Crossroads…

On the road… on n’est jamais déçu… road trip à Johannesburg!

Les amateurs de road-movies le savent bien, on n’en apprend jamais autant sur une société et ses obsessions qu’à ses carrefours.

Dans une agglomération qui compte, selon les estimations, entre huit et dix millions d’habitants et ne propose pas de transports publics dignes de ce nom, le réseau routier est d’une importance capitale à la vie urbaine. Malgré les plaintes assez fréquentes de ses habitants, les routes de Johannesbourg sont plutôt bien entretenues, et la circulation n’y connaît pas ces embouteillages incessants de certaines autres grandes métropoles africaines comme Nairobi ou Lagos. la conduite à Jo’burg est un sujet de prédilection dans les communications entre les anciens et les nouveaux. Il faut évidemment commencer par s’habituer à conduire du mauvais côté de la route, à naviguer entre les rues fermées par leurs habitants et surveillées par des compagnies de sécurité, ce qui complique le travail des GPS, apprendre à se méfier des “taxis” ces minibus Toyota qui sillonnent la ville pour transporter les plus pauvres, et qui sont prêts à tout pour poursuivre leur course au profit, doubler les voitures dans toutes les configurations possibles, avec une préférence marquée pour la queue de poisson, brûler les feux (ici appelés “robots”), et malmener de l’avertisseur ou de la voie tout ce qui s’oppose à leur passage. Il faut également apprendre à partager les routes avec toutes sortes de véhicules pas toujours homologués, des carrioles vintage aux charrettes à bras dont les timoniers préfèrent en général emprunter les routes à contresens.

L’étendue de la ville et l’importance de la circulation automobile rendent indispensables ces instruments de régulation du trafic que sont les feux (je ne sais si quelqu’un a compté le nombre de feux à Joburg, mais c’est un travail de romain!). On n’apprécie jamais autant l’apport de ces accessoires que quand ils tombent en panne à une heure où la circulation se densifie. La défection de certains feux sur le William Nicol Drive en fin d’après-midi, c’est le mal de tête assuré! Certains recommandent de ne jamais s’arrêter aux feux la nuit tombée, pour des raisons de sécurité (sic), le feu rouge pouvant permettre à des brigands de s’emparer de votre voiture en vous menaçant d’une arme (ça arrive). Le jeu est alors de s’assurer que la voie est libre avant de traverser le carrefour en toute illégalité. Si les radars de contrôle de vitesse sont assez courants, les caméras pour prendre en flagrant délit les conducteurs ne respectant pas les feux n’ont pas encore été mis en service.

Pour la sociologue que je suis, lorsque mon attention de conductrice n’est pas sollicitée par la tâche complexe de déterminer quand je puis sans risque engager ma voiture dans le carrefour parce qu’ils ont encore arrêté ce satané feu (souvent par interruption de l’alimentation électrique, il y a des travaux partout, cette ville est un chantier permanent), les carrefours sont des lieux particulièrement révélateurs de ce qu’est la société sud-africaine. Les carrefours des quartiers nord de Johannesburg, présentant un paysage moins urbain que CBD (central business district), bénéficient souvent de terre-pleins et de beaux trottoirs, donc de surface d’exposition supplémentaire. L’humoriste Trevor Noah qui a grandi à Soweto explique dans l’un de ses sketches où il compare les villes nord-américaines à celles de son pays natal qu’il avait été frappé par le fait qu’il n’y avait (aux USA) jamais personne aux carrefours.

A Johannesburg, pour peu qu’on circule sur une des grandes artères qui traversent la ville, les carrefours sont immanquablement accaparés, en tout cas dans la journée. Il y a bien sûr les mendiants de tous âges qui vous tendent la main puis la portent à leur bouche pour vous montrer qu’ils ont faim. Quelques femmes avec leur petit calé dans le dos, ou parfois avec des plus grands qui attendent patiemment, les fesses calées dans le terre-plein poussiéreux. Je me demande toujours comment ils font pour ne pas attraper de coup de soleil en plein cagnard, ou ne pas finir sous les roues des voitures. Il y a les aveugles, ou les paralytiques accompagnés par un parent compatissant. Parfois ces mendiants essaient de faire preuve d’originalité. La semaine dernière au lieu du sempiternel “homeless, 2 children, looking for a job, please help, God Bless You”, ou de la version service public “I keep this area clean and crime free, please help”, un mendiant a essayé un “my wife was kidnapped by CIA, please help”. Il était trop loin pour que je lui demande si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle…

Il y a ceux qui tentent de monnayer quelques marchandises (des chargeurs de téléphones portables made in China qui tomberont en capilotade après la première utilisation, le fixe-vignette d’immatriculation sur le pare-brise, des chapelets de perles en bois avec au choix une croix chrétienne ou la forme de l’Afrique). Il y a les artisans qui vendent des sculptures d’animaux (girafes, lions, hippopotames ou rhinocéros) ou de fleurs en perles qui mettent un peu de couleur et de fantaisie au bord des routes. Les vendeurs de balais en fibre du Kwazulu Natal et les méga-plumeaux en plumes d’autruche (authentiques!) pour déloger les araignées des plafonds. Les vendeurs de journaux et autres distributeurs de prospectus.

Au début de mon séjour j’ai aussi été intriguée par ces gens au milieu des carrefours affublés de sacs poubelles noués à leur cou. Ils attendent simplement de vous débarrasser des cochonneries que vous accumulez dans vos véhicules, moyennant un dédommagement sous forme de piécettes. Certains peu scrupuleux empochent les piécettes et oublient en partant vos papiers gras et gobelets sur le terre-plein. Le week-end quelques clowns ou acrobates remplacent les laveurs de pare-brises essaient d’améliorer leur ordinaire en offrant quelque pitrerie. Les plus remarquables sont les équipes de jeunes gesticulant sur des casiers à bouteille dans un exercice qui se situe mêle les claquettes, le hip hop et le jonglage.

Parfois ce ne sont pas les gens que l’on remarque aux carrefours, mais les affichages sauvages… sorte de rappel des obsessions populaires et des maux de la société. Publicités pour des services divers. Petites pancartes en carton accrochées aux arbres ou feuilles collées à la hâte. Les numéros de téléphone de chercheurs d’emplois, sur des petits cartons griffonnés à la hâte, les pubs pour les élagueurs (on est dans une “man made forest”, je ne vous l’ai pas dit?) ou de jardiniers. Dans un pays où le chômage est endémique, les moyens même les plus désespérés sont à tenter. Les pubs pour le “Penis Enlargment”, les “quick abortions”, les prothèses de fesses. Raccourci des stéréotypes. Ici les femmes noires les plus désirables sont du genre dodues, le terme pour désigner une femme belle en isiZulu signifie également “rembourrée”, et la reine n’est pas appelée roi-femelle, mais éléphante… et dans un pays où l’éducation sexuelle est indigente, où les lieux publics et les entreprises sont obligées de mettre des préservatifs gratuits dans les toilettes, et au taux de grossesses adolescentes imposant, les faiseuses d’anges ont un avenir…

 

 

 

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