Internet permet de réduire l’asymétrie d’information entre médecin et femme enceinte et c’est tant mieux. En tant qu’observatrice particulièrement attentive de consultations autour de la grossesse (obstétrique, échographie) en France et en Angleterre, sur les vingt dernières années, j’ai pu constater que le partage d’information n’était pas toujours le point fort des échanges patient-soignant. Le flux d’information est souvent dirigé du soignant vers la femme sans que celle-ci ait le temps/la possibilité de poser les questions qui lui tiennent à coeur. Souvent empêtrés dans leur mission de détecter les risques, les soignants ont tendance à oublier que la grossesse n’est pas une maladie, qu’au delà de l’évènement physiologique, il y a aussi une dimension sociale et psychologique qui se joue, au moins aussi importante.

Les femmes que j’ai interrogées à Johannesburg se reposaient rarement sur leur médecin pour obtenir des informations (à l’exception d’une, dont le mari, avocat, venait à toutes les consultations, et auquel l’obstétricien répondait, parait-il, de façon très détaillée, et une autre, sociologue, à laquelle l’obstétricien passait des articles scientifiques). Internet et les copines étaient citées comme vecteur privilégié d’information.  Pour celles qui étaient suivies par des sages-femmes, celles-ci semblaient plus à l’écoute et plus soucieuses de répondre et d’élargir le sujet au delà du physiologique.

Si on peut se féliciter de moyens permettant toujours plus d’accès à l’information, un bémol s’impose toutefois dans le choix de l’application, du forum, de la chaîne You Tube sur lesquels on va rechercher des informations. Comment savoir si ceux-ci seront adaptés à son propre cas et au contexte dans lequel on va donner naissance? Le but de l’information est de préparer les futures mères à pouvoir prendre des décisions quant à leur suivi de grossesse et à leur mode d’accouchement. En l’absence de risque déclaré, une femme devrait pouvoir déterminer ce qui lui convient. L’objectif est que l’accouchement se passe bien pour la mère et le ou les enfants, mais aussi que ce moment permette à la femme de se sentir légitime dans son nouveau rôle maternel et de s’y couler sans trop de difficultés. Il devient alors essentiel de choisir les bonnes sources d’information.

Dans quelle mesure les propositions digitales actuelles y contribuent-elles? Une application ne peut faire de réponses plus élaborées que celles prévues dans ses données. Un documentaire ou une émission de télé-réalité très populaire en Angleterre comme “One Born Every Minute”, ont un certain cadrage, très bien démontré par l’article de de Benedictis, Johnson, Roberts & Spiby.  Les auteures de cette étude relèvent que les représentations des accouchements dans cette série sont à la fois peu diversifiés, montrent des femmes passives à la merci du personnel médical plutôt qu’actrices de leur accouchement. Les personnes présentées étaient majoritairement blanches, de classe populaire ou moyenne en couple hétérosexuel. Dans quelle mesure une maman solo, ou avec une histoire particulière**** peut-elle se retrouver dans les propositions de ces applications? Quelles représentations véhiculent la multitude d’applications disponibles? Vont elles dans le sens des femmes et favorisent-elles leur autonomie?

Une sage-femme libérale dirigeant depuis une vingtaine d’années un cabinet infirmier/centre d’éducation à la santé dans une banlieue de classe-moyenne de l’est de Johannesburg me disait que le nombre d’inscrites à ses cours, très complets (douze fois trois heures entre le pré et le post-natal), de préparation prénatale, baissait d’année en année. A son sens, les jeunes femmes étaient plus attirées par des réponses immédiates et laconiques sur leur smartphones que des sessions de trois heures sur un même sujet laissant la place au questionnement. Cela ne lui paraissait pas de très bon augure quant à leur résistance lors de l’épreuve de fond qu’est souvent un accouchement… et ensuite à l’apprivoisement de la vie avec un bébé! Le cliché Facebook du nouveau-né parfait laisse souvent place dans la réalité à des jeunes parents désemparés et débordés.

Pour la partie des femmes de mon panel habitant dans les townships, la révolution digitale des grossesses n’a pas eu lieu. La démocratisation de l’accès aux informations suppose un Internet accessible. Or, pour ces femmes-là, le prix de la data était un facteur très limitant. Certaines sont parfois allées glaner quelques infos sur Internet mais aucune n’a fait mention d’un recours à des applications qui, de toutes façons, supposent d’être en possession d’un smartphone un peu élaboré, hors de leur portée.

* Mais vous pouvez aussi avoir une appli pour ne pas oublier de prendre votre pilule, elle n’est pas belle la vie?

**équivalent américain du ‘J’attends un enfant’ de Laurence Pernoud

*** “the essential app for first-time dads… written for men by men (with advice from midwives) this apps guides first time dads through their pregnancy with simple daily tips and weekly updates”

**** En France je suis tombée sur ce blog d’une maman noire qui en avait assez de se sentir invisibilisée voire maltraitée par le système de suivi hospitalier…