Sindiwe, entre tradition et maternité (devenir mère à Johannesburg part 13)…

J’ai rencontré Sindiwe par des amis communs. C’est l’incarnation parfaite du “diamant noir”, ces jeunes noir.e.s qui ont embrassé les opportunités que leur offrait la démocratie et la fin de l’apartheid, pour faire de bonnes études et devenir des professionnels recherchés. Diplômée en économie de l’université de Cape Town, elle était en dernière année de thèse, travaillant en même temps pour un organisme de recherche lorsqu’elle a été débauchée par le département investissements d’une grande banque sud-africaine. Elle raconte que lorsqu’elle avait annoncé à sa mère qu’elle poursuivrait son master par une thèse, sa mère lui aurait répondu: “mais alors, tu ne pourras jamais te marier?”.

Elle est en couple avec un européen rencontré à l’université, consultant dans un grand cabinet international, et me dit que probablement elle n’aurait pas trouvé de mari africain, car les sud-africains noirs voient d’un mauvais oeil d’avoir une épouse plus diplômée qu’eux. Une de ses amies avocates qui a épousé un avocat remet à son mari, tous les mois l’intégralité de sa paye dont il lui restitue une partie pour ses dépenses. Sindiwe y voit un signe d’allégeance et une façon d’apaiser le sentiment de malaise du mari, qui, selon la tradition doit “dominer” sa femme.

Sindiwe a échappé aux aléas du marché du mariage traditionnel en épousant un européen. Leur niveau de vie lui a permis d’avoir accès aux meilleurs soins médicaux possibles à Johannesbourg. Mais le fait de fonder une famille bi-culturelle a aussi l’inconvénient de les couper des modèles existants. Ils doivent inventer un équilibre familial différent de ceux de leurs familles d’origine…

” En fait je n’étais pas sûre de pouvoir avoir des enfants. Depuis mes dix-huit ans j’ai des problèmes de fibromes utérins. En 2010, j’avais vingt-huit ans, j’ai de nouveau eu des fibromes, le gynéco que j’ai vu m’a conseillé l’hystérectomie, car les fibrômes risquaient de revenir tout le temps. J’ai pris un second avis. Le second gynéco, un type plus âgé, m’a conseillé la chirurgie pour éradiquer les fibromes présents mais ne voyait ça que comme une solution temporaire. Ils allaient revenir. Un an après l’opération, à la visite de contrôle, il m’a dit qu’il ne fallait pas que je tarde trop si je voulais des enfants, parce que le problème de fibromes, qui était réapparu, risquait d’empirer et de m’empêcher à terme d’envisager des grossesses. J’étais avec celui qui allait devenir mon mari depuis la fac. Et il voyait que cette histoire me préoccupait. Pourtant, je n’avais jamais pensé à avoir des enfants auparavant, ce n’est pas quelque chose dont je rêvais étant petite, mais l’idée que peut-être je n’en aurais jamais si j’attendais plus, m’a profondément perturbée.

Mon futur mari m’a dit: “on n’a qu’à essayer! On va traverser ça ensemble”. J’étais très touchée qu’il me dise ça, qu’il se sente concerné aussi. Et nous sommes tombés enceinte très rapidement. Durant toute la grossesse le gynéco a contrôlé les fibromes. Il n’y a pas eu de problème de ce côté là. Mais je savais que j’aurais forcément une césarienne du fait de mon utérus cicatriciel. En plus mes bébés (Sindiwe a eu un second enfant deux ans après le premier) étaient très gros. Je ne voulais pas prendre de risque.

Pour le suivi de la première grossesse j’avais le gynéco qui m’avait opérée. Il était très compréhensif, me donnait plein de choses à lire, des articles qu’il imprimait si j’avais des questions. J’avais fait des recherches sur Internet pour voir si je pouvais accoucher par voie basse. Il m’a expliqué pourquoi il ne le conseillait pas. Il m’avait même dessiné sur une feuille mon utérus, la localisation des fibromes et là où il ferait la césarienne. J’ai pris toutes le vitamines et suppléments alimentaires conseillés. J’étais très stressée pour la trisomie 21. J’ai fait l’échographie détaillée à 12 semaines et à 20 semaines pour le premier.

L’échographiste était super compétente, elle m’a tout expliqué, tout montré, et elle m’a assuré qu’il n’y avait pas besoin de faire d’autre test. J’en ai un meilleur souvenir que du test non-invasif que j’ai fait pour le second (cela n’existait pas quand j’ai attendu le premier). J’ai hésité à prendre ce test. Il était très cher, 1000 dollars non remboursés par l’assurance. Je n’étais pas sûre de vouloir avorter en cas de résultat positif. Mon mari pensait qu’il valait mieux le prendre et interrompre la grossesse en cas de résultat positif. J’ai été très choquée par l’attitude de ma mère, que j’ai eue au téléphone et à laquelle j’expliquais mes hésitations à ce moment-là. Elle qui est si religieuse, elle me disait qu’il fallait prendre le test et ne pas mettre au monde un bébé atteint. Les trois semaines d’attente des résultats ont été un enfer, mais finalement, tout allait bien.

J’ai un souvenir curieux de ma première césarienne. Le médecin était plutôt vieux, blanc et plutôt relax, sans doute un privilège de l’expérience. Il était assez positif et encourageant. Je me souviens qu’il parlait de golf et qu’il plaisantait avec l’anesthésiste pendant la césarienne. Pour ma seconde grossesse, il avait pris sa retraite. Alors j’ai changé de médecin et de clinique. J’ai choisi une obstétricienne kényane, beaucoup plus jeune, dans les quarante ans. Elle nous donnait juste les faits, était assez transactionnelle, assez neutre. Mon mari ne l’aimait pas. On sentait qu’elle était totalement pétrifiée par les risques de judiciarisation, qu’elle contrôlait tout ce qu’elle disait pour qu’on ne puisse pas se retourner contre elle. Sur l’aspect médical je l’ai trouvée assez scolaire. Elle ne nous a jamais dit: “votre bébé va très bien” ou un truc comme ça.

En revanche, elle abordait beaucoup plus les aspects matériels de la maternité, me demandait comment je m’en sortais avec le premier. J’étais très fatiguée pendant la grossesse, avec le boulot et le bébé. Elle me demandait comment je me sentais en tant que femme, épouse, mère. c’est elle qui m’a convaincue de prendre une aide à temps complet à la maison. Mon mari ne comprenait pas. Sa mère est allemande, elle a toujours tout fait chez eux. Pour lui il était impensable d’avoir besoin de quelqu’un à demeure. C’est elle qui m’a aidée à le persuader que c’était nécessaire, et ça allait beaucoup mieux après! La péridurale n’a pas pris cette fois-ci alors j’ai eu une anesthésie générale, et lorsque je me suis réveillée, j’avais un second bébé!

L’allaitement n’a été facile pour aucun des deux, mon lait n’arrivait pas, il a fallu attendre cinq jours à chaque fois. Ils donnaient des suppléments aux bébés à la clinique. Je me sentais inadéquate. J’ai sevré mes bébés lorsque j’ai repris le boulot, après quatre mois pour le premier et après cinq mois pour le second. Pour la première naissance, ma mère est revenue de l’étranger pendant six semaines pour m’aider. Elle n’a pas pu pour le second, mais j’avais de l’aide à domicile, et mes tantes passaient deux fois par semaine pour s’assurer que tout allait bien. Dans ma culture, la femme rentre chez ses parents pour accoucher et y reste au moins trois mois. Ce n’était ni possible, ni souhaitable pour nous, mon mari s’est beaucoup impliqué. Et ma mère vit à l’étranger.

J’ai des amies qui ont fait ça. c’était moins facile pour le père de trouver sa place. Le mari d’une de mes copines a commencé à voir une autre femme pendant que sa femme était chez ses parents avec leur bébé nouveau-né…

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