C’est le retour du mois de mars, les jours rallongent, les jupes raccourcissent et les jonquilles remplacent les perce-neige et les crocus sur pelouses engourdies par l’hiver. Comme tous les ans nous allons être abreuvé.e.s d’initiatives de tous poils aux alentours de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. J’avoue en ressentir d’avance une certaine fatigue. Cette débauche d’initiatives d’autant plus brillantes qu’elles ne passent pas le cap du printemps finit par me donner le tournis. La mise à l’honneur des droits des femmes, cela devrait être toute l’année, et pas seulement en mars.
“Historiques, pas hystériques”
Les colleuses parisiennes
C’est pourquoi aujourd’hui je veux simplement rendre hommage à toutes ces femmes, activistes ou non, qui n’attendent pas le mois de mars pour avoir des idées et s’impliquer. Parce qu’il faut choisir ces chevaux de bataille, je me suis plus impliquée sur le volet de l’égalité professionnelle, avec HEC Au Féminin et Grandes Ecoles au Féminin. Mais j’avoue aussi un petit faible, et un sursaut de fierté, quand je vois, sur les murs de nos villes, certains collages féministes qui interpellent les passant.e.s sur ces violences que continuent à subir les femmes, et que nos sociétés semblent incapables d’empêcher.
Ces collages, forcément éphémères, ont le mérite de rappeler cette vérité qui dérange: dans notre pays, les femmes ne sont pas à l’abri. Elles ne sont pas à l’abri dans les espaces publics, ni dans les espaces privés. Les faits ne sont pas nouveaux, mais ils sont de plus en plus insupportables. Il faut rendre grâce aux colleuses de rappeler quotidiennement sur nos murs, ce que les murs permettent d’ignorer.
Dans l’atelier d’écriture que je fréquente depuis quelques mois, il n’y a que des femmes, d’âges divers. Au gré des propositions de notre animatrice sont remontées des bribes de vie dont certaines nous ont sidérées. Il est toujours troublant de constater qu’aucune d’entre nous n’était exempte de souvenirs, d’expériences d’une “violence ordinaire” pour reprendre le terme d’une de nos participantes. Des expériences remontant par bribes, et dont une partie aurait pu aboutir à des condamnations pénales, mais qui ont été soigneusement enfouies par leur protagoniste, parce que “ça ne se faisait pas” (de rapporter), parce qu’elles auraient eu peur de ne pas être crues, parce que le perpétrateur était un proche estimé dans la famille, parce qu’elle n’a pas su réagir, parce que c’est elle qui aurait porté le stigmate de “dévergondée, dégueulasse, vicieuse, tordue”.
Ces femmes ont construit leur vie parfois malgré cela parce que, comme elles le disent, “il n’y avait pas mort d’homme”(sic), elle n’allaient pas ressasser le passé toute leur vie. Elles ont les moyens psychologiques et culturels pour le faire… Mais lorsque des phénomènes comme #metoo ont émergé, elles n’ont pas été surprises. Elles ont eu des bouffées de colère, des remontées de bile, contre les commentaires dubitatifs “quand-même, pourquoi parler aussi longtemps après, elles l’ont un peu cherché aussi non? Faut être sacrément naïve aussi!”. L’une de mes compagnes d’atelier décrit la nausée ressentie en constatant que malgré les mises en garde et les prises de conscience, on en soit encore là, que les jeunes générations de femmes, celles de nos filles et parfois de nos petites-filles, ne soient pas plus en sécurité aujourd’hui que nous l’avons été. Nous qui avons été jeunes à la fin du siècle dernier, nous qui avons profité de ce que les luttes féministes ont arraché le droit à la conception et à l’avortement, le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’assentiment d’un père ou d’un mari, le droit d’intégrer les grandes écoles, la suppression du droit de la notion de “chef de famille”, etc. nous ne tolérons pas de voir que le patriarcat tient bon.
Aucun corps ne t’appartient en dehors du tien
Les colleuses parisiennes
Certains n’apprécient guère la provocation de ces oeuvres d’art éphémères, mais la passante que je suis les vit comme une manifestation de soutien, un clin d’oeil. Un petit encouragement à ne pas se laisser aller. “On te croit” dit un collage. Parce que souvent, les victimes de violences ont en plus la charge de démontrer que ces dernières ne sont pas le fruit de leur imagination. Parce que souvent on leur fait miroiter les conséquences de leur plainte pour l’agresseur. “Vous êtes sûre que vous voulez porter plainte? Vous en connaissez les conséquences? On va devoir le mettre en garde à vue. Pour vos enfants, vous avez réfléchi? Que vont-ils en penser?” s’est vu objecter une de mes amies en instance de divorce venue déposer au commissariat de son quartier après que son mari avait porté la main sur elle.
Bravo donc à vous toutes, les anonymes qui concevez et animez ces campagnes sur les murs de nos villes. Je déteste trop la foule pour manifester, mais je suis de tout coeur avec vous… Et en conclusion, un de mes collages préférés…