Savez-vous ce que sont les zama zama? Ils font régulièrement parler d’eux dans les titres sensationnels des quotidiens locaux. Je ne m’étais jamais réellement intéressée à eux jusqu’à ce fait divers sordide dans le campement informel de Cloverdene à Benoni, à l’ouest de Johannesburg. Sept corps de morts par balles pourrissant au soleil avaient été retrouvés dans un terrain vague et identifiés comme des zama zama, des mineurs clandestins, faisant craindre la reprise d’une guerre entre différents groupes rivaux. Ces craintes ont été ravivées par les meurtres, quelques jours plus tard, de quatre femmes apparentées aux victimes alors qu’elles préparaient leurs funérailles. De 2015 à 2017 la police d’Ekhuruleni aurait dénombré plus de quarante meurtres liés à la guerre des zama zama sans avoir la moindre piste quant aux responsables des tueries. Le manque d’efficacité de la police sud-africaine confine, hélas, à la légende, et redresser les torts faits aux zama zama, comme aux habitants des townships en général, est le cadet de ses soucis.
Les zama zama (“essaye, essaye” en zoulou), dont on estime qu’ils sont autour de quinze mille, font partie des recalés de l’histoire, des invisibles victimes des abandons progressifs des anciens sites miniers. Ils sont, comme l’a formulé une journaliste, au fin-fond de la chaîne alimentaire de l’activité minière illégale. En grande majorité étrangers, venus des pays avoisinants: Mozambique, Zimbabwe, Malawi, Lesotho, Swaziland pour travailler, ils se sont trouvés coincés quand les mines ont fermé. Victimes du désinvestissement continu dans l’activité minière, ils révèlent une partie sombre de la vie du pays, une réalité clandestine dont on ne prend conscience périodiquement qu’avec les entrefilets dans les journaux.
On trouve des zama zama partout où il y a des mines désaffectées ou des gisements non exploités. Autour des gisements de chrome dans le Limpopo, dans des anciennes mines de charbon du Mpumalanga, et bien sûr tout autour des restes de ce fameux filon d’or découvert en 1886 sur le plateau du East Rand qui a suscité l’incroyable développement de Johannesburg. La géographie de la ville, lorsqu’on déploie un de ses plans, révèle une quantité impressionnante de poches de terrain non construit et clôturé. Ces “non-lieux” sont les anciens puits de mine rendus théoriquement inaccessibles lors de la fin de leur exploitation industrielle, mais auxquels les zama zama trouvent toujours un moyen d’accéder. Lorsque la presse ne fait pas état de la guerre des gangs autour de l’accès à ces puits désaffectés, elle rapporte des opérations de sauvetage dans les boyaux des mines, par les bénévoles du MRS (Mines Rescue Service)…
Devenir zama zama est un choix par défaut. Avec un taux de chômage officiel avoisinant les 40% en Afrique du Sud, il ne faut pas faire le/la difficile pour pouvoir gagner sa pitance quotidienne. Descendre dans les entrailles de la terre et essayer d’en arracher quelques éclats d’or paraît une alternative convenable. Il faut bien sûr du cran, pour circuler/ramper et travailler dans des conditions rudimentaires, dans ces boyaux mal entretenus, parfois inondés, où rendus difficiles par les éboulements, (plus de 16 000 kms de galeries sous la Witwatersrand Belt selon Greg Mills), avec les risques d’effondrement que cela comporte. Il faut aussi payer la “sécurité”/protection, des gangs qui se disputent férocement les accès aux galeries et prélèvent leur dîme sur les mineurs clandestins, soit en quantité de sable à tamiser, soit en espèces sonnantes et trébuchantes. Les zama zama meurent jeunes, ils ont deux fois plus de risques de mourir de leur activité que les mineurs légaux, pour des revenus bien en deçà de ceux de leurs homologues non clandestins.
La désindustrialisation et le désinvestissement dans le secteur minier depuis la chute de l’apartheid ont favorisé l’apparition des zama zama. L’Afrique du Sud représentait 40% de la production mondiale d’or à la fin des années 80, elle n’en était plus qu’à 5% en 2016, le nombre de mineurs ayant été quasiment divisé par deux. Cette chute n’est pas due aux réserves aurifères qui restent parmi les plus importantes au monde, mais aux difficultés croissantes d’extraction des réserves d’or, qui demandent des investissements importants, et une charte du secteur minier qui découragerait les investisseurs averses. D’où une fermeture des mines et à des licenciements massifs.
La seule ressource restant aux travailleurs licenciés et ne disposant pas d’autres sources de revenus, est de s’engager dans une activité économique informelle. Pour les ex-mineurs du Witwatersrand, l’extraction clandestine devenait l’issue la plus évidente, ce qui les laisse à la merci des gangs et des risques d’une activité dans les marges.
Régulièrement des zama zama marchent sur le département des Mines à Pretoria pour demander la légalisation de leur activité d’extraction, la création d’un statut de mineur indépendant, qui finalement reproduirait le schéma des premiers arrivés sur l’East Rand avec leurs pelles et leurs pioches.
Mais cette proposition se heurte à la charte de l’industrie minière, et impliquerait d’imaginer un statut de travailleur indépendant. Dans ce cas, comment réguler une activité dangereuse à la fois pour les mineurs et les riverains? Les remblais des précédentes exploitations et les dépôts d’eau teintée du mercure utilisé par l’industrie pour agréger l’or rendent durablement inhabitables et impropres à la culture des pans entiers des abords de Johannesburg.
Une autre raison du désintérêt des autorités sud-africaines pour ces travailleurs est qu’il s’agit en majorité de migrants des pays voisins. Il n’y a pas de bénéfice politique à tirer de mesures aidant les migrants. L’ANC ces dernières années n’a pas hésité à jouer un jeu trouble face aux explosions sporadiques de xénophobie dans les townships. Les états d’origines des zama zama, englués dans leur problèmes économiques et politiques sont tout aussi inefficaces à protéger le sort de leurs ressortissants à l’étranger…
L’histoire se répète à eGoli…
En conclusion musicale, une interprétation par le choeur de l’université du Cap de cette rengaine que chantaient les mineurs pour se donner du courage et qui fait maintenant partie du patrimoine culturel du pays: Shosholoza, du nom du train emmenant les migrants vers les mines…
* L’image utilisée en illustration de ce billet est une réinterprétation personnelle d’une peinture de Sam Nhlengetwa, artiste sud-africain que j’apprécie beaucoup pour la justesse de sa dépiction de l’univers des petits travailleurs de Johannesburg.