Un drôle d’instrument…

En attendant le prochain billet, un texte issu d’un atelier d’écriture avec Sophie Lemp…

Je me souviens de la première fois que je l’ai vu. C’était sur la bibliothèque-bureau de chambre de mes parents. Papa travaillait des examens de médecine agricole pendant que Rémy et moi révisions le bac. Il avait un coin dédié pour ses manuels de cours, ses blocs-notes, et sur le coin d’une de ses étagères, il avait posé un objet simple et curieux. Un objet que j’ai trouvé beau dès que je l’ai vu. Beau dans la pureté de ses lignes et dans sa matière, un bois clair patiné par les ans. Je n’ai pas identifié ce que cela pouvait être, il paraissait assez ludique. Mesurant entre quinze et vingt centimètres, il pouvait ressembler à une trompette miniature, sans boutons ni clefs, un tube s’évasant des deux côtés, avec une corolle plus imposante d’un côté que de l’autre.

Papa jouait de la guitare et n’hésitait pas à pousser la chansonnette ou souffler un air sur un harmonica, mais je ne l’avais jamais entendu produire cet instrument curieux. J’ai fini par lui demander, un jour, ce que c’était. « Ca ? » Il se tourna vers moi, abaissant ses lunettes sur son nez pour me regarder par-dessus avec un éclat de malice dans les yeux. « Ca ? C’est le stéthoscope de Pinard de mon père ! ». « Un stéthoscope ? Mais ça ne ressemble pas du tout à un stéthoscope ! » me rebellais-je. Il se payait ma tête ! Cette trompe en bois n’avait rien de commun avec un stéthoscope !

« C’est l’ancêtre du stéthoscope que tu connais, celui-ci appartenait à mon père. Il me l’a donné pendant mes études de médecine. Il peut encore être très utile pour ausculter le ventre des femmes enceintes ! ». Il le saisit entre le pouce et deux doigts, appliqua son oreille sur la corolle la plus plate, et fit mine d’appuyer la corolle la plus large sur une personne invisible, les yeux orientés en diagonale vers le ciel. On aurait dit Tryphon Tournesol et son cornet acoustique ! Je ne sais pas ce qu’est devenu ce stéthoscope. Je ne l’ai plus vu. J’imagine que j’ai cessé de m’y intéresser. Il y a tellement de fatras sur cette bibliothèque. Maman n’a pas classé ses affaires lorsqu’il est mort. Elle a tout laissé en place.

Il y a quelques mois, je suis allée observer des consultations d’obstétrique au Bénin. La salle de consultation n’était pas de toute première fraîcheur, le lit d’examen était tout défoncé. Sur la paillasse au carrelage blanc, à côté de la boîte tambour au-dessus du scotch « spéculum » et du mètre de couturière, un tube en aluminium blanchi, un peu cabossé. Etait-ce la chaleur, mal combattue par les grosses pales du ventilateur ? Les larmes me sont montées aux yeux lorsque la sage-femme appliqua sur le globe parfait du ventre de sa patiente, la corolle en alu du stéthoscope de Pinard…

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