Ouf, le mois d’août est passé, on peut enfin abandonner la cause sur les femmes et laisser l’abominable ANCWL se charger des débats de fond sur le sujet!
En Afrique du Sud, le mois d’Août est, depuis la chute de l’apartheid, consacré à la célébration des (droits des) femmes. Le 9 août est férié en mémoire du jour d’août 1956 où une délégation de femmes de tous horizons et de toutes couleurs mit le cap sur les Union Buildings à Pretoria pour remettre une pétition au gouvernement et demander l’abandon des laissez-passer mettant en place la restriction de circulation et séparant les espaces urbains entre espaces réservés pour chaque catégorie raciale. Une photo très forte de cette manifestation est publiée tous les ans, celle des meneuses du mouvement, quatre femmes, d’origines différentes, symbolisant avant l’heure la “nation arc-en-ciel”: Albertina Sisulu, Sophie Williams de Bruyn, Raima Moosa, et Helen Joseph, tenant les liasses de feuilles avec les signatures obtenues devant le siège du gouvernement, et accompagnées de milliers d’anonymes.
Ce n’était pas forcément une mauvaise idée de consacrer le mois d’août à réfléchir sur les conditions d’existence des femmes sud-africaines et sur les façons de les améliorer. Las, ici comme ailleurs, le mois est l’occasion d’un “pink washing” massif, de promotions marketing écoeurantes et de déclarations hypocrites des plus révoltantes de la part de politiciens à court de couverture media.
Pour le mois des femmes j’ai eu droit:
- à un numéro spécial “Women on Wheels” (WOW!, bien trouvé non?) avec mon magazine (de déco) préféré, une édition annuelle débordant de citadines dans des couleurs pastel et autres cabriolets “pinkwashés”. Parce que nous les femmes nous avons droit à des voitures adaptées à nos goûts (elle n’est pas belle la vie?).
- A une proposition de cours de cuisine “Healthy” par mon assurance santé (privée), mais bon, payants quand même les ateliers, il faudrait pas que je coûte plus à mon assureur que ce que je lui rapporte…
- A des cours de gym “feel-good” spéciaux.
- Et si j’achetais deux bijoux ou montres dans un magasin chic, le troisième était offert!!!
Les entreprises sud-africaines ont rivalisé d’idées affligeantes originales pour vendre leur camelote améliorer leur notoriété, organisé des “journées de la femme” dans leurs bureaux à coup d’interventions de gouroues plus ou moins crédibles sur leur agenda féministe. Les politiques en ont profité pour redorer leur blason en allant dans les provinces donner de la voix pour célébrer les glorieuses pionnières de la cause des femmes et se confire en beaux discours.
Dans les faits les droits des femmes n’ont pas été moins malmenés au mois d’août de cette année qu’à d’autres périodes de l’année.
Madame Ndlamini Zuma (maladroitement rebaptisée madame Mini-Zuma par un stagiaire de la SABC) candidate à la présidence de l’ANC (et donc du pays) a formulé que si les femmes étaient des victimes, elles n’avaient à s’en prendre qu’à elles-mêmes. C’est bien connu, les victimes d’abus et de violences l’ont bien cherché non?
Pendant ce même mois, un vice-ministre de l’éducation a molesté deux femmes à la sortie d’une boîte de nuit, sans pour autant être arraisonné malgré une vidéo accablante. Il a fallu dix jours d’indignation publique (le fait que l’une des femmes était une parente d’une des ministres du gouvernement Zuma a sans doute joué) pour que le vice-ministre de l’éducation démissionne sous la pression du président. Mais il est toujours député et au service de son parti. Sans blague, pour trois claques, on ne va pas en faire une histoire tout de même?
Un groupe de pression chrétien a présenté un texte de loi au gouvernement qui pourrait restreindre de fait l’accès de ce droit fondamental des femmes, et notamment aux femmes les plus défavorisées… Ce texte, s’il était adopté, réduirait la période pendant laquelle les femmes ont droit à l’avortement pour raison personnelle (20 semaines d’après la loi de 1996), et obligerait les femmes à se présenter dans les services hospitaliers publics munies d’une échographie (très difficile à réaliser dans le secteur public, et très onéreuse dans le secteur privé). Vingt semaines cela paraît long mais c’est hélas adapté aux conditions de vie et à l’accessibilité des services de santé publics locaux. Les conditions d’accès à l’avortement étant déjà compliquées, autant dire que cette loi enterrerait la possibilité d’un avortement autre que clandestin pour une grande partie des femmes ne disposant pas de revenus suffisants. Elles vont sans doute avoir recours à ses pourvoyeurs de “quick abortions” dont les pubs clandestines ornent les carrefours, et dans le meilleur des cas remercier leur bonne étoile de ne pas saigner à mort…
Je n’ai malheureusement pas le talent de “pousser une longue plainte déchirante pudiquement cachée sous la morsure cinglante de mon humour ravageur” (Ah Desproges!). Je ferai juste une suggestion: et si on nous lâchait les baskets? Si on arrêtait l’hypocrisie? Si on renvoyait une fois pour toutes aux oubliettes ces journées des droits des femmes, ces mois des femmes et leurs cortèges de manifestations creuses, illustrations paradoxales de cette “société du spectacle”. Les femmes étant “la moitié du ciel”, pourquoi ne pas se préoccuper du respect de leurs droits toute l’année? Stop à ces célébrations hypocrites et coûteuses, assez de discours mielleux et creux, finie la comédie du “pink-washing” un mois par an!
J’entends déjà les rengaines de ceux qui disent que, de toute façon, la condition des femmes s’est bien améliorée, qu’on commence à les fatiguer avec ces histoires, qu’il faut que les féministes relâchent la pression et qu’on ait enfin des relations apaisées entre les sexes, que la cause s’est usée à force d’être invoquée à tort et à travers, que ses inquisitrices auraient à jamais galvaudé le terme. Relax ma chérie, tu vas ruiner les effets de ton traitement au Botox… Merde le féminisme c’est SO vingtième siècle! On a inscrit l’égalité dans les constitutions, il faut lui laisser le temps de s’imprimer dans les moeurs? Ouvre tes chakras et respire, tout finit toujours par arriver!
Désolée de jouer la rabat-joie de service. Le féminisme un mois par an, ça ne marche pas plus que le régime “spécial bikini” au mois de juin ou de novembre (selon l’hémisphère). L’afficher sur des T-shirts, même signés d’une maison de haute couture, c’est sympa, mais ce n’est pas suffisant. Il faut continuer à dénoncer les injustices faites aux femmes, où qu’elles se trouvent et quelle que soit leur origine géographique, sociale, religieuse, leurs préférences sexuelles et leurs opinions politiques… Et malheureusement on en a tous les jours l’occasion… Et bonne rentrée quand même!
One thought on “Affreuse féministe aussi longtemps qu’il le faudra…”