Les yeux de Peter O’Toole, en gros plan, sur l’écran du kinopanorama…

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Hier matin, je me suis réveillée avec cette phrase dans la tête: “les yeux de Peter O’Toole, en gros plan, sur l’écran du kinopanorama“. Elle m’a bien plu cette expression, je l’ai retournée plusieurs fois dans ma tête comme on roule, dans la paume de sa main, un gros galet déniché au lit d’une rivière.

Dans la phase de demi-sommeil qui a succédé, je me suis rappelée d’un des rares cours qui m’ait vraiment intéressée pendant mes études. C’était un cours optionnel s’intitulant: “littérature du voyage”.

Je ne me souviens plus de l’intervenant de “littérature du voyage”. C’était un homme d’un certain âge, me semble-t-il. Mais quand on a dix-neuf ans, tous les plus que vingtenaires paraissent des antiquités! Il avait un regard rêveur et une mèche châtain clair. Il nous a partagé sa passion pour des auteurs comme Valéry Larbaud, Knut Hamsun. Il nous a incités à lire le Siddharta d’Herman Hesse. Il nous a fait emprunter mille chemins entre le Caire et le Cap à la suite de Paul Théroux. Je ne manquais jamais ce rendez-vous hebdomadaire! J’échangeais avec plaisir avec lui pendant les cours.

Mais au moment de rédiger l’inévitable papier qui sanctionnerait le suivi du cours pour l’administration: rien, le trou, le néant total! J’avais choisi pour sujet “la littérature du désert, de Paul Bowles à Jean Marie Gustave Le Clézio”. Je me suis trouvée incapable de délivrer quoi que ce soit. Le trou noir, la panne. J’ai fini par sécher le dernier cours. Il a dit à mes camarades qu’il était très déçu, que bien sûr je pouvais le contacter pour lui rendre mon papier hors délai, qu’il avait eu l’impression que j’accrochais bien au contenu du cours et qu’il ne comprenait pas pourquoi je me dérobais à ce qui était juste une formalité. C’en a été fini de mes tentatives littéraires pour évoquer les paysages désertiques dans lesquels j’avais grandi.

J’ai relu récemment “un thé au Sahara”. J’ai été plongée dans un profond ennui. Kit et Port Moresby, le couple de héros fuyant le monde ébranlé par la seconde guerre mondiale, part se réfugier en Afrique, et passe son temps à se chamailler. L’Afrique du Nord est juste un vaste décor sur lequel se joue le drame de leur mésentente conjugale et la vacuité de leurs existences. Le désert est la toile de fond, et ses habitants, aux silhouettes à peine esquissées, servent de faire valoir à la médiocrité des protagonistes…

Cette représentation, comme celle du fameux Lawrence d’Arabie immortalisé par les yeux bleus hallucinés de Peter O’Toole, a eu un tel succès en occident qu’on ne sait plus en présenter de nouvelles. Elles occupent toute la place. Elles absorbent tous les imaginaires. Elles ont constitué une nouvelle mythologie dont il est très difficile de s’échapper. “Je n’ai rien vu dans le Sahara”semblent dire les anti-héros de Paul Bowles imitant un discours durassien. Circulez, il n’y a plus rien à voir… plus rien à voir derrière les yeux de Peter O’Toole, en gros plan sur l’écran du kinopanorama…

J’ai longtemps cru que mes souvenirs étaient faux, tant ils ne correspondaient pas à ces récits archétypaux. Romanciers et cinéastes ne voyaient que le déploiement du vide, quand mes souvenirs sont ceux du plein. Peut-être mes souvenirs d’enfance n’étaient qu’une illusion? Me serais-je laissée berner?

“Les souvenirs, c’est quelque chose qui vous réchauffe de l’intérieur. Et qui vous déchire le coeur en même temps”

Haruki Murakami “Kafka sur le rivage”

Saharienne…

Le jour où on m’a proposé d’écrire sur le désert…

“Mais” me dit l’homme avec lequel je m’entretiens depuis un moment sur Zoom, et dont la tête aux cheveux grisonnants se détache au dessus d’une carte du Nord de l’Afrique, “vous ne m’avez pas encore dit, ça vous intéresse, le désert? “. La question me prend au dépourvu, enfin presque. Si ça m’intéresse le désert? Est-ce qu’on demande à un dauphin s’il aime l’eau, à un pingouin s’il aime la banquise, à une grenouille si elle aime les marais?

Quand on parle de désert, il y a trois types de personnes. Il y a celleux qui te racontent avec des extases mystiques leur dernière méharée dans les villes anciennes de Mauritanie, ou leur randonnée avec Terre d’Aventures dans le Kalahari avec bivouac sous la tente pleine de sable et reconnexion avec leur être profond. Il y a ceux qui te disent qu’ils ne supporteraient pas, y’a pas le wifi et même pas de possibilité de te faire servir un frappuccino double lait de soja fouetté avec graines de courges concassées pulvérisées sur le dessus, et puis il y à ce.ll.e.ux qui y ont grandi et qui n’en disent rien, parce qu’ils ont appris que finalement, ça n’intéressait pas grand monde.

Les dernières fois que j’ai essayé de parler de mon enfance saharienne, j’ai fait un four. Il faut dire que c’est un peu difficile de dépasser les poncifs du style “c’était extraordinaire”, “j’aimais bien”, “j’ai fait le Paris-Dakar avant même qu’il existe”, “J’ai vu des vestiges de cimetières d’éléphants dans le Sahara qui avaient été découverts par les dunes”, “Un jour, j’ai bu du lait de chamelle dans une calebasse sous la tente de caravaniers qui transportaient des barres de sel de part et d’autre du Sahara”. “Quand j’étais petite, je n’étais pas myope et je pouvais repérer une gazelle Dorcas dans les dunes à des kilomètres”.

Oui, le désert, ce n’est pas seulement les enfants du Sahel qui meurent de faim et les djihadistes plus ou moins convaincus qui font le coup de main parce qu’ils n’ont rien de mieux à faire. C’est une densité d’expériences que j’ai encore du mal à exprimer, tout en étant convaincue d’avoir eu une chance inouïe de connaître une enfance saharienne. Mais comment trouver le bon moyen d’en parler? Face à l’exotisation facile à la manière d’un Paul Bowles, aux emportement mystiques des adeptes de Charles de Foucault, aux excès de reportages sur la militarisation de la bande sahélo-saharienne, aux images de carte postale des caravanes de dromadaires aux ombres portées sur les dunes orangées, comment porter une parole sur le désert qui ne soit pas cliché?

Alors oui, réfléchir à ce qu’on pourrait faire pour dynamiser une initiative qui a pour nom “rendre le désert habitable” en explorant des pistes de réflexion sociales, techniques, environnementales, ça me tente, et bigrement!

Au moment de l’atterrissage de la sonde Perserverance sur Mars, une internaute mauritanienne m’avait fait beaucoup rire en disant qu’on faisait beaucoup de cas de ces images prises par ces machines perfectionnées coûtant des milliards de dollars mais que pour une fraction de ce prix-là on aurait pu avoir à peu près les mêmes prises de vues à Zouérate (où se trouve la mine de fer, je vous en ai parlé ) où la teneur en fer du minerai de la Khédia d’Idjill et de ses poussières donne la même coloration au désert du Sahara que celle de la planète Rouge.

A l’heure où Elon Musk l’on poursuit des chimères de peuplement de Mars pour échapper aux impôts résoudre les questions liées à l’expansion démographique sur la planète bleue, pourquoi ne pas réfléchir aux pistes permettant d’aider les habitants des déserts à s’y fixer d’une manière durable en y développant des modes de subsistance propres? Après tout, comme le souligne mon interlocuteur, sur Mars, il n’y a pas d’atmosphère, vous êtes soumis aux risques dévastateurs des bombardements solaires, inconvénients que nos déserts terrestres ne présentent pas! Pas question de reproduire un nouveau Las Vegas ou une nouvelle Dubaï, alors quelles pourraient être les alternatives ? Quelles ingénieuries sociales, politiques, agronomiques, urbanistiques, écologiques pourraient offrir aux populations des zones désertiques des conditions de vie décentes dans les pays où ils sont nés?

A nous deux, Sahara!