Ils étaient convenus qu’en ce début de siècle où étaient prédits les pires cataclysmes depuis le tremblement de terre de Lisbonne qui avait ébranlé les fondements des royautés européennes, le mieux à faire pour sauver leur peau, voire leur âme, était de migrer vers l’intérieur des terres, dans un hameau isolé, des influences néfastes comme des rayonnements solaires et des phénomènes météorologiques extrêmes qui étaient annoncés comme l’avenir inéluctable de notre belle planète.
Candide et Cunégonde revenaient à la terre, la vraie, après avoir brûlé leur jeunesse dans les banlieues arborées de l’ouest parisien. Leur conversion avait commencé il y a quelques années. Candide avait troqué la Mini Cooper électrique promise par ses parents pour l’obtention du baccalauréat désormais plus facile à obtenir que le permis de conduire, pour une modeste bicyclette insubmersible avec cadre en carbone et chaîne anti-déraillante, sacoches multipoches ultra-légères et anti-rayonnements nucléaires. Cunégonde, élevée au bio et à la danse classique avait renoncé à son heure et demie de rituel beauté quotidien – avec vingt-sept produits différents- pour de la graisse à traire végétale multi-usages. Ils avaient décidé, devant leurs parents ébahis, de jeter aux orties (bio, surtout conserver les racines, séchées et pulvérisées elles font un excellent remède anti-diabétique et dépuratif!) l’avenir tout tracé de Candide à La Banque Vanderdandur de beau-papa pour une fermette façon ranch dans le fin fond du Cantal.
L’avenir commença dans le TER reliant Clermont-Ferrand à Saint-Flour. « Sens-tu mon Amour comme l’air est plus pur ici ? » chuchota Cunégonde. Candide approuva, tout émoustillé des picotements dans son corps et des échauffements épidermiques que l’approche de la sous-préfecture lui procurait. Bientôt leur nid d’amour, déniché au cœur des prairies vallonnées des contreforts du Massif Central, grâce à une annonce providentielle sur Gens de Confiance. Le Père Pangloss, le propriétaire, un paysan chenu qui portait une barbe de père Noël, mal taillée les attendait à la gare, dans une 2 CV Citroën qui datait de l’an 40. Cunégonde fronça les sourcils à l’idée que ce véhicule ne fonctionnait sans doute pas au jus de betterave, mais Candide l’assura que le côté vintage du véhicule faisait de leur chevauchée un péché véniel. En préventif, pour expier leur faute, ils réciteraient le soir avant de se coucher dix fois le programme de Yannick Jadot pour les présidentielles. « Vous voici au nid d’Aigle ! » leur annonca Pangloss en toussant dans sa barbiche et s’arrêtant juste le temps de débarquer leur maigre paquetage, et redémarrant sans leur donner le code du wifi.
Cunégonde ouvrait la bicoque en s’émerveillant des bontés de la Providence. L’ingéniosité de l’upcycling paysan dans les moindres recoins de la maison la laissait pantoise. Bidons de laits retournés pour servir de tabourets, table en caisse à savon, rideaux dépareillés fruits de négociations acharnées dans les vide-greniers campagnards, cheminée charbonneuse avec son immense trépied à chaîne. N’hésitez pas à piller le potager ! leur avait crié Pangloss dans le crissement de la 2 CV. Le retour à la Nature s’annonçait plein de promesses !
Ils se mirent à explorer le jardin. Chaque nouvelle plante leur arrachait des cris d’admiration. Quelle beauté ! Quelle splendeur ! Comme la nature est bien faite ! Ils virent une biche et son faon à la lisière d’un bois, la queue d’un lapin de Garenne sautiller puis disparaître près d’un genévrier. Un monde nouveau s’ouvrait devant eux. De l’autre côté du vallon, les pelotes laineuses d’un troupeau de moutons au pâturage les plongea dans de longues minutes de contemplation proche de l’extase. Ils respiraient fort, se tenaient la main, se regardaient émus aux larmes. Quelle pureté de l’air ! Les cris de Candide s’intensifièrent lorsqu’il vit s’approcher un oiseau majestueux déployant ses grandes ailes. Un aigle ! N’y a t-il-pas sur terre vision plus incroyable ? Son humeur déchanta lorsque le volatile lâcha près de lui un litre de fiente verdâtre avant de fondre sur un agneau qui têtait encore sa mère, de l’autre côté de la vallée.